CA Poitiers, 2e ch. civ., 3 septembre 2019, n° 18-02269
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Earta (SARL)
Défendeur :
Voluma (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Sallaberry
Conseillers :
M. Pascot, Mme Caillard
Avocats :
Mes Rineau, Garrigues
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société Voluma exerce depuis 2008 une activité de vente, notamment par télévente, de produits élaborés par des centres d'aides par le travail et des ateliers protégés.
La société Earta, dirigée par M. X et disposant d'un établissement secondaire dénommé E2A, situé à Carquefou, emploie des salariés reconnus travailleurs handicapés et propose à sa clientèle des produits sous la marque E2A.
Les deux sociétés ont signé le 10 avril 2014 un contrat d'agent commercial à durée indéterminée, par lequel la société Earta, mandant, confiait à la société Voluma, agent commercial, le mandat de vendre à titre exclusif, au nom et pour le compte du mandant, des produits de papeterie et d'entretien pour l'établissement secondaire E2A. Ce contrat stipulait notamment :
- l'engagement de l'agent commercial (Voluma) à réaliser six mois après le démarrage de l'activité, un CA mensuel minimum de 60 000 mensuel, la non-exécution de cet objectif rendant nulle la clause d'exclusivité,
- une rémunération au profit de l'agent commercial de 54 % du chiffre d'affaires hors taxe et hors frais de port, payable dans les 10 jours suivant la fin de chaque mois,
- la possibilité pour chaque partie de dénoncer le contrat, moyennant le respect d'un préavis d'une durée d'un mois pendant la première année, deux mois durant la deuxième année et de trois mois à partir de sa troisième année,
- une clause de non-débauchage et de non-sollicitation réciproque de leurs salariés respectifs pendant le contrat et deux ans après sa fin.
La société Earta a connu des difficultés de paiement puis a cessé tout paiement à compter de la facture d'avril 2017 (commissions du mois de mars 2017).
La société Voluma lui a adressé des mises en demeure le 19 mai 2015 puis à nouveau les 19 avril 2017, 3 et 18 mai 2017. Elle a ensuite déposé le 13 juillet 2017 une requête en injonction de payer la somme de 27 377,72 au titre des factures de commissions impayées d'avril, mai et juin 2017 et par ordonnance du 25 juillet 2017 signifiée le 5 septembre 2017, le Président du tribunal de commerce de Nantes a enjoint à la société Earta de payer cette somme à la société Voluma.
Par courrier du 4 septembre 2017, la société Earta a signifié à la société Voluma la résiliation du contrat d'agent aux torts de la société Voluma en raison de la non-réalisation du chiffre d'affaires minimum prévu dans le contrat.
Par ordonnance de référé du 7 décembre 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de La Rochelle a condamné la société Earta à payer à titre de provision la somme de 18 451,09 au titre des factures de commissions impayées émises de juin à août 2017.
Par acte du 5 décembre 2017, la société Voluma a fait assigner la société Earta devant le tribunal de commerce de la Rochelle en paiement des sommes de 328 005 au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial, 41 000 au titre de l'indemnité compensatrice pour non-respect du préavis et 50 000 à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive. La société Earta a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de La Rochelle au profit de celui de Nantes, lieu de son siège social, et fait valoir que la société Voluma s'était rendue coupable de fautes graves la privant de toute indemnité de rupture.
Par jugement du 1er juin 2018, le tribunal de commerce de La Rochelle a statué comme suit :
Vu les articles L. 134-11 et suivants du Code de commerce,
Reçoit la société Earta en son exception d'incompétence, la dit mal fondée et n'y fait pas droit,
Reçoit la société Voluma ses demandes, fins et conclusions, les dit partiellement bien fondées et lui fait droit en partie,
Condamne la société Earta à payer à la société Voluma, une indemnité de préavis d'un montant de 37 600 et une indemnité de rupture d'un montant de 250 000,
Déboute la société Earta du surplus de leurs demandes,
Condamne la société Earta à payer à la société Voluma, la somme de 3 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société Earta en tous les dépens, y compris les frais de greffe s'élevant à la somme de soixante-six euros et soixante-dix centimes TTC.
