CA Rouen, ch. civ. et com., 12 septembre 2019, n° 17-02438
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Leroy Merlin France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertoux
Conseillers :
Mmes Mantion, Debeugny
Avocats :
Mes Lacaille, Dauge
FAITS ET PROCEDURE
M. D A et Mme X C sont propriétaires d'une maison située à ....
Imputant à la société Leroy Merlin France la responsabilité de désordres affectant divers éléments de leur habitation (toiture, terrasse, fenêtres, vélux et panneaux solaires) apparus à la suite de l'application par ses soins, le 06 août 2015, du produit acheté le 11 mai 2015 au magasin Leroy Merlin d'Isneauville, M. A et Mme C ont, par acte en date du 16 juin 2016, fait assigner cette société devant le tribunal de commerce de Rouen.
Par jugement en date du 24 mars 2017, le tribunal de commerce a :
- jugé que M. A a causé son propre dommage en ne respectant pas les consignes d'utilisation du produit en ne protégeant pas les surfaces avoisinant sa toiture,
- débouté M. A et Mme C de l'intégralité de leurs demandes,
- condamné in solidum M. A et Mme C à payer à la société Leroy Merlin France la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné in solidum M. A et Mme C aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire de la décision.
M. A et Mme C ont formé appel de ce jugement par déclaration reçue le 15 mai 2017 au greffe de la cour.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 9 août 2017, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, M. A et Mme C demandent à la cour, au visa des articles 1147 du Code civil, L.111 du Code de la consommation, de :
- déclarer recevables et bien fondés M. A et Mme C en leur appel et y faire droit ;
- réformer la décision du tribunal de commerce du 24 mars 2017 et statuant à nouveau ;
- condamner la société Leroy Merlin au paiement de la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice financier subi avec intérêts de droit à compter de la lettre recommandée du 13 novembre 2015 ;
- condamner la société Leroy Merlin au paiement de la somme de 5000 euros au titre du préjudice moral, esthétique et de jouissance des appelants ;
- condamner la société Leroy Merlin à payer à M. A et Mme C la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les condamner aux entiers dépens.
M. A et Mme C font valoir au soutien de leur appel que la société Leroy Merlin a doublement manqué à son devoir de conseil en vendant un produit inadapté et en n'apportant aucune information à l'acheteur sur les précautions à prendre lors de son utilisation ; que la société Leroy Merlin aurait dû informer son acheteur des risques d'utilisation du produit, et le conseiller sur les précautions d'emploi ; qu'il ne saurait être reproché à M. A d'avoir choisi d'apposer le produit au pulvérisateur dans la mesure où cette méthode est préconisée par l'étiquette du produit ; que cette étiquette était sommaire et ne permettait pas d'informer M. A des risques liés à son utilisation.
Par conclusions notifiées le 2 octobre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, la SA Leroy Merlin France demande à la cour, au visa de l'article L. 111-1 du Code de la consommation, 6 et 9 du Code de procédure civile, 1134 et 1147 du Code civil, 1315 du Code civil, 700 du Code de procédure civile, de :
- déclarer les consorts A C irrecevables et mal fondés en leur appel ;
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rouen le 24 mars 2017 en toutes ses dispositions ;
Par conséquent,
- constater, dire et juger que M. A a causé son propre dommage en optant pour une application au pulvérisateur en ne respectant pas les consignes d'utilisation du produit imperméabilisant et en ne protégeant pas les surfaces avoisinant sa toiture ;
- constater, dire et juger que la société Leroy Merlin a satisfait à son devoir de renseignement pré contractuel ainsi qu'à son devoir d'information et de conseil ;
- constater, dire et juger l'absence de responsabilité de la société Leroy Merlin dans le préjudice invoqué par M. A et Mme C ;
- constater, dire et juger que M. A et Mme C ne justifient d'aucun préjudice indemnisable ;
En conséquence ;
- débouter M. A et Mme C de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
Y ajoutant,
- condamner solidairement M. A et Mme C à payer à la société Leroy Merlin la somme de 4000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner solidairement M. A et Mme C aux entiers dépens de l'appel.
La société Leroy Merlin France soutient que M. A est l'unique responsable de ses dommages ; qu'il n'a pas suivi les préconisations de la notice d'utilisation du produit acheté auprès de la société Leroy Merlin et n 'a pas protégé les surfaces avoisinant sa toiture ; que la société Leroy Merlin a rempli son devoir d'information concernant les caractéristiques essentielles du produit litigieux ; qu'elle a satisfait à son obligation pré contractuelle de renseignement ; que le produit acquis par M. A est vendu en libre-service ; qu'il ne démontre pas avoir sollicité les conseils d'un vendeur avant de choisir ce produit ; que l'étiquette apposée sur le produit mentionne les conditions d'utilisation du produit litigieux.
Elle ajoute que les désordres dont se prévalent les consorts C A sont des désordres de nature purement esthétique sans aucun dommage à l'ouvrage puisque les taches ont vocation à disparaître avec le temps; qu'ils ne subiront un préjudice qu'à la condition qu'ils vendent leur maison, que les auréoles soient encore visibles et que le prix de revente se trouve réduit compte tenu de la présence des auréoles blanches; qu'un tel préjudice n'est donc ni certain ni actuel ; que la demande de dommages et intérêts à hauteur de 5000 euros au titre d'un préjudice moral, esthétique et de jouissance est irrecevable et mal fondée.
SUR CE
Les consorts A C font valoir que la société Leroy Merlin a manqué à son devoir d'information et de conseil d'une part, en vendant un produit inadapté expliquant que M. A souhaitait obtenir un produit anti mousse et qu'il était reparti, sur les indications d'un vendeur, avec un produit anti perméabilisant (sic), d'autre part, en n'informant pas son acheteur sur la nécessaire protection des surfaces voisines et des risques avérés de traces indélébiles lors de l'application.
La société Leroy Merlin France soutient qu'aucune faute pré contractuelle ou contractuelle d'information ou de conseil ne peut lui être reprochée alors que par son comportement, M. A, ne respectant pas les préconisations de la notice, est à l'origine de son propre dommage.
- sur l'obligation pré contractuelle d'information
L'article L.111-1 du Code de la consommation dispose que, Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné ;
2° Le prix du bien ou du service, en application des articles L.113-3 et L.113-3-1 ;
3° En l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service ;
Il est constant que le support de communication utilisé en l'espèce est l'étiquette apposée sur le bidon du produit imperméabilisant Y acheté par M. B
Celle-ci mentionne la nature du produit : un imperméabilisant, (sa destination : protection des façades en brique, en pierre et tous supports poreux contre les intempéries) les modalités d'utilisation du produit : préparation du support, application de l'anti mouse Y, application de l'imperméabilisant Y, nettoyage des outils, sa composition, les risques de réaction allergique, les informations liées au caractère irritant du produit, ce qui suffit à renseigner le consommateur sur les caractéristiques essentielles du bien vendu, et notamment sur tous les éléments nécessaires à sa mise en œuvre comme l'a justement retenu, le tribunal.
M. A prétend qu'il souhaitait acheter un anti mousse pour démousser les tuiles en couverture, ce qui résulte de ses seules déclarations faites notamment lors de l'expertise amiable.
Toutefois, sur l'étiquette du produit acheté, sont indiqués clairement, de manière compréhensible et précise, les éléments destinés à identifier le produit qui est un imperméabilisant, et pas un anti mousse, dont l'application est prévue en préalable à celle du produit acheté par M. B
Les consorts A C, faisant référence à des décisions rendues dans le cadre de la garantie des produits défectueux, font valoir que l'étiquette ne contient aucune information précise sur les précautions d'emploi à prendre lors de l'opération.
Toutefois les consorts A C ne se plaignent pas d'une insuffisance d'information sur les risques sur la santé du consommateur, ni de dommages sur leur santé qu'ils auraient subi du fait de l'utilisation du produit.
Il n'est pas d'ailleurs pas démontré que la dangerosité de l'imperméabilisant nécessiterait des renseignements plus précis sur les risques sur la santé que ceux figurant sur l'étiquette, à savoir un risque de réaction allergique, la consultation d'un médecin ou du centre antipoison le plus proche en cas d'ingestion et d'incident d'empoisonnement en cas d'ingestion, et autres recommandations d'usage (tenir hors de la portée des enfants, éviter contact avec les yeux, la peau ou les vêtements), ainsi que le renvoi à la consultation de la fiche de données de sécurité disponible sur demande, s'agissant d'un produit chimique.
Les consorts A C se plaignent d'un défaut d'information en ce que l'étiquette ne mentionne pas le danger avéré d'une utilisation pouvant avoir pour conséquence l'apparition indélébile de traces blanchâtres et nécessitant d'alerter davantage le consommateur sur ce risque de changement durable de l'aspect d'origine du support ce dont ils déduisent que cette étiquette est impropre à la destination et sans objet.
Selon l'expertise amiable, "sur la notice du fabricant, il est précisé que ce produit est destiné à imperméabiliser les façades et les couvertures et qu'il est composé de résine méthylsiloxane. Après séchage, il forme un film protecteur sur le matériau et supprime sa porosité. Il a été mis en œuvre conformément à la notice, c'est-à- dire par pulvérisation avec une lance, à partir d'un échafaudage de pied posé au sol.
Sachant que cette notice ne faisait pas état de la nécessité de prendre des précautions particulières, au cours de l'application, des gouttes sont tombées au sol, une partie du nuage formé par la pulvérisation s'est déposée sur les zones actuellement affectées et l'excédent appliqué sur les tuiles s'est écoulé en bas des versants.
Compte tenu de la nature du produit, un nettoyage par jet haute pression n'est pas envisageable et seule sa dégradation naturelle dans un délai variable, en fonction du support et de son exposition, estimé entre 3 et 10 ans permettra de retrouver l'intégrité du matériau."
Les désordres constatés par l'expert sont les suivants : auréoles et voiles blancs visibles surtout par temps sec sur les tuiles, à l'égout des 2 versants, le vitrage des vélux, les panneaux solaires, certaines menuiseries et les dalles de la terrasse ainsi que sur le mobilier.
Il n'est pas question en l'espèce de l'acquisition d'un appareil pour lequel les informations données sur l'étiquette et/ou la notice d'information auraient été incomplètes, ce qui n'a pas permis à l'acheteur soit de prendre des précautions, soit de renoncer à son achat ou de mandater un professionnel pour effectuer l'opération, mais de l'emploi d'un produit pour lequel, selon les consorts A C, ils n'ont pas disposé d'information sur ses conditions d'utilisation et les précautions à prendre, privant l'utilisateur du moyen d'en faire un usage correct, conforme à sa destination.
Il est plus spécialement reproché l'absence d'information sur les risques d'utilisation du produit, et de conseil sur les précautions d'emploi, à savoir la nécessaire protection des surfaces voisines et des risques avérés de traces indélébiles lors de l'application.
En utilisant un pulvérisateur, M. A a effectivement respecté les consignes figurant sur l'étiquette laquelle prévoit son utilisation sur les façades en brique, en pierre et tous supports poreux. Il est conseillé d'appliquer le produit, quel que soit l'outil utilisé, pulvérisateur, pinceau ou rouleau, "en une seule opération jusqu'à saturation du support et sans excès afin d'éviter d'éventuelles traces blanchâtres".
Ainsi, bien que la nécessité de protéger les surfaces avoisinantes ne soit pas indiquée, le consommateur était alerté sur la possibilité d'apparition de traces blanchâtres, d'où la nécessité d'appliquer le produit en une seule opération, sans excès, le fait d'utiliser un pulvérisateur comme M. A justifiant que ce dernier prenne toute précaution concernant les surfaces se trouvant à proximité de celles concernées par l'opération, la dispersion du produit étant normalement envisageable et le risque de traces blanchâtres étant signalé.
M. A, par la lecture de l'étiquette, était donc suffisamment informé sur les caractéristiques essentielles du produit qu'il achetait, et notamment sa nature, ainsi que sur les précautions d'emploi à prendre pour son utilisation.
La société Leroy Merlin France a donc satisfait à son obligation pré contractuelle d'information.
- sur les obligations d'information et de conseil lors de l'achat du produit
Les consorts A C reprochent également à la société Leroy Merlin d'avoir manqué à son obligation d'information et de conseil lors de l'achat du produit. Ils indiquent que M. A voulait acheter un produit spécifique, à savoir un produit anti mousse ; qu'il est reparti, sur les indications d'un vendeur, avec un produit "anti perméabilisant", produit totalement différent de celui sollicité.
Il n'est pas contesté que le produit vendu à M. A est en vente en libre-service.
Certes l'étiquetage ne se substitue pas à un devoir de conseil et/ou de mise en garde. Pour autant encore faut-il que M. A, informé par l'étiquette de ce qu'il s'agissait d'un produit imperméabilisant, se soit assuré auprès du vendeur de son adéquation à l'usage qu'il voulait en faire, à savoir démousser les tuiles comme il l'a prétendu lors de l'expertise, pour reprocher à la société Leroy Merlin un manquement à son obligation de conseil.
Or, rien ne démontre que M. A ait sollicité les conseils d'un vendeur sur le produit à utiliser pour démousser les tuiles d'une toiture et qu'il lui a été conseillé le produit litigieux, hormis ses dires qui, à eux seuls, ne suffisent pas à établir la preuve de cette démarche.
L'étiquetage suffisait à renseigner M. A sur la nature et les caractéristiques du produit en libre-service, et plus particulièrement sur le fait qu'il achetait un produit imperméabilisant et pas un produit anti mousse.
Enfin, s'agissant d'un produit dont l'application ne nécessitait pas les connaissances d'un professionnel en bâtiment, et donc à la portée d'un profane, son utilisation n'exigeait nullement du vendeur un devoir de conseil renforcé et ce d'autant qu'il n'est pas démontré par M. A a sollicité les conseils d'un vendeur avant son achat.
Il ne peut donc être reproché à la société Leroy Merlin France un manquement à son obligation de conseil.
En l'absence de défaillance de la société Leroy Merlin France dans l'exécution de ses obligations précontractuelle et contractuelle d'information et de conseil, c'est à bon droit que le tribunal a débouté M. A et Mme C de l'intégralité de leurs demandes. La décision entreprise sera confirmée.
Le jugement entrepris sera également confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens, sans qu'il y ait lieu de prévoir une condamnation complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.