Cass. 1re civ., 9 janvier 2019, n° 17-19.433
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. de Leiris
Avocat général :
Mme Vassalo
Avocats :
SCP Coutard, Munier-Apaire, SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Marc Lévis, SCP Monod Colin, Stoclet
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 27 mars 2017), que, le 18 août 2007, Q... X... Y..., ressortissant espagnol né le [...] , a été victime d'un accident le laissant tétraplégique, lors de la descente d'un toboggan aquatique du parc d'attractions exploité par la société Aqualand (l'exploitant), assurée par la société Ace European Group Limited, aux droits de laquelle vient la société Chubb European Group Limited (l'assureur) ; qu'une expertise médicale, puis une expertise technique ont été ordonnées en référé, une provision de 100 000 euros étant allouée à la victime, décédée le [...] ; que ses ayants droit, Mme R...A... N... , M. José A... X... , Mme Z... X... A..., C... et Alejandro B... X... , mineurs représentés par Mme Z... X... A... et M. Alejandro B... (les consorts X...), ainsi que l'organisme de sécurité sociale Osakidetza ont assigné l'exploitant et l'assureur aux fins d'indemnisation de leurs préjudices ; que l'exploitant a appelé en garantie le fabricant du toboggan, la société Van Egdom Waterzuivering En Recreatietechniek BV (le fabricant) ;
Sur les premiers moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, qui sont similaires, ci-après annexés : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le deuxième moyen du pourvoi incident, pour partie similaires, réunis : - Attendu que l'assureur et l'exploitant font grief à l'arrêt de dire que le second est entièrement responsable du préjudice subi par Q... X... Y... et de les condamner solidairement à indemniser les consorts X..., alors, selon le moyen : 1°/ que l'obligation de sécurité de l'exploitant d'un centre de loisirs est de moyens lorsque l'exécution même de la prestation implique, en raison de sa participation physique, le rôle actif de l'usager de l'installation et l'existence corrélative d'un aléa ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a vérifié que le client avait bien respecté la position de départ préconisée par l'exploitant avant et au cours de la descente, tête en avant sur le ventre et en veillant à tenir une planche entre les mains et contre le corps pour se guider, toutes constatations qui impliquaient que l'intéressé participait nécessairement à la réalisation de la prestation et qu'il disposait ainsi d'une " marge de manœuvre " pour imprimer, fût-ce de façon marginale, une direction à ses mouvements ; qu'en attribuant à l'obligation de sécurité de l'exploitant le caractère d'une obligation de résultat au cours de la phase de descente, lorsqu'il résultait de ses propres constatations que la réalisation de la prestation dépendait du comportement de l'intéressé, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil alors en vigueur ; 2°/ que l'exploitant d'un toboggan aquatique n'est tenu, au cours de l'arrivée des usagers dans le bassin d'eau, que d'une obligation de moyens, peu important la position adoptée au cours de la phase de descente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que si l'hyperextension cervicale était induite par la position de descente préconisée par l'exploitant, c'était " lors du choc avec la surface de l'eau " qu' Q... X... Y... avait été victime d'une contusion médullaire " en raison de ce qu'il avait un canal médullaire étroit " ; qu'en affirmant, néanmoins, que l'accident qui s'était produit à l'arrivée " ne peut être dissocié de la descente " de sorte que l'exploitant aurait été tenu d'une obligation de résultat, lorsque celle-ci ne pouvait concerner la phase postérieure à la descente, phase postérieure au cours de laquelle l'accident était survenu, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil alors en vigueur ; 3°/ que le débiteur d'une obligation contractuelle de sécurité, fût-elle de résultat, ne répond pas des dommages qui sont imputables à des causes extérieures à la réalisation du risque inhérent à la prestation ; qu'en l'espèce, si la cour d'appel a relevé que la descente tête en avant, telle qu'elle était préconisée par l'exploitant, impliquait une hyperextension cervicale, un cascadeur précisait " qu'il n'y a aucun risque grave de blessure à la tête si la descente se fait dans un état d'inconscience car la tête et les trapèzes sont relâchés " ; qu'elle a encore relevé que l'origine de la plaie dont souffrait Q... X... Y... était inconnue et que la contusion médullaire, à l'origine du décès, " résulte de ce qu'il avait un canal médullaire étroit ", état physiologique particulier qui était propre à l'intéressé ; qu'en retenant que l'exploitant devait répondre des conséquences dommageables d'une lésion étrangère aux risques qu'il devait prévenir, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil alors en vigueur ; 4°/ que l'exploitant d'une installation sportive ou de loisirs qui se