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.
La société Earta a formé appel le 9 juillet 2008 de la décision en intimant la société Voluma et en critiquant tous les chefs du jugement. Elle demande à la cour dans ses dernières conclusions du 2 mai 2019 de :
Vu les articles L. 134-4 alinéa 2, L. 134-3, L. 134-13 du Code de commerce ; Vu l'article 1992 du Code civil et l'article 1240 du Code civil
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées aux débats,
A titre principal
Dire et juger la société Earta recevable et bien fondée en son appel :
Dire et juger la société Voluma mal fondée en son appel incident et en ses demandes d'intimée,
Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de la Rochelle le 1er juin 2018 ;
En conséquence :
Débouter la société Voluma de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Earta à quelque titre que ce soit ;
Par conséquent
Dire et juger mal fondée la demande de la société Voluma tendant à la condamnation de la société Earta à lui verser une somme de 328 005 au titre d'une prétendue indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial ;
Dire et juger mal fondée la demande de la société Voluma tendant à la condamnation de la société Earta à lui verser une somme de 41 000 au titre d'une prétendue indemnité compensatrice pour non-respect du préavis ;
Dire et juger mal fondée la demande de la société Voluma tendant à la condamnation de la société Earta à lui verser une somme de 50 000 en réparation du prétendu préjudice lié à la résistance abusive ;
Dire et juger bien fondée la demande reconventionnelle formée par la société Earta ;
Par conséquent
Condamner la société Voluma à verser à la société Earta la somme de 681 301,40 , sauf à parfaire, au titre du manque à gagner découlant de son détournement de clientèle ;
Condamner la société Voluma à verser à la société Earta la somme de 662 400 , à parfaire, au titre de la perte de chances de réalisation de profits compte tenu des agissements anti concurrentiels de Voluma ;
Condamner la société Voluma à verser à la société Earta la somme de 15 000 , à parfaire, en réparation du préjudice d'image causé par la déloyauté et les agissements anti concurrentiels de l'agent commercial ;
Condamner la société Voluma à restituer les fichiers clients remis par la société Earta sous astreinte de 10 000 par jour de retard à compter de la décision à intervenir.
En tout état de cause :
Débouter la société Voluma de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la société Voluma à verser à la société Earta la somme de 30 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Selon l'appelante, la rupture du contrat d'agent commercial est légitime eu égard à la gravité des fautes commises par la société Voluma s'opposant à son indemnisation, celle-ci ayant :
- délibérément inexécuté son mandat d'agent commercial à compter de mars 2017 et même avant, ne s'étant jamais souciée d'atteindre l'objectif annuel de 720 000 de chiffres d'affaires,
- manqué à son obligation de loyauté en acceptant de représenter des entreprises concurrentes d'Earta sans l'en avertir préalablement, et ayant dès 2016 exercé une activité similaire à celle exercée pour le compte de la société Earta pour des structures concurrentes à cette dernière,
- détourné et pillé le fichier clients qu'elle lui avait été confié le 22 avril 2014 en l'utilisant au profit de sociétés concurrentes de la société Earta, et donc au détriment de cette dernière,
- utilisé frauduleusement la dénomination de la société Earta afin de vendre des produits d'autres clients, trompé sa cocontractante en présentant de nouveaux clients prétendument issus d'opération de prospection et violé la clause de confidentialité prévue à l'article 8 du contrat.
Elle souligne en outre qu'elle a réglé les commissions aussi longtemps qu'elle a pu le faire, ses difficultés de paiement provenant de l'insuffisance de résultats de la société Voluma, que ses demandes indemnitaires formées en appel sont en lien avec les conséquences de la rupture du contrat litigieux et sont recevables et que les demandes financières de l'intimée doivent être réduites en leur quantum, en l'absence de preuve d'un préjudice.
La société Voluma demande à la cour par dernières conclusions du 17 mai 2019 de :
Vu l'article 564 du Code de procédure civile,
Vu l'article L. 134-11 et suivants du Code de commerce,
Vu les articles 1134 et 11417 anciens, 1103 et 1231-1 du Code civil sur le préavis,
Vu l'article 1382 ancien et 1240 du Code civil,
Vu l'article 700 Code de procédure civile,
Vu les motifs qui précèdent,
Vu la jurisprudence,
Dire et juger la société Earta irrecevable avec toutes conséquences de droit à solliciter pour la première fois en cause d'appel la condamnation de la société Voluma à lui payer :
- une somme de 770 167 au titre d'un manque à gagner découlant d'un détournement de clientèle ;
- une somme de 748 800 au titre d'une perte de chance de réalisation de profits ;
- une somme de 15 000 en réparation d'un préjudice d'image.
Dire et juger la SARL Voluma recevable et bien fondée en son appel incident, En conséquence,
Condamner la SARL Earta à payer à la SARL Voluma la somme de 328 005 au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial,
Condamner la SARL Earta à payer à la SARL Voluma la somme de 41 000 au titre de l'indemnité compensatrice pour non-respect du préavis,
Condamner la SARL Earta à payer à titre de dommages intérêts à la SARL Voluma la somme de 50 000 en réparation du préjudice lié à la résistance abusive,
Condamner la SARL Earta à payer à la SARL Voluma la somme complémentaire en appel de 5 000 sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile,
Condamner la SARL Earta aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel.
Débouter la SARL Earta de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.
L'intimée soutient :
- que les demandes de dommages et intérêts formées par la société Earta sur le fondement de l'article 1240 du Code civil pour la première fois en cause d'appel sont irrecevables,
- que la société Earta a unilatéralement et sans préavis mis fin au contrat d'agent commercial et ne peut lui reprocher une quelconque faute dès lors qu'elle-même ne s'est pas acquittée de son obligation principale de paiement des commissions depuis plus de 6 mois,
- que la non-exécution de l'objectif contractuel d'un chiffre d'affaires de 60 000 par mois a pour seule sanction de rendre nulle la clause d'exclusivité et Earta, qui n'a jamais élevé la moindre réserve sur ce point, ne peut en tirer argument pour justifier une résiliation aux torts de Voluma,
- qu'elle a elle-même eu à se plaindre d'une violation de son exclusivité par la société Earta qui a débauché fautivement une de ses anciennes salariées courant 2005, celle-ci passant ensuite directement des commandes au nom d'Earta auprès de ses clients, en violation de l'exclusivité reconnue à Voluma par le contrat d'agent commercial,
- sur les griefs allégués au soutien des demandes reconventionnelles, qu'elle conservait, de par le contrat, la faculté d'effectuer des opérations pour son compte personnel ou pour le compte de toute autre entreprise sans avoir à demander d'autorisation, et que le prétendu détournement du fichier clientèle n'est pas établi.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
Par ordonnance du 6 septembre 2018, le Premier Président a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 1er juin 2018.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 20 mai 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour observe à titre liminaire que la recevabilité de l'appel n'est pas contestée et que la compétence territoriale de la juridiction saisie n'est plus remise en cause devant la cour.
1) Sur la responsabilité de la rupture du contrat d'agent commercial :
L'article L. 134-11 du Code de Commerce dispose au sujet du contrat d'agent commercial conclu à durée indéterminée :
" (...) Lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. (...)
La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. (...)
Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. (...)
Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure. "
Le contrat reprend en son article 2 ces dispositions légales concernant la durée du préavis.
Il est constant que la société Earta, par courrier recommandé du 4 septembre 2017, a " acté " la résiliation du contrat liant les parties " sans aucun préavis ". Pour s'opposer à toute indemnisation de la société Voluma, elle invoque les fautes graves commises par cette dernière, la faute grave pouvant se définir en droit comme la faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.
La société Earta invoque au premier chef la non-réalisation par l'agent commercial du chiffre d'affaires de 60 000 mensuel prévu par le contrat.
La cour observe que la société Earta n'a pas formé opposition contre l'ordonnance d'injonction de payer du 25 juillet 2017 rendue par le Président du tribunal de commerce de Nantes lui enjoignant de payer à la société Voluma la somme de 27 377,72 au titre des factures de commissions impayées d'avril, mai et juin 2017 et que celle-ci a obtenu le 18 octobre 2017 la copie exécutoire de cette ordonnance. Il ressort en outre de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de La Rochelle le 7 décembre 2017 ayant condamné la société Earta à verser à la société Voluma une somme provisionnelle de 18 451,09 au titre des factures de commissions des mois de juin à août 2017, qu'à la date de l'audience qui s'est tenue le 30 novembre 2017, la société mandante n'a pas contesté le non-paiement des commissions, et n'a pas soulevé de contestation sérieuse ou opposé l'exception d'inexécution de son cocontractant, sollicitant seulement des délais de paiement, qui ont été rejetés.
Or, par courrier du 4 septembre 2017, la société Earta motivera la rupture sans préavis du contrat d'agent commercial par la faute de ce dernier qui n'exécutait que très partiellement ses obligations, ce depuis le mois d'avril 2017. Il est étonnant qu'elle n'ait pas porté cet élément à la connaissance du juge des référés ou du juge du fond dans le cadre d'une opposition à l'ordonnance d'injonction de payer, alors qu'elle était recherchée pour non-paiement de factures.
En outre, la cour constate qu'aux termes de l'article 5 du contrat, la non-exécution de l'objectif fixé par le contrat stipulant la réalisation d'un chiffre d'affaire minimum prévu 60 000 mensuel est sanctionnée de manière spécifique par la nullité de la clause d'exclusivité et surtout, qu'un tel rendement de 60 000 mensuel n'a jamais été obtenu et que la société mandante s'en est pourtant accommodée pendant plus de trois ans, jusqu'au courrier susvisé du 4 septembre 2017.
C'est aussi à juste titre que le tribunal a relevé que le fait pour la société Earta d'avoir commencé à payer ses factures de façon aléatoire à compter de novembre 2016 (et même auparavant, début 2015), puis cessé tout paiement à compter de celle d'avril 2017, constituait une faute objective d'Earta qui n'avait pu que démotiver la société Voluma et ses équipes.
En conséquence, il n'y a pas lieu de déduire de la non-réalisation du chiffre d'affaire contractuellement prévu, une faute grave justifiant la rupture du contrat d'agent commercial sans indemnisation de la société Voluma.
La société Earta évoque en outre, devant la cour, des faits imputables à la société Voluma révélés postérieurement à savoir :
- la représentation d'entreprises concurrentes, ce qui constituerait un manquement à l'obligation de loyauté de la société Voluma,
- le détournement du fichier clientèle, et par suite un manquement à la clause de confidentialité prévue en page 8 du contrat,
- l'utilisation frauduleuse de la dénomination de la société Earta pour vendre des produits d'autres clients,
- la tromperie du centre d'appel présentant de nouveaux clients prétendument issus d'opérations de prospection.
Sur le premier point, la cour observe que l'article 6 al 3 du contrat unissant les parties stipule : " L'agent commercial pourra effectuer des opérations pour son compte personnel ou pour le compte de toute autre entreprise sans avoir à demander l'autorisation au mandant ". Si la société Earta fait valoir que le contrat empêchait la société Voluma de collaborer avec des sociétés autres que celles gérant des ateliers protégés ou représentées par M. X, la lecture attentive du contrat unissant les parties permet de constater qu'en procédant à de telles affirmations, la société Earta ajoute à la lettre du contrat. En effet, aucune disposition des 9 articles scellant l'accord des parties ne limite le type d'entreprises avec lesquelles la société Voluma serait amenée à collaborer. Bien au contraire, l'article 6 de la convention, après avoir rappelé que l'agent jouissait de " la plus grande indépendance " évoque, comme vu précédemment, la possibilité de travailler " pour le compte de toute autre entreprise ". La formule est large et ne comporte strictement aucune réserve.
Sur le second point, il convient de rappeler que la clientèle n'est pas captive. Mais surtout, alors que la société Earta produit en pièce n° 77, (en annexe de courriels des 6 et 10 juin 2014 adressés à la société Voluma) un listing de plus de 250 pages contenant de très nombreux noms de clients (plusieurs milliers) pour les années 2009, 2010, 2011, 2012, avec leurs coordonnées et des montants de factures, elle prétend démontrer que plusieurs de ces clients auraient passé des commandes auprès de sociétés concurrentes après avoir été sollicitées par le centre d'appel de la société Voluma. Elle cite 12 clients pour les années 2014-2015, 11 pour les années 2016-2017, 22 pour la période postérieure à la rupture du contrat, en se contentant d'affirmer qu'il s'agirait d'une liste non exhaustive.
La cour observe que ce nombre de clients de la société Earta, qui auraient acheté des produits de concurrents de cette dernière, est infime sur le nombre total de clients et au regard du chiffre d'affaires annuel dont elle se prévaut, réalisé selon elle par le précédent agent commercial, de l'ordre de 1 050 000 (page 46 de ses écritures). Il ne s'agit donc pas d'un " pillage " ainsi que l'allègue l'appelante. Et sur ce volume extrêmement marginal, si les factures produites attestent bien de commandes de ces anciens clients auprès de société concurrentes, la société Earta tente d'imputer ces changements de fournisseurs à la société Voluma en produisant des tableaux laissant apparaître à la colonne " Télévendeuses ", des informations extrêmement sommaires, se limitant dans la plupart des cas à la simple mention de prénoms. Il ne sera donc pas retenu de faute grave ni de manquement à l'obligation de confidentialité de ce chef.
Sur le troisième point, la société Earta produit des documents qualifiés de " témoignages " dont l'objet est de tenter de démontrer que des télévendeuses utiliseraient frauduleusement la dénomination Earta pour placer des produits de sociétés concurrentes. La lecture de ces pièces permet de constater qu'il ne s'agit pas d'attestations dans les formes de l'article 202 du Code de procédure civile, mais pour l'essentiel d'échanges de mails (pièces 62, 63, 73, 82, 84) ou de notes prises suite à des communications téléphoniques (pièces 113 à 115) répondant à une demande de M. X, représentant légal de la société Earta, à l'occasion desquels des clients expliquent avoir cru passer commande auprès d'un atelier protégé et avoir été dupés.
Ces témoignages ne permettent d'identifier aucune télévendeuse. Force est de constater que la société Earta est défaillante dans la preuve qui lui incombe.
Sur le quatrième point, la société Earta prétend en vain que la société Voluma lui aurait présenté d'autres concurrents qu'elle avait déjà en gestion en faisant passer cela pour de la prospection de nouveaux clients, la pièce 116 produite à ce titre consistant uniquement en un tableau mentionnant le nom de l'établissement, la date et le numéro, avec un extrait du Grand livre du client et des références de bons de commande, et n'étant pas probante de la faute alléguée.
Au vu de l'ensemble de ces observations, la rupture brutale du contrat d'agent commercial est imputable à la société Earta et la preuve d'une ou plusieurs fautes graves commises par la société Voluma n'est pas rapportée.
La société Earta n'est donc nullement fondée à réclamer une indemnisation et il n'y a pas lieu de statuer sur la recevabilité en cause d'appel et le cas échéant sur le bien-fondé des demandes formées par la société Earta au titre :
- du manque à gagner découlant de son détournement de clientèle,
- de la perte de chance de réalisation de profits compte tenu des agissements anti concurrentiels de la société Voluma,
- du préjudice d'image causé par la déloyauté et les agissements anti concurrentiels de l'agent commercial.
2) Sur l'indemnisation de la société Voluma :
a) Sur l'indemnité de préavis :
En application des articles L. 134-11 du Code de Commerce et du contrat précités, et ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, la société Voluma est en droit de prétendre, compte tenu de la durée du contrat et en l'absence de faute grave retenue à son encontre, à une indemnité de trois mois calculée en mois de commissions.
Dans son attestation du 31 octobre 2017, l'expert-comptable de la société Voluma mentionne " les chiffres d'affaires TTC mensuels facturés et encaissés à E2A et Earta " du 1er avril 2014 au 6 octobre 2017, avec les dates de facturation, qui correspondent donc au montant des commissions qui lui sont dues pour chaque mois par la société Earta.
Le tribunal a pris en compte la moyenne des commissions facturées sur les 24 derniers mois, soit un total de 300 852,94 (en réalité selon l'attestation de 300 852,59) et une moyenne mensuelle de 12 535,54 (en réalité 12 535,524) par mois, soit pour trois mois, une indemnité de résiliation de 37 606,62 (en réalité 37 606,57), arrondie à 37 600.
La société Voluma, appelante incidente de ce chef, demande que l'indemnité soit calculée sur la base des commissions réalisées pendant toute la durée du contrat (560 342,73 sur 41 mois) et en déduit une moyenne de 13 666,89 par mois, soit une indemnité de 41 000.
Néanmoins, il convient d'attribuer à l'agent, au titre de l'indemnité de préavis, les sommes qu'il aurait perçues si le contrat avait été exécuté normalement pendant la durée du préavis. La méthode de calcul retenue par le premier juge qui consiste à calculer le montant de la commission sur la base du chiffre d'affaire sur les deux dernières années est celle qui se rapproche le plus de ce qu'auraient été les sommes perçues par la société Voluma si le contrat avait continué. Le montant de 37 600 sera confirmé.
b) Sur l'indemnité de rupture :
En droit, l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose en son premier alinéa : " En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. "
Cette indemnité due à l'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties. Elle n'est pas due en cas de faute grave de l'agent commercial, qui n'a pas été retenue en l'espèce. Laissée à l'appréciation des juges du fond, il est d'usage de prendre pour base 24 mois de commissions, cette somme pouvant varier en fonction de l'ancienneté du contrat et du comportement des parties.
En cause d'appel, la société Voluma sollicite la somme de 328 005 au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial, sur la base de 24 mois et de la moyenne des commissions brutes mensuelles (13 666,89 par mois).
C'est toutefois par des motifs pertinents qui ne sont contredits par aucun moyen nouveau par l'intimée et que la cour adopte, que le tribunal, pour retenir un nombre de 20 mois de commissions, soit une somme de 20 x 12 535,54 (en réalité 12 535,524 ) = 250 710,80 (en réalité 250 710,48 ) arrondie à 250 000 , a tenu compte, à la fois, du fait que le contrat avait été rompu par la société Earta pour un motif non approprié, de manière brutale, et en présence d'impayés de factures de commission mais aussi de la durée relativement brève du contrat.
La somme de 250 000 sera confirmée.
c) Sur la demande pour résistance abusive :
L'indemnité de rupture sanctionne déjà le comportement de la société mandante. Si la société Voluma a été contrainte d'initier la présente procédure pour faire valoir ses droits, elle sera indemnisée au titre des frais irrépétibles. Elle pourra en outre prétendre en cas de retard de paiement aux intérêts au taux légal conformément au droit commun. Dans ces conditions, une indemnité complémentaire au titre de la résistance abusive n'est pas justifiée. Cette demande sera rejetée par confirmation du jugement.
3) Sur la demande de restitution sous astreinte des fichiers clients :
Comme l'a rappelé le tribunal dans le jugement dont appel, les documents adressés sous forme de listings consistent en un fichier informatique transmis par mail, avec nom, adresse et autres données des clients de la société Earta. Cette dernière société n'en a pas été dépossédée et connaît les clients pour en assurer régulièrement la facturation.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande, ainsi que dans le surplus de ses dispositions.
Enfin, la société Earta qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et dès lors, au paiement de la somme complémentaire en cause d'appel de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Rejette toute autre demande, Condamne la société Earta à payer à la société Voluma la somme complémentaire de 3 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Earta aux entiers frais et dépens d'appel.