CA Lyon, 3e ch. A, 12 septembre 2019, n° 17-06079
LYON
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Brugg Tubes (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rachou
Conseillers :
Mme Clément, M. Nicolas
Avocats :
Selarl Laffly & Associés, Me Leloup, SCP Baufumé & Sourbe, Selarl Croset - Broquet & Associes
Le 27 février 2007, la société Brugg Tubes a conclu avec X un contrat d'agence commerciale avec exclusivité dans huit départements.
Les produits diffusés étaient des installations thermiques ainsi que le matériel inséré dans ces installations.
X a transmis le contrat d'agence commerciale à son fils Y et la société Brugg Tubes a accepté ce transfert le 14 février 2011 avec effet au 1er mars suivant.
Par lettre du 16 janvier 2012, la société Brugg Tubes a notifié à Y la rupture du contrat pour faute grave, moyennant un préavis de quinze jours, en lui reprochant son refus formel de lui fournir des rapports d'activité, de pratiquer des remises supérieures à celles autorisées sans son autorisation et malgré des avertissements donnés, ainsi qu'un recul de son chiffre d'affaires et un défaut d'évolution de son portefeuille clients.
Par acte du 22 janvier 2013, Y a saisi le tribunal de commerce de Lyon en lui demandant de condamner la société Brugg à lui payer les sommes suivantes : 516,79 euros au titre d'un rappel de commissions, 3 356,12 euros au titre d'une indemnité compensatrice de préavis et 22 454 euros au titre d'une indemnité de cessation de contrat. Il sollicitait aussi l'organisation d'une expertise comptable en vue de vérifier si des commissions lui étaient dues sur la période du 1er avril 2007 au 30 avril 2012.
Par jugement du 4 mars 2014, le tribunal de commerce a débouté Y de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à la société Brugg Tubes la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Lyon le 30 juillet 2014, Y a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 14 janvier 2016, la cour d'appel a infirmé le jugement et condamné la société Brugg Tubes à payer à Y les sommes de 3 356, 87 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 22 454 euros au titre de l'indemnité de cessation de contrat et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.
Sur pourvoi formé par la société Brugg Tubes, la Cour de cassation, par arrêt du 5 juillet 2017, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 14 janvier 2016 par la cour d'appel de Lyon et a renvoyé la cause et les parties devant la même cour autrement composée.
L'arrêt est cassé aux motifs que la cour d'appel a violé les articles L. 134-12 et 134-13 du Code du commerce en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, dès lors qu'elle a relevé que Y s'était estimé en droit de refuser de remplir son obligation légale d'information selon les modalités spécifiques stipulées dans le contrat, bien que celle-ci résultat de la nature même de la mission du mandataire d'intérêt commun qu'est l'agent commercial et qu'elle a relevé aussi qu'il n'avait pas respecté son engagement concernant l'octroi de remises supplémentaires malgré la mise en garde de la société Brugg Tubes.
Vu la déclaration de saisine de la cour de renvoi, transmise au greffe le 21 août 2017 par Y.
Vu ses conclusions du 19 juin 2018, déposées et notifiées, par lesquelles il demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1135 du Code civil ancien, L. 134-1 à L. 134-16, R. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :
Déclarer recevable et bien fondé son appel du jugement du tribunal de commerce,
En conséquence, réformant ce jugement pour le tout,
Condamner la société Brugg Tubes à lui verser :
- la somme hors taxe de 3 356,87 euros y compris TVA à 19,60 % à titre de préavis légal de rupture du contrat d'agence commerciale du 27 février 2007, outre intérêts de droit à compter du 22 janvier 2013,
- celle de 22 454 euros à titre d'indemnité de cessation du contrat du 27 février 2007, outre intérêts de droit à compter du 22 janvier 2013,
Condamner la société Brugg Tubes à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamner en tous dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de maître Laffly, avocat.
Vu les conclusions du 1er juin 2018 de la société Brugg Tubes, déposées et notifiées, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 1134 du Code civil, L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon, en toutes ses dispositions,
Dire et juger bien fondée la rupture du contrat d'agent commercial notifiée à Y,
En conséquence :
Rejeter l'ensemble des demandes en paiement de celui-ci comme étant infondées,
à titre infiniment subsidiaire :
Dire et juger que Y. ne justifie pas du principe et du quantum d'une indemnité de rupture à raison d'un préjudice subi, ni qu'il pourrait bénéficier d'un délai de préavis supérieur à un mois, ajoutant :
Le condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Le condamner également aux entiers dépens, en ce compris tous frais d'exécution, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Baufume et Sourbe, avocats, sur son affirmation de droit,
Rejeter toutes fins et argumentations contraires comme étant infondées et pour le moins injustifiées.
Vu l'ordonnance de clôture du 4 décembre 2018.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture du contrat d'agence commerciale et la faute grave
Selon Y et en premier lieu, il n'a accordé aucune remise à un client sans l'accord de son mandant, motifs pris que :
- la société Brugg Tubes ne mentionne aucune affaire dans laquelle il aurait consenti une remise à un client sans son accord ;
- celle-ci ne prouve pas le contraire ;
- la lettre du 6 février 2012 qu'il lui a envoyée, qui évoque les conditions faites à certains de ses clients, telle la société Tereva, ne fait la preuve d'aucune faute de sa part.
En deuxième lieu, il prétend avoir bien exécuté son obligation d'information, motifs pris que :
- la société Brugg Tubes ne peut lui reprocher de ne pas avoir participé à des réunions dans la mesure où elle ne les a jamais organisées, alors que cette organisation pesait sur elle au regard de l'article 6.6 du contrat ;
- en raison de l'emploi actuel de moyens électroniques pour communiquer, les contacts entre le mandant et ses agents commerciaux sont très fréquents ;
- avant la lettre de rupture, la société Brugg Tubes ne s'était jamais plainte d'un défaut d'information, notamment à l'encontre du cédant du contrat, ce qui justifie une interprétation de celui-ci en considération du sens que les parties lui ont donné durant sa période d'exécution ;
- le non-respect de la clause de l'article 6.6, qui impose à l'agent l'envoi d'un rapport mensuel sur les ventes en unités et en valeur, n'est pas constitutive d'une faute grave, dans la mesure où la société Brugg Tubes est informée des ventes effectuées par son agent commercial au moyen des bons de commande et des factures pris en considération pour le calcul des commissions ;
- le contrat d'agence commerciale ne prévoit pas la remise de rapports d'activité ;
- il a satisfait à son obligation d'information de manière régulière par d'autres moyens qu'un rapport mensuel et la société Brugg Tubes avant la rupture ne lui en a pas fait le reproche.
Il prétend enfin que le grief tiré d'un recul de son chiffre d'affaires est inopérant, celui-ci ayant au contraire augmenté alors que durant la même période le chiffre d'affaires de la société Brugg Tubes a baissé.
La société Brugg Tubes, pour conclure à l'existence d'une faute grave, fait d'abord valoir que :
- il a été rappelé à Y, dès la reprise du contrat, la nécessité de demander un accord en cas de remises supplémentaires, rappel réitéré par mail du 22 juin 2011 ;
- Y a néanmoins exercé son activité en accordant des remises sans accord préalable de son mandant ;
- il a lui même dans sa lettre du 6 février 2012 reconnu un tel manquement aux dispositions de l'article 5.3 du contrat, commis à plusieurs reprises, en plaçant ainsi son mandant devant le fait accompli.
Elle soutient ensuite que ce même courrier du 6 février 2012 est révélateur du manquement de Y à son obligation d'information, alors qu'en raison de l'exclusivité dont il bénéficiait sur un secteur de prospection elle n'avait aucune visibilité sur l'avenir de celui-ci.
Elle considère que cette obligation d'information, en particulier sous la forme de rapport d'activité, n'était pas accessoire.
La société Brugg Tubes prétend enfin que Y, durant sa courte période de son mandat, n'a pas fait évoluer son secteur d'activité et a réduit le chiffre d'affaires.
Sur ce :
La faute grave envisagée par l'article L. 134-13 du Code du commerce est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et qui rend impossible le maintien du lien contractuel.
Par ailleurs, selon l'article L. 134-4 du même Code, les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
Ces deux obligations sont considérées comme essentielles au mandat d'intérêt commun qui lie l'agent commercial à son mandant.
En l'espèce la lettre de rupture du contrat d'agence commerciale notifiée par la société Brugg Tubes est rédigée comme suit : " Monsieur Y, nous faisons suite à l'entretien téléphonique du 5 janvier 2012 lors duquel je vous ai évoqué, une nouvelle fois, l'interdiction d'appliquer des remises complémentaires sans notre accord.
Vous n'avez pas davantage tenu compte de nos avertissements et autres rappels (mes courriels du 14 février 2011 et du 22 juin 2011 ainsi que nos échanges téléphoniques de cet été concernant des affaires similaires) pour éviter une cessation de votre contrat.
Outre ce point, j'ai également noté le recul de chiffre d'affaires sur le secteur que vous occupez.
Nous n'avons jamais réceptionné de rapports d'activités de votre part, votre portefeuille client n'a pas évolué.
Il s'agit donc d'un ensemble de manquements graves à vos obligations contractuelles selon les dispositions du contrat d'agent commercial du 27 février 2007 (...) ".
Au sujet du grief tiré de l'octroi de remises sans accord du mandant, l'article 5.3 du contrat stipule que l'agent commercial s'oblige à prendre les commandes pour le compte du mandant à la condition que lesdites commandes correspondent aux prix de cession et aux barèmes de remises du mandant et à ses conditions générales de distribution et de vente, sauf accords particuliers intervenus entre les parties. Cet article précise aussi que le mandant vérifie à la réception des commandes si ces conditions sont remplies et qu'il se réserve le droit d'accepter définitivement la commande.
Cette disposition a été rappelée en partie par la société Brugg Tubes dans un mail du 14 février 2011. Certes, ce mail s'adresse à X, père de Y, mais celui-ci, en tant que cessionnaire du contrat, est censé connaître les dispositions de son article 5.3.
La société Brugg Tubes produit un échange de mails du 22 juin 2011 entre son gérant, M. Z et Y, desquels il ressort que celui-ci lui a demandé le bénéfice d'une remise au profit d'un client, la société Tereva, remise qui a été refusée en raison de l'interdiction de la pratique du dumping.
Dans son courrier du 6 février 2012, adressé à la société Brugg Tubes à la suite de la rupture du contrat d'agence commerciale, en vue de contester la faute grave reprochée, M. Y écrit : " (...) les conditions tarifaires que j'ai dû être dans l'obligation d'accorder à certains clients, notamment au groupement Tereva, très représentatif sur le secteur qui est le mien, ont toujours été établies dans le respect de votre politique commerciale.
Pour preuve, des conditions biens supérieures ont été accordées, avec votre accord, et dans l'intérêt commun des parties, à d'autres clients pour conquérir des ventes, en cette période de crise, où intéresser les acheteurs et prendre les commandes n'est pas chose facile (...).
Il est pour le moins curieux que subitement, vous qualifiez ces prises de commandes de " fautes graves ". D'autant plus que vous les avez toujours acceptées, alors que vous restez libre de refuser (...) ".
Dans ce courrier, Y fait ainsi allusion à des remises consenties à des clients sans accord préalable de son mandant que celui-ci a néanmoins acceptées, alors qu'il avait le pouvoir de refuser la commande, ce refus étant en effet envisagé par l'article 5.3 du contrat.
Ces éléments font donc ressortir que Y, à plusieurs reprises, a contrevenu aux prescriptions de l'article 5.3 du contrat.
En ce qui concerne le grief tiré du non-respect de l'obligation d'information, l'article 6 du contrat consacré en partie à cette obligation est rédigé comme suit : " (...) Les rapports entre l'agent et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (...) ".
" (...) Dans l'intérêt commun des parties, l'agent s'oblige à informer régulièrement le mandant de l'état du marché, des souhaits de la clientèle, des difficultés rencontrées et des actions de la concurrence (...) ".
(...) " l'agent adressera au mandant tous les mois un rapport écrit et détaillé sur les ventes en unités et en valeur des produits réalisés dans le secteur concédé. En outre, quatre réunions par an devront obligatoirement se tenir entre l'agent et le mandant ".
Contrairement à ce que soutient Y, cette clause du contrat lui imposait d'établir des rapports d'activité, en vue d'informer la société Brugg Tubes, relatifs à l'état du marché, aux souhaits de la clientèle, aux difficultés qu'il rencontrait et aux actions de la concurrence.
Certes, l'article 6 du contrat ne lui imposait pas une forme particulière pour l'établissement de ce rapport, la forme écrite étant en effet requise de manière expresse seulement pour le rapport sur les ventes en unités et en valeur des produits.
Mais Y ne produit pas le moindre élément, tel des courriels ou autres supports écrits, établissant qu'il a rendu compte régulièrement de son activité à la société Brugg Tubes sur les points envisagés par l'article 6 du contrat.
Dans son courrier du 6 février 2012, et au sujet des ces rapports d'activité, il déclare à la société Brugg Tubes qu'un agent commercial, professionnel indépendant, bénéficie de sa liberté d'organisation professionnelle et qu'à ce titre, il n'est pas tenu d'informer le mandant de tous ses projets, ni de tous ses actes. Il fait allusion ensuite au " nombre important de fois " où il a " téléphoné ou envoyé des mails " à la société Brugg Tubes.
Néanmoins, il ne produit aucun de ces mails, ce qui accrédite le grief invoqué par la société Brugg Tubes tiré du défaut de réception de rapports d'activité.
Compte tenu du caractère essentiel de l'obligation réciproque d'information dans un contrat d'agence commerciale, le fait que la société Brugg Tubes n'ait pas mis en garde Y, avant la rupture du contrat, sur le non-respect de cette obligation, ne l'empêche pas de s'en prévaloir pour justifier d'une faute grave.
En définitive, ces manquements contractuels ont porté atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun, spécialement le manquement à l'obligation d'information, dès lors que la société Brugg Tubes, en raison de l'exclusivité accordée à Y sur son secteur, ne pouvait obtenir d'informations sur celui-ci que par son intermédiaire. En raison de leur importance, ils rendaient impossible le maintien du lien contractuel.
Dans ces conditions, la cessation du contrat ayant été provoquée par la faute grave de Y, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il le déboute de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice d'un préavis de trois mois et de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code du commerce.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant, sur renvoi après cassation, contradictoirement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, et après en avoir délibéré conformément à la loi, Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 5 juillet 2017, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 4 mars 2014 ; Y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande de Y et le condamne à payer à la société Brugg Tubes la somme de 2 000 euros ; Le condamne aux dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.