conforme aux normes techniques relatives à l'exploitation d'un tel ouvrage ne commet pas une faute du seul fait qu'il ne respecte pas les consignes contraires du fabricant ; que le juge ne peut lui imputer un manquement à son obligation de moyens qu'à condition de caractériser les circonstances qui auraient dû conduire l'exploitant à appliquer les recommandations de son fabricant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a admis que l'exploitant avait respecté les normes techniques relatives à l'équipement en cause, la position de descente préconisée par l'exploitant n'étant pas " à la différence d'autres " interdite par la norme ; qu'à supposer qu'elle ait considéré que les conditions d'utilisation étaient fautives en ce qu'elles étaient contraires aux préconisations du fabricant et qu'elles étaient considérées comme dangereuses par l'expert, l'exploitant n'ayant en outre pas empêché l'accès aux personnes dont l'état présentait un potentiel danger, sans expliquer sur quels éléments l'exploitant aurait dû se fonder pour lui imposer de se fier aux préconisations du fabricant au lieu de respecter la norme technique en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil alors en vigueur ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que l'usager, une fois lancé sur le toboggan, est dans l'impossibilité de maîtriser sa trajectoire qui est déterminée par la forme et la pente du toboggan dont il n'a aucune possibilité de sortir et qu'il est obligé de suivre jusqu'au bout pour arriver dans l'eau, que la façon de prendre les virages, à supposer qu'il soit possible d'agir sur celle-ci, n'a qu'une incidence très marginale, et que la vitesse étant déterminée par la pente et le glissement sur l'eau, la marge de manœuvre pour l'usager est minime ; qu'il ajoute que le dommage résulte du choc avec la surface de l'eau après une descente de 110 mètres à l'arrivée combinée avec une vitesse de 20 à 22 km/h, alors que l'usager était en hyperextension cervicale du fait de la position de descente imposée, sur le ventre tête en avant ; que la cour d'appel en a exactement déduit que, l'accident s'étant produit à l'arrivée qui ne peut être dissociée de la descente, l'exploitant du toboggan était tenu d'une obligation de sécurité de résultat ;
Et attendu, ensuite, qu'ayant retenu que, si Q... X... Y... présentait un canal médullaire étroit, cet état antérieur n'avait pas généré de pathologie et aurait pu ne jamais en générer aucune, et qu'il était établi par l'expertise médicale que le dommage avait pour cause l'hyperextension cervicale induite par la position de descente imposée par l'exploitant, sur le ventre tête en avant, en ce que l'arrivée à grande vitesse dans l'eau induisait un choc et une décélération, la cour d'appel, qui s'est expliquée comme elle le devait sur le caractère fautif des conditions d'utilisation du toboggan par l'exploitant, contraires aux recommandations du fabricant et considérées comme les plus dangereuses par l'expert judiciaire, en a déduit, à bon droit, qu'il était entièrement responsable du préjudice subi par Q... X... Y... ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur les troisièmes moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, qui sont similaires, réunis : - Attendu que l'assureur et l'exploitant font grief à l'arrêt de rejeter la demande de garantie ou à tout le moins de partage de responsabilité formée contre le fabricant, alors, selon le moyen, que le fabricant d'un équipement destiné au public manque à son obligation de conseil s'il n'alerte pas son acquéreur des risques associés à une exploitation inappropriée de l'ouvrage qu'il constate lors d'une visite de contrôle sécurité ; qu'en l'espèce, l'assureur faisait valoir que lors d'une visite de contrôle sécurité, le fabricant (la société Van Egdom) n'avait émis aucune réserve quant aux conditions d'utilisation du toboggan telles qu'elles étaient imposées par l'exploitant aux usagers, en position allongée tête en avant, et s'était borné à changer un élément de polyester ; qu'elle en déduisait que le fabricant avait manqué à son obligation de conseil en ne l'alertant sur les prétendus dangers associés à une telle position ; qu'en se bornant à relever, par motifs propres et adoptés, que le fabriquant avait livré à l'exploitant un tableau figurant les positions autorisées et les positions interdites, sans à aucun moment s'interroger sur le point de savoir si le fabriquant n'avait pas manqué à son obligation de conseil à l'occasion des missions de contrôle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil alors en vigueur ;
Mais attendu qu'ayant retenu que le toboggan était conforme quant à sa conception et à sa fabrication, et que le fabricant avait remis un panneau d'utilisation interdisant la position pourtant imposée par l'exploitant aux usagers, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder aux recherches prétendument omises que ses constatations et appréciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois.