CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 18 septembre 2019, n° 19-00169
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Risscar (SA)
Défendeur :
Sogecore (SAS), Locar (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Benoiton, Lionnet
LA COUR
La société Risscar a pour activité la location de courte durée de voitures et de véhicules automobiles légers, qu'elle exerce sous la franchise Europcar. Elle compte parmi ses actionnaires la société Sogecore.
Soutenant que la société Sogecore avait créé et était devenue présidente d'une société dénommée Locar, spécialisée dans le même secteur d'activité et exerçant son activité sous la franchise Greenmotion, et qu'elle agissait ainsi en violation d'une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de franchise avec Europcar, la société Risscar a d'une part demandé sur requête au président du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis à être autorisée à enquêter sur cette activité et à se faire remettre certains documents et d'autre part saisi le juge des référés commerciaux afin d'obtenir sous astreinte l'arrêt immédiat de l'activité concurrente développée par la société Locar.
Par ordonnance du 27 septembre 2018 il a été fait droit à sa requête. La société Locar a saisi le 16 octobre 2018 le juge des référés en rétractation de l'ordonnance.
Les deux procédures ont été jointes.
Par ordonnance du 21 janvier 2019 le juge des référés a :
- débouté la société Risscar de l'ensemble de ses demandes ;
- rétracté l'ordonnance du 27 septembre 2018 ;
- débouté les sociétés Locar et Sogecore de leur demande de dommages et intérêts ;
- condamné la société Risscar à payer sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 3 000 à la société Locar et la somme de 2 000 à la société Sogecore ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration au greffe de la cour formulée par voie électronique le 31 janvier 2019 la société Risscar a relevé appel de cette décision.
L'affaire a été fixée à bref délai par ordonnance du 25 mars 2019.
MOYENS ET PRETENTIONS
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 15 mai 2019 la société Risscar demande à la cour de :
- rejeter toutes les demandes et prétentions de la Sogecore et de Locar ;
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, rétracté l'ordonnance du 27 février 2018, condamnée au paiement de frais irrépétibles et aux dépens ;
Et statuant à nouveau
- déclarer son action recevable et bien fondée et en conséquence ;
- condamner la société Sogecore et la société Locar à cesser immédiatement toute activité concurrente de la sienne, sous astreinte de 5 000 par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- ordonner le retrait de toute publicité pour ou en faveur de Locar ou Greenmotion sur internet ou tout autre support de publicité sous astreinte de 5 000 par publicité dument constatée dans un délai de trois jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- condamner solidairement la société Sogecore et la société Locar à lui payer une somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens comprenant le coût du constat d'huissier dressé.
A l'appui de ses prétentions la société Risscar fait principalement valoir :
- que le contrat de franchise qui la lie avec la société Europcar interdit aux actionnaires du franchisé d'exercer directement ou indirectement une activité concurrente et que par conséquent en créant et en exploitant la société Locar, la société Sogecore viole la clause de non-concurrence ;
- qu'en agissant ainsi la société Sogecore met en péril la détention de la carte Europcar sur laquelle repose toute son activité ;
- qu'ainsi il existe un trouble manifestement illicite qu'il y a lieu de faire cesser et un dommage imminent qu'il y a lieu de prévenir ;
- que la société Sogecore était parfaitement informée de l'existence de cette clause de non conccurence ;
- qu'en s'engageant en qualité de PDG de la société Risscar envers Europcar, M. E... a également engagé les actionnaires au rang desquels se trouve la société Sogecore.
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 18 juin 2019 la société Sogecore et la société Locar demandent à la cour de :
- d'ordonner le retrait des débats du constat d'huissier du 8 octobre 2018 ainsi que tous les développements qui s'y rapportant dans les écritures de l'appelante, le caractère illicite de la production de cette pièce résultant de la rétractation de l'ordonnance sur requête du 27 septembre 2018 ;
- enjoindre à la société Risscar de leur communiquer son courrier du 7 novembre 2013 auquel répond la pièce 16 qu'elle produit au débat ;
- juger que les demandes présentées par la société Risscar ne se justifient ni par l'existence d'un trouble manifestement illicite, ni par la nécessité de prévenir un dommage imminent ;
- confirmer en conséquence l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a débouté la société Risscar de toutes ses demandes ;
- juger que la société Risscar est dépourvue de motif légitime à obtenir la mesure d'investigation qu'elle a sollicitée au préjudice de la société Locar ;
- confirmer en conséquence l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance rendue le 27 septembre 2018 ;
Subsidiairement
- modifier l'ordonnance sus visée et dire que les mesures suivantes devront être exclues de la mission de l'huissier : " se faire remettre tous documents justifiant l'identité des actionnaires de la société Locar tels que les statuts de la société ou le registre des mouvements de titres, ainsi que tous documents liés à l'actif mobilier et immobilier de la société, notamment le contrat de franchise Green Motion, le bail ou le titre de propriété des locaux, les factures d'achat des véhicules mis en location, et les carnets de réservation ainsi que la liste du personnel ; copier décrire faire reproduire tous documents à ce sujet ; décrire les parties en présence et relater leurs noms et qualités " ;
En tout état de cause
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle les a déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts et statuant à nouveau de ce chef :
- condamner la société Risscar à payer à chacune d'elles les sommes de :
- 10 000 à titre de provision sur dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement des articles 32-1 du Code de procédure civile et 1240 du Code civil ;
- 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
La société Sogecore et la société Locar répliquent et soutiennent pour leur part :
Sur les pièces :
- que le constat d'huissier produit a été dressé en vertu d'une ordonnance sur requête qui a été rétractée, et qu'il présente dès lors un caractère illicite ;
- que s'agissant de la pièce n° 16 produite qui consiste en un courrier en réponse il est nécessaire d'avoir connaissance du courrier auquel il est répondu pour éclairer le contexte ;
Sur les demandes :
- que la clause de non-concurrence invoquée par la société Risscar ne leur est pas opposable puisqu'elles ne sont pas parties au contrat liant Risscar et Europcar et qu'en outre aucune ratification d'une telle clause n'a été demandée ni obtenue de la part de Sogecore ;
- que le principe de l'effet relatif des conventions posé par l'article 1199 du Code civil et repris dans l'article 1203 ne permet pas à la société Risscar d'opposer la clause contenue dans un contrat dont elle est seule signataire avec le créancier de l'obligation souscrite à l'un de ses associés qui ne l'a pas personnellement et expressément ratifiée ;
- que la société Locar personne morale distincte de Sogecore et qui n'a aucun lien ou rapport quelconque avec la société Risscar n'est tenue à aucune obligation de non-concurrence envers elle ;
- que le trouble allégué n'est nullement " manifestement illicite " de sorte que les prétentions de la société Risscar ne peuvent qu'être rejetées ;
- qu'il ressort des annexes au contrat de franchise produites que les parties au contrat ont sciemment limité l'engagement de non-concurrence au principal actionnaire M. X par sa seule ratification ce qui permet d'établir qu'à aucun moment, ni le franchiseur Europcar ni le franchisé Risscar n'ont souhaité étendre cette obligation de non-concurrence à Sogecore ;
- qu'en outre la validité de la clause de non-concurrence est discutable dans la mesure où d'une part elle apparaît comme étant disproportionnée à l'égard d'un actionnaire minoritaire au regard de l'intérêt légitime du franchiseur et d'autre part quasiment illimitée dans l'espace ;
- que l'existence d'un dommage imminent n'est pareillement pas établi, comme en témoigne le rapport de gestion du conseil d'administration de Risscar présenté à l'assemblée générale annuelle des actionnaires du 4 juin 2019 ;
- que les mesures sollicitées sur requête par la société Risscar tendant à apporter la preuve que la société Locar exploitait une activité concurrente de la sienne et que la société Sogecore y était impliquée, étaient inutiles dans la mesure où elle détenait déjà ces éléments de preuve ;
- qu'en tout état de cause les mesures ordonnées qui constitueraient une atteinte intolérable et injustifiée au secret des affaires doivent être rétractées ;
- que la société Risscar est animée par une intention de nuire qu'il convient de sanctionner en faisant droit à sa demande de dommages et intérêts.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les pièces
L'ordonnance entreprise assortie de l'exécution provisoire a rétracté l'ordonnance du 27 septembre 2018 en vertu de laquelle le constat d'huissier établi le 8 octobre 2018 et produit devant la cour en pièce 8 a été dressé.
Eu égard à la rétractation intervenue le constat dressé dans les locaux de la société Locar à l'enseigne Green Motion n'a plus de fondement juridique et doit être écarté des débats.
M. Y n'est pas partie à l'instance. La correspondance qui a pu exister entre lui et la société Risscar n'est pas utile pour solutionner le litige dont la cour est saisi. Il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à la demande de production du courrier du 07 novembre 2013 que la société Risscar a fait parvenir à M. Y. La demande sera rejetée.
Sur le trouble manifestement illicite et le dommage imminent
Vu les dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile,
Le trouble manifestement illicite invoqué par la société Risscar est la concurrence exercée par la société Locar et la société Sogecore en violation par l'actionnaire qu'est la société Sogecore, d'une clause de non-concurrence insérée dans le contrat de franchise liant la société Risscar à la société Europcar.
Il doit en premier lieu être observé que la société Locar qui exerce l'activité concurrente n'est pas actionnaire de la société Risscar et ne peut dès lors se voir opposer le contrat de franchise invoqué.
S'agissant de Sogecore le contrat de franchise conclu entre la société Risscar et la société Europcar contient une clause ainsi libellée : " pendant toute la durée de ce contrat le franchisé et/ou l'un quelconque de ses actionnaires s'interdit toute activité concurrente (...) directe ou indirecte (...) par activité indirecte les parties entendent toute situation d'ordre commercial, familial, à but ou non lucratif, susceptible d'engendrer un conflit d'intérêt, toute participation détenue par le franchisé, par ses dirigeants de fait ou de droit, ou par des sociétés de son groupe ou même par ses actionnaires dans une entité qui exercerait une activité concurrente à celle du réseau Europcar " .
La société Sogecore actionnaire minoritaire de la société Risscar exerce également les fonctions de présidente de la société Locar qui développe une activité concurrente de la société Risscar. Cependant aucun élément du dossier ne permet d'établir d'une part que la clause de non-concurrence signée par la société dont elle détient des actions ait été portée à sa connaissance et d'autre part qu'elle y a adhéré.
Dès lors le caractère illicite du trouble invoqué n'est pas établi.
Si au stade de l'appel la société Risscar produit un courriel du 28 février 2019 et une mise en demeure du 13 mars 2019 émanant de la société Europcar " se réservant le droit " de procéder à la résiliation du contrat de franchise, il doit être relevé que l'imminence d'une telle décision n'est pas établie et qu'en outre la mise en demeure de se mettre en conformité avec le contrat est adressée à la société Risscar seul co-contractant.
Dès lors un dommage imminent qui serait imputable à la société Sogecore n'est pas établi.
Sur la rétractation de l'ordonnance sur requête
La requête présentée au président du tribunal mixte de commerce indiquait qu'elle était nécessaire pour constater l'activité réelle et effective de la société Locar détenue par la société Sogecore et établir l'exercice d'une activité concurrente.
Il ressortait des pièces détenues par la société Risscar et produits aux débats, qu'elle pouvait établir sur la base de l'avis de constitution publié au Bodacc le 5 juillet 2018 que la société Locar avait commencé son activité en janvier 2018, qu'elle exerçait également une activité de location de courte durée de véhicules de tourisme, directement concurrente et qu'elle était présidée par la société Sogecore.
Par conséquent le constat requis dans les locaux de la société Locar était inutile, la production de pièces étant elle-même inutile, certaines de ces pièces à savoir les documents liés aux actifs mobiliers et immobiliers de la société, le contrat de franchise Green Motion, le bail, les titres de propriété, les factures d'achat des véhicules et les carnets de réservations relevant du secret des affaires.
Dès lors c'est à bon droit que le premier juge a rétracté son ordonnance.
Sur la demande de dommages et intérêts
La mise en œuvre d'une procédure de référé et l'appel interjeté ne permettent pas en eux-mêmes de caractériser une intention de nuire.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts formulée sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile et 1240 du Code civil.
Il résulte de l'ensemble de ses motifs que la décision entreprise sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
La société Risscar qui succombe sera tenue aux dépens de l'instance d'appel.
L'équité commande d'allouer une somme de 1 500,00 à la société Locar et de 1 500,00 à la société Sogecore sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du Code de procédure civile, Ecarte des débats le procès-verbal de constat dressé le 08 octobre 2018 par Me Z huissier de justice constituant la pièce 8 de l'appelante ; Dit n'y avoir à faire injonction à la société Risscar de produire le courrier envoyé à M. Y le 7 novembre 2013 ; Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ; Condamne la société Risscar aux dépens de la procédure d'appel ; Condamne la société Risscar à verser à la société Locar une somme de 1 500 et à la société Sogecore une somme de 1 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.