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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 septembre 2019, n° 17-09606

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Batiland (SAS)

Défendeur :

Moorea (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Avocats :

Mes Baechlin, Schnell, Blaise, Jeanjacques

T. com. Bordeaux, du 27 mars 2017

27 mars 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Moorea est une société de conseil en publicité et communication. La société Batiland est une centrale d'achat et de revente de bois et de matériaux de constructions.

La société Batiland a développé avec la société Moorea des relations commerciales dans l'objectif de promouvoir sa marque.

La relation d'affaires s'est poursuivie pendant plusieurs années au cours desquelles la société Moorea a régulièrement participé aux réunions de la commission marketing de la société Batiland.

En 2015, la société Batiland a fait appel à la société de promotion publicitaire Moonda, laquelle a participé à la réunion de la commission marketing du 3 décembre 2015, qui s'est tenue en l'absence de la société Moorea.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 janvier 2016, la société Moorea a fait part à la société Batiland de son mécontentement pour ne pas avoir été invitée à la réunion marketing du 3 décembre 2015 destinée à finaliser le contenu et la nature des supports de la communication de la société Batiland pour l'année 2016.

Considérant que ladite société avait ainsi mis fin à plus de 11 années de collaboration, la société Moorea a alors sollicité la réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de leur relation commerciale, à raison de deux années de marge analytique sur le chiffre d'affaires qu'elle réalisait pour la société Batiland.

Par courriel circulaire du 19 février 2016, la société Batiland a informé ses partenaires que la partie animation commerciale du groupement Batiland, en particulier le site internet, les campagnes promotionnelles et le " kit plv promo ", serait gérée par la société Mooda, et que la relation d'affaires avec la société Moorea était conservée en ce qui concerne la PLV (publicité sur lieu de vente), les marquages de véhicules, la fourniture de mâts, de cartes de visites et de flyers. La société Moorea a contesté ces nouvelles dispositions par courriel du 22 février 2016, considérant que les taches qui lui étaient désormais imparties, ne concernant plus la communication de la société Batiland, ne représentaient que 4,5 % de son chiffre d'affaires réalisé en 2015.

C'est dans ces circonstances que la société Moorea, s'estimant victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie a, par acte du 9 juin 2016, assigné la société Batiland devant le tribunal de commerce de Bordeaux, en réparation de son préjudice.

Par jugement rendu le 27 mars 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- constaté la rupture brutale des relations commerciales entre la société Batiland et la société Moorea aux torts de la société Batiland,

- fixé à une année la durée de préavis que la société Batiland aurait dû accorder à la société Moorea,

- condamné la société Batiland à payer à la société Moorea la somme de 118 914,63 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 18 février 2016,

- ordonné la capitalisation des intérêts à compter de l'année suivant le présent jugement,

- débouté la société Moorea de sa demande d'indemnité au titre du préjudice de considération,

- débouté la société Batiland de ses demandes,

- condamné la société Batiland à payer à la société Moorea la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à l'exécution du présent jugement,

- dit n'y avoir lieu à se prononcer sur la demande de la société Moorea concernant les droits de recouvrement selon le tarif des huissiers de justice,

- condamné la société Batiland aux entiers dépens.

Par déclaration du 11 mai 2017, la société Batiland a interjeté appel à l'encontre de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par dernières conclusions notifiées le 15 avril 2019, la société Batiland, appelante, demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce,

- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- constaté la rupture brutale des relations commerciales entre elle et la société Moorea à ses torts, fixé à une année la durée de préavis qu'elle aurait dû accorder à la société Moorea et l'a condamnée à payer à la société Moorea la somme de 118 914,63 euros en principal, outre les intérêts au taux légal à compter du 18 février 2016,

- ordonné la capitalisation des intérêts à compter de l'année suivant le présent jugement ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Moorea de sa demande d'indemnité pour préjudice de considération ;

- débouter la société Moorea de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Moorea au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

Si par extraordinaire la cour ne faisait pas droit à sa demande de rejeter la demande de la société Moorea sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce et d'infirmer le jugement de ce chef,

- dire et juger la durée des relations commerciales à hauteur de 9 années et 6 mois,

- fixer à 9 mois et demi la durée de préavis qu'elle aurait dû accorder à la société Moorea,

- constater que la société Moorea est défaillante à établir le chiffre d'affaires réalisé avec elle,

- dire et juger que la somme de 45 224,88 euros serait l'indemnisation maximale à laquelle pourrait prétendre la société Moorea.

La société Batiland fait tout d'abord valoir l'absence de rupture brutale des relations commerciales établies.

A ce titre, elle précise que la société Moorea est devenue sa contractante au cours du second semestre 2006, ayant elle-même été créée en 2006, qu'aucun contrat n'a été signé entre les parties et qu'elle ne s'est pas engagée à recourir exclusivement aux services de la société Moorea, ni sur un chiffre d'affaires. Elle indique qu'elle a souhaité introduire de la concurrence et que les dernières prestations de la société Moorea n'étant pas satisfaisantes en termes de qualité et de délai, elle a choisi de confier une partie des prestations de communication à la société Moonda, dont le travail est de meilleure qualité.

Elle soutient que le fait de ne pas avoir invité la société Moorea à sa commission marketing du 3 décembre 2015, afin que la société Moonda puisse librement présenter ses idées, ne démontre pas sa volonté de mettre un terme à sa relation commerciale avec la société Moorea. Elle précise à ce titre qu'elle a informé la société Moorea qu'elle ne serait pas conviée, et que les prestations confiées à ladite société ne sont pas déterminées au cours des réunions de cette commission, la société Moorea ayant notamment exécuté, au cours du semestre 2014, des prestations non définies lors des réunions marketing de 2013.

Elle fait valoir qu'elle s'est bornée à exercer son droit de diversifier ses partenaires et que la société Moorea a déjà été mise en concurrence par le passé, en particulier au cours des commissions marketing des 23 septembre et 15 octobre 2008.

Elle indique que le courriel circulaire du 19 février 2016 qu'elle a adressé à ses partenaires et leur indiquant que la partie animation commerciale serait désormais prise en charge par la société Moonda, démontre qu'elle a souhaité maintenir un courant d'affaires avec la société Moorea tout en introduisant de la concurrence entre ses partenaires en matière de communication.

Elle considère que la société Moorea est seule à l'origine de la rupture des relations commerciales, celle-ci ayant, par courriel du 19 avril 2016, refusé de continuer à travailler avec elle et les sociétés adhérentes de la société Batiland.

Elle conteste le préjudice de considération allégué par la société Moorea. Elle rappelle à ce titre que ses 25 adhérentes sont des entités juridiquement indépendantes et libres de choisir leurs partenaires commerciaux et que la société Moorea pouvait poursuivre sa collaboration avec lesdites sociétés. Elle ajoute que son courriel circulaire du 19 février 2016 informant ses adhérentes qu'elle recourait à un autre partenaire pour une partie de la communication commerciale ne comporte aucun dénigrement de la société Moorea et n'implique pas que ses adhérentes devaient faire de même. Elle précise qu'elle n'a donné aucune instruction à ses adhérentes afin que cessent les commandes auprès de la société Moorea.

Elle considère la demande indemnitaire au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie mal fondée dans son quantum.

Elle soutient que la relation commerciale remonte au second semestre 2006 et non pas au mois de juin 2004, l'enseigne de la société en 2004 étant GIE Pyrmaco et non pas Batiland, et la facture du 6 juillet 2004 invoquée par l'intimée n'existant pas et ne figurant pas sur l'ensemble des relevés bancaires du GIE Pyrmaco produits aux débats. Compte tenu de la relation commerciale de 9 ans et 6 mois, elle estime que la durée du préavis qu'elle aurait dû accorder à la société Moorea ne saurait excéder 9 mois et demi.

