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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 12 septembre 2019, n° 19-00568

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Solocal (SA)

Défendeur :

Planète Service (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chevalier

Juges :

Mmes Dellelis, Bodart Hermant

Avocats :

Mes Hardouin, Belain, Teboul Astruc

T. com. Paris, prés., du 27 déc. 2018

27 décembre 2018

Exposé du litige

La société Solocal appartient au groupe Solocal et était anciennement dénommée " Pages Jaunes ". Elle propose des annuaires de professionnels en ligne, notamment le site pagesjaunes.fr qui permet de rechercher des entreprises par secteurs et région, département ou commune. Elle a également des partenariats avec les moteurs de recherches.

La SARL Planète Service, créée en juillet 2008, est une entreprise de dépannage à domicile en électricité, plomberie, serrurerie, rénovation et isolation. Elle estime que 80 % de sa clientèle la contacte via le site PagesJaunes.fr.

La société Planète Service est référencée sur le site internet et l'application mobile " PagesJaunes.fr " depuis 2008 mais y fait également de la publicité et achète à cette fin des " bons de commande " à la société Pages Jaunes.

La société Planète Service a déclaré 64 établissements secondaires répartis essentiellement en Ile-de-France.

La SA Solocal a entendu lutter contre les pratiques de parution d'établissements secondaires de façade, ces pratiques ayant pour objet de permettre d'apparaître dans les premiers résultats de recherches locales alors qu'aucun établissement pouvant accueillir une clientèle n'est présent dans la commune du client potentiel.

La Solocal a changé ses conditions d'utilisation et a posé des critères plus stricts pour la définition des établissements secondaires susceptibles de bénéficier d'une parution.

Le 22 octobre 2018, la société Solocal ex-Pages Jaunes a notifié à Planète Service qu'à compter du 1er décembre 2018, seules les boutiques ou le siège social seraient référencés.

Le 26 octobre 2018, Planète Service a répondu en considérant que cela équivalait à une rupture brutale de leurs relations commerciales, faute d'un préavis raisonnable.

Le 22 novembre 2018, la SARL Planète Service a obtenu l'autorisation du président du tribunal de commerce de Paris d'assigner en référé d'heure à heure.

Par acte du 26 novembre 2018, la SARL Planète Service a fait assigner la SA Solocal " Pages Jaunes " devant le président du tribunal de commerce de Paris lequel, par ordonnance de référé contradictoire rendue le 27 décembre 2018, a :

- ordonné à la SA Pages Jaunes de maintenir les relations commerciales avec la SARL Planète Service aux conditions antérieures, et ce pendant une durée de six mois à compter du délai de huit jours suivant la signification de la présente décision à la SA Pages Jaunes ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné en outre la SA Pages Jaunes aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA.

Par déclaration en date du 7 janvier 2019, la SA Solocal " Pages Jaunes " a relevé appel de cette ordonnance, critiquant tous les chefs de dispositif.

Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 21 mai 2019, la SA Solocal " Pages Jaunes " demande à la cour, sur le fondement des articles 6, 9, 31, 872 et 873 du Code de procédure civile, des articles 1103 et 1104 du Code civil, de l'article L. 442-6 du Code de commerce et de l'article L. 120-1 du Code de la consommation, de :

- infirmer l'ordonnance rendue le 27 décembre 2018 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- constater l'absence de toute rupture partielle et brutale de relations commerciales établies ;

- constater l'absence de tout dommage imminent comme d'un trouble manifestement illicite ;

En conséquence, dire n'y avoir lieu à référé et renvoyer la société Planète Service à mieux se pourvoir ;

- subsidiairement, dire et juger que la société Planète Service a commis des manquements particulièrement graves à son obligation de bonne foi et de loyauté, tels qu'ils empêchent la poursuite de la relation pendant le temps du préavis fixé par le juge des référés du tribunal de commerce ;

- en tout état de cause, débouter la société Planète Service de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- la condamner par ailleurs au paiement de la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens.

