CA Montpellier, 2e ch., 3 septembre 2019, n° 16-08190
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Passion Automobile (SAS), BMW France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
Mmes Bourdon, Rochette
FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Le 7 janvier 2011, Madame Audrey B. épouse C. a acquis un véhicule de marque BMW Mini de type Mini Cooper S, immatriculé BF 686 GH, auprès de la société L. Auto BMW Mini 34, aujourd'hui liquidée, pour un prix de 15 000 euros (kilométrage de 61 000 kilomètres et première mise en circulation le 16 juillet 2007).
Ce véhicule avait fait l'objet, le 10 décembre 2010, de travaux de réparation effectuées par la SAS Eden Auto Premium Béziers (la société Passion Automobile), concessionnaire BMW et Mini (remplacement du piston du tendeur de la chaîne de distribution).
Le 12 juillet 2012, suite à une avarie, rendant indisponible le véhicule, un devis de remise en état avec remplacement du moteur (kilométrage de 76 122 kilomètres) a été établi.
Par ordonnances de référé des 27 décembre 2012 et 14 juin 2013, le président du tribunal de grande instance de Béziers a ordonné une mesure d'expertise judiciaire.
Le rapport d'expertise judiciaire a été terminé le 5 novembre 2013.
Saisi par actes d'huissier des 19 et 22 octobre 2015 délivrés par Madame Audrey C., le tribunal de commerce de Béziers a, par jugement du 31 octobre 2016 :
" -dit et jugé que ni la société BMW France, ni la société Passion Automobile ne peuvent être mises en cause au titre de la responsabilité contractuelle invoquée ainsi que par l'article 1641 du Code civil,
- débouté Madame Audrey C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné Madame Audrey C. aux entiers dépens (...) ".
Par déclaration reçue le 22 novembre 2016, Madame Audrey C. a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation.
Madame Audrey C. demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 16 mai 2019 de :
" -infirmer le jugement dont appel,
Au principal, vu les articles 1641 et suivants du Code civil, prononcer la résolution de la vente du tendeur de chaîne de distribution par la société Passion Automobile,
- condamner la SASU Passion Automobile Béziers à lui verser la somme de 86,76 euros au titre de la restitution du prix du tendeur de chaîne litigieux et à lui verser la somme de 44 520,02 euros, au titre de l'indemnisation des préjudices consécutifs soufferts ainsi que détaillés dans les motifs des présentes,
Subsidiairement, vu les articles 1382 et suivants anciens du même Code dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, au besoin 1240 et suivants du Code civil, dire et juger que la SASU Passion Automobile Béziers et la SA BMW France ont commis des manquements à l'égard de leurs cocontractants ce qui lui a causé un dommage et les déclarer entièrement responsables de ce dommage et tenus à l'en indemniser,
- condamner in solidum la SASU Passion Automobile Béziers et la SA BMW France à lui verser la somme de 44 520,02 euros, au titre de l'indemnisation des préjudices consécutifs soufferts ainsi que détaillés dans les motifs des présentes,
- en toute hypothèse, condamner le ou les succombant au procès dans ce dernier cas in solidum, à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et les dépens des ordonnances des 27 décembre 2012 et 14 juin 2013 rendues par le juge des référés près le TGI de Béziers. "
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
- les société BMW France et Passion Automobile sont, avant la société L., les vendeurs successifs de la pièce défectueuse, il existe une chaîne des contrats de vente de cette pièce,
- l'expert judiciaire a établi que ladite pièce était affectée d'un vice remontant à sa fabrication ; ce vice est donc antérieur à la vente originelle par la société BMW France,
- la pièce litigieuse fait l'objet d'un problème récurrent connu du constructeur,
- aucune prescription n'est acquise, l'instance au fond ayant été engagée dans les deux ans ayant suivi le dépôt du rapport d'expertise judiciaire,
- à titre subsidiaire, la société Passion Automobile a manqué à son obligation de résultat de garagiste réparateur tandis que la société BMW a manqué à son obligation de vendre une chose neuve exempte de défauts et à son obligation d'information et d'assistance aux concessionnaires, ces manquements contractuels lui ayant causé un dommage sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
La SA BMW France sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 23 avril 2019 :
" - confirmer le jugement dont appel rendu par le tribunal de commerce de Béziers le 31 octobre 2016,
Et statuant à nouveau, vu les articles 1641 et suivants du Code civil, vu l'ancien article 1382 du Code civil, vu l'article 1231-1 du Code civil, constater que :
- Madame C. n'effectue pas de choix entre le fondement de la responsabilité contractuelle et le fondement de la responsabilité délictuelle,
- l'action en garantie légale des vices cachés tirée des articles 1641 et suivants du Code civil ne peut être dirigée que contre le vendeur originaire ou contre l'un des vendeurs successifs ayant concouru à la chaîne de ventes dont a fait l'objet le bien en cause,
- la société BMW France n'est ni le fabricant, ni l'importateur, ni le vendeur du véhicule dont il s'agit et se trouve donc totalement étrangère à la chaîne de ventes successives dont ledit véhicule a fait l'objet,
- il n'est pas démontré qu'elle ait vendu la pièce que la société Passion Automobile aurait installée sur le véhicule litigieux,
- en conséquence, déclarer irrecevable, et en tous cas mal fondée, l'action de Madame C. dirigée à son encontre et débouter Madame C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- débouter la société Passion Automobile de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- à titre subsidiaire, considérer que l'action de Madame C. n'a pas été engagée dans le délai de 2 ans à compter de la connaissance du vice posé à l'article 1648 du Code civil et en conséquence, déclarer l'action de Madame C. irrecevable,
- débouter Madame C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- débouter la société Passion Automobile de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- à titre plus subsidiaire, considérer que :
- le rapport d'expertise judiciaire établi par Monsieur Paul P. ne lui est pas opposable, n'étant pas partie aux opérations d'expertise judiciaire,
- le rapport établi par Monsieur Paul P. ne rapporte pas la preuve incontestable de l'existence d'un défaut caché, précis et déterminé, sur le véhicule litigieux,
- en conséquence, débouter Madame C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- débouter la société Passion Automobile de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- considérer que Madame C. ne rapporte pas la preuve d'une quelconque faute délictuelle de BMW France qui lui aurait causé un préjudice et en conséquence, débouter Madame C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de BMW France,
- débouter la Société Passion Automobile de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de BMW France,
- à titre infiniment subsidiaire, considérer que les demandes de Madame C. ne sont pas justifiées dans leur principe et dans leur montant et/ou ne présentent pas de lien de causalité direct et immédiat avec le désordre,
- en conséquence, débouter Madame C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- débouter la société Passion Automobile de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- s'agissant de l'appel en garantie de la société Passion Automobile, considérer qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'origine du tendeur de chaîne de distribution qu'elle a installé sur le véhicule litigieux et en conséquence, la débouter de son appel en garantie dirigé à son encontre,
- en tout état de cause, considérer qu'elle a été contrainte à des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge et condamner tout succombant à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et le condamner, en outre, en tous les dépens. "
Elle expose en substance que :
- il n'est pas démontré qu'elle a vendu la pièce litigieuse ; elle est étrangère à la chaîne de ventes successives et l'action fondée sur la garantie des vices cachés ne peut prospérer à son encontre,
- l'action sur ce fondement est prescrite, Madame C. ayant eu connaissance au plus tard du prétendu vice le 15 mars 2013 (lors du premier accédit),
- le rapport d'expertise judiciaire lui est inopposable, ni ayant pas participé,
- l'expert a procédé à des constatations visuelles sans aucune démonstration technique ; la preuve incontestable de l'existence d'un vice caché précis, déterminé, n'est pas rapportée, de multiples causes étant susceptibles d'expliquer la survenance du désordre (mauvais entretien, utilisation inadaptée...),
- aucune récurrence de ce type de désordre n'est établie,
- aucun manquement contractuel de sa part envers la société Passion Automobile n'est démontré,
- le rapport établi par le cabinet KPI expertise, mandaté par l'assureur de la société Passion Automobile, lui est également inopposable.
Formant appel incident, la SAS Passion Automobile sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 21 février 2017 :
" - statuant sur la recevabilité de l'appel, au fond, le dire mal fondé,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 octobre 2016 par le tribunal de commerce de Béziers ;
- statuant à nouveau vu les articles 1134, 1147, 1641 et suivants, et 1787 du Code civil, vu l'article 9 du Code de procédure civile ;
- dire et juger que la société Passion Automobile n'a aucun lien contractuel avec Madame Audrey C., et qu'en conséquence l'appelante ne peut engager la responsabilité contractuelle de la société concluante ;
- dire et juger que :
- Madame Audrey C. ne peut pas se contenter d'invoquer " un manquement à l'obligation de résultat " de sa part et doit rapporter concrètement la preuve d'une faute du garagiste sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
- le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur Paul P. ne permet pas de démontrer l'existence d'un éventuel vice caché qui serait à l'origine des désordres ;
- en conséquence, débouter purement et simplement Madame Audrey C. de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre en principal, intérêts et frais ;
Subsidiairement, dire et juger que :
- la société BMW France est le vendeur de la pièce et doit, à ce titre, la garantie légale des vices cachés ;
- la société BMW France ne saurait se constituer de preuve à elle-même pour tenter de démontrer qu'elle ne serait pas le vendeur de la pièce ;
- condamner la société BMW France à la relever et garantie intégralement de l'ensemble des condamnations en principal, intérêts et frais susceptibles d'être prononcées à son encontre ;
- en tout état de cause, condamner in solidum Madame Audrey C. et la société BMW France à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Madame Audrey C. aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction ".
Elle soutient principalement que :
- il n'y a aucun contrat entre Madame C. et elle-même,
- aucun manquement dans le cadre de l'exécution de sa prestation de garagiste n'est rapporté et ne peut engager sa responsabilité sur le fondement délictuel au profit de Madame C.,
- le rapport d'expertise judiciaire ne permet pas de démontrer de manière précise qu'il existe un vice caché affectant le tendeur de chaîne à l'origine de l'avarie,
- elle fait partie du réseau BMW et les pièces utilisées dans le cadre des réparations effectuées sur les véhicules de la marque lui sont fournies par la société BMW France,
- l'existence de défauts des pistons tendeurs était connue de la société BMW France, qui a procédé à une modification de ceux-ci.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 21 mai 2019.
MOTIFS de la DECISION :
Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, on en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Dans les chaînes hétérogènes de contrats, si le contrat d'entreprise n'a pas pour objet le transfert de la propriété d'une chose, il peut comporter un apport de fourniture réalisé par l'entrepreneur, qui a pu acquérir les biens auprès d'un fournisseur.
Lorsque la propriété de la chose fournie, puis intégrée dans la prestation de l'entrepreneur, est transférée, le maître de l'ouvrage, comme le sous-acquéreur, qui jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur, dispose contre le fabricant d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée.
Selon le rapport d'expertise judiciaire, la panne est due à la rupture prématurée du tendeur de la chaîne de distribution, qui a engendré la destruction du moteur, car le défaut de tension de la chaîne a provoqué un déphasage entre l'arbre à cames et les pistons et le véhicule n'est plus utilisable en l'état. Il précise que la qualité de la pièce et/ou sa conception est à l'origine du dommage, excluant la garantie de résultat du garagiste et tout défaut d'entretien du véhicule. Il conclut à la nécessité du remplacement du moteur par un échange standard pour un coût de 8 985,07 euros.
La société Passion Automobile a remplacé, en décembre 2010, alors que le véhicule présentait un kilométrage de 51 270 kilomètres, le piston du tendeur de chaîne du véhicule de Madame C. à la demande de la société L., auteur de cette dernière. Ce tendeur avait été déjà remplacé lorsque le véhicule présentait un kilométrage de 29 414 kilomètres et a, à nouveau, rompu, alors que le véhicule n'avait parcouru que 25 000 kilomètres de plus.
Au regard des constatations techniques précises et circonstanciées de l'expert judiciaire, cette pièce présente un défaut de fabrication, qui est inhérent à celle-ci, constitue un défaut grave, puisqu'il a engendré une casse du moteur, compromettant ainsi l'usage du véhicule et se trouve, par essence, antérieur à la première vente s'agissant dès lors d'un vice caché et ce, indépendamment d'une quelconque récurrence, au demeurant non avérée, de ce type de désordre.
Toutefois, le contrat entre la société L. Auto et la société Passion Automobile demeure un contrat d'entreprise, indépendamment du transfert de propriété de la pièce affectée de vice, faisant obstacle à toute action directe contractuelle fondée sur ce même vice, ouverte à l'appelante tandis que celle-ci ne forme aucune demande à l'encontre de la société BMW France sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Dès lors, les demandes principales de Madame C. formées à l'encontre de la société Passion Automobile ne pourront prospérer.
Selon l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Si dans le cadre de son obligation de résultat, le garagiste répond du défaut des pièces fournies à l'occasion de l'exécution de son obligation d'entretien ou de réparation, ce seul manquement à une obligation de résultat est impropre à caractériser une faute délictuelle. En effet, si la faute délictuelle est assimilée à la faute contractuelle, encore faut-il établir, outre son lien de causalité avec le dommage invoqué, sa matérialité.
En l'espèce, aucune inexécution défectueuse dans la prestation de réparation de la société Passion Automobile n'est rapportée en l'absence de tout élément démontrant qu'elle avait connaissance de la fragilité intrinsèque de la pièce litigieuse, qu'elle a installée.
Ainsi, aucun manquement contractuel, susceptible de caractériser une faute délictuelle, ne peut être retenu à son encontre.
Concernant la société BMW France, ni Madame C., ni la société Passion Automobile ne versent le moindre élément justifiant que celle-ci a vendu la pièce défectueuse se contentant d'affirmer que l'appartenance au réseau BMW France suffit à démontrer la provenance de celle-ci, de sorte qu'aucun manquement contractuel ne peut être davantage retenu à son encontre.
En conséquence, les demandes subsidiaires de Madame C. formées à l'encontre de la société Passion Automobile et de la société BMW France ne pourront prospérer.
Le jugement sera ainsi confirmé par substitution de motifs.
Succombant sur son appel, Madame C. sera condamnée aux dépens.
Au vu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, elle sera, seule, condamnée à payer respectivement la somme de 1 500 euros à la société Passion Automobile et à la société BMW France, les autres demandes sur ce fondement étant rejetées.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme par substitution de motifs le jugement du tribunal de commerce de Béziers du 31 octobre 2016 en toutes ses dispositions, Condamne Madame Audrey B. épouse C. à payer la somme de 1 500 euros à la SAS Eden Auto Premium Béziers (Passion Automobile) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Madame Audrey B. épouse C. à payer la SA BMW France la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les autres demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Madame Audrey B. épouse C. aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.