Livv
Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 2 septembre 2019, n° 17-04994

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Enedis (Sté), EDF Assurances (SAS)

Défendeur :

Groupama Grand Est (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

M. Roublot, Mme Harrivelle

TGI Colmar, du 9 nov. 2017

9 novembre 2017

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 2 février 2010, un incendie s'est déclaré dans l'appartement situé [...] (Haut-Rhin), occupé par Mme Ramona A., assurée auprès de Groupama Grand Est.

Suivant protocole d'accord d'arbitrage, Allianz IARD en sa qualité d'assureur de la copropriété, Groupama Alsace, assureur de Mme R., et EDF Assurances intervenant par délégation d'AXA Corporate Solutions, ont désigné conjointement un expert en la personne de M. André R. afin de déterminer l'origine du sinistre, ses causes, son imputabilité.

Les experts d'assurances ont chiffré les préjudices selon procès-verbal d'évaluation du 16 novembre 2011.

M. R. a clos son rapport le 6 décembre 2011, concluant à une défaillance d'un équipement du distributeur ERDF à l'origine de l'incendie.

Par assignation enregistrée au greffe le 26 avril 2016, Groupama Grand Est a fait citer la SA Enedis -nouvelle dénomination de ERDF SA-, et la SAS EDF Assurances devant le tribunal de grande instance de Colmar afin d'obtenir leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 67 832 euros correspondant à l'indemnisation versée à son assurée à laquelle elle se trouvait subrogée, montant majoré des intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2012, outre une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

En réplique, Enedis et EDF Assurances ont opposé la prescription de l'action en responsabilité pour produit défectueux, subsidiairement la limitation de l'indemnisation des mobiliers sinistrés à leur valeur de remplacement et non pas à leur valeur à neuf.

Par jugement du 9 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Colmar, chambre commerciale, a écarté la prescription opposée par Enedis et condamné in solidum Enedis et EDF Assurances à payer à Groupama Grand Est la somme de 67.832 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2012, une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Le tribunal a retenu que le sinistre avait pour origine des défaillances des équipements mis en place par Enedis engageant sa responsabilité sur le fondement de l'obligation de sécurité en matière contractuelle de l'article 1147 du Code civil dont l'action se prescrivait par 5 ans à compter du jour de la connaissance des faits, soit à compter du 5 décembre 2011, date du dépôt du rapport définitif de l'expert.

Faute pour les sociétés défenderesses d'apporter la preuve que les biens sinistrés pouvaient être remplacés par des biens d'occasion présentant les mêmes caractéristiques, le tribunal a retenu une valeur de remplacement du mobilier selon sa valeur à neuf.

Le 29 novembre 2017, Enedis et EDF Assurances ont interjeté appel du jugement et, par conclusions récapitulatives du 29 mars 2018, elles ont demandé à la cour d'infirmer la décision déférée.

Elles ont soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription, poursuivi la mise hors de cause d'EDF Assurances et subsidiairement le rejet de la demande, à titre infiniment subsidiaire le rejet de la demande en paiement de toute indemnisation excédant la somme de 49.341 euros, franchise légale de 500 euros à déduire.

Elles ont sollicité l'octroi d'une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamnation de Groupama Grand Est aux dépens.

Enedis et EDF Assurances ont exposé qu'EDF Assurances était la mandataire gestionnaire des sinistres Enedis assurée auprès d'AXA Corporate Solution.

Elles ont affirmé que l'électricité étant un produit, la responsabilité d'Enedis relevait des articles 1386-1 ancien et suivants du Code civil dont le régime était issu de la transposition en droit interne de la Directive n° 85/374 du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des produits défectueux et dont l'action se prescrivait par 3 ans à compter de la connaissance du dommage en vertu de l'article 1386 ancien du Code civil.

Elles en ont induit que la demande de Groupama Grand Est engagée le 26 avril 2016 sur la foi d'un rapport d'expertise arbitral du 6 décembre 2011 était prescrite.

Elles ont soutenu que le principe de réparation intégrale excluait toute indemnisation selon la valeur à neuf, que la victime ne pouvait donc réclamer une indemnisation supérieure à la valeur de remplacement des biens meubles sinistrés, nonobstant l'octroi par Groupama EST d'une indemnisation valeur à neuf.

Elles ont invoqué le chiffrage contradictoire des experts d'assurance qui avait distingué la valeur à neuf, la valeur vétusté déduite et la valeur de remplacement, franchise de 500 euros fixée par l'article 1386-2 ancien du Code civil à déduire.

Le 19 décembre 2017, Groupama Grand Est s'est constitué intimé et, par conclusions récapitulatives du 28 mai 2018, a sollicité la confirmation du jugement entrepris, le rejet des demandes d'Enedis et d'EDF Assurances, la condamnation in solidum des appelantes aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Groupama Grand Est a rappelé que les parties avaient accepté les conclusions de l'expert arbitral qui avait considéré que l'incendie avait pour cause une défaillance d'un équipement d'ERDF -devenue Enedis-, au niveau du coffret d'arrivée des lignes et à la suite de micro arcs provoqués par des faux contacts dus à des desserrages des raccordements au coffret, de sorte qu'elle était subrogée dans les droits de son assurée indemnisée sur le fondement de l'obligation contractuelle de sécurité dont l'action était soumise à une prescription de 5 ans, soulignant que l'action engagée le 26 avril 2016 dans les 5 ans de la révélation par l'expert de la cause du sinistre était recevable.

Il a rappelé qu'en l'espèce la valeur de remplacement était la valeur à neuf, le tribunal ayant justement rappelé que l'application d'un coefficient de vétusté était applicable dans les seuls rapports entre l'assureur et l'assuré, non pas dans les rapports entre l'assureur subrogé et le responsable du dommage.