La SA Solocal fait valoir en substance les éléments suivants :

- le dépannage à domicile fait l'objet d'importantes fraudes, qui donnent lieu à des poursuites régulières ;

- la pratique d'optimiser sa position dans les résultats de recherche en créant de faux établissements est une pratique courante ;

- des résultats non fiables sont non seulement susceptibles de nuire à la réputation de l'annuaire de Pages Jaunes mais aussi d'engager sa responsabilité pénale pour publicité mensongère ;

- depuis 2008, et donc le début de la relation commerciale avec Planète Service, les conditions générales mentionnent l'obligation que l'adresse d'un établissement doit " correspondre à un établissement effectif ", avec " enseigne et à partir duquel peuvent s'établir des relations juridiques avec ses clients " ;

- Solocal Pages Jaunes réalise fréquemment des contrôles à ce sujet ;

- la société Planètes Service a fait l'objet de nombreux contrôles et Solocal a supprimé plusieurs adresses déclarées par la première car elles ne correspondaient pas à une activité économique locale ;

- en 2017 les règles de parution ont évolué, exigeant une boutique ouverte sur la rue et portant une enseigne ;

- ces nouvelles exigences ont été appliquées à toute nouvelle adresse en Ile de France à partir du 31 janvier 2017 ;

- elles ont été étendues à toutes les adresses dans la France entière le 1er décembre ;

- début septembre 2017, le commercial de Solocal a expliqué ses nouvelles exigences à l'intimé, insistant sur la nécessité d'avoir pignon sur rue ;

- suite à cette réunion, une commande a été signée le 11 septembre 2017, deux autres suivront en 2018 ;

- c'est à ce moment la société Planète Service s'est vue notifier le changement de ligne éditoriale ;

- la Solocal a fait dresser 47 procès-verbaux de constat afin de vérifier la réalité de l'implantation locale de l'intimé et a estimé que plus de trente adresses ne correspondaient pas à une implantation locale ;

- la Solocal a donc notifié à l'intimé que les contrats n'étaient pas respectés et a supprimé 40 référencements des établissements contrevenant aux conditions générales ;

- cependant après avoir obtenu l'ordonnance querellée, Planètes Services n'a demandé le rétablissement que de 10 adresses, avouant tacitement la réalité des constats pour les 30 autres ;

- en droit il n'y a d'abord pas eu de rupture ;

- en effet, aucune condition contractuelle portant sur une obligation essentielle n'a été unilatéralement modifiée ;

- la seule modification a été de demander que les établissements secondaires soient des boutiques et non des " bureaux " comme l'indique l'intimé ;

- de plus les règles de parution ont été complétées en janvier 2017 avant la signature des trois contrats toujours en vigueur ;

- l'appelant s'est contenté d'étendre l'application à tous les magasins ;

- les règles de parution des adresses publiées sur son site peuvent être unilatéralement modifiées par Solocal en tant que directeur de publication ;

- l'intimé ne respectant pas les règles anciennes du contrat, elle ne peut se plaindre de leur modification ;

- cette modification n'est donc pas une rupture, Planètes Services n'en respectant pas les stipulations ;

- en effet, les 47 constats d'huissier ont prouvé l'absence manifeste d'activité économique locale dans 44 établissements ;

- aucun signe de présence de Planète Service n'a été trouvé à l'extérieur ou l'intérieur des adresses de 34 établissements ;

- 10 autres établissements étaient de simples domiciliations postales ;

- il n'y a ensuite aucune relation commerciale établie, l'ensemble des contrats étant à durée déterminée sans clause de reconduction ;

- la rupture n'est pas brutale ;

- la société Planète Service a été informée de la modification plus de 14 mois avant sa mise en œuvre ;

- par ailleurs il n'y a pas de dommage imminent ;

- l'intimé peut acheter d'autres formules ou produits de Solocal qui ne sont pas soumis aux mêmes restrictions ;

- l'intimé n'est donc pas en situation de dépendance économique ;

- les 10 salariés ne sont pas en danger en raison de la suppression d'établissements secondaires sur PagesJaunes.fr, établissements qu'ils n'étaient de toute évidence pas en mesure d'exploiter ;

- l'intimé ne rapport pas la preuve de baux en cours pour des locaux exploités et donc d'un dommage ;

- les loyers sont trop faibles pour correspondre à un établissement en région parisienne ;

- les comptes contredisent le modèle commercial affiché, en effet le montant des salaires payés en 2017 n'est pas compatible avec 10 salariés payés au SMIC à temps plein ;

- il n'y a en l'espèce aucun trouble manifestement illicite ;

- en effet, la plupart des adresses ne correspondent pas à une activité réelle ;

- il est tout à fait licite pour Solocal de veiller à la réalité des informations affichées par l'annuaire ;

- c'est le maintien de publicités potentiellement trompeuses qui est illicite, pas leur retrait ;

- le rétablissement des adresses se heurte à la loi des parties, puisque les adresses ne sont toujours pas des lieux d'une activité économique locale ;

- Planète Service a commis des fautes graves et tout préavis dont elle aurait bénéficié doit être considéré comme rompu ;

La société Planète Service, par conclusions transmises par voie électronique le 22 mai 2019, demande à la cour, sur le fondement de l'article 873 du Code civil, de :

- rejeter la pièce n° 57 communiquée tardivement par la société Pages Jaunes au mépris du principe du contradictoire et des droits de la défense ;

- recevant la société Planète Service en ses demandes, fins et conclusions ;

- rejetant toutes conclusions contraires et déboutant la société Pages Jaunes de son appel,

- recevant l'appel incident, le dire fondé.

- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 27 décembre 2018 par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu'elle a :

- ordonné à la société Pages Jaunes de maintenir les relations commerciales aux conditions antérieures, et ce pendant une durée de 6 mois à compter du délai de 8 jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir à la société Pages Jaunes ;

- l'infirmer en ce qu'elle a :

- refusé d'accorder l'astreinte sollicitée ;

Statuant à nouveau :

- constater que la société Pages Jaunes n'a pas exécuté l'ordonnance de référé en ne maintenant pas les établissements référencés aux conditions antérieures ;

- ordonner à la société Pages Jaunes de maintenir les relations commerciales aux conditions antérieures, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, et ce pendant une durée de 6 mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société Pages Jaunes au paiement de la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens, dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de Maître X, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Planète Service expose en résumé ce qui suit :

- la pièce n° 57, soit l'avis de l'expert-comptable, est tardive et sera rejetée ;

- le préavis donné par Pages Jaunes est de 1 mois ce qui est insuffisant pour des relations durant depuis plus de 10 ans et grâce auxquelles l'intimé réalise plus de 80 % de son chiffre d'affaires ;

- l'intimé ne peut pas assumer les coûts de fermetures des établissements et des baux commerciaux souscrits ;

- il y a donc urgence ;

- la condition modifiée est substantielle :

- le critère de la boutique n'a été introduit que le 22 octobre 2018, rien n'indiquait avant cette date qu'il fallait avoir une enseigne ;

- l'appelante s'est contredite plusieurs fois sur le contenu des critères et leur caractère obligatoire dans des courriels et des courriers ;

- notamment sur l'obligation d'avoir souscrit des baux commerciaux ;

- la liberté de la presse ne l'autorise pas à modifier unilatéralement un contrat, n'étant pas un journal ou écrit périodique ;

- les constats ont été réalisé le soir, comme le prouvent les photographies et ne sont pas probants ;

- les relations commerciales sont établies ;

- il n'y a pas d'identité entre relation commerciale et contrat ;

- le fait que les contrats soient à durée déterminée est inopérant tant qu'il existe des contrats sur toute la période de dix ans ;

- il n'est pas contesté que Planète Service achète des annonces sur pagesjaunes.fr sans discontinuer depuis 2008 ;

- la société Solocal donne systématiquement à la société Planète Service un délai de 8 jours pour mettre en conformité ses adresses ;

- sur le dommage imminent,

- 80 % du chiffre d'affaire de Planètes services vient du référencement Pages Jaunes ;

- les autres produits sont moins efficaces ;

- l'expert-comptable a une obligation de sincérité et ce qu'il dit des conséquences économiques pour Planète Service engendrées par la nouvelle politique de Solocal est exact ;

- les installations correspondent à des bureaux avec signalétique dans lesquels Planète Service pouvait recevoir des clients sur rendez-vous ;

- elles sont donc parfaitement réelles et en faire publicité ne serait pas trompeur ;

- les constats d'huissier de l'appelante sont contredits par les procès-verbaux des huissiers mandatés par l'intimé ;

- la société Solocal n'applique pas les conditions qu'elle impose à Planète Service à d'autres sociétés.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE LA COUR :

Il convient, à la demande de la société Planète Service, d'écarter la pièce n° 57 communiquée par la société Solocal Pages jaunes à la veille de l'ordonnance de clôture, la communication de cette pièce intitulée " observation du cabinet d'expertise-comptable Jepams " ayant été faite trop tardivement pour que la société intimée puisse en prendre connaissance utilement.

En application de l'article 873 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.

Le trouble manifestement illicite résulte, quant à lui, de toute perturbation procédant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, la méconnaissance d'un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.

En vertu de l'article L 442-6 I du Code de commerce dans sa version applicable au litige " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 5. De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ".

Selon le IV de ce même article, le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou tout autre mesure provisoire.

Au regard de ce texte, la brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie, si elle est avérée, est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite ou de nature à causer un dommage imminent qu'il appartient au juge de référé d'apprécier.

Pour déterminer si une relation commerciale peut ou non être qualifiée d'établie, la jurisprudence prend en compte plusieurs critères tels que la durée des relations entre les partenaires, la continuité de celles-ci ou encore l'importance et l'évolution du chiffre d'affaires réalisé ; l'ensemble de ces critères constituent des indices quant à l'existence et la qualité de la relation commerciale.

Cependant, le critère de la durée reste prépondérant. A cet égard, une relation peut aussi bien s'établir par un contrat unique de longue durée que par plusieurs contrats échelonnés sur une longue période. Une succession de contrats ponctuels peut être suffisante pour conclure à l'existence d'une relation commerciale établie et en soi le simple fait que les différents plans de parution successifs convenus entre les parties au présent litige ne comportent pas une clause de tacite reconduction n'est pas un obstacle à la reconnaissance de l'existence de relations commerciales établies.

A supposer toutefois que la cour retienne l'existence de relations commerciales établies depuis une dizaine d'années entre les parties et tienne pour avérées les allégations de Planète Service selon lesquelles 80 % de son chiffre d'affaires dépend de ses parutions sur le site Pages Jaunes, la cour est amenée à faire les observations qui suivent.

A la date à laquelle les difficultés sont survenues entre les parties, un plan de parution signé en septembre 2017 et pour une durée de 15 mois était en cours, devant normalement s'achever fin décembre 2018.

Il résulte des éléments de la cause que, suivant courriel en date du 22 octobre 2018, Solocal Pages Jaunes a informé ses clients de l'évolution des règles de parution au titre de mesures intitulées Plan Marshall, et de ce qu'à compter du mois de décembre 2018 seules avaient vocation à paraître dans l'annuaire l'adresse du siège social de l'entreprise ou de l'une de ses boutiques, ces dispositions concernant les sociétés intervenant dans le secteur du dépannage.

En limitant la parution dans l'annuaire des établissements secondaires correspondant à des boutiques, il apparaît que Solocal Pages Jaunes a entendu limiter les parutions aux établissements secondaires ayant pignon sur rue et accessibles comme tels au public, afin de supprimer les difficultés liées à la notion de bureaux lesquels se prêtent plus facilement aux installations fictives.

La société Planète Service répondait à ce courriel par la voix de son conseil, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 octobre 2018, en ces termes :

" Pour bénéficier du référencement sur l'ensemble de ses établissements, ma cliente selon les instructions de votre société, conclut des baux 3-6-9. Elle compte aujourd'hui 64 établissements sur Paris et en banlieue parisienne et emploie une dizaine de salariés. Or, par un simple mail en date du 22 octobre 2018, vous avez cru devoir lui notifier de ce que, au regard de son activité, seul son siège social ou ses boutiques seront référencés à compter du 1er décembre 2018.

En dépit des baux commerciaux et de la masse salariale qui y est attachée, votre société décide désormais de ne plus référencer les bureaux "

Elle conclut dans cette lettre que cette modification des conditions contractuelles en cours de contrat, référencement des seules boutiques et non plus des bureaux, constitue une modification substantielle de la relation contractuelle susceptible d'être qualifiée de rupture brutale partielle des relations contractuelles au sens des dispositions de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce.

La société Solocal répliquait par lettre en date du 12 novembre 2018, que " s'agissant de ses règles éditoriales Pages Jaunes avait été sollicitée à plusieurs reprises par ses utilisateurs concernant la réalité économique des adresses de certains professionnels du dépannage à domicile (...) et qu'aussi, bien que ces professionnels aient engagé leur responsabilité, quant à la réalité de leur activité économique, il a été mis en évidence que de très nombreuses adresses correspondant à des bureaux étaient des adresses factices créées pour l'occasion en vue d'assurer une présence accrue dans nos supports en réponse aux requêtes des utilisateurs de notre media ".

La société Planète Service a, au vu de cette réponse, saisi le juge des référés afin d'obtenir un maintien des relations contractuelles au titre d'un préavis en raison d'une rupture brutale des relations contractuelles et en se prévalant des conséquences économiques de la décision de Pages jaunes pour ses 64 établissements.

Dans une lettre en date du 2 décembre 2018, Solocal Pages Jaunes écrivait ensuite à Planète Service qu'elle avait procédé à un contrôle poussé de l'ensemble des adresses publiées pour cette société et qu'il en résultait que certaines adresses étaient manifestement fictives et ne correspondaient en réalité à aucune implantation, ces adresses étant au nombre de 39 et détaillées dans la lettre. Elle annonçait en conséquence la suppression de ces 39 adresses du plan de parution. Sur les 16 restantes, elle indiquait que ces adresses étaient douteuses et en tout cas non conformes aux prescriptions édictées à compter du 1er décembre 2018 mais ne procédait pas d'emblée à leur retrait du plan de publication.

Il apparaît qu'en réalité le débat tel qu'il est présenté par Planète Service à savoir la question de l'application de conditions nouvelles au titre du seul référencement des seules boutiques et du siège social ou de l'application des conditions anciennes qui permettaient le référencement des bureaux, tend à occulter la débat réel existant entre la société Solocal et Planète Service, à savoir la question de la réalité de l'activité économique exercée par Planète Service dans ses établissements secondaires.

Indépendamment de la question de savoir si et à quel moment Solocal pouvait imposer sa politique de référencement des seules boutiques et si la société Planète Service avait été informée en temps utile des modifications, ce que Solocal prétend avoir fait dès septembre 2017 en produisant une attestation en ce sens de l'un de ses salariés, M. Y, la question est de savoir si la société Planète Service a effectivement une activité réelle en ses lieux.

En effet, la réalité de l'activité économique réelle exercée dans les établissements secondaires a toujours été une condition essentielle des contrats souscrits, ce dont la société Planète Service ne disconvient pas, puisqu'elle énonçait dans son assignation en référé (page 4) que, depuis l'origine, les conditions générales de vente de la société Pages Jaunes imposaient que " chaque adresse citée dans le présent plan de parution corresponde à un établissement distinct exploitant une activité économique locale et permettant d'accueillir du public grâce à la présence d'au moins un représentant de l'entreprise ou sur rendez-vous ".

Il est assez curieux de voir la société Planète Service énoncer constamment qu'elle s'est soumise aux instructions de Solocal Pages Jaunes en souscrivant des baux commerciaux pour se soumettre aux exigences de cette dernière alors qu'en soi un bail commercial doit avoir pour objet de permettre l'exercice d'une activité économique réelle et non de satisfaire simplement en la forme aux exigences de l'annonceur, étant précisé que la réalité de l'activité économique exercée à l'adresse de l'établissement est une exigence ancienne formulée par Pages Jaunes.

Le chiffre des établissements annoncé par Planète Service est fluctuant. Si la lettre du 26 octobre 2018 évoque 64 établissements, l'assignation en référé n'en évoque plus que 55, les conclusions d'appelante de Planète Service évoquant à nouveau le chiffre de 64 établissements, une telle distorsion apparaissant étonnante, laissant penser que la société Planète Service n'est pas certaine des contours exacts de l'activité économique qu'elle indique exercer.

Par ailleurs, le chiffre de 10 salariés pour une société qui prétend exploiter 64 établissements ou 55 apparaît absolument sous-dimensionné pour assurer le fonctionnement de ces établissements. Même en tenant compte d'un recours à la sous-traitance dont le volume en termes de charges n'est pas sensiblement supérieur à celui de la masse salariale au vu des éléments comptables produits, le personnel susceptible d'intervenir apparaît en deçà des besoins de la structure supposée exploiter plusieurs dizaines d'établissements.

Enfin, en exécution de l'ordonnance du 21 décembre 2018 qui enjoignait à la société Solocal de reprendre ses relations contractuelles aux conditions anciennes pour les établissements dont la parution avait été supprimée le 3 décembre 2018 (soit 39 ainsi qu'il a été dit plus haut), la société Planète Service n'a demandé le rétablissement des adresses qu'en ce qui concerne 10 établissements sis à Bagnolet, Drancy, Levallois Perret, Colombes, Neuilly-sur-Seine, Saint Maur des Fossés, Orly et Paris (lettre du 28 décembre 2018 ) soit environ 1/4 des établissements concernés par la suppression de parution du 3 décembre 2018, ce qui remet en cause la façon dont elle avait présenté antérieurement la réalité de son activité pour les 29 autres.

La société Solocal Pages jaunes a produit par ailleurs aux débats quatre constats d'huissiers établis les 27 et 28 novembre et 29 novembre 2018 qui ont motivé la suspension des publications.

A titre d'exemple, il résulte du constat établi par Z, clerc d'huissier de justice à Paris habilitée aux constats qu'il a pu être opéré les constatations suivantes :

- <adresse> Paris : si le nom de Planète Service figurait sur un panneau situé à l'entrée de l'immeuble, il ne figurait pas sur les interphones et l'employée d'une société Elysées Services Arboresens rencontrée dans les locaux lui a indiqué que la société Planète Service était simplement domiciliée <adresse> ;

- <adresse> Paris : il s'agit d'un immeuble de parking. Le nom de Planète Service ne figurait ni en enseigne ni en devanture. Une salariée de la société exploitant les locaux a indiqué qu'aucune société n'existait à cette adresse, seul un parking étant géré par la société STF.

- <adresse> Paris : le nom de Planète Service ne figurait ni en enseigne ni en devanture et ne figurait pas davantage sur la boîte aux lettres. Le gardien de l'immeuble a indiqué que la société Planète Service n'existait plus à cette adresse depuis plus d'une année ;

- <adresse> Paris : le nom de Planète Service figurait sur le tableau extérieur des sociétés domiciliées ainsi que sur les boîtes aux lettres situées à l'intérieur du centre mais ne figurait pas sur le tableau des sociétés disposant d'un espace bureaux ;

- <adresse> : le nom de Planète Service ne figurait ni en enseigne ni en devanture ; il n'y avait aucune enseigne ou signalétique extérieure au nom de Planète Service. Les deux portes d'accès étaient sécurisées et il n'était pas possible de pénétrer dans l'immeuble ;

- <adresse> Paris : le nom de Planète Service ne figurait pas en enseigne ou en devanture. Il ne figurait pas davantage sur les boîtes aux lettres. Le gardien de l'immeuble a indiqué que la société Planète Service n'existait plus à cette adresse depuis environ 6 mois ;

- <adresse> Fontenay-sous-Bois ; le nom de Planète Service ne figurait ni en enseigne ni en devanture non plus que sur une boîte aux lettres et personne n'a pu renseigner l'huissier sur la société Planète Service ;

- <adresse> Vincennes : le nom de Planète Service ne figurait ni en vitrine ni sur une boîte aux lettres ni sur l'interphone ;

- <adresse> Saint Mandé : le nom de Planète Service ne figurait ni en enseigne, ni en devanture ni sur une boîte aux lettres ;

- <adresse> Charenton-le-Pont : deux locaux commerciaux sont présents à cette adresse, dont un institut de beauté et un autre commerce. Il a été constaté l'absence d'enseigne et de boîte aux lettres concernant la société Planète Service ;

- <adresse> Maisons Alfort : le nom de Planète Service ne figurait ni en enseigne ni en devanture, ni sur une boîte aux lettres ni sur la liste des occupants ;

- <adresse> Alforville : le nom de Planète Service figurait seulement sur la boîte aux lettres n° 38 ;

- <adresse> Vitry-sur-Seine : à cette adresse se situe un centre de domiciliation Sofradom. Une employée a déclaré à l'huissier que la société Planète Service n'était plus domiciliée <adresse> ;

- <adresse> Ivry-Sur-Seine : le nom de Planète Service ne figurait ni en enseigne ni sur la devanture, ni sur la boîte aux lettres ni sur le tableau des occupants ;

- <adresse> : aucune mention du nom de Planète Service, il s'agit d'un immeuble à usage d'habitation ;

- <adresse> Orly : il y a à cette adresse simplement une Eglise et une école publique, sans mention du nom de Planète Service ;

- <adresse> Créteil : il s'agit simplement d'un centre de domiciliation ;

- <adresse> Saint Maur des Fossés : aucune mention du nom Planète Service ne figurant en enseigne ou en devanture, ou sur la boîte aux lettres sur le tableau des occupants ;

- <adresse> : idem ;

- <adresse> Noisy-le-Grand : il a été relevé à cette adresse la présence de deux locaux commerciaux à l'enseigne Le grand café et Takos King, sans aucune mention du nom de Planète Service.

Les autres constats produits aux débats comportent sensiblement des éléments similaires.

Ils sont précis et établis par des personnes assermentées.

La société Planète Service a certes demandé elle-même des constatations par huissier entre le 6 décembre et 10 décembre 2018, faisant apparaître qu'à la différence de ce qui apparaissait dans les constats produits par Pages Jaunes, sa présence se signalait comme suit notamment aux adresses suivantes :

- à l'<adresse>, une plaque était posée sur la grille extérieure et le nom de Planète Service était collé à une boîte aux lettres ;

- <adresse> : une plaque apparaissait sur un bureau qui serait mis à disposition ;

- <adresse> : une pancarte Planète Service était placée sur la devanture de la boutique ;

- <adresse> : une plaque au nom de Planète Service apparaissait entre la 3e et la 4e plaque individuelle sur le panneau et un autocollant Planète Service apparaissait sur l'interphone ;

- <adresse> : le nom de Planète Service apparaissait sur une boîte aux lettres et le tableau des occupants ;

- <adresse> : une affichette apparaissait sur la façade juste sous le numéro 54 et le nom de Planète Service apparaissait sur une boîte aux lettres :

- <adresse> : une carte au nom de Planète Service apparaissait sur une boîte aux lettres.

Les éléments de ce constat ne concernent qu'une partie des adresses pour lesquelles la société Solocal ex-Pages jaunes a remis en cause le fait qu'elles correspondaient à des sites d'exploitation effectifs. Les éléments de nature à caractériser la présence de Planète Service aux différentes adresses ayant donné lieu à constat sont des éléments de signalétique légère facilement implantables qui ne remettent pas en cause les constatations opérées par Solocal.

Au final, les éléments de la cause font apparaître qu'en réalité la cessation des parutions pour une quarantaine d'adresses désignées comme correspondant à des établissements secondaires n'est intervenue qu'en fonction de manquements reprochés à la société Planète Service au titre même des conditions anciennes de la relation contractuelle.

La société Solocal Pages Jaunes entendait à ce titre vouloir se prémunir de tout reproche quant à une complicité dans une présentation mensongère de l'activité économique de sa cliente. Elle avait d'ailleurs précédemment en 2017 et 2018 d'ores et déjà procédé à la radiation de certains établissements supposés de Planète Service au motif que les adresses en cause ne correspondaient pas à une activité économique réelle. Elle avait ainsi notamment, dans le cadre du plan de parution de 2016, remis en cause la réalité de 12 adresses et décidé de leur suppression du plan de parution sans que cela d'ailleurs n'entraîne à l'époque de réaction procédurale particulière de la part de Planète Service.

Force est de constater enfin que les pièces produites par Solocal au soutien de ses griefs sont particulièrement convaincantes.

Cet état de fait remet en cause la notion de trouble manifestement illicite invoqué par la société Planète Service

La demande était certes également formée sur l'angle du dommage imminent lié aux conséquences économiques de la décision de Solocal Pages Jaunes, baux commerciaux devenus inutiles, impact très fort sur le chiffre d'affaires de la société.

Les incertitudes toutefois concernant les contours de l'activité économique de la société Solocal sont de nature à remettre en cause la consistance même du dommage imminent dont se prévaut la société Planète Service.

Par ailleurs, 11 seulement des adresses sont justifiées par des baux commerciaux ; les autres correspondent à des baux dérogatoires ou précaires, ou des contrats de pure domiciliation. Une grande partie de ces baux dérogatoires sont devenus d'ailleurs à leur terme.

Enfin, la société Solocal Pages Jaunes fait valoir qu'elle est en mesure de proposer et qu'elle a proposé à Planète Service des solutions alternatives pour permettre une visibilité accrue de sa cliente sur internet sans que cette dernière ait la nécessité de recourir à la multiplication d'adresses dépourvues de réalité dans des conditions contraires aux stipulations contractuelles.

Elle indique qu'elle était en mesure notamment d'offrir les solutions suivantes :

- un " pack présence ", offrant en une seule application le moyen de diffuser une page web sur 9 à 21 sites au choix, dont www.pagesjaunes.fr, mais aussi Google et Facebook, de l'actualiser et interagir avec ses clients,

- des produits digitaux displays diffusés sur le site pagesjaunes.fr, par exemple sous forme de bannières cliquables, offrant une visibilité accrue,

- un produit " booster site ", améliorant le référencement de son site internet et garantissant un nombre convenu de clics,

- un produit " booster contact ", améliorant son référencement sur Google et sa présentation par un mini site,

- des produits de marketing direct, offrant des campagnes de SMS, d'emails, et même par la voie postale.

Il sera relevé qu'à trois reprises en novembre 2018, puis le 9 et le 31 janvier 2019, la société Solocal a proposé à la société Planète Service de rencontrer sa conseillère commerciale afin de revoir son plan de parution et de choisir de nouveaux produits.

Il était possible enfin à Planète Service de s'adresser à des annonceurs concurrents.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de conclure que le dommage imminent n'est pas davantage caractérisé.

Il convient en conséquence, par infirmation de la décision entreprise, de dire n'y avoir lieu à référé sur les prétentions de Planète Service tenant au maintien des relations contractuelles et de dire, ajoutant à la décision entreprise, n'y avoir lieu à référé sur les nouvelles demandes présentées par la société Planète Service en cause d'appel tendant à l'octroi d'un nouveau délai de maintien desdites relations contractuelles.

La société Planète Service supportera nécessairement les dépens de première instance et d'appel.

Elle sera par ailleurs condamnée à payer à la société Solocal ex-Pages Jaunes une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel, indemnité dont le montant est repris au présent dispositif.

Par ces motifs : Ecarte des débats la pièce n° 57 communiquée par la société Solocal ex-Pages Jaunes le 21 mai 2019 ; Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Dit n'y a voir lieu à référé sur la demande de maintien forcé de ses relations contractuelles avec Solocal ex-Pages Jaunes pendant un temps de préavis présentée par la société Planète Service ; Ajoutant à la décision entreprise, Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'octroi d'un nouveau délai de maintien des relations contractuelles présentée par la SARL Planète Service en cause d'appel ; Condamne la SARL Planète Service aux dépens de première instance et d'appel ; La condamne à payer à la partie appelante une indemnité de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel.