ADLC, 17 juillet 2019, n° 19-DCC-142
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soco Invest aux côtés de l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
La vice-présidente, Fabienne Siredey-Garnier
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 28 juin 2019, relatif à la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soco Invest aux côtés de l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, formalisée par une promesse synallagmatique de vente du 4 juin 2019 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
1. LES ACQUÉREURS ET LA CIBLE
1. Soco Invest est une société par actions simplifiée qui a pour objet l'exploitation d'un établissement commercial de commerce de détail. Elle est actuellement détenue par la société Socohold, laquelle est contrôlée ultimement par la famille Parfait (ci-après le " groupe Parfait "). Le groupe Parfait est composé de plusieurs sociétés actives en Martinique et en Guadeloupe, en particulier dans les secteurs de la distribution automobile, de la distribution alimentaire et de la décoration intérieure. Il exploite en Guadeloupe deux supermarchés sous l'enseigne U, situés au Gosier (971) et à Sainte-Rose (971), et trois hypermarchés en Martinique (972).
2. L'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ci-après, l'" ACDLec ") est l'organe qui définit la stratégie du mouvement E. Leclerc, dont sont adhérentes toutes les personnes physiques qui dirigent les sociétés d'exploitation de magasins E. Leclerc. L'ACDLec détermine notamment les conditions d'agrément au mouvement E. Leclerc et signe les contrats d'enseigne (ou " de licence de marques ") dont les exploitants de magasins de commerce de détail E. Leclerc doivent être titulaires.
3. Le magasin cible est un hypermarché exploité sous enseigne Géant Casino, situé en Guadeloupe, au Gosier (971), d'une surface de vente de 5 920 m². Il est détenu par la société SGBF, laquelle est contrôlée par le groupe Ho Hio Hen.
2. LE CONTRÔLE DES ENTITÉS CONCERNÉES
4. Il est soutenu dans le dossier de notification de l'opération que l'ACDLec n'exerce aucun contrôle sur Soco Invest et n'exercera aucun contrôle sur le magasin cible à l'issue de l'opération. Selon les parties notifiantes, ce dernier serait donc exclusivement contrôlé par le groupe Parfait et l'opération notifiée consisterait en la prise de contrôle exclusif du magasin cible par le groupe Parfait par l'intermédiaire de Soco Invest.
5. Néanmoins, à l'issue de l'opération, le fonds de commerce cible sera détenu par Soco Invest, laquelle sera conjointement contrôlée, au sens du droit des concentrations, par l'ACDLec et le groupe Parfait. En effet, comme l'Autorité l'a relevé dans de précédentes décisions *1 , les obligations que l'ACDLec fait peser sur les sociétés d'exploitation des magasins E. Leclerc, telles que Soco Invest, lui permettent d'exercer une influence déterminante sur celles-ci. Cette analyse de l'influence déterminante exercée par l'ACDLec est transposable à la présente opération, au vu des documents contractuels liant Soco Invest à l'ACDLec *2 .
B. L'OPÉRATION
6. L'opération, formalisée par une promesse synallagmatique de vente du fonds de commerce du 4 juin 2019, consiste en l'acquisition par Soco Invest de l'hypermarché sous l'enseigne Géant Casino situé au Gosier (971). Soco Invest est une société par actions simplifiée [confidentiel]. Elle a vocation à être titulaire d'un contrat [confidentiel] *3 . [Confidentiel] E. Leclerc [confidentiel].
7. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle conjoint du magasin cible par Socohold aux côtés de l'ACDLec, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.
8. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (mouvement E. Leclerc : [= 150 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018 *4 ; groupe Parfait : [= 150 millions] d'euros pour le même exercice ; le magasin cible : [= 150 millions] d'euros pour le même exercice). Deux de ces entreprises réalisent en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (mouvement E. Leclerc : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018 *5 ; groupe Parfait : [= 50 millions] d'euros pour le même exercice ; le magasin cible : [= 50 millions] d'euros pour le même exercice).
9. Les seuils de notification de l'article 1 paragraphe 2 du règlement (CE) 139/2004 sont franchis mais chacune des entreprises concernées réalisant plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans l'Union en France, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle relatif au commerce de détail mentionnés au II de l'article L. 430- 2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
1. MARCHÉS DE PRODUITS
10. En ce qui concerne les marchés de l'approvisionnement, la Commission européenne *6 retient l'existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales *7 . 11. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
12. Du point de vue géographique, la pratique décisionnelle constante des autorités de concurrence considère que les marchés de l'approvisionnement sont de dimension nationale *8 .