Elle ajoute que les premiers juges ont à tort considéré que les relations commerciales devaient être appréciées indifféremment entre la société Moorea et la société Batiland et/ou ses adhérentes, alors que celles-ci ne sont pas ses filiales et constituent des entités juridiquement indépendantes. Elle fait valoir que les adhérentes ayant agi en leur nom propre, sans qu'elle ne se soit immiscée dans leur gestion ni n'ait agi de concert avec elles, seul le chiffre d'affaires que la société Moorea a réalisé avec elle (catalogue promo) doit être pris en compte, à l'exclusion de celui réalisé avec ses adhérentes (prestations de services). Elle souligne que l'intimée ne justifie pas de ce chiffre d'affaires, lequel s'élève en réalité à la somme annuelle moyenne de 117 350,40 euros HT ainsi qu'en atteste son propre expert-comptable. Elle en déduit que la perte de marge brute durant un préavis maximum de 9 mois et demi, sur la base d'un taux de 48,68 %, ne saurait excéder la somme de 45 224,88 euros.

Par dernières conclusions notifiées le 16 avril 2019, la société Moorea, intimée, demande à la cour de :

- débouter la société Batiland, appelante principale, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- déclarer son appel incident recevable et bien fondé,

En conséquence,

- réformer partiellement le jugement rendu le 27 mars 2017 par le tribunal de commerce de Bordeaux,

Et, statuant à nouveau,

- condamner la société Batiland à lui payer une indemnité de 120 000 euros en principal, en réparation de sa perte de marge brute de production,

- condamner la société Batiland à lui payer une indemnité de 80 000 euros en principal, en réparation de son préjudice de considération,

- ordonner que les indemnités mises à la charge de la société Batiland et qui lui sont allouées porteront intérêts au taux légal à compter du 22 février 2016, date de réception de la mise en demeure de paiement amiable notifié par son conseil à la société Batiland,

- ordonner que les intérêts ainsi décomptés se capitaliseront au bout d'une année entière d'échéance, conformément aux dispositions des articles 1153 et 1154 du Code civil et ce, jusqu'à parfait paiement,

- condamner en outre la société Batiland à payer à la société Moorea une indemnité de 8 000 euros hors taxe, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

En tant que de besoin et sur le même fondement, condamner société Batiland à lui rembourser les honoraires proportionnels résultant des dispositions de l'article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 modifié par le décret n° 2001-212 du 8 mars 2001, portant fixation du tarif des huissiers de justice en matières civile et commerciale qu'elle serait amenée à régler dans l'hypothèse d'un recours à l'exécution forcée de la décision à intervenir,

- condamner enfin la société Batiland aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, le tout avec distraction au profit de Maître Aude Blaise, avocat, sur ses affirmations de droit, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Moorea invoque une relation commerciale établie, portant sur des prestations de conseil en communication et marketing, et nouée avec la société Batiland entre 2004 et fin 2015 inclus, ainsi qu'il ressort de l'attestation de son expert-comptable et des premières factures émises au nom de la société Batiland dès le 28 juin 2004. Elle relève que la société Batiland a été immatriculée par transfert, en date du 7 décembre 2006, du registre du commerce et des sociétés d'Oloron Sainte-Marie, où était immatriculé le GIE Pyrmaco, et que cette date correspond à la radiation du GIE Pyrmaco qui a changé de dénomination sociale pour devenir Batiland SAS. Elle indique que la société Batiland a ainsi repris la relation commerciale qu'elle avait nouée avec le GIE Pyrmaco.

Elle fait valoir la rupture brutale de cette relation commerciale établie par la société Batiland, qui ne l'a pas invitée à la commission marketing du 3 décembre 2015, destinée à définir la politique marketing et communication de la société Batiland et de ses adhérents pour l'année suivante, ce dont elle a été informée quasiment la veille. Elle précise qu'elle était l'invitée principale de la précédente commission marketing du 1er octobre 2015 et s'était mise au travail, conformément aux missions qui lui avaient été confiées, et que cette rupture est imprévisible, soudaine et brutale car effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures, le seul écrit relatif à la rupture de la relation commerciale émanant de la société Batiland, consistant en un courriel du 19 février 2016 qui ne lui était pas destiné, mais à l'ensemble des adhérents de la société Batiland.

Elle considère qu'il importe peu que lors d'une précédente réunion marketing du 15 octobre 2008 elle ait été mise en concurrence avec la société Easycom solutions, cette seule réunion ne démontrant pas une mise en concurrence systématique avec des concurrents avant toute commande et ne l'ayant pas mise dans une situation de précarité.

