CA Versailles, 3e ch., 12 septembre 2019, n° 18-03674
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grand Garage Des Chantiers (SAS)
Défendeur :
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mmes Bazet, Derniaux
Avocats :
Mes Bardet, le Go
Suivant facture du 25 janvier 2014, M. A... B... C... a acheté à la société Grand Garage des Chantiers, à Versailles, un véhicule d'occasion Volkswagen EOS Cabriolet TDI, mis en circulation le 19 décembre 2007 et garanti 12 mois, pour un montant total de 15 872 euros. Il affichait alors 50 900 kilomètres au compteur.
Déplorant des infiltrations d'eau par la capote rigide du véhicule dès le mois d'avril 2014, M. B... C... a vainement formulé des réclamations auprès du Grand Garage des Chantier, et a fini par susciter une expertise amiable par le biais d'une garantie "protection juridique".
Par courrier du 03 décembre 2015, un expert a convoqué les parties pour une réunion d'expertise qui s'est tenue le 05 janvier 2016 dans les locaux de l'établissement Espace Suffren en l'absence de la société Volkswagen France, mais en présence du dirigeant du Grand Garage des Chantiers.
Un rapport d'expertise a été établi le 07 janvier 2016 date à laquelle l'expert a constaté la présence d'infiltrations d'eau à l'intérieur du véhicule. Le véhicule affichait alors 97 955 kilomètres au compteur.
Par acte du 19 février 2016, M. B... C... a assigné la société Grand Garage des Chantiers en résolution de la vente.
Par jugement du 22 mai 2018, le tribunal de grande instance de Versailles a :
- débouté la société Grand Garage des Chantiers son exception d'irrecevabilité sur le fondement de la prescription,
- ordonné la restitution par M. B... C... du véhicule Volkswagen EOS Cabriolet TDI, immatriculé 611 FKX 928 à la société Grand Garage des Chantiers, aux frais de cette dernière,
- dit que la restitution devra intervenir dans les six mois du jugement,
- condamné la société Grand Garage des Chantiers à restituer à M. B... C... le prix de vente du véhicule Volkswagen EOS Cabriolet TDI, immatriculé 611 FKX 92, soit la somme de 15 872 euros,
- condamné la société Grand Garage des Chantiers à payer à M. B... C..., au titre de dommages et intérêts, la somme de 685, 82 euros,
- condamné la société Grand Garage des Chantiers aux dépens,
- condamné la société Grand Garage des Chantiers à payer à M. B... C..., la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le jugement a été exécuté le 7 août 2018, après rejet de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par le Grand Garage des Chantiers.
Par acte du 25 mai 2018, la société Grand Garage des Chantiers a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 22 mai 2019, de :
- constater que le véhicule a été mis en circulation le 19 décembre 2007 et que l'assignation en résolution de la vente intervient le 19 février 2016, soit au-delà du délai de cinq ans à compter du 19 juin 2008, date de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, sur la prescription quinquennale, à titre subsidiaire
- constater que le désordre est apparu dès l'achat et que l'assignation a été délivrée plus de deux ans après la découverte du désordre,
- infirmer le jugement,
- déclarer l'action de M. B... C... irrecevable comme étant prescrite et sans objet et le débouter de toutes ses demandes,
à titre subsidiaire sur la demande de résolution de la vente au titre de la garantie des vices cachés
- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente au titre de la garantie des vices cachés,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Grand Garage des Chantiers à restituer à M.
B... C... la somme de 15 872 euros et à lui verser la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts, la somme de 185, 82 euros au titre de frais et une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonner la restitution des sommes versées à M. B... C... par la société Grand Garage des
Chantiers en exécution du jugement,
- débouter M. B... C... de sa demande en résolution de la vente au titre de la garantie des vices cachés, et de toutes ses demandes indemnitaires,
à titre subsidiaire,
- infirmer le jugement en ce qu'il a accordé la somme de 500 euros au titre de l'immobilisation du véhicule pendant la durée de l'expertise,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. B... C... de sa demande de dommages et intérêts au titre du trouble de jouissance, et au titre du préjudice moral,
- condamner M. B... C... à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par dernières écritures du 21 mai 2019, M. B... C... prie la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que l'action n'était pas prescrite,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la restitution du véhicule Volkswagen EOS
Cabriolet TDI, immatriculé 611 FKY 92, par M. B... C... à la société Grand Garage des
Chantiers, aux frais de cette dernière,
- constater que cette restitution est intervenue le 07 août 2018,
- confirmer le jugement entrepris :
en ce qu'il a condamné la société Grand Garage des Chantiers à restituer à M. B... C... le prix de vente du véhicule, soit la somme de 15 872 euros,
en ce qu'il a condamné la société Grand Garage des Chantiers à payer à M. B... C... la somme de 185, 82 euros à titre de dommages et intérêts,
outre 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- pour le surplus, le réformer et, y ajoutant,
- condamner la société Grand Garage des Chantiers au paiement de la somme de 5 400 euros au titre du préjudice de jouissance subi, outre 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,
- condamner en outre la société Grand Garage des Chantiers au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais relatifs à la procédure d'appel ainsi que les dépens de première instance et d'appel.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2019.
SUR QUOI LA COUR :
Le tribunal a retenu pour l'essentiel que :
- le point de départ du délai de l'action en garantie des vices cachés se situe au jour de la découverte du désordre. L'expert a constaté, dans son rapport du 07 janvier 2016, l'existence de désordres constitués par des infiltrations d'eau à l'intérieur du véhicule, ce qui corrobore les dires du demandeur qui indique avoir constaté l'existence d'une infiltration d'eau à l'intérieur de son véhicule courant avril 2014. Le délai a donc commencé à courir dès avril 2014 et la prescription n'aurait été acquise qu'en avril 2016. Par conséquent, l'action n'était pas éteinte lors de la signification de l'assignation du 19 février 2016.
- le vice, constitué par des infiltrations d'eau importantes réduit considérablement l'usage du véhicule, était bel et bien caché puisqu'il ne s'est révélé qu'au contact de l'eau, et ne peut être considéré comme résultant d'un défaut d'entretien. Son apparition deux mois après la vente démontre qu'il était préexistant.
- le préjudice de jouissance a été réparé par la somme de 500 euros, et le préjudice moral jugé non établi.
Le Grand Garage des Chantiers fait valoir que l'action devant être intentée dans les cinq ans de la vente initiale du véhicule, délai à l'intérieur duquel s'inscrit le délai biennal prescrit en matière de garantie des vices cachés, la prescription est acquise. En outre la prescription est également acquise puisque le vice s'est révélé concomitamment à la vente, soit le 5 février 2014, et l'assignation n'a été délivrée que le 19 février 2016.
Au fond, il rappelle que le véhicule était d'occasion, et qu'il est normal qu'un véhicule de cet âge n'offre pas les mêmes qualités qu'un véhicule neuf. Il souligne que l'expert n'a émis que des hypothèses, que l'obstruction des tuyaux d'évacuation ne constitue pas un vice caché, et que la détérioration des joints n'a pas été constatée. Il ajoute que l'opération d'entretien simple consistant à nettoyer les tuyaux d'évacuation n'a pas été effectuée, et qu'en tout état de cause, le remplacement de ces pièces, qui sont des pièces d'usure, est normal au bout d'un certain temps.
Sur l'usage fait du véhicule, il observe que le vice ne l'a pas entravé puisque la première réclamation établie est datée d'octobre 2014, après que le véhicule a effectué 19 840 km, et puisque le véhicule a parcouru 47 415 km en 23 mois, soit entre la date d'achat en février 2014 et la date du rapport d'expertise, soit le 5 janvier 2016, kilométrage que deux aller et retour en Espagne ne suffisent pas à expliquer.
Sur le montant des réparations, il rappelle que le devis de changement de la capote, qui s'élevait à 10 915, 73 euros, n'a pas été communiqué à l'expert amiable, et que ce dernier n'a pas préconisé cette opération, se contentant d'évaluer le coût des réparations à une somme minime au regard du prix d'achat du véhicule, comprise entre 429, 96 euros et 2 038, 13 euros.
M. B... C... précise que le nettoyage des évacuations d'eau du toit a été effectué par le garage Suffren en octobre 2014, mais que les infiltrations perdurant, le Grand Garage des Chantiers, consulté par le garage Suffren, avait refusé toute intervention.
Il fait valoir que, selon facture antérieure à la vente du garage de Vélizy, l'étanchéité de la capote n'a fait l'objet d'aucun contrôle, et que les préconisations du constructeur ne mentionnaient qu'un nettoyage en février 2015. Il rappelle que l'expertise a été contradictoire, et ne peut être contestée.
Il considère que toutes les conditions de la garantie des vices cachés sont réunies, et sollicite à titre subsidiaire l'application de la garantie contractuelle (mais cette dernière demande ne figure pas au dispositif de ses écritures).
***
Sur la prescription :
S'il est vrai que le délai biennal de forclusion intéressant la mise en œuvre de la garantie des vices cachés est inclus dans le délai de droit commun de cinq ans prévus par le Code de commerce, cette règle ne trouve à s'appliquer, ainsi que justement rappelé par M. B... C..., qu'en cas de contestation des ventes antérieures, dans la mesure où l'acquéreur du véhicule exerce alors l'action des acquéreurs intermédiaires, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par ailleurs, il résulte à suffire des pièces présentées par M. B... C... qu'il n'a constaté le désordre que quelque temps après la vente, en sorte que, la vente ayant eu lieu le 5 février 2014, l'assignation délivrée le 19 février 2016 ne peut être considérée comme tardive. Le jugement sera donc confirmé sur le rejet de l'exception d'irrecevabilité fondée sur la prescription.
Sur le fond :
M. B... C... produit lui-même un courrier du conseil du Grand Garage des Chantiers daté du 18 novembre 2015 lui proposant une intervention de ce garage le 27 novembre 2015 pour remise en état dans la mesure où les désordres seraient avérés. Il n'y a semble-t-il pas été donné suite, puisque l'expertise amiable a eu lieu le 5 janvier 2016, en présence du dirigeant du Grand Garage des Chantiers.
Le Grand Garage des Chantiers, s'il conteste les conclusions de l'expert amiable, ne remet pas en cause le fait que son rapport puisse lui être opposé. Il en est pris acte. Selon procès-verbal de l'expert, signé des parties, au bout de 3 mn de projection d'eau, un goutte à goutte apparaît au niveau du haut de la garniture du montant du pare-brise gauche. L'expert préconise un diagnostic puis un devis de remplacement des tuyaux d'évacuation et des joints. Le dirigeant du Grand Garage attend ce devis pour fixer sa position.
Aucun devis de réparation n'a cependant été produit, bien que M. B... C... ait finalement réglé deux diagnostics, effectués les 22 octobre 2014 et 5 janvier 2016 pour 185 euros au total. Un devis daté du 27 octobre 2015, chiffrant le remplacement intégral de la capote à 10 915, 73 euros ne paraît pas avoir été soumis à l'expert amiable.
L'expert a conclu que deux causes pouvant être cumulatives, pouvaient expliquer les désordres, soit l'obstruction des tuyaux d'évacuation, et la détérioration des joints.
En cet état il est constant que le véhicule acquis par M. B... C... a présenté très rapidement après la vente, soit en avril 2014, des infiltrations d'eau en cas de pluie. Ce désagrément, s'il n'empêche pas tout usage du véhicule, ainsi qu'en témoigne le kilométrage parcouru, en restreint néanmoins l'usage normal, l'acquéreur d'un véhicule, même d'occasion, n'étant pas censé avoir accepté un véhicule non étanche à la pluie.
Contrairement à ce que le Grand Garage des Chantiers soutient, la réparation de ce défaut n'était pas aussi modique et simple à mettre en œuvre qu'il le soutient, puisque l'expert n'a pu chiffrer que de manière théorique le coût de la remise en état, sans devis, que M. B... C... n'a pu recueillir qu'un devis de remplacement de la capote, et que lui-même n'a jamais donné suite à son offre de réparation du 18 novembre 2015, alors pourtant que le véhicule était sous garantie. Doit aussi être rappelé que le garage Suffren ne paraît pas non plus avoir effectué l'opération de nettoyage des tuyaux d'évacuation évoquée dans l'ordre de service d'octobre 2014, à défaut de tout élément sur ce point, sauf à considérer que, malgré la mise en œuvre de cette opération, les désordres ont perduré, puisque l'expert les a constatés ultérieurement.
Est ainsi caractérisée l'existence d'un vice caché réduisant significativement l'usage du bien vendu.
En ce qui concerne l'antériorité du vice à la vente, M. B... C... produit deux témoignages circonstanciés, selon lesquels ce désordre est apparu très rapidement après la vente, lors de la première exposition du véhicule à la pluie. C'est par ailleurs ce qu'il a toujours indiqué dans les nombreux échanges qu'il a eus avec le Grand Garage des Chantiers, et sa lettre du 20 novembre 2014, par les précisions qu'elle comporte, et qui n'ont jamais fait l'objet de protestations du Garage des Chantiers, est à cet égard édifiante. Il sera donc retenu que ce désordre existait à l'état latent lors de la vente, et que la condition d'antériorité du vice caché est dès lors remplie.
Le jugement sera dès lors confirmé sur la résolution de la vente.
Sur les demandes de dommages et intérêts :
Le vendeur professionnel est réputé avoir connaissance du vice de la chose vendue, et est à ce titre tenu à réparation de tous les préjudices annexes.
Le tribunal sera dès lors approuvé d'avoir mis à la charge du Grand Garage des Chantiers le remboursement des frais de diagnostic exposés par M. B... C... pour 185, 82 euros.
Le préjudice de jouissance a été justement réparé par la somme de 500 euros allouée, en considération du kilométrage parcouru malgré les désordres.
Aucun préjudice moral distinct n'est caractérisé, les multiples tracas liés à la présente procédure ayant vocation à être pris en charge par l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur les autres demandes :
Le Grand Garage des Chantiers, qui succombe en son recours en supportera les dépens, et paiera, au titre de l'instance d'appel, à M. B... C..., la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les dispositions du jugement déféré sur ces points seront confirmées.
Par ces motifs ; LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Grand Garage des Chantiers à payer à M. A... B... C... la somme complémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, La condamne aux dépens d'appel, avec recouvrement direct prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.