CA Bourges, ch. civ., 5 septembre 2019, n° 18-00031
BOURGES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Allinks (Sté)
Défendeur :
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulquier
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Exposé :
La SAS V., dont l'activité consistait notamment à réaliser des bâches pour les camions, a développé une machine spécifique d'impression numérique et a décidé de s'approvisionner en encre, à partir de novembre 2010, auprès de la société ALLINKS, ayant son siège en Belgique.
Cette dernière a informé en novembre 2011 la SAS V. de son souhait de changer d'encre et a envoyé des techniciens pour calibrer la machine d'impression.
Invoquant des réclamations de ses clients qui se plaignaient que le vernis ne tenait pas sur les bâches imprimées avec la nouvelle encre, la SAS V. a assigné la société ALLINKS le 11 octobre 2013 devant le tribunal de commerce de Châteauroux aux fins d'obtention de dommages et intérêts.
Le 30 septembre 2015, la SAS V. a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Châteauroux.
La SCP Z., désignée en qualité de mandataire liquidateur, a poursuivi l'instance engagée par la SAS V. et a demandé au tribunal de commerce de constater la faute commise par la société ALLINKS et de la condamner, au visa de l'ancien article 1147 du Code civil, à lui verser la somme de 117 248,10 en raison de la nécessité d'avoir dû procéder à la réfection des bâches et des logos au bénéfice de ses clients, ainsi que 34 707,10 en réparation des préjudices indirects outre 3 000 en raison du préjudice causé par la perte du fournisseur habituel BECKERS.
Par jugement rendu le 8 février 2017 2017, le tribunal de commerce de Châteauroux a :
- Donné acte à la SCP Olivier Z., mandataire judiciaire de la SAS V., de la poursuite de l'instance engagée par cette dernière,
- Constaté la faute commise par la société ALLINKS à l'égard de la SAS V.,
- Condamné la société ALLINKS à verser à la SCP Olivier Z., ès qualités de liquidateur de la SAS V., la somme de 117 248,10 ,
- Débouté la société ALLINKS de l'intégralité de ses demandes,
- Débouté la SCP Olivier Z. ès qualités de liquidateur de la SAS V. de sa demande d'octroi de la somme de 34 707,10 en réparation des préjudices indirects ainsi que de sa demande d'octroi de la somme de 3 000 pour la perte du fournisseur BECKERS,
- Condamné la société ALLINKS à verser à la SCP Z. ès qualités la somme de 3 000 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a principalement considéré, en effet, que les deux parties s'accordaient sur le fait que le changement d'encre, à l'initiative de la société ALLINKS, était à l'origine de difficultés et a considéré que cette dernière, vendeur professionnel, avait manqué à son obligation d'information et de conseil et à son obligation de délivrer un produit conforme à sa destination, ce qui avait occasionné un préjudice, en l'occurrence l'existence de bâches non payées par les clients pour un montant de 117 248, 10 .
Il a estimé, en revanche, que les frais de déplacement des salariés de la SAS V. au motif que la qualité des fabrications aurait dû être contrôlée avant expédition ne constituaient pas un préjudice indemnisable.
Par jugement rendu le 28 juin 2017, le tribunal de commerce a réparé l'omission de statuer affectant le jugement précité en ordonnant qu'il soit rajouté, au dispositif de celui-ci, la mention "ordonne l'exécution provisoire du présent jugement".
La société ALLINKS a interjeté appel de ces deux décisions par déclaration en date du 9 juin 2018.
Par ordonnance du 13 mars 2018, le premier président de la cour d'appel de Bourges a débouté la société ALLINKS de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu le 8 février 2017 rectifié par le jugement du 28 juin suivant et a ordonné à celle-ci de consigner la somme de 120 248,10 entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations.
La société ALLINKS, appelante, demande à la cour dans ses dernières écritures signifiées par RPVA le 17 avril 2019 à lecture desquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du Code de procédure civile, de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il "constate la faute commise par ALLINKS à l'égard de la société V.",
Statuant à nouveau,
Débouter la SAS V. de toutes ses demandes,
Voir taxer la créance de la société ALLINKS sur la société SAS V. à la somme de 10 177,75 avec intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2014 au titre des factures demeurées impayées.
Condamner la SAS V. au paiement de la somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société V., représentée par son mandataire liquidateur, la SCP O. Z., intimée, demande quant à elle à la cour dans ses dernières écritures signifiées par RPVA le 1er mars 2018, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et de lui allouer une indemnité de 3 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 mai 2019.
SUR QUOI :
Attendu qu'il incombe à la société ALLINKS (spécialisée dans l'activité de négoce d'encres industrielles) en application des articles 1134, 1147, 1604 et 1641 anciens du Code civil dans leur rédaction applicable aux faits de la cause, de fournir à la société V. (qui n'est pas spécialiste dans le domaine de l'impression) des encres permettant un usage conforme à celui qui en était attendu, de s'assurer de la compatibilité des encres vendues avec le procédé d'utilisation par la société V. et de lui fournir, le cas échéant, tout conseil utile afin que cette compatibilité soit assurée ;
Qu'il apparaît qu'alors même que la société ALLINKS a fourni à la société V. depuis 2010 de l'encre ayant donné satisfaction s'agissant de l'impression sur les bâches de cette dernière, un changement d'encre a été réalisé par l'appelante au mois d'octobre 2011 ; qu'aucun courrier émanant de la société V. n'est produit au dossier qui permettrait de considérer que celle-ci serait à l'initiative de ce changement ;
Qu'il est établi, en tout état de cause, que postérieurement à ce changement, l'encre "ne tenait pas" et le vernis n'adhérait pas sur l'encre ; que les tests effectués par l'entreprise BECKERS (fournisseur habituel de vernis de la société V.) ont en effet permis d'établir que "l'encre se transfère sur le doigt après frottement" (pièce numéro 5 de l'intimée) ; que l'intimée produit, d'ailleurs, des courriers de ses clients, en l'occurrence l'entreprise KRONE et Monsieur D., indiquant notamment que "la livraison est refusée, le premier test de tenue a révélé que le vernis n'adhère pas sur la toile" et que "la peinture s'en va" ;
Que, dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que la société ALLINKS (qui connaissait parfaitement les besoins de la société V. et le processus d'impression utilisé par celle-ci) avait manqué à ses obligations contractuelles en fournissant une encre qui n'était pas conforme à sa destination ; qu'il doit être remarqué, à cet égard, que la société ALLINKS ne peut tenter de se soustraire à sa responsabilité en soutenant que le défaut de tenue ne serait pas imputable à la nouvelle encre utilisée, mais au solvant utilisé par l'intimée et mis au point par l'entreprise BECKERS, dès lors qu'elle avait parfaitement connaissance de l'utilisation, inchangée, de ce produit par la société V. et se devait, en conséquence, d'alerter le cas échéant l'attention de sa cliente sur l'incompatibilité de la nouvelle encre avec ce solvant ;
Qu'il conviendra en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société ALLINKS à indemniser la société V. de son préjudice constitué par les bâches non payées par ses clients, soit un total de 117 248,10 conformément à la pièce numéro 23 du dossier de l'intimée, outre la somme de 900 hors-taxes au titre de la facture de transport, étant remarqué que la société V. renonce en cause d'appel à solliciter l'indemnisation du préjudice de 34 707,10 qui avait été écarté par le premier juge ;
Qu'en raison de la non-conformité des encres vendues à leur destination, c'est par ailleurs en vain que la société ALLINKS demande à la cour la fixation de sa créance de 10 177,75 dans le cadre de la procédure collective applicable à la société V. ;
Attendu que l'équité commandera par ailleurs d'allouer à l'intimée une indemnité de 1 500 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ; Y ajoutant, Rejette la demande de la société ALLINKS tendant à la fixation de sa créance au titre des factures impayées ; Condamne la société ALLINKS à verser à la société V. représentée par son mandataire liquidateur la SCP Olivier Z. la somme de 1 500 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.