13. En ce qui concerne les départements et régions d'outre-mer (ci-après " DROM "), l'Autorité a souligné le caractère spécifique des circuits d'approvisionnement en produits de grande consommation et ses effets sur l'équilibre concurrentiel des marchés concernés *9 . De plus, une partie de l'approvisionnement des enseignes de distribution de détail à dominante alimentaire provient de producteurs locaux, afin notamment de répondre aux goûts et habitudes alimentaires locaux, mais aussi de limiter les coûts d'importation dont celui du fret maritime et celui de l'octroi de mer. Les marchés géographiques en matière d'approvisionnement peuvent donc être limités à chaque DROM, d'une part, et à la zone Antilles-Guyane, d'autre part *10.
14. En l'espèce, les parties sont simultanément actives dans la zone Antilles-Guyane et, plus précisément, en Guadeloupe.
B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE DETAIL A DOMINANTE ALIMENTAIRE
1. MARCHÉS DE PRODUITS
15. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, l'Autorité distingue six catégories de commerce de détail de biens de consommation courante, en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l'ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (magasins à dominante alimentaire d'une surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (entre 400 et 2 500 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les maxi-discompteurs, (vi) la vente par correspondance *11. Ces seuils de surfaces doivent toutefois être utilisés avec précaution : ils peuvent être adaptés à chaque cas d'espèce, en particulier si des magasins dont la surface est située à proximité d'un seuil, soit en-dessous, soit au-dessus, se trouvent en concurrence directe avec les magasins d'une autre catégorie.
16. Si chaque catégorie de magasin conserve sa spécificité, il existe une concurrence asymétrique entre certaines de ces catégories. L'Autorité distingue ainsi : (i) un marché comprenant uniquement les hypermarchés et (ii) un marché comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard-discount et magasins populaires) hormis le petit commerce de détail (moins de 400 m²) *12.
17. En l'espèce, le magasin cible dispose d'une surface de vente de 5 920 m² : il entre donc dans la catégorie des hypermarchés. L'opération sera donc analysée sur les deux marchés définis ciavant.
2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
18. Les autorités de concurrence examinent les effets des concentrations dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire au niveau local, qui correspond à la zone de chalandise associée à chaque magasin et dont l'étendue est fonction du temps de déplacement en voiture pour le consommateur (hors Paris) *13.
19. Pour les magasins dont la superficie est supérieure à 2 500 m², l'Autorité considère que les conditions de la concurrence s'apprécient sur deux zones différentes (hors Paris) :
- un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d'une zone et l'offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;
- et un second marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l'offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture *14.
20. Ces délimitations sont toutefois susceptibles d'être affinées au cas par cas, en fonction des caractéristiques de la zone locale, puisque d'autres critères peuvent être pris en compte pour évaluer l'impact d'une concentration sur la concurrence.
21. En l'occurrence, le magasin cible entrant dans la catégorie des hypermarchés, l'opération sera analysée sur le marché incluant uniquement les hypermarchés dans un rayon de 30 minutes de déplacement en voiture à partir du magasin cible et, d'autre part, sur le marché incluant les hypermarchés, les supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans un rayon de 15 minutes.
III. Analyse concurrentielle
22. Le groupe Parfait exploite actuellement, sous enseigne " U ", trois hypermarchés en Martinique et deux supermarchés en Guadeloupe. Il ressort toutefois des accords conclus avec l'ACDLec que ces cinq magasins seront exploités sous enseigne E. Leclerc [confidentiel]. L'analyse prospective menée par l'Autorité se place donc dans cet horizon temporel et les effets de l'opération seront examinés en tenant compte de ce changement d'enseigne.
A. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
1. AU NIVEAU NATIONAL
23. En ce qui concerne les marchés amont de l'approvisionnement, l'opération ne concerne qu'un seul magasin dont le montant des achats totaux représente une part marginale du marché national de l'approvisionnement.
24. La puissance d'achat du mouvement E. Leclerc et du groupe Parfait n'est donc pas susceptible d'être renforcée, tous produits confondus comme par catégories de produits, à l'issue de l'opération *15.
2. AU NIVEAU LOCAL
25. Au niveau local, la puissance d'achat du mouvement E. Leclerc et du groupe Parfait est renforcée par l'acquisition du magasin cible. Toutefois, les parts de marché cumulées des parties sont inférieures à 25 %, quelle que soit la segmentation retenue.
B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION
26. Sur le marché comprenant les hypermarchés situés dans une zone correspondant à un déplacement en voiture de 30 minutes à partir de l'hypermarché cible, l'opération n'emporte aucun chevauchement entre les parties, ni le mouvement E. Leclerc ni le groupe Parfait n'exploitant d'hypermarché dans cette zone.
27. Sur le marché comprenant les hypermarchés, supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans une zone correspondant à un déplacement de 15 minutes en voiture à partir de l'hypermarché cible, l'opération emporte un chevauchement avec un autre magasin, qui sera exploité par le groupe Parfait sous l'enseigne E. Leclerc [confidentiel]. Les parts de marché du mouvement E. Leclerc et du groupe Parfait dans cette zone seront toutefois inférieures à [10-20] % (dont [10-20] % pour le magasin cible).
28. L'Autorité relève que ces marchés locaux sont caractérisés par la présence de plusieurs enseignes concurrentes, telles que Carrefour ([40-50] %), Système U ([10-20] %), Leader Price ([5-10] %), ou Écomax ([5-10] %), et que l'opération n'a pas pour effet de priver les consommateurs d'une offre alternative.
29. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence tant sur les marchés aval de la distribution, que sur les marchés amont de l'approvisionnement.
DÉCIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 19-154 est autorisée.
NOTES
1 Décisions de l'Autorité n° 16-DCC-14 du 29 janvier 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d'un magasin de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Attindis aux côtés de l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, n° 16- DCC-53 du 15 avril 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire sous enseigne E. Leclerc par les époux Bernard aux côtés de l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, n° 16-DCC-211 du 13 décembre 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de la société Sodix par l'Association ACDLec aux côtés de la société Lacdis et n° 19-DCC-63 du 9 avril 2019 relative à la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Thegadis aux côtés de l'Association des Centres distributeurs E. Leclerc.
2 Voir les paragraphes 6 à 17 de la décision de l'Autorité n° 19-DCC-63 du 9 avril 2019 relative à la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Thegadis aux côtés de l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc.
3 [Confidentiel], il ne fait aucun doute que la société Soco Invest a vocation à être [confidentiel] au Mouvement E. Leclerc et à figurer à l'avenir sur le contrat [confidentiel] E. Leclerc.
4 L'ACDLec exerçant un contrôle conjoint sur certains magasins à l'enseigne E. Leclerc, 50 % du chiffre d'affaires des magasins a été affecté à l'ACDLec aux fins du calcul du chiffre d'affaires, conformément aux dispositions des paragraphes 186 et 187 de la communication consolidée de la Commission européenne.
5 Id.
6 Décisions de la Commission européenne M.1684 du 25 janvier 2000 Carrefour / Promodès et M.2115 du 28 septembre 2000 Carrefour / GB.
7 Lettres du ministre chargé de l'économie C2005-98 du 10 novembre 2005 Carrefour/Penny Market, C2006-15 du 14 avril 2006 Carrefour/ Groupe Hamon, C2007-172 du 13 février 2008 relative à la création de l'entreprise commune Plamidis et C2008-32 du 9 juillet 2008 Carrefour/SAGC, ainsi que les décisions n° 16-DCC-53 et n° 16-DCC-211 précitées.
8 Décisions COMP/M.1684,COMP/M.4096, n° 16-DCC-53 et n° 16-DCC-211 précitées.
9 Avis du Conseil de la concurrence n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer.
10 Décision de l'Autorité n° 18-DCC-142 du 23 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés SDRO et Robert II par la société Groupe Bernard Hayot.
11 Décisions n° 16-DCC-53, n° 16-DCC-211 et n° 19-DCC-63 précitées.
12 Id.
13 Id.
14 Id.
15 Il convient de relever que les cinq magasins exploités par le groupe Parfait représentent une part de marché inférieure à 1 % sur les marchés amont de l'approvisionnement au niveau national.