Elle ajoute que la qualité prétendument supérieure des prestations de la société Moonda qui a participé à la réunion marketing du 3 décembre 2015 ne saurait justifier la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Elle relève que l'appelante prétend vainement avoir souhaité maintenir leur relation commerciale, alors que la réservation de commandes constituait une obligation essentielle de la relation. Elle ajoute que la chute subséquente de près de 96,5 % des commandes effectuées au cours de l'année 2015 qu'elle aurait nécessairement subie en 2016 à la suite de la tenue de la commission du 3 décembre 2015, aurait également été constitutive d'une rupture brutale de la relation commerciale établie.

Compte tenu de son volant d'affaires ininterrompu, exclusif et substantiel auprès de la société Batiland durant 11 années et 6 mois, et du chiffre d'affaires réalisé avec la seule société Batiland, et non pas également ses adhérentes, correspondant à 52 % de son chiffre d'affaires, elle considère que les premiers juges ont estimé à bon droit qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'un an durant lequel elle a été privée d'une marge brute équivalent à 118 914,63 euros, laquelle somme devra être arrondie à 120 000 euros.

Elle conteste l'attestation de l'expert-comptable produite par la société Batiland, qui est en contradiction avec l'attestation de son propre expert-comptable, mais également avec le montant du budget annuel de la société Moorea pour l'année 2009 défini lors de la commission marketing du 15 octobre 2008. Elle précise que l'attestation de son expert-comptable sur laquelle elle fonde le calcul de son préjudice ne concerne que ses relations commerciales avec la société Batiland, à l'exclusion des prestations qu'elle pouvait nouer en toute autonomie par rapport à la société Batiland, et individuellement avec les membres du réseau de celle-ci.

Elle fait également valoir un préjudice de considération, qu'elle évalue à 80 000 euros, causé par l'envoi du courriel circulaire du 19 février 2016, par lequel l'appelante a annoncé la rupture de ses relations avec elle et son remplacement par la société Moonda, à 35 destinataires ayant des fonctions d'exploitation et de développement commercial de dépôts à l'enseigne de la marque Batiland, dont les 25 adhérents du réseau Batiland, avec lesquels elle est en relation directe depuis de nombreuses années. Elle soutient que le fait d'affirmer que la mission qui lui est désormais confiée par la société Batiland sera fortement réduite, alors qu'elle s'est impliquée dans la définition de la politique marketing de ladite société depuis plus de 11 années, de la destituer, en sa qualité de titulaire historique, de la politique et de la matérialisation des stratégies de communication de la centrale Batiland et de ses adhérents et d'officialiser ainsi la rupture de la relation commerciale avec la société Batiland, constitue une humiliation publique, qui lui a causé un préjudice de déconsidération auprès ses 25 anciens interlocuteurs, tous membres de la centrale d'achats Batiland.

MOTIFS :

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :

Selon l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...) ".

La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale c'est à dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels.

Sur l'ancienneté de la relation commerciale :

Les parties ne discutent pas de l'existence d'une relation commerciale établie, mais de son ancienneté.

L'intimée produit aux débats une attestation de son expert-comptable, portant sur le chiffre d'affaires réalisé chaque année avec la société Batiland entre 2004 et 2015, que la société Batiland conteste en produisant une attestation de son expert-comptable mentionnant le chiffre d'affaires moindre mais progressif qu'elle a réalisé avec la société Moorea entre 2006 et 2015.

La société Moorea produit également aux débats six factures datées du 28 juin 2004 et une septième facture datée du 5 juillet 2004, adressées à la société Batiland.

Ainsi qu'en justifie l'intimée, le GIE Pyrmaco, immatriculé le 10 novembre 2000 au registre des commerce et des sociétés d'Oloron Sainte Marie, transféré au registre des commerce et des sociétés de Pau en application du décret n° 2008-146 du 15 février 2008, a exercé sous le nom commercial Batiland son activité de mise en commun de tous les moyens propres à faciliter ou à développer l'activité économique commune de ses membres, soit le négoce des bois et des matériaux, puis a été radié du registre du commerce et des sociétés le 28 mars 2007 avec effet au 7 décembre 2006.

