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Décisions

TA Bordeaux, juge des référés, 9 septembre 2019, n° 1904148

BORDEAUX

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lerner

Avocat :

Me Vogel

TA Bordeaux n° 1904148

9 septembre 2019

LE JUGE DES RÉFÉRÉS : - Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 août et 5 septembre 2019, la société X demande au juge des référés :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, l'exécution de la décision du 6 août 2019 du directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi lui infligeant une amende avec publication de la sanction en tant qu'elle ordonne cette publication ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'urgence est justifiée par la proximité de la publication qui lui causerait un préjudice d'image et de notoriété considérable et irréversible même si elle obtenait ensuite satisfaction au fond ;

- la sanction n'est pas motivée en tant qu'elle ordonne sa publication ;

- le principe d'impartialité a été méconnu dès lors que c'est la DIRECCTE qui a réalisé l'enquête et infligé la sanction, que le directeur régional supervise les contrôles et prononce la sanction ;

- la compétence du signataire de la décision n'est pas établie ;

- la sanction applique rétroactivement la loi du 9 décembre 2016 à des faits qui sont antérieurs à sa publication ;

- l'Administration aurait dû rapporter le nombre de factures présentant des retards de paiement au nombre total de factures. En ne le faisant pas, elle a commis une erreur de raisonnement ;

- la sanction est disproportionnée par rapport aux manquements constatés, à son comportement général à l'égard de ses fournisseurs et à sa vigilance en matière de délais de paiement.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 septembre 2019, le préfet de la région Nouvelle Aquitaine conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société X n'est fondé.

Vu :

- la requête n° 1904149, enregistrée le 20 août 2019, par laquelle la société X demande au tribunal l'annulation de la décision du 6 août 2019 du directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi lui infligeant une amende avec publication ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Code de commerce ;

- le Code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Lerner, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après la lecture du rapport, ont été entendues au cours de l'audience publique du 6 septembre 2019 à 10 heures :

- les observations de Me Vogel pour la société X et celles de Mme Martinache pour le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine.

L'instruction a été close à l'issue de l'audience à 11 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".

2. La société X demande au juge des référés de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, l'exécution de la décision du 6 août 2019 du directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi lui infligeant une amende de 225 000 euros avec publication de la sanction en tant qu'elle ordonne cette publication. Il est reproché à la société requérante des manquements à l'article L. 441-6 I du Code de commerce relatif au non-respect du délai de paiement convenu.

3. Aux termes de l'article L. 441-6 I du Code de commerce : " (...) Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier (...) ". En l'espèce, la société X a convenu avec ses fournisseurs d'un règlement selon le délai dérogatoire de quarante-cinq jours fin de mois.

4. Il ressort du procès-verbal, en date du 19 février 2018, de l'enquête réalisée au second semestre 2016 que le vérificateur a procédé de la manière suivante. Il a effectué une analyse du grand livre fournisseurs du 1er trimestre 2016 et du mois de juin 2016 et comparé " la colonne date de la pièce qui est la date de la facture et la colonne date du rapprochement qui est la date de paiement ". Il a filtré les factures pour lesquelles le délai de paiement est supérieur à 60 jours pour le premier trimestre et 65 jours pour le mois de juin, soit respectivement 343 factures sur un total de 4836 et 108 factures sur un total de 1650. Il a demandé ensuite communication des documents relatifs aux factures d'un montant supérieur à 1 000 euros, soit 154 factures. Après analyse de ces documents, il a considéré que 80 factures avaient été payées après l'échéance convenue, ce nombre étant ramené à 71 factures à l'issue de la procédure contradictoire.

Sur l'existence d'un moyen sérieux :

5. La sanction est motivée principalement par les " Nombre et pourcentage de factures payées en retard : 71 sur un échantillon initial de 154 soit 46 % ". Mais cette motivation qualifie, à tort, d'échantillon initial, le résultat d'une première sélection effectuée selon le critère du délai de paiement. En fait, la méthode de tri retenue permettait de sélectionner toutes les factures d'un montant supérieur à 1 000 euros présentant un délai apparent anormalement long. Le nombre total de factures sur les deux périodes examinées est de 6 486. En prenant comme hypothèse que le pourcentage de retards est le même pour les factures de montants inférieur ou supérieur à 1 000 euros, le nombre de factures payées avec retard est de (71/154 x 451) (451 étant le total des factures, quel que soit leur montant, issues du premier filtre), soit 208 et un pourcentage de retards de paiement de 3,2 % (208/6 486) et non de 46 % comme indiqué dans la décision querellée. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de raisonnement commise par la DIRECCTE pour caractériser l'infraction apparait, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la sanction.

Sur l'urgence :

6. Eu égard à la nature et aux effets d'une sanction de publication d'un communiqué indiquant que la société X paye ses factures avec retard, alors que cette conclusion pourrait être issue, ainsi qu'il vient d'être dit, d'un mauvais raisonnement et pourrait causer à la requérante un préjudice d'image difficilement réversible, l'urgence doit être considérée comme établie en l'espèce.

7. Les deux conditions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative étant remplies, il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision du 6 août 2019 du directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi en tant qu'elle ordonne la publication de la sanction prise à l'encontre de la société X jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête au fond.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros à la société X.

ORDONNE :

Article 1er : L'exécution de la décision du 6 août 2019 du directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi est suspendue en tant qu'elle ordonne la publication de la sanction prise à l'encontre de la société X jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête au fond.

Article 2 : L'Etat versera à la société X la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société X et au ministre de l'Economie et des Finances. Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.