La cour se référera à ces dernières écritures pour plus ample exposé des faits de la procédure, des prétentions et moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 septembre 2018.

L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 22 mai 2019, à laquelle les parties ont développé leur argumentation et déposé les pièces à l'appui de leurs allégations.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la mise hors de cause d'EDF Assurances :

EDF Assurances, mandataire gestionnaire des sinistres Enedis, poursuit sa mise hors de cause.

Groupama ne se prononce pas sur cette demande.

Il n'est pas contesté qu'Enedis est assuré auprès d'AXA Corporate Solution, la cour mettra en conséquence hors de cause EDF Assurances.

Sur la recevabilité :

Enedis soutient que s'applique en l'espèce la prescription triennale de l'action en responsabilité pour produit défectueux des articles 1386-1 ancien et suivants du Code civil de sorte que la demande formée par assignation enregistrée au greffe le 26 avril 2016, plus de trois années à compter de la connaissance du dommage caractérisée par le rapport d'expertise arbitral du 6 décembre 2011, était irrecevable.

La cour relève que M. André R., expert désigné comme expert arbitre par les parties selon protocole d'accord d'arbitrage du 7 mars 2011, a conclu le 6 décembre 2011 à une défaillance d'un équipement distributeur ERDF à l'origine du sinistre incendie du 2 décembre 2010, précisant que des faux contacts au niveau du coffret d'arrivée et de protection de la ligne avaient provoqué un échauffement destructeur du matériel, un court-circuit et des arcs électriques à l'origine de plusieurs foyers d'incendie.

Elle note qu'il n'est aucunement établi que l'incendie du 2 décembre 2010 soit imputable à la défectuosité de l'électricité fournie à Mme Ramona A., assurée auprès de Groupama Grand Est.

La responsabilité d'Enedis, garante du bon fonctionnement du réseau de distribution d'électricité, est encourue sur le fondement de l'article 1147 du Code civil et de l'obligation contractuelle de sécurité.

Par application de l'article 2224 du Code civil, selon lequel " les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ", la cour, confirmant sur ce point le jugement déféré, rejettera la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à l'action engagée le 26 avril 2016, dans le délai de 5 ans ouvert par le rapport d'expertise du 6 décembre 2011.

Sur le fond :

Le principe de la responsabilité d'Enedis dans la production du dommage n'est pas discuté, les parties s'opposant sur l'évaluation de l'indemnisation.

Enedis propose à titre subsidiaire le versement à Groupama, subrogée dans les droits de son assurée, d'une indemnité de 49 341 euros, franchise légale de 500 euros à déduire, correspondant à la valeur de remplacement estimée par ses soins.

Groupama a objecté que la valeur de remplacement devait s'entendre de la valeur à neuf ainsi que l'avait retenu le tribunal.

La cour rappelle que le principe admis de l'indemnisation intégrale du dommage sans perte ni profit pour aucune des parties commande le versement à la victime d'une indemnité correspondant à la valeur de remplacement des biens endommagés, valeur de remplacement qui tient compte de l'état d'usage de ces biens et qui permet à la victime de se procurer des biens semblables sur le marché de l'occasion, sans application indifférenciée de coefficients de vétusté tels qu'usuellement insérés dans les contrats d'assurances et qui ne lient que l'assureur et l'assuré.

Le procès-verbal d'évaluation des dommages établi par les experts d'assurances le 16 novembre 2011 mentionne une valeur à neuf des biens endommagés de 67 832 euros et une valeur vétusté déduite de 60 462 euros, Enedis proposant une indemnisation totale de 49 341 euros sur la base de l'estimation expertale valeur à neuf hormis la valeur de remplacement du mobilier minorée à 16 884 euros au lieu de la valeur d'usage de 32 635 euros figurant au tableau.

La cour retiendra l'indemnisation valeur à neuf proposée par Enedis à hauteur de 32 457 euros pour les embellissements (17 488 euros), les honoraires d'architecte (1 501 euros), les éléments de cuisine et de salle de bains (5 660 euros), le déblais mobilier (1 568 euros), la perte d'usage (6 240 euros).

La cour observe qu'Enedis s'explique sur la réduction à 16 884 euros de la valeur de remplacement des biens mobiliers en établissant un inventaire complet des biens mobiliers endommagés estimés selon leur valeur de rachat d'occasion, que ces estimations apparaissent conformes aux valeurs de rachat sur les marchés de l'occasion.

Elle remarque que Groupama, qui n'est pas fondé à se prévaloir à l'égard du tiers responsable de l'indemnisation valeur à neuf versée à son assurée en exécution de clauses particulières de la police d'assurances, ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe en vertu de l'article 1315 ancien du Code civil, d'une valeur supérieure.

En conséquence, la cour, infirmant le jugement déféré, condamnera Enedis à verser à Groupama la somme de 49 341 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, conformément à l'article 1231-7 du Code civil.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile :

Groupama sera condamné aux dépens de la procédure d'appel et l'équité commande de le condamner à verser à Enedis la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Il n'y a pas lieu de faire application de ce texte au profit de Groupama et au profit d'EDF Assurances.

Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement rendu le 9 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Colmar, chambre commerciale, en ce qu'il a condamné in solidum la SA Enedis et la SAS EDF Assurances à payer à la société Groupama Grand Est la somme de 67 832 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2012, Statuant à nouveau, Condamne la SA Enedis à payer à la société Groupama Grand Est Groupama la somme de 49 341 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Confirme le jugement déféré pour le surplus, Y ajoutant, Met hors de cause la SAS EDF Assurances, Condamne la société Groupama Grand Est aux dépens de la procédure de d'appel, Condamne la société Groupama Grand Est à payer à la SA Enedis la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Groupama Grand Est et au profit de la SA Enedis.