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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 5 septembre 2019, n° 16-07304

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Carabita (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Potee

Conseillers :

M. Desalbres, Mme Delaquys

TGI Bordeaux, du 29 nov. 2016

29 novembre 2016

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Le 5 janvier 2011, monsieur Cesar N. a acquis auprès de la SARL Carabita un véhicule d'occasion de type camping-car de marque Laïka Kreos 3009 pour un montant de 56 260 €.

Sa livraison est intervenue au mois de février 2011.

Insatisfait de l'engin et en opposition avec le vendeur professionnel, M. N. a sollicité du juge des référés la désignation d'un expert judiciaire.

L'ordonnance du 5 novembre 2012 a fait droit à sa demande et nommé monsieur R.. Ce dernier a été remplacé le 14 novembre 2012 par M. T.. Les opérations expertales ont été par la suite étendues à la société Laïka Caravans Spa, fabricant du modèle incriminé.

L'expert a déposé son rapport le 24 novembre 2014.

Suivant acte d'huissier du 4 juin 2015, M. N. a assigné la SARL Carabita devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins d'obtenir le versement de diverses sommes à titre indemnitaire en raison de la non-conformité du véhicule vendu.

Par jugement en date du 29 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- dit que la SARL Carabita est tenue des conséquences de la non-conformité du véhicule ;

- condamné la SARL Carabita au versement à M. N. des sommes de :

- 18 000 € au titre du coût excédentaire de la vente ;

- 1 515,84 € au titre du coût excédentaire de financement ;

- 501,21 € au titre du remplacement des deux batteries en raison de l'ancienneté du véhicule et son immobilisation précédant la vente ;

- 745,30 € liée à la dépréciation du véhicule pendant son immobilisation ;

- 533,87 € liée aux frais de déplacement sans résultat avec justificatifs hors expertise ;

- débouté la SARL Carabita de sa demande reconventionnelle portant sur les frais de carte grise ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné la SARL Carabita au versement à M. N. d'une somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens comprenant de droit les frais d'expertise judiciaire et relatifs à l'ordonnance de référé du 5 novembre 2012 laissés à la charge de Monsieur N..

- mis à la charge de la SARL Carabita l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement prévus à l'article L. 11-8 du code de procédure civile, en application des dispositions de l'article R. 631-4 du code de la consommation.

La SARL Carabita a relevé appel total de cette décision le 14 décembre 2016.

Dans ses dernières conclusions en date du 29 avril 2019, l'appelante, au visa des articles 15, 16, 132 du code de procédure civile, 1108, 1134, 1315 et 1604 du code civil et du décret n° 2000-576 du 28 juin 2000, demande à la cour de :

- prononcer la nullité du jugement déféré ;

- dire que la cour d'appel ne peut se prononcer que dans les mêmes limites ;

- dire que M. N. ne rapporte pas la preuve d'une non-conformité du camping-car ;

- constater que M. N. ne rapporte pas la preuve de défauts graves rendant le camping-car impropre à sa destination au sens des dispositions de l'article 1641 du code civil ;

- réformer la décision entreprise qui a considéré qu'elle était tenue des conséquences de la non-conformité du véhicule ;

- dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation en paiement ;

- débouter M. N. de l'ensemble de ses prétentions à caractère pécuniaire ;

- condamner M. N. à lui régler le coût de la première carte grise représentant la somme de 366,50 € ;

- dire que M. N. conservera les frais qu'il a été amené à exposer en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, comprenant les frais d'expertise judiciaire, les dépens de référé et les frais exposés devant la juridiction de première instance ;

- condamner M. N. à lui verser la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Del C. en vertu de l'article 699 du même code.

Suivant ses dernières écritures signifiées par RPVA le 17 mai 2019, M. N. réclame la confirmation intégrale du jugement attaqué. Il sollicite la condamnation de l'appelant au versement d'une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2019.

MOTIVATION

Sur le rabat de l'ordonnance de clôture

La SARL Carabita a communiqué des pièces le jour du prononcé de l'ordonnance de clôture et sollicite la fixation de la clôture des débats au jour de l'audience.

M. N. ne conteste pas la recevabilité des documents produits par son adversaire. Dès lors, il n'y a pas lieu d'ordonner une révocation de l'ordonnance de clôture.

Sur la demande de nullité du jugement attaqué

SARL Carabita estime que le tribunal de grande instance a violé le principe du contradictoire en fondant sa décision à de nombreuses reprises sur le rapport d'expertise de M. T. alors que ce document n'a pas été communiqué par les parties durant la procédure de première instance.

En réponse, M. N. estime que cette pièce constitue un élément de preuve et ajoute que les opérations expertales ont été réalisées au contradictoire de l'appelant.

L'obligation faite au juge de ne fonder sa décision que sur des pièces dont les parties ont été à même de débattre contradictoirement est générale comme l'a rappelé l'arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation en date du 25 novembre 2003.

Il n'est pas contesté que le rapport d'expertise judiciaire ne figure pas sur les bordereaux de communication de pièces établis par chacune des parties.

Il convient de rappeler qu'il n'appartient pas à une juridiction d'homologuer ou non un rapport d'expertise judiciaire de sorte que les écritures de l'appelant sur ce point ne sauraient être prises en considération.

Conformément à la loi, M. T. a transmis un exemplaire de son rapport à chacune des parties de sorte que SARL Carabita en a nécessairement eu connaissance.

La lecture de ce document permet de constater que le vendeur professionnel a adressé diverses pièces qui ont été prises en compte. L'expert a également répondu à plusieurs dires qui lui ont été adressés (p 26 à 28).

En outre, comme l'indique très justement M. N., les travaux de l'expert sont régulièrement visés par la SARL Carabita dans ses conclusions notifiées en première instance à la partie adverse, notamment celles du 21 juin 2016. Des éléments tirés du rapport de M. T. figurent également dans les écritures de M. N..

En conséquence, les conclusions concordantes des parties établissent sans équivoque leur volonté de s'approprier le contenu du rapport de l'expert judiciaire et d'en débattre contradictoirement (arrêt de la deuxième chambre civile de la cour de cassation du 1er juin 2011). Ainsi, les éléments qu'il contient peuvent donc être pris en considération afin de contribuer à la solution du présent litige. Il sera simplement rappelé que ce document ne constitue qu'un élément de preuve et que ses conclusions ne lient pas le juge dans la prise de décision.

Sur la non-conformité du camping-car

Les considérations de l'appelant relatives à l'exclusion de la mise en jeu de la garantie des vices cachés seront écartées dans la mesure où M. N. ne revendique pas l'application des dispositions prévues par l'article 1641 du code civil.

Aux termes de l'article 1604 du code civil, tout vendeur d'une chose est tenu d'une obligation de délivrance conforme.

La SARL Carabita et M. N. s'accordent pour indiquer que l'engin a été construit au cours de l'année 2006 par la société Laïka sur un châssis de marque Fiat.

La disparition à compter de l'an 2000 de la référence au millésime au profit de celle de la date de première mise en circulation n'est également pas contestée. En conséquence, il ne peut être reproché aux documents afférents à la vente, qu'il s'agisse du bon de commande, de livraison ou de la facture, de ne pas mentionner l'année de fabrication.

Il s'avère que le véhicule a été immobilisé entre la date de sa réception par la SARL Carabita, soit le 1er décembre 2006, et celle de sa vente à M. N..

L'appelante soutient que son client a été informé de la réelle ancienneté du camping-car lors de la conclusion de la vente. Elle ne rapporte cependant pas la preuve de cette affirmation.

En effet, l'annonce publiée à la demande de la SARL Carabita, qui a amené M. N. à se rapprocher du vendeur, ne comporte aucune indication en ce sens. Il est simplement fait référence à un modèle de collection 2008, information qui s'avère inexacte au regard des conclusions de l'expert judiciaire.

L'affichette apposée sur le camping-car ne comporte également aucun élément attestant l'ancienneté réelle de l'engin.

Certes, le bon de commande mentionne clairement que l'achat concerne un véhicule d'occasion. Cependant, cette précision n'est pas suffisante pour démontrer que M. N. a été informé lors de la conclusion de la vente que ce modèle avait été construit près de quatre années auparavant. En effet, l'indication sur ce document selon laquelle l'engin avait parcouru 143 kms à la date de la vente pouvait très bien légitimer l'insertion de cette mention.

De plus, au regard du lien de subordination existant entre le salarié rédacteur et son employeur, l'attestation rédigée par M. B.-H. précisant que l'acquéreur a été clairement informé de cette situation lors des pourparlers ne peut être prise en considération.

Il sera également ajouté que la rubrique " année de collection " renseignée sur le bon de livraison fait apparaître la date du 16 décembre 2010 qui correspond en réalité à celle de la première mise en circulation. Certes, ce document a été établi après la date de conclusion de la vente mais n'a pu que conforter M. N. dans son ignorance de la réelle situation du véhicule qui peut se voir attribuer, selon l'expert judiciaire, la référence à l'année de collection 2007. Aucune information ne figure également sur la facture éditée par le vendeur puisque la rubrique dédiée n'est pas renseignée.

De surcroît, M. T. observe que le prix de vente ne correspond pas à celui d'un véhicule construit en 2006 et de collection 2007 même si la différence ainsi relevée apparaît moins significative que celle retenue dans son rapport au regard des documents versés aux débats par l'appelante.

Enfin, aucun élément extérieur ne permettait à M. N. de se rendre compte de l'ancienneté du véhicule compte-tenu du caractère mineur des désordres observés lors de la prise de possession de l'engin par l'acquéreur.

Ainsi, au regard des documents contractuels, il n'apparaît pas que le vendeur a commis un manquement à son obligation de livrer un véhicule conforme dans la mesure où les mentions figurant sur les bons de commande, de livraison ainsi que sur la facture sont en adéquation avec les caractéristiques du modèle cédé à M. N.. En conséquence, aucune résolution de la vente ne sera ordonnée.

La longue période d'immobilisation du camping-car a provoqué la détérioration de certains équipement intérieurs et extérieurs et affecté le système d'alimentation en énergie, notamment les batteries. Elle a également contribué à la diminution de sa valeur.

En conséquence, ayant dissimulé à son acquéreur la réelle ancienneté de l'engin et la très longue durée de son immobilisation, la SARL Carabita, en sa qualité de professionnel, a manqué à son devoir de conseil. Eu-égard à l'importance des éléments dissimulés à l'acquéreur, ce dernier justifie d'une perte de chance de négocier l'engin à un prix inférieur à celui réellement acquitté au vendeur.

Afin d'apprécier le montant du préjudice ainsi subi, il y lieu de prendre notamment en considération :

- l'importance de la durée de l'immobilisation et son influence sur la dégradation de l'état de l'engin relevée par l'expert judiciaire ;

- le montant de la perte de la valeur vénale du véhicule estimée tant par M. T. que par l'appelante au regard des nombreuses pièces qu'elle verse aux débats.

Compte-tenu de ces éléments, il convient de condamner la SARL Carabita à verser à son client une somme de 10 000 €.

En l'absence de lien de causalité avec la perte de la chance et en raison du maintien des effets de la vente, les autres demandes indemnitaires présentées par l'acquéreur seront rejetées à l'exception des frais de déplacement qui seront pris en considération au titre des frais irrépétibles.

Sur la demande reconventionnelle de la SARL Carabita

C'est par des motifs pertinents et adoptés par la cour que le premier juge a rejeté la demande présentée par la SARL Carabita tendant à obtenir le remboursement du coût de l'établissement d'un second certificat d'immatriculation du camping-car cédé à M. N.. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Outre la somme accordée à M. N. en première instance, il y a lieu de condamner la SARL Carabita à lui verser la somme complémentaire de 2 000 euros.

Par ces motifs Rejette la demande de rabat de l'ordonnance de clôture présentée par la SARL Carabita ; Rejette la demande présentée par la SARL Carabita tendant à obtenir le prononcé de la nullité du jugement rendu le 29 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Bordeaux ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : rejeté la demande reconventionnelle présentée par la SARL Carabita tendant à obtenir le paiement d'une somme de 366,50 € au titre du coût du premier certificat d'immatriculation du camping-car ; condamné la SARL Carabita à verser à monsieur Cesar N. une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau dans cette limite ; Condamne la SARL Carabita à verser à monsieur Cesar N. une somme de 10 000 euros (dix mille euros) au titre de l'indemnisation d'une perte d'une chance de négocier à un prix inférieur le prix du camping-car ; Rejette les autres demandes indemnitaires présentées par monsieur Cesar N. ; Y ajoutant ; Condamne la SARL Carabita à verser à monsieur Cesar N. une somme de 2 000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la SARL Carabita au paiement des dépens.