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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 4 septembre 2019, n° 17-05278

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Banhoazis Comercio de Mobillairo de Banho (SA)

Défendeur :

Terreo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Penavayre

Conseillers :

Mme Truche, M. Sonneville

Avocats :

Mes de Laforcade, Simonet, Cottin, Misserey

T. com. Montauban, du 18 oct. 2017

18 octobre 2017

FAITS ET PROCEDURE

Le 16 mai 2012 la société Banhoazis, société portugaise qui exerce l'activité de commerce de mobiliers de salles de bains, a signé un contrat d'agent commercial avec Monsieur X qui a ensuite transféré le contrat à la SARL Terreo dont il est le gérant et unique associé.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 2016 la société Banhoazis a résilié le contrat d'agent commercial de la société Terreo avec effet immédiat.

Estimant que cette résiliation n'était pas justifiée, la SARL Terreo a saisi le tribunal de commerce de Montauban aux fins d'obtenir la condamnation de la société Banhoazis à lui payer diverses sommes à titre d'indemnités compensatrices.

Par jugement réputé contradictoire du 18 octobre 2017, le tribunal de commerce de Montauban a condamné la société Banhoazis Comercio de Mobiliaroro de Banho (ci-après " Banhoazis ") à payer à la société Terreo:

- la somme de 42 953 € à titre d'indemnité compensatrice de préjudice subi,

- la somme de 5 836 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- le tout avec intérêts légaux et capitalisation des intérêts à compter de la délivrance de l'assignation,

- la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

La SA Banhoazis Comercio de Mobiliaro de Banho a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 3 novembre 2017.

Par ordonnance de référé du 17 janvier 2018, le premier président a autorisé la société Banhoazis à consigner les sommes objet des condamnations sur le compte CARPA du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Poitiers.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures du 29 (25) avril 2019 la SA Banhoazis Comercio de Mobiliario de Banho demande à la cour de réformer le jugement, et statuant à nouveau, de :

- dire et juger que la SARL Terreo a commis des fautes graves exclusives du versement d'indemnités,

- de débouter la SARL Terreo de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- de fixer le montant de l'indemnité compensatrice de préjudice subi à la somme de 1 €,

En toute hypothèse,

- de condamner la SARL Terreo à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de condamner la SARL Terreo aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Damien De Laforcade, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile,

- de statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel qu'elle démontre et justifie des manquements de la société Terreo constitutifs d'une faute grave, exclusive d'une indemnité compensatrice, que ces manquements résultent notamment des témoignages des clients et d'une attestation de Monsieur Y, responsable des agents commerciaux sur le territoire français, qui soulignent des difficultés de communication, des manques de préparation de ses visites, une mauvaise présentation, un manque de crédibilité et un mécontentement des clients notamment en raison du manque de visites et de l'absence de service après-vente.

Elle ajoute que les commissions facturées par la société Terreo correspondent à des ventes réalisées avec Monsieur K, responsable des agents commerciaux sur le territoire français, ce qui l'empêche de tirer de ces éléments la moindre conséquence au bénéfice de l'agent commercial.

Enfin elle fait valoir que les juges du fond ne sont pas liés par les usages fixant l'indemnité de rupture à 2 années de commissions et qu'en l'espèce il n'est produit aucun justificatif du préjudice qu'aurait subi la société Terreo.

Aux termes de ses dernières écritures du 31 mai 2018 la société Terreo demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et y ajoutant, de condamner la société de droit portugais Banhaozis à lui payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile et l'ensemble des dépens y compris ceux de traduction et d'exécution.

Elle fait valoir pour l'essentiel qu'elle n'a commis aucune faute grave et qu'elle a droit aux indemnités compensatrices de préavis et de cessation de contrat prévu par les articles L. 134-11 et 12 du Code de commerce, que la bonne exécution du contrat résulte du tableau d'évolution des commissions, alors que les produits de la société Banhaozis était totalement inconnus en France en 2012, qu'aucun reproche ne lui a été fait en cours de mandat, et que les documents produits à titre de preuve par la partie adverse ne sont pas probants.

Elle maintient sa demande d'indemnisation à 2 années de commissions compte tenu des usages, du préjudice d'une gravité évidente qu'elle subit du fait de la perte du support de son activité et des commissions qu'elle était en droit d'espérer, des frais qu'elle a exposés pour les besoins de son activité, et de la perte d'éléments d'actifs incorporels que représente le mandat.

La cour pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, se réfère expressément à la décision entreprise et aux dernières conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes des articles L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, en cas de rupture d'un contrat d'agence commerciale à l'initiative du mandant :

- la durée du préavis est de 3 mois pour la 3e année commencée et les années suivantes, sauf faute grave de l'agent ou cas de force majeure,

- l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

Il appartient à la société Banhaozis de rapporter la preuve de la faute grave qu'elle invoque, étant rappelé que la faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun, et rend impossible le maintien du lien contractuel.

La société Banhaozis indique dans son courrier de rupture du 29 mars 2016 être mécontente des prestations de la SARL Terreo à laquelle elle reproche les manquements suivants dans l'exécution de ses tâches :

- absence de ventes (ventes très faibles),

- clients se plaignant du manque de visite et de service après-vente,

- absence de prospection et de promotion de la marque auprès des clients,

- absence de réponse aux appels téléphoniques.

Elle reprend ces griefs devant la cour, soutenant que Monsieur X ne démarchait pas ses clients, se désintéressait des produits de la marque et n'assurait aucun service après-vente, mettant les clients en grande difficulté.

L'insuffisance de résultats ne constitue pas, à lui seul, une faute grave privative du droit à indemnité. En revanche, tel est le cas de l'absence de prospection, ou le désintérêt manifeste et généralisé dans l'exécution du mandat.

Le secteur imparti à Monsieur X comporte 19 départements, la lettre de mission valant contrat indique, sans autre précision, qu'il est engagé en qualité d'agent commercial sur le secteur.

Il n'est pas contesté que la société Banhaozis démarrait son activité sur le secteur, les résultats des 3 années complètes d'exercice étant les suivants :

- 2013 : 15 467,92 €,

- 2014 : 16 605,15 €,

- 2015 : 23 347,58 €.

Il est produit par la société Banhaozis 2 mails des 20 novembre et 7 décembre 2013, par lesquels la société Mosaïc Caro se plaint auprès de Monsieur Y, représentant de la société Banhaozis en France, d'un problème de litige de livraison et de facturation, et de présentation de LCR, et indique que le commercial " ne se déplace plus depuis mars ", n'effectue " aucune visite pour régler les litiges ", et qu'il n'a aucun retour des services commerciaux.

Un mail du 30 mars 2015, émanant de monsieur Z, de l'entreprise W, fait état de produits invendables et du mécontentement des clients du fait de la carence du service après-vente, reproche à Monsieur Y d'avoir fait une promesse et de ne pas être venu, enfin lui demande s'il est le seul à pouvoir constater et résoudre les problèmes et s'il n'a pas un agent.

Les autres pièces émanant de clients produites par la société Banhaozis sont des réponses par mail ou courrier des 31 janvier, 1er et 2 février 2018, à une sollicitation de Monsieur Y leur demandant de décrire en quelques mots, dans un but d'amélioration du service commercial et de classement du service de son ancien agent commercial, la "prestation commerciale de x (visite, présentation, service après-vente, disponibilité téléphonique, crédibilité commerciale)", un document à retourner signé étant joint "si cela est le cas de votre magasin". Ce document fait état d'un manque de visite et de SAV, ou d'une absence de prospection et de promotion de la marque.

Sur les entreprises de 19 départements, la société Banhaozis se prévaut de 9 réponses :

- 3 indiquent n'avoir rencontré Monsieur X qu'avec son manager z,

- 2 indiquent avoir rencontré Monsieur X deux fois par an, une fois seul et une fois avec son manager,

- 1 indique avoir rencontré Monsieur X deux fois, une fois seul et une fois avec son manager,

- 3 indiquent que les visites de Monsieur X étaient rares, l'un (Carbonel) sans précision, semblant ignorer qu'il n'est plus en fonction, un second (Reflex boutique) précisant qu'il était quasiment impossible d'avoir une réponse rapide en cas de problème technique ou de service après-vente et que Monsieur X n'avertissait que la veille de la visite de Monsieur A, le troisième (Anette Carrelages) ajoutant que souvent Monsieur X n'avait pas de documentation, et que pour avoir une réponse rapide en cas de problème technique il s'adressait à Monsieur Z.

Enfin est versée aux débats une "attestation" signée de Monsieur A, se disant représentant de l'usine en France et responsable des agents commerciaux sur le territoire français, sans les mentions prescrites par l'article 202 du Code de procédure civile, évoquant des difficultés de communication, un manque de préparation des visites du manager, une manque de crédibilité, et écrivant que les ventes étaient faites par lui sur le secteur, que les clients n'étaient pas satisfaits de Monsieur X, et que celui-ci n'assurait pas le service après-vente.

Il sera observé que la fonction d'un agent commercial est avant tout la prospection et l'obtention de commandes, et non le service après-vente et les problèmes de facturation.

De son côté, Monsieur X produit des attestations émanant d'un autre mandant (paroi de douche Duritia), attestant de sa bonne conduite, de son savoir-faire et de sa disponibilité, d'un ex employé d'une société démarchée pour le compte de la société Banhaozis selon lequel il se montrait très professionnel et à l'écoute de ses clients, d'un gérant de société de Pessac attestant travailler de façon très régulière et sur plusieurs marques dont Banhaozis avec la SARL Terreo avec laquelle il a toujours eu des rapports très professionnels et bénéficié d'un service réactif, le gérant de la SARL Ambiance Bain Carrelage confirmant ces qualités.

De l'ensemble de ces éléments, ne résulte pas la preuve d'une faute grave de Monsieur X dans l'exécution de son mandat, et en particulier dans sa mission de prospection, de nature à le priver des droits que les articles L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce accordent aux agents commerciaux.

Le mandat ayant duré plus de 3 ans, c'est à juste titre que les premiers juges lui ont accordé une indemnité de préavis de 5 836 €, la société Banhaozis ayant contesté le principe mais non les bases de calcul.

S'agissant de l'indemnité de rupture, il est exact que l'usage, source de droit, est de fixer l'indemnité compensatrice du préjudice au montant de deux années de commissions, calculé sur une moyenne de trois années. Les juges peuvent toutefois écarter ce mode de calcul lorsqu'il ne correspond pas au préjudice subi, en particulier quand le mandat a duré très peu de temps, ou au contraire très longtemps.

En l'espèce, la relation a duré près de 4 ans, la SARL Terreo a perdu les revenus que lui procuraient le contrat rompu, et il n'y a pas lieu de déroger à l'usage.

En conséquence, l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture sera fixée à (15 467,92 € + 16 605,15 € + 23 347,58 €) x 2/3= 36 947,10 €.

Sur l'article 700 du CPC et les dépens

La décision déférée sera confirmée sur ces points, la cour ajoutant à raison de l'équité une somme de 1500€ à la condamnation prononcée en faveur de la SARL Terreo sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs / LA COUR Confirme la décision déférée, sauf en ce qu'elle a fixé à 42 953 € la somme due par la société de droit portugais Banhaozis à la société Terreo à titre d'indemnité compensatrice de préjudice subi, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société de droit portugais Banhaozis à payer à la société Terreo la somme de 36 947,10 € à titre d'indemnité compensatrice de préjudice subi, Condamne la société de droit portugais Banhaozis à payer à la société Terreo la somme complémentaire de 1 500€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société de droit portugais Banhaozis aux dépens qui incluront les frais de traduction et d'exécution.