CA Amiens, ch. économique, 12 septembre 2019, n° 17-03571
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
TRB (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grandjean
Conseillers :
Mmes Paulmier Cayol, Vanhaecke Noret
Avocats :
Mes Poilly, Camier, Guerri, Delahousse, Andrieux
Le 31 mars 1991, la société Terres réfractaires du Boulonnais (ci-après TRB) a conclu avec M. X un contrat d'agent commercial, lui confiant la représentation commerciale de ses produits sur l'ensemble du territoire italien. Le contrat a été reconduit une première fois en 1996 pour une durée de cinq années, puis le 6 novembre 2001, un contrat était conclu avec une entité désignée Y. à effet au 1er janvier 2001 ; une extension de la représentation à d'autres pays d'Europe était prévue.
Les relations contractuelles ont pris fin le 31 décembre 2005 après l'envoi par la société TRB d'un courrier en date du 21 septembre 2005, aux termes duquel cette dernière subordonnait leur maintien à la résolution d'un certain nombre de litiges avec deux sociétés relevant du secteur de M. X, reprochant à ce dernier un défaut d'assistance technique à l'origine de commandes inadaptées ayant donné lieu à des facturations que ces deux sociétés ont refusé de payer.
M. X ayant contesté les reproches formulés à son encontre ainsi que les conditions de la rupture, a saisi dans un premier temps au mois de juin 2006 la commission de conciliation des litiges individuels et collectifs du travail de Pise puis dans un second temps, il a obtenu une ordonnance en injonction de payer la somme de 87 106,85 d'une autorité judiciaire italienne, ordonnance à laquelle la société TRB a formé opposition devant le tribunal de Pise qui par un jugement du 30 octobre 2009 s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Boulogne ; M. X a alors saisi ce tribunal par acte d'huissier du 21 mai 2011 en paiement de diverses commissions et de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Par un jugement du 25 mars 2014, le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer a déclaré les demandes de M. X en paiement de commissions fondées sur les contrats conclus à compter du 6 novembre 2001 irrecevables au motif que l'entreprise Y. était alors devenue la titulaire du contrat d'agent commercial ; s'agissant de la période antérieure, le tribunal a débouté M. X de sa demande d'indemnité compensatrice au motif qu'il était déchu de son droit faute pour lui d'avoir justifié d'une réclamation dans l'année suivant la cessation du contrat du 2 janvier 1996. Le tribunal pour débouter M. X de sa demande en paiement de l'indemnité de préavis a retenu que ce dernier ne pouvait se prévaloir d'une exécution à titre individuel du contrat après le terme du contrat du 2 janvier 1996. M. X était débouté de ses autres demandes et la société TRB de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Par un arrêt rendu le 16 février 2015, la cour d'appel de Douai a retenu que M. X exploitait en son nom personnel une entreprise individuelle sous le nom de Y. qui n'avait pas la personnalité morale et a donc infirmé le chef du jugement qui avait déclaré M. X irrecevable à agir. La cour a condamné la société TRB à payer à M. X la somme de 43 231 au titre des commissions pour l'année 2006 avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2006, outre leur capitalisation, a confirmé le jugement en ce qu'il avait dit M. X déchu de son droit à indemnité compensatrice et a statué sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens.
Par un arrêt du 15 mars 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour de Douai seulement en ce que, confirmant le jugement, elle a rejeté la demande d'indemnité compensatrice pour le motif tiré de sa déchéance et statué sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
La censure de la Cour de cassation porte sur le constat par les juges du fond que M. X n'avait pas manifesté son intention de faire valoir ses droits dans le délai d'un an prévu à l'article L. 134-12 au motif que la saisine dans ledit délai de la commission des litiges individuels et collectifs du travail de Pise ne valait pas notification d'une réclamation au titre de l'indemnité de rupture du contrat au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce alors que cette réclamation n'est soumise à aucun formalisme particulier et que les juges du fond auraient dû rechercher si l'acte de saisine de la juridiction italienne ne contenait pas une manifestation non équivoque de faire valoir ses droits à réparation.
M. X a saisi la cour d'appel d'Amiens, cour de renvoi, par déclaration du 21 août 2017.
Aux termes de ses dernières conclusions du 12 mars 2019, M. X demande à la cour :
- d'infirmer partiellement le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer en ce qu'il l'a déclaré déchu de son droit à indemnité compensatrice,
statuant à nouveau dans les limites de la cassation,
- de condamner la société TRB à lui payer la somme de 624 356,25 au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial,
- de dire que la somme produira intérêts à compter du 14 juin 2006, date de la saisine de la Commission départementale de conciliation des litiges individuels et collectifs du droit du travail de Pise,
- de confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
- de condamner la société TRB à lui payer la somme de 8 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction et requise au profit de Maître Hélène Camier.
M. X soutient que sa demande d'indemnité au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce est recevable, ayant notifié son intention de faire valoir ses droits, sans équivoque, en saisissant le 14 juin 2006 la commission de conciliation italienne soit dans les six mois de la cessation de son contrat d'agent commercial.
Concernant le montant de l'indemnité de cessation de contrat, M. X conteste le calcul a minima proposé par la société TRB, faisant valoir qu'il convient de prendre en compte l'importance de son préjudice, ainsi que les particularités et la complexité du marché des aciéries. Il précise que son savoir-faire a permis à la société TRB d'étendre son marché en Europe. Il affirme qu'en sus de son rôle de représentation commerciale, avoir apporté son assistance technique.
Aux termes de ses dernières conclusions du 22 janvier 2018, la société TRB demande à la cour :
- de débouter M. X de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- de condamner M. X au paiement de la somme de 10 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La société TRB rappelle les circonstances de la rupture des relations contractuelles qu'elle estime pour sa part parfaitement justifiée par le défaut d'assistance technique de M. X ayant conduit deux sociétés à passer des commandes inadaptées à leurs besoins qu'elles refusent de payer. Elle ajoute qu'ayant été définitivement jugé que le contrat d'agent commercial était à durée déterminée et que les relations contractuelles ont cessé à l'échéance du contrat, toute brutalité dans leur cessation est exclue.
Elle fustige le caractère excessif de la réclamation de M. X qu'elle qualifie de spéculative par rapport aux usages professionnels qui retiennent comme base de calcul le montant des commissions versé pendant deux années. Elle pointe de surcroît des erreurs dans le montant de la somme réclamée résultant d'une mauvaise retranscription du montant des commissions et de son fondement factuel qui repose sur le montant des facturations par M. X et non sur les [sic] qui lui ont été effectivement versés.
Elle fait valoir que M. X est déchu de son droit à indemnité compensatrice, n'ayant pas notifié de façon non équivoque dans le délai d'un an de la cessation du contrat son intention de faire valoir ses droits à ce titre ; rappelant le caractère automatique de l'indemnité de cessation de fin de contrat d'agent commercial, elle relève que M. X en se prévalant de l'irrégularité de rupture afin d'obtenir la réparation des préjudices consécutifs à cette irrégularité n'a pas demandé à la commission de conciliation des litiges individuels et collectifs du travail de Pise le paiement de l'indemnité de fin de contrat.
Faisant valoir que le statut d'agent commercial est exclusif de celui du salariat, elle soutient qu'en application d'une jurisprudence de la Cour de cassation, le demandeur à l'action en agissant en justice sur le fondement d'un contrat de travail, exclut de se placer sur le terrain du statut d'agent commercial et renonce ainsi aux indemnisations relevant de ce statut ; elle prétend que cette jurisprudence trouve à s'appliquer en l'espèce puisque M. X a saisi la commission de conciliation des litiges individuels et collectifs du travail qui est la juridiction qui connaît des relations de travail.
Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.
L'instruction de l'affaire a été close le 16 mai 2019.
MOTIFS
L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
L'indemnité compensatrice prévue par l'article précité est due quelle que soit la cause de la cessation des relations contractuelles ; la circonstance que le contrat d'agent commercial de M. X à durée déterminée, n'a pas été rompu au cours de la période contractuelle mais n'a pas été reconduit par la société TRB à son échéance est sans incidence sur le droit à indemnité de M. X.
En l'espèce, n'étant pas contesté que les relations contractuelles ont cessé le 31 décembre 2005, il appartenait à M. X de notifier à la société TRB sa volonté de faire valoir ses droits consécutifs à la cessation du contrat avant le 1er janvier 2006, sous peine de déchéance.
Incombant à la société TRB qui invoque la déchéance du droit de M. X à l'indemnité compensatrice d'établir que la réclamation de ce dernier est tardive, cette dernière fait valoir que la saisine de la commission départementale de conciliation des litiges individuels et collectifs du droit du travail près de la direction départementale du travail (service politique du travail), située à Pise, ne constitue pas une notification non équivoque de sa volonté de faire valoir ses droits au paiement d'une indemnité compensatrice, n'étant par ailleurs pas contesté que la saisine ultérieure tant des juridictions italiennes que du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer est intervenue postérieurement au 1er janvier 2006.
La notification prévue par l'article L. 134-12 n'est soumise à aucun formalisme particulier, il suffit qu'elle manifeste l'intention non équivoque de l'agent de faire valoir son droit à réparation née de la cessation des relations contractuelles.
La nature administrative de la commission saisie par M. X qui se déduit de la mention "ministère du travail" figurant sur l'entête de son procès-verbal de non-conciliation et dont l'appelant a versé aux débats une traduction par un traducteur expert assermenté n'exclut pas que sa saisine puisse constituer une notification valable au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce. De plus, il résulte de l'indication au procès-verbal du caractère obligatoire de la tentative de conciliation et la référence faite par ce procès-verbal à l'article 410 du CPC italien qui renvoie sans contestation possible au Code de procédure civile italien que la saisine de cette commission constitue un préalable à la saisine de la juridiction et participe à la demande en justice.
Si, découlant de l'incompatibilité du statut d'agent commercial et de salarié, il a été admis que les demandes présentées devant le conseil de prud'hommes et fondées sur un contrat de travail ne peuvent valoir notification au mandant de l'intention de l'agent de demander une indemnisation au titre de la cessation d'un contrat d'agence commerciale, l'acte de saisine par M. X de cette commission (pièce 7 de l'appelant) traduit par un traducteur assermenté indique que ce dernier s'est prévalu de sa qualité d'ancien agent commercial avec exclusivité de la société TRB.
Lors de la conciliation devant cette commission à laquelle la société TRB était présente, il n'apparaît pas à la lecture du procès-verbal que la société TRB a contesté l'office de cette commission dans le cadre du différend l'opposant à son ancien agent commercial.
Il est également relevé que le juge du travail du tribunal de Pise a rendu sur la requête de M. X une ordonnance enjoignant à la société TRB de payer la somme de 87 106, 85 en paiement de factures émises par ce dernier, ordonnance à laquelle cette société a fait opposition ; il a été statué sur cette opposition par un jugement du tribunal de Pise en sa fonction de juge du travail.
De ces éléments, il apparaît se déduire qu'en Italie les mêmes organes qu'ils soient administratifs ou juridictionnels sont amenés à traiter ou à statuer sur les différends nés du contrat de travail ou du contrat d'agent commercial ; la jurisprudence invoquée par la société TRB n'est donc pas transposable à la présente espèce dont les circonstances factuelles sont différentes.
L'acte de saisine de la commission rempli par M. X et signé par ce dernier reprend ses différentes demandes aux libellés suivants :
défaut de paiement de commissions montant à déterminer, résiliation irrégulière du rapport d'agence montant à déterminer, réparation des préjudices consécutifs montant à déterminer, réparation des préjudice pour violation de l'exclusivité montant à déterminer, réparation du préjudice d'image, biologique et moral, montant à déterminer, intérêts légaux et réévaluation monétaire montant à déterminer.
La réclamation de M. X en "réparation des préjudices consécutifs" étant placée juste après sa réclamation au titre de la " résiliation irrégulière du rapport d'agence ", elle apparaît en être la suite directe ; son libellé imprécis ne permet pas de savoir s'il est demandé la réparation du préjudice résultant de l'irrégularité de la cessation des relations contractuelles désignée improprement de résiliation ou si ce dernier réclame l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce.
L'acte de saisine de la commission de conciliation ne manifestant pas l'intention non équivoque de M. X de faire valoir ses droits qu'il tient de l'article L. 134-12 du Code rural, et à défaut pour ce dernier d'avoir notifié cette intention par un autre moyen dans le délai d'un an ayant couru à compter de la cessation des relations contractuelles, pour les motifs qui précèdent qui s'ajoutent à ceux non contraires des premiers juges, il y a lieu en confirmant le jugement entrepris de déclarer M. X déchu de son droit à indemnité compensatrice et de le débouter de sa demande.
M. X qui échoue en ses prétentions supporte les dépens de l'instance et se voit condamné au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'il suit.
Il n'y a pas lieu par ailleurs de modifier la répartition des dépens ordonnée par le jugement dont appel.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, confirme le jugement du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer du 25 mars 2014 en ce qu'il a débouté M. X de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice et en ce qu'il a statué sur les dépens ; y ajoutant : condamne M. X à payer à la société TRB la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; condamne M. X aux dépens d'appel.