CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 10 septembre 2019, n° 18-05143
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Enedis (SA)
Défendeur :
Moulard et Fils (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Palau
Conseillers :
Mmes Lelièvre, Lauer
Avocats :
Mes Bellichahch, Beaumont, Oulad Bensaid
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement rendu le 11 avril 2014 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :
- condamné la société Electricité réseau distribution France, venant aux droits de la Société Electricité de France, à payer à la société Aviva Assurances la somme de 141 713 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- débouté Mme Z de toutes ses demandes,
- débouté la société Aviva Assurances et la société Electricité réseau distribution France, venant aux droits de la Société Electricité de France, de toutes leurs demandes à l'égard de la société Moulard et Fils,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Electricité réseau distribution France, venant aux droits de la Société Electricité de France, à payer à la société Aviva Assurances la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Aviva Assurances à payer à la société Moulard et Fils la somme de 4 000 euros au même titre
- débouté la société Aviva Assurances, la société Moulard et Fils et la société ERDF du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Electricité réseau distribution France, venant aux droits de la Société Electricité de France, aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, qui pourront être recouvrés suivant les modalités prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu l'appel de ce jugement interjeté par la société ERDF ;
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 26 mai 2016 qui a :
- déclaré irrecevable la demande en garantie formée par la société ERDF à l'encontre de la société Moulard et Fils sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil ;
- confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant débouté Mme Z de sa demande au titre de la somme de 907 euros ;
- statuant à nouveau de ce chef : condamné la société ERDF à payer à Mme Z la somme de 907 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement du 11 avril 2014 ;
Y ajoutant,
- dit que les intérêts des sommes allouées produiront eux-mêmes intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
- condamné la société ERDF aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- condamné la société ERDF à payer à la société Aviva et Mme Cizeron la somme de 2 000 euros et à la société Moulard et Fils la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'arrêt du 24 novembre 2016 par lequel la cour d'appel, statuant sur la requête en omission de statuer présentée par la société Enedis le 24 juin 2016, a débouté celle-ci de toutes ses demandes ;
Vu le pourvoi formé par la société Enedis contre les deux arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles les 26 mai et 24 novembre 2016 ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 2018 qui a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en garantie formée par la société ERDF à l'encontre de la société Moulard et Fils sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, l'arrêt rendu le 26 mai 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles, et remis en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles autrement composée,
- condamné la société Moulard et Fils aux dépens,
- vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejeté la demande ;
Vu la déclaration de saisine de cette cour par la société Enedis du 18 juillet 2018 ;
Vu l'avis de fixation de l'affaire du 6 septembre 2018 conformément aux dispositions de l'article 1037-1 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 26 février 2019 par lesquelles la société Enedis demande à la cour de :
Vu les articles 1147, 1382 et 1386-1 et suivants du Code civil, dans leur rédaction applicable en la cause,
Vu l'objet de la cassation intervenue,
Vu l'article 632 du Code de procédure civile,
- infirmer le jugement rendu le 11 avril 2014 par le tribunal de grande instance de Nanterre,
Et Statuant à nouveau,
- dire et juger que la société Enedis n'est pas le responsable unique et final des dommages causés par l'incendie ;
En conséquence,
- déclarer l'appel en garantie de la société Enedis régulier, recevable et bien fondé,
- condamner la Société Moulard et Fils à relever et garantir indemne la Société Enedis de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre par l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 26 mai 2016,
A défaut,
- prononcer, au vu des condamnations prononcées par l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 26 mai 2016, un partage de responsabilité entre la société Enedis et la société Moulard et Fils, en laissant la plus large part à la charge de la Société Moulard et Fils,
En tout état de cause,
- rejeter l'ensemble des demandes et moyens formulés par la société Moulard et Fils,
- condamner la société Moulard et Fils à verser à la société Enedis la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens et autoriser Maître Beaumont à les recouvrer conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 5 février 2019 par lesquelles la société Moulard et Fils demande à la cour de :
Vu les articles 122 du Code de procédure civile, 21 de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998,
...
Vu la cassation partielle et ses limites,
- confirmer le jugement dont appel,
- dire et juger irrecevable la demande de la société Enedis dirigée contre la société Moulard et fils, l'en débouter,
Subsidiairement,
- dire et juger mal fondée la demande de Enedis dirigée contre la société Moulard et Fils l'en débouter,
Y ajoutant condamner la société Enedis à payer à la société Moulard & Fils la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamner aux dépens ;
FAITS ET PROCÉDURE
Mme Z est propriétaire d'une maison d'habitation sise à Saint Héand (Loire). Le 26 février 2010, un incendie a endommagé cette maison qui était assurée auprès de la société Aviva Assurances.
Le 26 février 2010, vers 10 h 30, le père de Mme Z a entendu des bruits anormaux dans la cuisine, au niveau de la V. M.C. et a constaté une intensité d'éclairage anormale. Il a appelé l'électricien du village, M. Moulard, qui a constaté le phénomène de surtension du réseau de distribution électrique et diagnostiqué une rupture du conducteur neutre à l'origine de cette surtension. M. Moulard a appelé ERDF vers 11h30 pour leur signaler le dysfonctionnement et a disjoncté l'installation électrique, avant de partir.
Un peu avant 12 h, les bruits s'accentuant, M. Z a constaté que le bloc de la ventilation mécanique situé à l'étage des combles était en train de brûler et a appelé les pompiers. Les dégâts causés à la maison ont été très importants.
Se fondant sur un rapport d'expertise judiciaire établi le 5 juillet 2011 par M. X, désigné par ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Saint Etienne en date du 29 juillet 2010, Mme Z et son assureur ont fait assigner la société ERDF et la société Moulard et Fils par acte du 29 décembre 2011, afin de les voir déclarer responsables des dommages causés par l'incendie sur le fondement de l'article 1147 du Code civil.
La société ERDF a sollicité la garantie totale de la société Moulard et Fils et a conclu subsidiairement à un partage de responsabilité entre elles.
Par jugement du 11 avril 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a condamné la société ERDF à payer à la société Aviva Assurances la somme de 141 713 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, débouté Mme Z de toutes ses demandes et débouté la société Aviva Assurances et la société ERDF de toutes leurs demandes à l'égard de la société Moulard et Fils.
La cour d'appel de Versailles a pour l'essentiel, déclaré irrecevable la demande en garantie formée par ERDF à l'encontre de la société Moulard et Fils sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, confirmé le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions à l'exception de celle ayant débouté Mme Z de sa demande au titre de la somme de 907 euros et statuant à nouveau de ce chef, condamné la société ERDF à payer à Mme Z la somme de 907 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement du 11 avril 2014 et fait droit à la demande d'anatocisme concernant les intérêts dus sur les sommes allouées.
MOYENS DES PARTIES
Au soutien de son recours, la société Enedis fait valoir que l'échauffement du bloc VMC, à l'origine de l'incendie, a eu pour cause exclusive la non-conformité de ce bloc faute pour ce dernier d'avoir résisté au phénomène de surtension sans dégénérer en incendie.
Elle prétend que les investigations de l'expert ont été incomplètes et pour partie fondées sur une donnée factuelle totalement inexacte, l'année de l'installation du bloc VMC litigieux par la Société Moulard et Fils étant 2000 et non 1988 comme retenu à tort par M. Y
Elle entend démontrer l'absence de lien de causalité entre la surtension alléguée et l'incendie et fait valoir que le tribunal de grande instance de Nanterre s'est fondé sur la seule existence du phénomène de surtension pour retenir le principe de sa responsabilité exclusive alors que le phénomène de surtension est une contrainte prévisible de tout réseau électrique, parfaitement connu des installateurs et des fabricants de matériels électriques depuis l'arrêté du 26 mai 1978 et le commentaire de son article 45, l'édition 1982 de la norme NFC15-100 destinée à assurer la sécurité des personnes et des matériels.
Elle fait également état de la directive 73/23 CE dite " basse tension " qui précise expressément que les installations et appareils électriques doivent résister au phénomène de surtension afin d'écarter toute mise en tension des personnes et des biens et encore de l'article 19 de la norme NF EN 60335-1 qui précise que les appareils doivent être construits de façon que les risques d'incendie dus à un fonctionnement anormal ou négligent soient évités autant que possible.
Elle affirme que toute survenance d'incendie révèle le dysfonctionnement de l'appareil ou de l'installation électrique qui n'a pas résisté au phénomène de surtension, en violation des normes applicables depuis 1973 et fait valoir que conformément au principe général de sécurité de tout produit, énoncé par les articles L. 222-1 du Code de la consommation et 1386-4 du Code civil, il incombe aux concepteurs, fabricants et installateurs des appareils électriques de les protéger contre le phénomène de surtensions accidentelles.
Elle cite plusieurs arrêts de cours d'appel ayant écarté la responsabilité d'EDF dans le cas d'incendies dus à des appareils non correctement protégés contre des risques de surtension.
Elle reproche à l'expert certaines carences et notamment de n'avoir effectué aucune investigation afin de se procurer un bloc VMC comportant les mêmes caractéristiques techniques que celui qui a été détruit et d'examiner son comportement en situation de surtension, bien qu'elle lui ait demandé de vérifier la conformité dudit bloc dans son dire.
Elle réfute ses réponses sur ce point en soulignant la méconnaissance du phénomène de surtension par l'expert et des normes applicables ainsi que son défaut d'analyse de ses propres constatations.
Elle conteste le caractère pertinent et probant des recherches de l'expert sur internet et souligne son erreur manifeste sur la date d'installation du bloc moteur VMC, qui est de l'année 2000 et non de 1988, ce qui n'est selon elle, pas contesté par la société Moulard et Fils. Elle soutient qu'en considération de cette erreur, l'expert a à tort conclu que les normes qu'elle citait n'étaient pas applicables à l'installation.
Elle en déduit que les conclusions de l'expert sur la cause de l'incendie sont manifestement erronées.
Elle fait valoir que le bloc moteur de la VMC ayant été changé au cours de l'année 2000 par la société Moulard et Fils, il incombait à cette dernière, en application des dispositions du décret n° 72-1120 du 14 décembre 1972, d'accompagner cette modification de la mise aux normes du bloc VMC et de son circuit d'alimentation.
Elle relève que la société Moulard et Fils n'a jamais fourni la notice technique d'installation et d'utilisation du bloc VMC litigieux, se limitant à indiquer que l'appareil VMC était un ventilateur simple flux Aeroplast. Elle prétend que ce ventilateur n'est pas au marquage CE et ne répond pas aux exigences de la directive 73/23 CE et de son décret de transposition n° 95-1081 du 3 octobre 1995
Elle observe notamment que le produit installé ne tolérait que 250 volts alors qu'il aurait dû être conçu pour supporter une contrainte temporaire de 400 volts selon la norme NFC 15-100 et que la question de la durée du phénomène de surtension est inopérante.
Elle ajoute que le bloc VMC était constitué d'une enveloppe plastique de sorte qu'il aurait dû faire l'objet d'un avis ou d'un procès-verbal d'homologation, comme le prévoit l'arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation et que le fusible de 10 A était insuffisant à assurer une protection minimale.
Elle conclut que le bloc VMC était dangereux comme le démontre le fait que son échauffement ait dégénéré en incendie lorsque le phénomène de surtension est survenu et en déduit que l'incendie a pour cause exclusive la défaillance de ce produit et sa non-conformité aux normes applicables.
Elle précise en outre n'avoir commis aucune faute en détruisant le tableau électrique et en ne réagissant pas à la demande d'intervention de la société Moulard et Fils.
A titre subsidiaire, la société Enedis demande, si la cour devait confirmer l'existence d'un lien de causalité entre le phénomène de surtension et l'incendie, de considérer que la défaillance du bloc VMC choisi et installé par la société Moulard et Fils a contribué à la réalisation du dommage et que celle-ci doit répondre des conséquences dommageables de l'incendie, conformément aux dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil , en l'absence du fabricant identifié et fait observer que l'article 1386-7 du Code civil ne lui est pas opposable.
A titre subsidiaire, la société Enedis demande de voir retenir la responsabilité de la société Moulard et Fils, sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, en invoquant sa faute ayant consisté à ne pas veiller à la conformité du bloc VMC et de son alimentation et en choisissant un matériel ne répondant pas aux exigences minimales de sécurité édictées par la directive Basse tension depuis 1973
Elle soutient également que le comportement de la société Moulard a concouru à la propagation de l'incendie ; que l'expert a stigmatisé ce comportement en retenant que M. Moulard, appelé sur les lieux par M. Z n'était pas allé vérifier le fonctionnement de la VMC ce qui l'a privé de la possibilité de découvrir le foyer d'incendie naissant et en a déduit que la société Moulard devait supporter une part de responsabilité pouvant aller jusqu'à 20 %.
Elle prétend que la répartition proposée par l'expert ne reflète pas la réalité de la situation, que la société Moulard a commis une faute manifeste qui est à l'origine de la propagation du sinistre et que, dans le cas d'un partage de responsabilité, il conviendra de laisser la plus grande part de celle-ci à la société Moulard et Fils, de l'ordre de 90 %.
Elle fait valoir in fine qu'aucune prescription ne peut lui être opposée, la prescription d'une action en responsabilité ne courant qu'à compter de la réalisation du dommage soit en l'espèce en 2010 lors de la survenance de l'incendie litigieux et rappelant qu'elle a formé sa demande en garantie à l'encontre de la société Moulard et Fils dès la première instance par des conclusions en date du 29 juin 2012
La société Moulard et Fils fait liminairement valoir que certains points sont définitivement jugés, tels que la condamnation d'ERDF à payer diverses sommes à la société AVIVA et à Mme Z et le débouté de la société Aviva et de Mme Z de leurs demandes formées à son encontre sur le fondement de sa responsabilité pour faute.
Elle prétend donc que les développements de la société Enedis tirés de sa propre absence de faute sont inopérants en ce qu'ils se heurtent à l'autorité de chose jugée.
Elle rappelle que pour confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Aviva assurances et Mme Z de leurs demandes dirigées contre elle, la cour a écarté toute faute ou négligence de sa part entre le moment du départ de M. Moulard et le constat du début de l'incendie par M. A
Elle observe que l'arrêt de cette cour a fait l'objet d'une cassation partielle au visa de l'article 16 du Code de procédure civile, sans porter sur l'appréciation au fond de la prescription soulevée et que par conséquent, la question de la recevabilité du recours de la société Enedis à son encontre n'a pas été tranchée.
Elle prétend que la réclamation de la société Enedis ne peut être appréciée que sur le seul fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, compte tenu de la cassation partielle intervenue et non sur celui des articles 1147 et 1382 du Code civil.
Elle indique ne pas contester que la société ERDF, aux droits de laquelle se trouve la société Enedis, avait déposé des conclusions le 29 juin 2012 contenant un recours à son encontre sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil.
Au fond, elle invoque l'irrecevabilité de la demande de la société Enedis sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil en observant que l'application du régime spécifique du fait des produits défectueux, résulte de la transposition en droit interne par la loi du 19 mai 1998, des directives européennes en la matière, et que les dispositions de cette loi sont applicables aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d'entrée en vigueur de celle-ci et que donc la recevabilité du recours d'Enedis est subordonnée à l'administration préalable de la preuve de la mise en service de ce " ventilateur aeroplast simple flux " postérieurement au 19 mai 1998 ; que la démonstration n'est pas même tentée par Enedis ; qu'elle est donc irrecevable à se prévaloir de ce dispositif légal, y compris malgré ses conclusions signifiées le 29 juin 2012
Subsidiairement, la société Moulard se prévaut de l'extinction de l'obligation pesant sur le producteur 10 ans après la mise en circulation du produit en cause, ce sur le fondement de l'article 1386-16 ancien du Code civil ; qu'elle fait valoir qu'il résulte du rapport d'expertise que la pose de la VMC litigieuse, remonte à " dix ans environ " , de sorte que sa mise en circulation remonte en conséquence au minimum à l'année 2000, et que la demande de la société Enedis formulée pour la première fois le 29 juin 2012 ne peut aboutir compte tenu de l'expiration du délai de 10 ans prévu par la loi, était incontestablement expiré à cette date.
Elle prétend que si l'article 1386-16 ancien prévoit que le délai d'épreuve de 10 ans n'exclut pas la possibilité de rechercher la responsabilité du même producteur sur le terrain de la faute prouvée, la cour n'est saisie de la recevabilité du recours de la société Enedis que sur le seul fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil et que dès lors, toute tentative d'orienter le recours sur le terrain de l'ancien article 1382 du Code civil, voire de l'ancien article 1346 du même Code est irrecevable et mal fondée, en tant que se heurtant à l'autorité de la chose jugée.
La société Moulard invoque un autre moyen d'irrecevabilité tiré de la qualité de la société Moulard et Fils. Elle expose que la responsabilité de celle-ci est recherchée pour avoir livré et installé un ventilateur " simple flux AEROPLAST ", ce qui était connu dès la première réunion d'expertise judiciaire qui s'est tenue le 20 septembre 2010 ; que l'identification du producteur de cet appareil de VMC était donc parfaitement possible, spécialement de la part d'Enedis ; qu'il résulte en effet des pièces 12 et 13 de cette que le " ventilateur simple flux Aeroplast " a pour fabricant la société Unelvent dont le siège social est à ... ; qu'en application des dispositions de l'ancien article 1386-7 du Code civil, la responsabilité du vendeur'ou de tout autre fournisseur du produit défectueux n'est engagée que " si le producteur ne peut être identifié " ; que la société Enedis qui ne démontre pas cette circonstance devra être déclarée irrecevable en son recours dirigé contre elle.
Plus subsidiairement, la société Moulard invoque l'autorité de chose jugée en ce que la décision mettant en cause la responsabilité de la société Enedis est devenue définitive.
Elle soutient que la question de l'absence prétendue de lien de causalité entre la surtension et l'incendie et celle de l'absence de faute prétendue de la société Enedis ont été définitivement tranchées au désavantage de la société Enedis.
A titre infiniment subsidiaire, la société Moulard soutient que la preuve de la non-conformité du bloc VMC aux normes en vigueur n'est pas rapportée ; que l'expert n'a pas retenu une telle non-conformité et que les développements techniques de la société Enedis à ce sujet sont tardifs, partiaux et invérifiables et ne revêtent aucune force probante.
Elle ajoute qu'à supposer l'existence d'une non-conformité du bloc VMC, la situation n'aurait pas été différente avec un bloc VMC conforme, la surtension fautive définitivement jugée aurait très probablement provoqué l'échauffement du bloc en question , ceux-ci étant conçus pour recevoir une tension électrique normale et non exceptionnellement élevée.
Elle fait en dernier lieu valoir que l'absence de faute de M. Moulard lors de sa venue sur les lieux a été définitivement jugée par la cour d'appel dans son arrêt du 26 mai 2016, qui n'a pas été cassé sur ce point.
SUR CE, LA COUR,
Sur l'appel en garantie de la société Enedis fondé sur les articles 1386-1 et suivants anciens du Code civil
Considérant qu'il est définitivement acquis de l'existence d'un lien de causalité entre le phénomène de surtension imputable à Enedis et la survenance de l'incendie ; eu égard à l'arrêt non cassé en ce point ;
Considérant qu'il résulte de l'expertise et que la société Enedis ne conteste pas que le bloc VMC litigieux a été posé au cours de l'année 2000 ; que l'expert indique en effet que la bâtisse, siège de l'incendie était une ferme à l'origine, transformée en maison d'habitation en 1988 à la suite d'importants travaux ; que l'étage des combles a été aménagé ; que c'est à cet étage que se trouvait le bloc VMC qui a été remplacé, au moment des opérations d'expertise une dizaine d'années auparavant, suite à des dégâts causés par la foudre ;
Considérant que selon l'article 1386-16 ancien du Code civil applicable au litige compte tenu de la date des faits, sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage, à moins que durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice ; que selon l'article 1386-7 le vendeur ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur ;
Que le point de départ du délai de 10 ans est la mise en circulation du produit, laquelle est nécessairement antérieure à la pose de celui-ci ;
Considérant qu'il est constant que la société Enedis a formé son appel en garantie à l'encontre de la société Moulard pour la première fois par conclusions du 29 juin 2012 ;
Considérant que le délai de 10 ans qui repose sur la présomption qu'un défaut de sécurité qui a son origine dans le processus de fabrication, se révèle avant dix ans, était expiré à la date de l'appel en garantie formé ;
Considérant que l'extinction de la responsabilité du producteur et en l'absence d'identification de ce dernier, du vendeur ou fournisseur du produit qu'est la société Moulard, ne vaut que sous réserve de la faute du producteur ou du vendeur ; que dans une telle hypothèse, la responsabilité de la société Moulard doit être examinée au regard du régime de la responsabilité de droit commun ;
Sur l'appel en garantie de la société Enedis fondé sur la faute de la société Moulard
Considérant s'agissant de la portée de la cassation partielle intervenue, que l'arrêt rendu le 26 mai 2016 n'a été cassé qu'en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en garantie formée par la société Enedis, alors ERDF , sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, au visa de l'article 16 du Code de procédure civile, la Cour de cassation faisant reproche à la cour d'appel d'avoir déclaré irrecevable l'appel en garantie sur le fondement de l'article 1386-17 du Code civil, faute pour la société Enedis d'avoir formé la demande dans les trois ans de la connaissance du dommage, sans avoir invité préalablement les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier d'une pièce qui figurait au bordereau annexé aux dernières conclusions de ERDF, en l'espèce ses conclusions en date du 29 juin 2012 et ce faisant d'avoir violé l'article 16 susvisé ;
Que selon l'article 631 du Code de procédure civile, devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation et que conformément à l'article 632 du même Code, les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions ; qu'enfin, l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation ;
Considérant que l'appel en garantie n'a pas été jugé ; qu'il est ainsi loisible à la société Enedis d'invoquer au soutien de son appel en garantie, la responsabilité pour faute de la société Moulard et que c'est à tort que celle-ci oppose une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée ;
Considérant que cette demande sur le fondement de la faute, n'est pas prescrite, le dommage s'étant produit en 2010 et la demande en garantie ayant été présentée en 2012 ;
Considérant au fond qu'il incombe à la société Enedis agissant sur ce fondement, de rapporter la preuve de la faute de la société Moulard ayant un lien de causalité avec le sinistre ;
Considérant que la société Enedis, sans contester l'existence d'une surtension de l'alimentation électrique suite à la rupture du conducteur neutre, étant rappelé qu'elle a seule été déclarée responsable de l'incendie vis à vis de la propriétaire des lieux et de son assureur, soutient que le bloc VMC ne présentait pas la sécurité à laquelle l'on pouvait légitimement s'attendre et que cet appareil n'était pas conforme aux exigences minimales de sécurité édictées par la directive basse tension ;
Mais considérant que le bloc VMC a été entièrement détruit par l'incendie de sorte qu'il n'a pu être soumis aux opérations expertales ; que l'expert, dans sa réponse au dire du conseil d'ERDF a indiqué qu'aucun élément technique ne permettait de considérer que l'installation électrique de la maison n'était pas conforme ; qu'il a fondé son avis sur une réponse de l'union technique de l'électricité qui a indiqué que s'agissant d'une installation électrique datant de 1988, seule la norme NFC 15-100 édition 1982 trouvait à s'appliquer ; que rien ne figurait dans cette édition au sujet des contraintes de tension en cas de rupture du conducteur neutre ;
Que l'expert a constaté que les surtensions ont endommagé plusieurs appareils, dont le moteur du bloc VMC mais aussi le compteur ERDF, qui a été détérioré et a été remplacé par ERDF sans être conservé, de sorte qu'il n'a pas davantage pu être soumis à l'expert ;
Que les moyens développés par la société Enedis, qui ne l'avaient pas été dans le détail devant l'expert, s'agissant de la non-conformité du bloc VMC, sont inopérants à établir celle-ci, en l'absence de toute certitude d'une part sur le point de départ d'origine de l'incendie et d'autre part sur l'absence d'examen dudit bloc moteur ; qu'il résulte en outre du dire adressé à l'expert par la société AVIVA et Mme Cizeron que selon la note technique de M. B expert du cabinet CPA, les normes invoquées par ERDF étaient inapplicables au moteur de la VMC auquel seule pouvait être appliquée la norme NF EN 60335-1 applicable à tous les appareils électro ménagers dont l'article 19 prévoit que " les appareils doivent être construits de façon que les risques d'incendie, de détérioration mécanique affectant la sécurité ou la protection contre les chocs électriques dus à un fonctionnement anormal ou négligent, soient évités autant que possible " ; que ce dire n'a pas été sérieusement remis en question ; qu'il en résulte qu'il n'existait aucune norme contraignante précise dont le non-respect par la société Moulard serait rapporté ;
Qu'il ne saurait dès lors être reproché à la société Moulard d'avoir commis une faute en installant un matériel non conforme aux exigences minimales de sécurité ;
Considérant s'agissant du reproche fait à M. Moulard, au travers des conclusions expertales, de ne pas s'être rendu à l'étage où se trouvait le bloc VMC, avant de quitter les lieux , que le tribunal a fait une exacte analyse de l'absence d'incidence de ce fait, dans le cadre des demandes de Mme Z et de la société Aviva dirigées contre la société Moulard, en observant d'une part que rien ne permettait de retenir avec certitude que le feu s'était déclaré avant le départ de M. Moulard qui se situait aux environs de 11 heures 30 alors que M. Z n'avait constaté le départ du feu qu'en montant à l'étage à 12 h et découvert alors un foyer naissant ; que d'autre part, l'expert n'explique pas comment M. Moulard aurait pu éviter la propagation de l'incendie autrement qu'en faisant appel aux sapeurs-pompiers, ce qu'a fait Mme Z mère à 12h03, étant ajouté qu'il résulte des déclarations concordantes devant l'expert des parents de Mme Z et de M. Moulard qu'il n'y avait plus d'eau dans la maison en raison de la disjonction de l'installation électrique qui avait rendu inopérant le suppresseur et que tant M. Z que deux voisins, venus l'aider au moyen notamment d'extincteurs, ont en vain tenté de circonscrire l'incendie qui s'est propagé rapidement en raison du fort potentiel calorifique présent à l'étage ;
Considérant dans ces circonstances que la société Enedis doit être déboutée de son appel en garantie dirigé à l'encontre de la société Moulard ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
Considérant que la société Enedis, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel ;
Considérant que le tribunal a exactement statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'en conséquence le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions relatives à l'appel en garantie de la société Enedis, alors dénommée ERDF ;
Qu'en cause d'appel, l'équité commande d'allouer à la société Moulard la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs LA COUR statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition, dans les limites de la cassation, Déclare irrecevables les demandes de la société Enedis fondées sur les articles 1386-1 ancien du Code civil, Déclare recevables ses demandes fondées sur les articles 1147 et 1382 anciens du Code civil, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société ERDF venant aux droits de EDF, devenue la société Enedis de ses demandes dirigées contre la société Moulard et Fils et en ces dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du Code de procédure civile ; Y ajoutant, Condamne la société Enedis à payer à la société Moulard et Fils la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties, Condamne la société Enedis aux dépens d'appel