CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 11 septembre 2019, n° 18-00184
BASTIA
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Groupe Royer (SA), Royer (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lorenzini
Conseillers :
Mme Deltour, M. Egron-Reverseau
Avocats :
Mes Casalta, Santelli-Pinna, Klein
FAITS ET PROCÉDURE :
X a conclu un contrat d'agent commercial mandataire le 17 mars 2003 avec la société Didry Chaussures (devenue la société Royer SAS depuis le 10 janvier 2011) ; la société Royer SAS a informé M. X de son intention de mettre un terme à leur relation contractuelle après préavis par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception en date du 11 décembre 2015 ; M. X ayant fait part de son désaccord quant au délai de préavis a réclamé à la société Royer SAS la somme de 41 590,50 euros au titre d'indemnité de rupture ; par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception en date du 8 janvier 2016, la société a reconnu son erreur et fixé la date de fin de contrat au 15 janvier 2016 mais a contesté le montant de l'indemnité de rupture, montant maintenu par M. X dans son courrier recommandé du 11 février 2016, en invoquant l'article 6 de son contrat, en proposant toutefois, à titre subsidiaire, une indemnité de 21 252,96 euros outre 5 000 euros pour préjudice moral, en fondant son calcul sur trois années de commissions ; en réponse, le 6 juin 2016, la société a versé la somme de 11 377 euros d'indemnité, fondée sur deux années de commission, somme encaissée par M. X.
Par acte d'huissier en date du 23 juin 2016, M. X a assigné la SA Groupe Royer devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio aux fins de la voir condamnée au paiement de la somme de 41 590,50 euros au titre de l'indemnité de rupture, 5 000 euros au titre de son préjudice moral et 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et, par acte d'huissier en date du 5 décembre 2016, il a appelé en la cause la société Royer SAS et sollicité la jonction des instances.
Par jugement en date du 19 février 2018, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a :
- déclaré réputée non écrite la mention relative à la compétence du président du tribunal de Saint Omer dans l'article 6 du contrat signé par M. X,
- constaté que la compétence du tribunal de grande instance d'Ajaccio ne fait l'objet d'aucune contestation et s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes des parties,
- mis hors de cause la société Groupe Royer,
- constaté que M. X n'a pas sollicité le recours à une expertise amiable prévue par le contrat,
- constaté qu'il a perçu une somme de 11 377 euros à titre d'indemnité de rupture de la société Royer SAS,
- débouté M. X de toutes ses demandes,
- condamné M. X à payer à la société Groupe Royer la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et celle de 1 500 euros à la société Royer SAS sur le même fondement.
M. X a régulièrement interjeté appel de cette décision le 7 mars 2018 en critiquant tous les chefs du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 19 octobre 2018, tenues pour intégralement reprises ici, M. X demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la société Groupe Royer, constaté que M. X n'a pas sollicité le recours à une expertise amiable prévue par le contrat, débouté M. X de toutes ses demandes et l'a condamné au paiement d'une indemnité de procédure aux deux sociétés,
Et statuant à nouveau,
Subsidiairement, avant dire droit,
- désigner tel expert qu'il plaira avec mission qu'il détaille aux fins de proposer une évaluation de l'indemnité de rupture devant lui être versée,
- dire et juger que la rupture des relations entre M. X et les sociétés Royer SAS et Groupe Royer est abusive et le fait exclusif de ces sociétés,
À titre principal,
- condamner in solidum les sociétés Groupe Royer et Royer SAS à verser à M. X la somme de 41 590,50 euros au titre de l'indemnité de rupture,
- subsidiairement, condamner in solidum ces sociétés à lui verser la somme de 21 252,96 euros au titre de l'indemnité de rupture,
- dire que l'indemnité de rupture portera intérêts de retard à compter du 18 décembre 2015, date de réception de la mise en demeure et ordonner la capitalisation des intérêts de retard en application des dispositions de l'article 1343-2 du Code civil,
Dans l'hypothèse où l'appréciation de cette argumentation ne pourrait être effectuée des seuls éléments versés aux présentes écritures,
- ordonner la désignation d'un expert avec la mission qu'il détaille aux fins de proposer une évaluation de l'indemnité de rupture devant lui être versée,
En tout état de cause,
- condamner in solidum les sociétés Groupe Royer et Royer SAS à lui verser les sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, et celle de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :
- le préalable d'expertise amiable n'est qu'une faculté offerte aux parties et la clause ne constitue pas une tentative de règlement amiable puisqu'elle est incomplète sur les modalités de mise en œuvre et erronée quant au tribunal compétent et limitée à l'expertise amiable ; les sociétés intimées n'ont jamais fait de propositions en ce sens,
- la condamnation in solidum s'impose puisque la société Groupe Royer, société mère, est responsable de sa filiale, compte tenu de l'apparence donnée d'action en étroite interdépendance sous une même unité de contrôle et de direction, la société Groupe Royer étant le seul actionnaire de la société Royer SAS, leurs sièges sociaux étant au même endroit et la société Royer SAS est englobée dans la société Groupe Royer dans ses courriers, laquelle est la seule décisionnaire,
- la rupture du contrat est fautive, le délai de préavis légal n'ayant pas été respecté et aucune explication sur la fin de la relation contractuelle ne lui a été communiquée,
- il justifie des calculs de l'indemnité de rupture à laquelle il prétend, car il a droit à l'indemnisation de l'intégralité de son préjudice ; subsidiairement, il y a lieu de désigner un expert,
- la demande en dommages et intérêts pour préjudice moral est justifiée par la brutalité de la rupture.
Par ses dernières conclusions déposées et notifiées le 16 octobre 2018, tenues pour intégralement reprises ici, la société Royer SAS sollicite de voir :
À titre principal
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions, de M. X,
À titre subsidiaire, si la cour devait faire droit à la demande d'expertise judiciaire,
- dire que l'expert devra faire application des dispositions d'ordre public de l'article L. 314-12 du Code de commerce et évaluer le préjudice de M. X résultant de la perte de revenus issus de l'exploitation de la clientèle et non de la perte de la clientèle elle-même,
- dire que les frais d'expertise seront intégralement supportés par M. X,
en tout état de cause,
- juger que M. X a déjà perçu de la société Royer SAS l'indemnité réparant le préjudice qu'il a subi du fait de la rupture de son contrat d'agent commercial,
- en conséquence, rejeter la demande principale de M. X en paiement d'une indemnité de résiliation d'un montant de 41 590 euros et celle subsidiaire en paiement de la somme de 21 252,96 euros au même titre,
- juger non fondée et donc rejeter la demande de M. X en réparation de son préjudice moral,
- confirmer la condamnation de M. X à payer à la société Royer SAS la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance,
Au surplus,
- le condamner au paiement de la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,
- rejeter l'ensemble des autres demandes, fins et conclusions de M. X.
Elle soutient en substance que :
- le contrat à durée indéterminée pouvait être rompu à tout moment sous la seule réserve de respecter un délai de préavis, sans nécessité d'une faute et sans avoir à motiver la décision,
- le contrat prévoyait un recours préalable à l'expertise, ce qui rend irrecevables les demandes de l'appelant devant la cour, faute d'avoir respecté ce préalable obligatoire, lequel est mis en œuvre à l'initiative de la partie contestant le montant de l'indemnité,
- la clause de l'article 6 du contrat est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce qui ne prévoit pas l'indemnisation de la perte de clientèle, l'indemnité offerte est celle prévue par l'usage et la jurisprudence,
- s'agissant de la demande pour préjudice moral, elle ne saurait prospérer aucune faute n'étant à reprocher à la société Royer SAS.
La société Groupe Royer, par ses dernières conclusions en date du 24 juillet 2018 demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement en date du 19 février 2018,
En conséquence,
- déclarer irrecevable l'action introduite à son encontre par M. X,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. X,
- confirmer sa condamnation à payer à la Groupe Royer la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance,
Au surplus,
- condamner M. X à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des frais engagés en appel en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens d'appel,
- rejeter l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Elle fait notamment valoir que :
- elle n'est pas partie au contrat d'agent commercial ayant lié la société Royer SAS à M. X, sa seule activité étant celle de société holding,
- si M. X invoque une immixtion de la société Groupe Royer dans sa relation contractuelle avec la société Royer SAS, c'est faussement afin de rattraper son erreur dans l'assignation.
C'est en cet état que l'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les dispositions du jugement ayant déclaré réputée non écrite la mention relative à la compétence du président du tribunal de Saint Omer, constaté que la compétence du tribunal de grande instance d'Ajaccio n'a fait l'objet d'aucune contestation et déclaré le tribunal de grande instance d'Ajaccio compétent pour statuer sur les demandes ne sont pas critiquées devant la cour et seront immédiatement confirmées.
Sur la recevabilité de l'action à l'encontre de la société Groupe Royer :
C'est par de justes motifs que le tribunal a mis hors de cause la société Groupe Royer ; il sera ajouté que M. X ne peut baser ses demandes sur la seule appartenance de la société qui l'employait à la société Groupe Royer ni sur le fait que celle-ci en détienne l'intégralité des parts sociales ; si l'appelant invoque l'immixtion de la société mère et la perte d'autonomie de la filiale, cela ne résulte d'aucune des pièces produites, étant notamment relevé que :
- l'extrait Kbis produit concerne la société Royer SAS, nom commercial Didry Chaussures, et non la société Groupe Royer dont le numéro d'immatriculation est différent,
- c'est bien la société Royer SAS qui a mis un terme au contrat, son siège administratif étant situé à Saint Omer, sans que les courriers cités par l'appelant puissent être considérés comme entretenant une confusion et une apparence trompeuse, le contrat ayant été signé par la société aux droits de laquelle la société Royer SAS est venue,
- le fait que les deux sociétés ont leur siège social à la même adresse n'est pas plus révélateur de même que le fait que le président de la société employeur soit la société mère, dès lors qu'il n'est pas soutenu que la rupture des relations contractuelles a été réalisée par la personne habilitée à le faire au sein de la société Royer SAS,
- il n'est pas allégué qu'au cours de l'exécution du contrat d'agent commercial, une quelconque confusion a pu être entretenue entre les deux sociétés ni que les contrats que M. X a conclu l'aient été pour le compte de la société Groupe Royer alors qu'il a adressé ses factures à la société Royer SAS et qu'il ne conteste pas que c'est cette société qui lui payait ses commissions,
- c'est M. X lui-même qui, dans son courrier en date du 11 février 2016 vise un litige " F...-Groupe Royer ", ce qui ne pouvait que conduire le conseil de cette société à lui accuser réception de son courrier et le fait que l'avocat soit le même pour les deux sociétés n'est pas plus révélateur d'une immixtion de la société mère dans la gestion de sa filiale.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société Groupe Royer.
Sur les demandes de M. X :
M. X soutient que la rupture du contrat est abusive et qu'il a droit à une indemnité de rupture de 41 000 euros ; il invoque la rupture sans motif et sans respect du délai de préavis de trois mois ; toutefois, s'agissant du non-respect du préavis de trois mois, contrairement à ce qu'affirme M. X, la société Royer SAS a reconnu son erreur et, dans la réalité des faits, c'est bien un délai de trois mois qui s'est appliqué et M. X ne justifie pas de ce que la société n'aurait pas accepté de commandes liées à son activité pour son compte entre le 31 décembre 2015 et le 15 janvier 2016 ; par ailleurs, il ne résulte pas des termes de l'article L. 134-11 du Code de commerce que la rupture du contrat d'agent commercial doive être motivée et M. X n'est donc pas fondé à qualifier de brutale la cessation de ses relations avec son mandant, les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce en sa rédaction applicable au litige ne s'appliquant pas à la relation entre l'agent commercial et son mandant.
S'agissant de l'indemnité de rupture, ainsi que l'a exactement relevé le tribunal, le contrat prévoit expressément en son article 6 le droit de M. X à une " indemnité de rupture correspondant à la valeur de sa carte de représentant appréciée d'après la part personnelle lui revenant dans l'apport, la création ou le développement de clientèle pour le compte de la société " et qu'à " défaut d'accord entre les parties, cette indemnité sera fixée à dire d'expert désigné amiablement par les parties ou, en cas de désaccord, nommé par le président du tribunal " ; cette clause n'est pas arguée de nullité par l'appelant. Au titre de cette indemnité, la société lui a versé la somme de 11 377 euros ; ainsi que le tribunal l'a encore exactement relevé, si M. X était en désaccord avec le montant de cette indemnité, il lui appartenait de provoquer une expertise, cette démarche étant contractuellement prévue comme un préalable à toute saisine du juge du fond, la rédaction de la clause étant dépourvue de toute ambiguïté quant à son caractère préalable et à ses modalités de mise en œuvre.
Surabondamment, il sera constaté que M. X n'était pas tenu d'exercer sa profession de façon exclusive et constante pour la société mandante et sa pièce 6 qui établit un provisionnel 2015, dénuée de mention permettant d'en identifier l'auteur, ne permet pas de vérifier si ce document ne concerne que la relation contractuelle entre les parties ; en outre, alors que le chiffre d'affaire figurant sur cette pièce est de l'ordre de 41 600 euros en moyenne sur deux années et que sa commission est de 30 % sur la marge brute après encaissement des sommes effectivement payées au mandant par les clients, M. X réclame à titre d'indemnité l'équivalent d'une année de chiffre d'affaire alors que la société, pour sa part, verse aux débats la moyenne annuelle des commissions perçues par M. X et justifie ainsi lui avoir versé une indemnité correspondant à deux années de commissions ; l'appelante ne produit pour sa part aucun élément contraire de nature à conduire à condamner la société à lui verser une indemnité supérieure ni à voir ordonner une expertise à titre subsidiaire et M. X sera débouté de sa demande subsidiaire en ce sens, étant ainsi ajouté au jugement.
M. X réclame enfin des dommages et intérêts pour préjudice moral en invoquant de nouveau la brutalité de la rupture des relations contractuelles après plus de douze années et de l'absence de faute de sa part en invoquant le retentissement de cette rupture sur son état de santé défaillant et sa situation financière en procédant par voie d'affirmation sans offre de preuve ; de plus, le caractère fautif de la rupture n'a pas été retenu.
Le jugement sera confirmé.
Sur les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :
L'équité commande de faire droit à la demande présentée par les sociétés Royer SAS et Groupe Royer au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel mais d'en réduire le montant à de plus justes proportions, le jugement étant confirmé au titre des frais irrépétibles alloués en première instance.
M. X, partie succombant, sera débouté de sa demande de ce chef et supportera les entiers dépens.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement en date du 19 février 2018 du tribunal de grande instance d'Ajaccio, Y ajoutant, Déboute X de sa demande d'expertise, Condamne M. X à payer aux sociétés Royer SAS et Groupe Royer, chacune, la somme de mille euros (1 000) au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Le Déboute de sa demande à ce titre, Le Condamne aux entiers dépens d'appel.