CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 20 septembre 2019, n° 17-01434
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Aérostatique du Val de Seine (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lis Schaal
Conseillers :
Mmes Bel, Cochet Marcade
Avocats :
Mes Sprimont, Doublait, Truche
La SARL Aérostatique du Val de Seine exploite une activité d'organisation de baptêmes de l'air en montgolfière sous la dénomination commerciale " Airshow " (ci-après société Airshow) dont une partie est effectuée depuis 2005 par M. X, exerçant en nom personnel, sous la dénomination commerciale " les Ballons Migrateurs ", l'activité de transports aériens en montgolfière (aérostier) en région lilloise et du Mont des Cats dans les Flandres. Inversement, depuis la même époque, ce dernier a confié à la société Airshow l'accueil téléphonique de ses clients et la gestion de leurs réservations. Les facturations réciproques étaient réglées par compensation à due concurrence. Les relations d'affaires ne reposaient pas sur un écrit.
Fin 2013, estimant que la tarification de ses prestations administratives ne représentait pas la réalité des coûts effectivement supportés et n'intégrait pas de marge commerciale, la société Airshow l'a modifiée en abandonnant la facturation à l'acte (coût par passager/coût par opération) pour une nouvelle tarification qui a d'abord été acceptée par M. X par courriel du 6 janvier 2014, avant de rétracter son accord le 23 janvier suivant. Les relations ont cependant partiellement perduré durant l'année 2014, la société Airshow hébergeant le site internet avec l'abonnement au système de réservation (Airway) et commandant aussi par ailleurs des vols à M. X pour un montant de 7 990 euros TTC, mais qui n'ont pas été réalisés. En outre le 5 mai 2015, la société Airshow a mis M. X en demeure de lui payer les sommes TTC de 6 907,20 euros et de 3 927,22 euros (soit la somme de 10 834,42 euros au total) correspondant à la fourniture de prestations administratives, ce dernier s'y refusant par courriel du 11 mai suivant.
Estimant que, par son courriel de rétractation, M. X a mis fin brutalement sans préavis à leur relation commerciale établie depuis environ dix ans, la société Airshow l'a assigné le 13 juillet 2015 devant le tribunal de commerce de Lille Métropole au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce aux fins essentiellement de le faire condamner à lui payer les sommes de :
- 23 541 euros de dommages et intérêts en réparation " du préjudice financier subi du fait de la perte de marge brute et de la diminution subséquente de son chiffre d'affaires ", consécutif à la rupture brutale de la relation commerciale établie,
- 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation " du préjudice d'image ",
- 1 034,42 euros TTC, majorée des intérêts " aux taux légaux successif " à compter de l'assignation et anatocisme, en paiement des factures arriérées,
Outre l'indemnisation de ses frais irrépétibles.
S'y opposant, en faisant notamment valoir se trouver dans la situation prévue par l'article précité L. 442-6, I, 5° lui permettant de rompre la relation sans préavis lorsque le cocontractant n'exécute pas ses propres obligations, M. X a reconventionnellement sollicité la condamnation de la société Airshow à lui payer la somme de 79,99 euros TTC au titre d'un reliquat de facture (après compensation) et des dommages et intérêts à hauteur des sommes de 30 000 euros, en réparation du trouble commercial, et de 5 000 euros en raison de l'obligation de racheter une nouvelle application informatique, outre l'indemnisation des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire du 27 septembre 2016, le tribunal de commerce de Lille Métropole, se déclarant compétent au titre de la demande d'indemnisation d'une rupture brutale, constatant l'existence d'une relation commerciale établie, estimant que M. X ne justifiait pas de raisons suffisamment graves pour justifier une rupture (partielle) sans préavis et constatant l'existence de créances réciproques non contestées, a condamné :
- M. X à payer à la société Airshow la somme de 8 812,50 euros au titre de son préjudice financier,
- la société Airshow à payer à M. X la somme de 5 000 euros au titre de son trouble commercial, et la somme de 79,99 euros au titre du solde des factures réciproque après compensation,
tout en rejetant les demandes d'indemnisation des frais irrépétibles, les dépens étant partagés par moitié.
Vu l'appel interjeté le 17 janvier 2017, par M. X et ses dernières écritures (n° 2) télé-transmises le 15 mai suivant, réclamant la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivant la réformation du jugement en sollicitant à nouveau la condamnation de la société Airshow à lui payer, outre le reliquat de facture de 79,99 euros, des dommages et intérêts à hauteur des sommes de 30 000 euros, en réparation du trouble commercial, et de 5 000 euros en raison de l'obligation de racheter une nouvelle application informatique ;
Vu les dernières écritures télé-transmises le 14 avril 2017, par la société Airshow intimée, réclamant la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivant l'infirmation du jugement (sauf en ce qu'il a reconnu la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie) en sollicitant à nouveau la condamnation de M. X à lui payer les sommes de :
- 23 541 euros de dommages et intérêts en réparation " du préjudice financier subi du fait de la perte de marge brute et de la diminution subséquente de son chiffre d'affaires ", consécutif à la rupture brutale de la relation commerciale établie,
- 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation " du préjudice d'image ",
- 10 834,42 euros TTC, majorée des intérêts " aux taux légaux successifs " à compter de l'assignation et anatocisme, en paiement des factures arriérées ;
SUR CE,
Considérant, à titre liminaire, que la société Airshow fait essentiellement état de la rupture brutale par M. X de leur relation commerciale concernant l'exécution des prestations administratives qu'elle assurait antérieurement pour " les Ballons Migrateurs " au titre des réservations et de la gestion commerciale depuis 2005 ;
Qu'en revanche, bien que la société Airshow fasse aussi état des refus de vols en montgolfière opposés par M. X les 7 août 2014, 20 avril et 6 mai 2015 à ses clients, elle n'en déduit pas pour autant l'existence d'une rupture de relation de ce fait, la lettre du 5 mai 2015 de son conseil à M. X précisant, au demeurant, que les vols ont repris après une mise en demeure adressée par la société Airshow [pièce intimée n° 9] ;
Sur la rupture brutale,
Considérant qu'à partir d'une analyse courant automne 2013 du coût des réservations et de la gestion commerciale effectuées par la société Airshow au profit de M. X ("les ballons migrateurs"), ce dernier a donné son accord par courriel du 6 janvier 2014 (20 h 33) à la dernière proposition de la société Airshow par courriel du même jour (16 h 11) d'un prix mensuel d'un montant de 1 750 euros HT (soit 2 100 euros TTC) [pièce intimée n° 5] ;
Que la société Airshow prétend que la prestation de gestion du service clientèle " constituait l'essentiel des prestations fournies [...] aux Ballons Migrateurs " et que M. X :
- tout en contestant que la gestion du service clients ait pu constituer l'essentiel des prestations de la société Airshow, puisque le Code NAF 7735Z de celle-ci correspond à une activité de location de matériels de transport aérien et non de gestion d'affaires,
- ne conteste pas pour autant que les services administratifs étaient réalisés depuis 10 ans pour son compte, ni avoir informé la société Airshow le 22 janvier 2014 de sa volonté de mettre fin aux prestations gestion, ce dont cette dernière a pris acte par courriel du 25 janvier 2014, en indiquant qu'elle s'était aperçue que le transfert de la ligne téléphonique " des ballons migrateurs " sur la ligne téléphonique Airshow avait été annulé deux jours plus tôt, soit le 23 janvier 2014 [pièce intimée n° 6],
cette situation étant qualifiée de " rupture partielle " par la lettre du 5 mai 2015 du conseil de la société Airshow à M. X [pièce intimée n° 9 précitée] ;
Que l'appelant justifie sa décision de rupture sans préavis en soutenant que la société Airshow n'exécutait pas ses propres obligations en raison des dysfonctionnements ayant un " mauvais impact " sur son activité d'aérostier, puisque des clients " ont diffusé sur internet leur mécontentement sur l'accueil téléphonique " ;
Mais considérant qu'en présence d'un nombre très limité de mécontentements rapportés au dossier, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimés que M. X n'avait pas établi que les problèmes qualitatifs invoqués ont été suffisants pour justifier un arrêt de la gestion administrative sans préavis, d'autant qu'au jour de la rupture, il avait accepté une nouvelle tarification depuis deux semaines seulement ;
Qu'en fonction de l'ancienneté de la relation de gestion administrative rémunérée par M. X, il convient de rechercher la durée du préavis qui aurait dû être accordé et d'en déduire la marge brute dont la société Airshow a été privée ;
Que si les éléments du dossier, soit une durée d'environ 8 ans de relations d'affaires entre 2005 et 2013 et la stagnation à compter de l'année 2009, voire la régression, des revenus de la société Airshow provenant de cette prestation au bénéfice de M. X, permettent de fixer à 4 mois le préavis qui aurait dû être donné à la société Airshow pour lui permettre de réorganiser cette partie de ses activités et de rechercher des clients " administratifs " de substitution, le dossier est en revanche peu documenté sur la marge brute réelle qu'elle retirait de cette activité auprès des " Ballons Migrateur "' ;
Que la société Airshow prétend qu'il serait résulté de cette rupture " à la fois une perte de marge brute et aussi une diminution de son chiffre d'affaires de 2014 sur les prestations centre d'appel " en comparaison avec ceux réalisés de 2011 à 2013, qu'elle évalue à hauteur de la somme de 7 847 euros par an (20 723 en 2013 - 12 876 en 2014) en estimant que le préjudice résultant de la rupture brutale " doit être évalué à 3 fois cette perte annuelle ", soit la somme de 23 541 euros ;
Mais considérant que les montants ci-dessus avancés par la société Airshow sont des chiffres d'affaires et que, dans la note préalable d'automne 2013 en vue de la re-négociation du prix des prestations administratives, la société Airshow indique elle-même que le tarif antérieur (à celui finalement proposé le 6 janvier 2014) " n'intégrait pas de marge commerciale pour Airshow " ;
Qu'il s'en déduit que la brutalité de la rupture (partielle) de la relation commerciale établie depuis 8 ans environ concernant la gestion administrative pour le compte " des Ballons Migrateurs " n'a causé à la société Airshow qu'un préjudice très limité, que les éléments disponibles dans le dossier, permettent à la cour de fixer à la somme de 2 132 euros (moyenne des chiffres d'affaires des trois dernières années soit 2 666 euros par mois, auquel un taux de marge brute de 20 % est appliqué = 533 euros x 4 mois), le jugement devant être infirmé en ce qu'il a fixé ce montant à la somme de 8 812,50 euros ;
Sur le préjudice d'image
Considérant que la société Airshow invoque aussi un " préjudice d'image ", en sollicitant une indemnité d'un montant de 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation ;
Mais considérant que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que ce préjudice n'était pas démontré étant surabondamment rappelé que la lettre précitée du 5 mai 2015 a reconnu que les vols ont repris après une mise en demeure adressée par la société Airshow [pièce intimée n° 9] ;
Que le jugement doit être confirmé de ce chef ;
Sur le paiement des factures arriérées (de part et d'autre)
Considérant, comme l'ont relevé les premiers juges, que :
- d'une part, les factures de 2014 et du solde des prestations de 2013 n'ont pas été contestées par M. X, soit globalement la somme de 10 834,42 euros TTC,
- d'autre part, le prix des prestations de 67 vols réalisés en 2014 par " les Ballons Migrateurs ", d'un montant de 10 914,41 euros TTC n'a pas davantage été contesté par la société Airshow,
de sorte que le jugement doit aussi être confirmé en ce qu'il a condamné la société Airshow à payer le solde après compensation, d'un montant de 79,99 euros à M. X;
Sur les demandes de M. X
Considérant qu'en alléguant un " mauvais impact " sur son activité d'aérostier, en raison du mécontentement sur l'accueil téléphonique diffusé sur internet par certains clients, l'appelant allègue d'un " trouble commercial " dont il demande réparation par l'allocation d'une indemnité d'un montant de 30 000 euros ;
Mais considérant que les justifications versées au dossier ne sont pas suffisantes pour l'établir d'autant qu'en discutant puis en acceptant dans un premier temps la nouvelle tarification des prestations administratives, M. X a implicitement reconnu que ces réclamations n'étaient pas réellement significatives, et qu'en conséquence, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a alloué la somme de 5 000 euros de ce chef ;
Qu'en outre, ayant lui-même décidé de faire réaliser un autre site internet par un autre prestataire, M. X ne justifie pas du refus de la société Airshow de continuer à abriter son site internet antérieur, de sorte que c'est encore à juste raison que le tribunal l'a débouté de cette demande ;
Considérant que les circonstances de la cause ne commandent pas d'allouer aux parties l'indemnisation de leurs frais irrépétibles d'appel, celles-ci conservant également à leur charge les dépens d'appel qu'elles ont exposés ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il a alloué la somme de 8 812,50 euros à la société Airshow au titre du préjudice financier et a condamné cette société à payer à M. X des dommages et intérêts en réparation du trouble commercial, Et statuant à nouveau de ces seuls chefs, Condamne M. X, exerçant en nom personnel sous la dénomination commerciale " les Ballons Migrateurs " à payer à la SARL Aérostatique du Val de Seine exploitant sous la dénomination commerciale " Airshow " la somme de 2 132 euros au titre du préjudice financier, Déboute M. X de sa demande de dommages et intérêts au titre d'un trouble commercial, Confirme le jugement pour le surplus, Rejette les demandes au titre des frais irrépétibles d'appel, Dit que les parties conservent chacune à leur charge les dépens d'appel qu'elles ont exposés.