La SAS Batiland, qui a pour objet social d'exploiter et de promouvoir la marque Batiland, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux le 29 novembre 2006 par transfert du registre des commerce et des sociétés d'Oloron Sainte-Marie en date du 7 décembre 2006, sans maintien d'une exploitation directe dans le ressort de l'ancien siège.

Dès lors que le GIE Pyrmaco a exercé sous le nom commercial Batiland, la société Batiland, qui reconnaît que la société Moorea a développé avec le GIE Pyrmaco un courant d'affaires au cours de l'année 2004, lequel s'est poursuivi durant plusieurs années, discute vainement la réalité des factures dont se prévaut la société Moorea et qui ont été adressées en 2004 à l'enseigne Batiland. La circonstance que la société Batiland n'ait été immatriculée que le 29 novembre 2006 ne suffit pas à écarter ces factures, la société GIE Pyrmaco exerçant sous le nom commercial Batiland antérieurement à sa constitution, et la société Batiland ayant repris l'activité du GIE Pyrmaco par transfert de registre de commerce et des sociétés. De même, le fait qu'une facture litigieuse, datée du 5 juillet 2004, n'ait pas été encaissée sur le compte à vue ouvert par la société Pyrmaco dans les livres de la banque Bami, n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de l'ensemble des factures de 2004, dès lors qu'il n'est pas justifié de l'exclusivité de ce compte bancaire.

Il est ainsi établi que la société Moorea a noué depuis 2004 une relation commerciale stable et durable avec le GIE Pyrmaco exerçant sous l'enseigne Batiland, laquelle a été reprise en 2006 par la société Batiland, constituée par transfert de registre du commerce et des sociétés du GIE Pyrmaco.

La relation commerciale établie date donc de 2004.

Sur la rupture de la relation commerciale :

Il est établi par les pièces produites par les parties que la société Moorea a participé à diverses commissions marketing de la société Batiland, qui se sont tenues les 23 septembre 2008, 15 octobre 2008, 7 mars 2013, 1er octobre 2013, 26 novembre 2013, 10 juin 2014, 2 octobre 2014, 2 décembre 2014, 11 juin 2015 et 1er octobre 2015, et au cours desquelles ont été discutées puis décidées les prestations confiées à la société Moorea. En particulier, lors des commissions marketing préparatoires à la validation du plan marketing 2016 devant être opérée au cours de la commission marketing du 3 décembre 2015, il a été respectivement demandé à la société Moorea de faire des propositions sur les calendriers-agendas 2016, sur une " orientation communication fil rouge ", et sur les sacs à pain, puis de créer et d'animer une page Facebook ainsi qu'un " bus itinérant Le Batimole, atelier, conseils, récupération de données ". La commission marketing du 3 décembre 2015 portant validation du plan marketing 2016 s'est toutefois tenue sans la société Moorea qui assistait régulièrement à ces commissions, en sa qualité de partenaire historique de la société Batiland, ainsi qu'en atteste Mme A, cogérante de la société LCD présidente des Etablissements Guillemeteau, société adhérente de la société Batiland.

En ne conviant pas la société Moorea à la commission marketing du 3 décembre 2015, au cours de laquelle devaient être finalisés et décidés le contenu et la nature des supports de communication de la société Batiland pour l'année 2016, tandis qu'elle l'avait jusqu'alors associée à la définition de son plan de communication, la conviant notamment aux réunions préparatoires de la commission marketing du 3 décembre 2015, la société Batiland, qui reconnaît avoir fait le choix d'exclure la société Batiland et de n'inviter que sa concurrente, la société Mooda, afin que celle-ci puisse librement lui présenter ses idées, a manifesté sa volonté de rompre sa relation commerciale avec la société Moorea qui assurait l'essentiel de ces prestations.

Il importe peu que toutes les prestations confiées à la société Moorea n'aient pas été déterminées au cours des réunions des commissions marketing de la société Batiland, la société Moorea participant, au cours de ces réunions, à la définition du projet de communication de l'appelante, et se voyant confier diverses prestations en adéquation avec celui-ci, ce dont elle a été privée en n'étant pas conviée à la réunion du 3 décembre 2015, au cours de laquelle devait être validé le plan communication de la société Batiland pour l'année 2016.

La circonstance que d'autres sociétés concurrentes de la société Moorea aient déjà participé aux réunions de la commission marketing des 23 septembre 2008 et 15 octobre 2008 est également indifférente, dès lors que la société Moorea participait également à ces commissions, au cours desquelles elle a pu faire valoir ses propositions.

Le courriel circulaire que la société Batiland a adressé à ses partenaires le 19 février 2016, après que la société Moorea ait contesté la rupture brutale de leur relation commerciale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 janvier 2016, et dans lequel l'appelante indique que la société Moonda est désormais chargée des prestations relatives à son site internet, ses campagnes de promo et le kit plv promo, qui constituent l'essentiel des prestations de sa communication, et qu'elle a souhaité conserver sa relation commerciale avec la société Moorea, pour les prestations mât et pied pour oriflamme, carte de visite, PLV dépôt annuel, marquage des véhicules de société, formulaires d'ouverture des comptes et flyers, qui sont des prestations annexes, ne caractérise pas la volonté de la société Batiland de maintenir la relation commerciale.

Ce courriel confirme a posteriori la volonté de la société Batiland d'apporter une modification substantielle à la relation commerciale, remettant en cause l'équilibre de celle-ci au détriment de la société Moorea. Cette dernière pouvait légitimement refuser une telle modification assimilable à une rupture de la relation commerciale établie, sans que la société Batiland ne puisse lui reprocher de ne pas avoir donné suite à ses nouvelles demandes de devis au titre des seules prestations qui lui étaient désormais confiées.

Si la société Batiland était libre de diversifier ses partenaires, n'étant notamment liée par aucune exclusivité avec la société Moorea, elle ne pouvait rompre sans préavis écrit leur relation commerciale établie, sauf à justifier un manquement grave de la société Moorea, ce qu'elle échoue à établir, se bornant à faire valoir une moindre qualité des prestations de l'intimée, sans en démontrer la réalité ni la gravité par les pièces produites aux débats.

La société Batiland est donc seule responsable de la rupture de la relation commerciale établie, laquelle présente un caractère brutal, n'ayant été précédée d'aucun préavis écrit.

Sur le préjudice :

Le délai de préavis raisonnable tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels devant être respecté en cas de rupture de la relation commerciale établie doit être apprécié en tenant compte de la durée et de la nature de la relation commerciale établie, notamment de la situation de dépendance économique du partenaire.

La relation commerciale établie nouée entre les parties était ancienne de 11 ans et demi lors de sa rupture, le 3 décembre 2015.

Ainsi que le fait valoir l'appelante, elle n'était liée par aucun engagement d'exclusivité envers la société Moorea. Celle-ci, qui invoque un volant d'affaires ininterrompu, exclusif et substantiel auprès de la société Batiland durant 11 années et demi, ne justifie nullement de cette exclusivité, soutenant au contraire, au vu de l'attestation établie par son expert-comptable, que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Batiland représente 52 % de son chiffre d'affaires total.

Les extraits du compte client-prestations Batiland sur lequel la société Moorea se fonde pour établir le chiffre d'affaires réalisé avec la société Batiland, mentionnent des prestations effectuées par ladite société, mais également pour le compte des adhérentes de celle-ci. Cependant, les parties s'accordent pour dire que lesdites adhérentes, qui sont des entités juridiquement distinctes de la société Batiland, ne constituent pas des filiales de l'appelante, et que celles-ci ont eu librement recours aux services de la société Moorea, indépendamment de toute intervention et immixtion de la société Batiland dans ces relations d'affaires. Les sociétés adhérentes, qui sont en relation directe avec la société Moorea, ainsi que celle-ci le reconnaît, demeurent libres de contracter avec l'intimée nonobstant la rupture de la relation commerciale avec la société Batiland. Aucune dépendance des adhérentes envers la société Batiland n'étant caractérisée s'agissant des relations commerciales entretenues avec la société Moorea, seul le chiffre d'affaires réalisé par la société Batiland doit être pris en considération pour l'évaluation du préjudice de la société Moorea au titre de la rupture de la relation commerciale nouée avec cette dernière.

Il convient donc de se référer non pas à l'attestation de l'expert-comptable dressée par la société Moorea sur la base des livres de comptes clients-prestations Batiland de ladite société, mais à l'attestation de l'expert-comptable de la société Batiland afférente au chiffre d'affaires réalisé exclusivement avec ladite société. La société Moorea, qui ne justifie pas du chiffre d'affaires exclusivement réalisé avec la société Batiland, ne discute pas utilement de cette attestation. Il ressort de celle-ci que le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé par la société Moorea les trois années ayant précédé la rupture est de 117 350 euros et représente 9 % du chiffre d'affaires annuel global de la société Moorea, de 1 287 647 euros.

Au vu, d'une part, de l'ancienneté de la relation commerciale, de 11 ans et demi au moment de la rupture, d'autre part, de l'importance relative de l'activité de la société Moorea pour le compte de la société Batiland, représentant 9 % de son chiffre d'affaires, enfin du secteur d'activité concerné, soit le marché de la communication qui offre de nombreux débouchés, le délai de préavis suffisant dont la société Moorea aurait dû bénéficier pour lui permettre de se réorganiser et de trouver d'autres partenaires commerciaux est de 6 mois.

Compte tenu du taux de marge non discuté de la société Moorea, de 48,68 %, le préjudice de la société Moorea au titre de la rupture brutale de sa relation commerciale établie avec la société Batiland est de 28 562,99 euros ((117 350 : 2) x 48,68 %).

La société Batiland sera donc condamnée à payer à la société Moorea une indemnité de 28 562,99 euros en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de leur relation commerciale établie, laquelle somme produira intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2017, date du jugement entrepris, en application de l'article 1153-1 du Code civil dans sa version applicable aux faits de l'espèce, le jugement dont appel étant infirmé de ce chef.

Les premiers juges ont ordonné à bon droit la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil, dans sa version applicable aux faits de l'espèce.

Sur le préjudice de considération :

Le contenu ci-dessus rappelé du courriel circulaire que la société Batiland a adressé à ses partenaires, dont ses 25 adhérentes, par lequel la société Batiland se borne à indiquer à ses partenaires qu'elle n'a désormais recours à la société Moorea que pour une partie de sa communication, sans dénigrer les prestations de ladite société, ne présente pas un caractère humiliant pour la société Moorea, laquelle ne justifie pas non plus du préjudice de considération ainsi subi, ne produisant pas aux débats ses extraits de livres clients concernant ces partenaires avec lesquels elle reconnaît contracter librement.

Les premiers juges ont donc à bon droit débouté la société Moorea de sa demande indemnitaire au titre du préjudice de considération.

Sur les dépens, l'article 700 du Code de procédure civile et les frais d'exécution forcée de la décision :

Les dispositions du jugement entrepris seront confirmées s'agissant des dépens et de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il convient, en outre, de condamner la société Batiland, échouant en ses prétentions, aux dépens exposés en cause d'appel, avec les modalités de recouvrement prévues à l'article 699 du Code de procédure civile, et de condamner la société Batiland à payer à la société Moorea une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du même Code.

La société Moorea ne justifiant pas de difficultés d'exécution de la décision à venir ni d'un risque d'exécution forcée de celle-ci, il n'y a pas lieu, en l'état, d'ordonner que la société Batiland devra lui rembourser les honoraires proportionnels résultant des dispositions de l'article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 modifié par le décret n° 2001-212 du 8 mars 2001, le jugement critiqué étant confirmé de ce chef.

Par ces motifs LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 3 avril 2017 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a : - fixé à une année la durée de préavis que la société Batiland aurait dû accorder à la société Moorea, - condamné la société Batiland à payer à la société Moorea la somme de 118 914,63 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 18 février 2016, Statuant de nouveau, Fixe à 6 mois la durée de préavis que la société Batiland aurait dû accorder à la société Moorea, Condamne la société Batiland à payer à la société Moorea la somme de 28 562,99 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2017, en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de sa relation commerciale établie nouée avec la société Batiland, Y ajoutant, Condamne la société Batiland à payer à la société Moorea une indemnité de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Batiland aux dépens exposés en cause d'appel, lesquels pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile.