Livv
Décisions

CA Poitiers, 2e ch. civ., 10 septembre 2019, n° 17-00770

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Allsun (SARL)

Défendeur :

BNP Paribas Personal Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Sallaberry

Conseillers :

Mme Caillard, M. Waguette

Avocats :

Mes Simon-Wintrebert, Guevenoux

TI La Rochelle, du 9 janv. 2017

9 janvier 2017

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Dans le cadre d'un démarchage à domicile, M. X a acquis auprès de la SARL Allsun le 20 novembre 2013, d'une part, selon bon de commande n° 003223 un " kit photovoltaïque autoconsommation " composé de 4 modules et d'un onduleur au prix de 7 490 TTC, d'autre part, selon bon de commande n° 003225 un kit de fixation au prix de 3 510 TTC. Il a accepté le même jour une offre de contrat de crédit affecté émise par la SA Sygma banque pour un montant de 11 000 au taux débiteur fixe de 5,76 % pour une durée de 72 mois remboursable par échéances mensuelles de 185,69 hors assurance.

Faisant valoir qu'il était âgé de 78 ans lors de la signature des contrats litigieux, souffrait de pathologies multiples et n'avait pas été en mesure de donner un consentement éclairé, M. X, par actes d'huissier des 9 et 13 mai 2014, a fait assigner la SARL Allsun et la SA Sygma banque devant le tribunal de commerce de La Rochelle aux fins de dire que les deux contrats passés le 20 novembre 2013 avec la SARL Allsun et la SA Sygma banque relatif à un crédit affecté sont caractéristiques de pratiques commerciales trompeuses et déloyales, et en conséquence d'annuler les trois contrats, ordonner le retrait des panneaux photovoltaïques et lui allouer des dommages et intérêts au titre du préjudice moral du fait des perturbations psychiques subies.

Par jugement en date du 13 mars 2015, le tribunal de commerce de La Rochelle s'est déclaré incompétent au profit du tribunal d'instance de la même ville.

La société All sun et la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma banque, ont conclu au débouté des demandes et la banque a sollicité à titre subsidiaire le remboursement du capital financier à hauteur de 11 000 avec la garantie du vendeur.

Par jugement du 9 janvier 2017, le tribunal d'instance de La Rochelle a statué comme suit :

Prononce l'annulation des contrats de vente de l'installation photovoltaïque selon bons de commande n° 003223 et 003225 du 20 novembre 2013 conclus entre M. X et la SARL Allsun et du contrat de crédit affecté associé conclu le même jour avec la SA Sygma banque ;

Condamne la SARL Allsun à remettre les lieux en l'état en procédant à l'enlèvement des panneaux posés ;

Condamne M. X à rembourser à la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma banque, la somme de 11 000 assortie des intérêts au taux légal à compter de la remise des fonds, déduction faite des échéances réglées ;

Déboute M. X de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne la SARL Allsun à garantir M. X du montant des sommes qu'il a été condamné à verser à la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma banque

Condamne la SARL Allsun à verser à la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma banque, la somme de 2 396,32 à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la SARL Allsun à verser à M. X et à la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma banque, chacun la somme de 500 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

Déboute la SARL Allsun de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Condamne la SARL Allsun aux dépens.

La société Allsun a formé le 28 février 2017 appel total de la décision en intimant M. X et la société BNP Paribas Personal Finance. Elle demande à la cour dans ses dernières conclusions du 27 avril 2017 de :

Dire et juger que la preuve n'est pas apportée de ce que M. X serait un consommateur vulnérable, au sens de l'article L. 120-1 du Code de la Consommation en sa rédaction applicable à la date des faits.

Dire et juger que c'est tort que le tribunal a jugé irrecevable l'attestation de M. C au seul motif qu'il serait salarié de la partie pour laquelle l'attestation a été établie.

Dire et juger en tout état de cause que la preuve n'est apportée que la société Allsun se serait rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses à l'égard de M. X, au sens de l'article L. 121-1 2° b du même Code.

Réformer en conséquence le jugement prononcé par le tribunal d'instance de La Rochelle en date du 9 janvier 2017.

Statuant à nouveau,

Dire et juger M. X non fondé en ses demandes tendant à la nullité des contrats de vente.

Condamner M. X à verser à la société Allsun la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et entiers dépens de première instance et d'appel mais dire que conformément à l'article 699 du Code de procédure civile pour ceux d'appel, la condamnation aux dépens sera prononcée avec distraction au profit de Maître A, avec le droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans en avoir reçu provision.

La société BNP Paribas Personal Finance demande à la cour, par dernières conclusions du 22 juin 2017, au visa des articles L. 120-1, L. 121-1, et L. 312-56 du Code de la consommation, et 1240 du Code civil de :

A titre principal,

Infirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance de La Rochelle le 9 janvier 2017 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Juger n'y avoir lieu à nullité des contrats principaux conclus le 20 novembre 2013 entre M. X et la société Allsun,

Juger n'y avoir lieu à nullité du contrat de crédit conclu le 20 novembre 2013 entre la société Sygma banque, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas Personal Finance, et M. X et en conséquence,

Condamner M. X à rembourser les échéances du prêt du 20 novembre 2013 conformément aux stipulations contractuelles,

A titre subsidiaire, si la nullité du contrat de crédit était prononcée, confirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance de La Rochelle le 9 janvier 2017 en toutes ses dispositions,

En toutes hypothèses,

A titre principal, Condamner M. X à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 1 600 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, pour la première instance et l'appel, et les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Z, de la Selarl BRT, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, en cas de nullité des contrats, Condamner la SARL Allsun à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 1 600 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, pour la première instance et l'appel, et les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Z, de la Selarl BRT, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile.

M. X a fait signifier des conclusions le 21 septembre 2017.

Dans le cadre d'une procédure d'incident initiée par la société Allsun, le conseiller de la mise en état, par ordonnance du 5 février 2018, a déclaré irrecevables les conclusions du 21 septembre 2017 signifiées par M. X, et dit qu'il était désormais irrecevable à conclure dans l'instance d'appel.

M. X est décédé le 30 avril 2018 et son conseil a indiqué par courrier du 22 août 2018 que les héritières de M. X, A et B reprenaient la procédure.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 30 octobre 2019.

A l'audience du 27 novembre 2018, l'affaire a été renvoyée à la mise en état à la demande de la société Allsun.

Aucune des parties n'a déposé de nouvelles conclusions.

La clôture de la procédure est intervenue le 14 mai 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en nullité des contrats de vente conclus avec la SARL Allsun

Le premier juge a annulé les deux contrats conclus le 20 novembre 2013 avec la société Allsun sur le fondement des articles L. 120-1 et L. 121-2 2° b du Code de la consommation après avoir retenu l'existence d'une pratique commerciale trompeuse et la vulnérabilité de M. X.

Aux termes de l'article L. 120-1 du Code de la Consommation en sa rédaction applicable à la date des bons de commande :

" Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

II.- Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 et L. 121-1-1. et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 122-11 et L. 122-11-1 "

Il résulte de l'article L. 121-1 2° b du Code de la Consommation qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsqu'elle " repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur un ou plusieurs éléments " que sont notamment (2° b) " les caractéristiques essentielles du bien ou du service, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation ".

En application de ces dispositions, la pratique commerciale trompeuse, sur le fondement des articles L. 120-1 et L. 121-1 2° b du Code de la consommation précités, est donc la pratique qui réunit deux conditions et qui :

- repose sur des informations fausses ou de nature à induire en erreur sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, ses propriétés et les résultats attendus,

- et altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur, celui-ci étant apprécié au regard de la capacité moyenne de discernement, lorsqu'il présente une vulnérabilité particulière.

S'agissant de la seconde condition susvisée, la société SARL Allsun fait valoir qu'il ne peut être déduit des pièces médicales produites par M. X que l'intéressé présentait une altération de ses facultés mentales au point d'être mis en rang des consommateurs dits vulnérables au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation. Elle se prévaut de l'attestation de son représentant M. C qui indique n'avoir décelé de la part du client aucun signe de faiblesse psychologique et physique lors de la visite, ainsi que du fait que l'intéressé a ensuite signé la fiche de fin de chantier.

C'est toutefois par des motifs pertinents en fait et en droit que le premier juge s'est fondé non seulement sur l'âge de M. X (77 ans le 20 novembre 2013) mais aussi sur un certificat médical daté du 10 décembre 2013, moins d'un mois après les faits, qui décrit " des troubles majeurs de la motricité laissant à penser qu'il existe une pathologie neurologique ", générant " un état anxieux majeur à l'origine de troubles du comportement et de la mémoire pouvant le conduire à des comportements inappropriés " et en a déduit qu'il convenait de ranger M. X dans la catégorie des consommateurs vulnérables au sens de l'article susvisé (Pièce 9 produite par l'appelante).

Au regard de ces éléments médicaux précis, l'attestation de M. C n'apparaît aucunement probante, alors que ce dernier est salarié de la société Allsun, partie défenderesse puis appelante. Le premier juge l'a déclarée irrecevable sans reprendre cette irrecevabilité dans le dispositif de son jugement et il suffit à la cour de déclarer cette attestation non probante et inopérante, d'autant qu'elle n'est corroborée par aucun autre élément, contrairement à ce qu'indique l'appelante, le fait que M. X ait signé la fiche de fin de chantier n'étant en rien significatif de ce que le contrat aurait été signé en connaissance de cause, au regard de l'état de santé de M. X précédemment décrit. De même le fait qu'il n'ait pas été sous mesure de protection n'est pas opérant, s'agissant d'une mesure judiciaire qui n'est pas systématique en cas de vulnérabilité.

La société Allsun et la société BNP Paribas Personal Finance reprochent aussi et principalement au premier juge de s'être uniquement fondé sur la vulnérabilité de M. X sans caractériser l'allégation ou la présentation fausse des caractéristiques essentielles des biens acquis par ce dernier.

La cour rappelle que les dispositions susvisées évoquent non seulement les informations " fausses " mais aussi celles qui sont " de nature à induire en erreur ".

En l'espèce, il est expressément mentionné sur le bon de commande n° 3223 portant sur les modules photovoltaïque " rendement en autoconsommation ". Le tribunal en a déduit que le bien vendu devait générer une autoconsommation et non seulement des économies et la société venderesse et la banque font valoir que le premier juge s'est trompé et a confondu la notion d'autoconsommation qui signifie que l'installation n'étant pas destinée à revendre de l'électricité à EDF, et la notion d'auto-suffisance.

Or, si le premier juge a pu se tromper sur la distinction entre ces deux notions, ainsi qu'il est allégué, la cour ne peut que constater que M. X, consommateur vulnérable du fait de son anxiété et de son âge, et de surcroît, démarché à son domicile par un professionnel de la vente, était, encore moins qu'un magistrat, en mesure de faire la différence entre les deux notions, et que le terme " autoconsommation " était bien de nature à l'induire en erreur quant aux résultats attendus de l'utilisation du bien, et à lui faire croire qu'un tel bien lui permettrait de faire des économies, voire même de ne plus payer de factures d'électricité.

Plus largement, il ressort de la facture d'électricité de M. X du 16 mai 2013 que M. X a consommé, du 16 novembre 2012 au 12 mai 2013, c'est à dire sur la partie de l'année la plus coûteuse en électricité, 2558 kwh soit au total une facture de 581,67. Or le coût du crédit était de 2.228,28 par an (185,69) soit près de quatre fois plus important et M. X âgé de 77 ans s'engageait en outre pour une durée de six ans.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que l'opération était économiquement déséquilibrée, que le coût de l'investissement était manifestement disproportionné par rapport aux économies d'énergie réalisées et à la durée d'amortissement de l'emprunt eu égard à l'âge de l'acquéreur et que seule la pratique du vendeur, dans le cadre d'un démarchage à domicile, avait pu inciter M. X, consommateur vulnérable à contracter sans pouvoir manifester un consentement éclairé sur les caractéristiques du bien ou les résultats attendus de son utilisation.

Les conditions posées par les articles L. 120-1 et L. 121-1 2° b sont donc réunies et le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité des contrats de vente, a condamné la SARL Allsun à remettre les lieux en l'état antérieur et en a déduit l'annulation du contrat de crédit affecté conclu avec la société Sygma banque, en application de l'article L. 311-32 ancien (devenu L. 312-55) du Code de la consommation.

Le jugement doit aussi être confirmé en toutes ses autres dispositions qui ne sont d'ailleurs pas contestées, notamment en ce qu'il a condamné M. X (aux droits duquel viennent désormais A et B en qualité d'héritières) à restituer le capital emprunté à la banque, et la société Allsun à garantir M. X de ce remboursement en application de l'article L. 311-33 (devenu L. 312-56) du Code de la consommation et à régler à la banque la somme de 2 396,32 à tire de dommages et intérêts.

La société Allsun succombant en son appel, les entiers dépens d'appel seront mis à sa charge, outre le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la société BNP Paribas Personal Finance qui en fait la demande expresse, et elle sera déboutée de la totalité de ses demandes. L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, - Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile - Rejette le surplus des demandes ; - Condamne la société Allsun aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.