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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 15 septembre 2011, n° 2011-10118

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Entreprise George Lanfry (SAS), H. Chevalier (SA), Pavy (SAS), Charpentier PM (SARL), Nouvelle Bodin (SARL), Coefficient (Sté), Pateu et Robert (SAS), Degaine( SAS), Anonyme Terh Monuments Historiques (Sté)

Défendeur :

Autorité de la Concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tardif

Avocats :

Mes Garnier, Boudeweel, Chevalier, Reymond, Abou, Saint-Esteben, Selegny

Aut. conc., du 26 janv. 2011

26 janvier 2011

Le 16 mars 2011, la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Haute Normandie a saisi la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à propos de pratiques qui auraient été mises en œuvre par des entreprises du secteur de la restauration de monuments.

Le 18 mai 2005, la société GAR Rénovation Vieux Edifices, a saisi le Conseil de la concurrence (devenu " Autorité de la concurrence ") de pratiques d'exclusion des marchés de rénovation de monuments historiques dont elle serait victime dans la région Ile-de France.

Le Conseil s'est ensuite autosaisi le 12 novembre 2007 après avoir été informé, au cours de l'année 2006, de l'existence d'une information judiciaire ouverte devant le tribunal de grande instance de Rouen à l'encontre de plusieurs dirigeants d'entreprises actives dans ce secteur.

Il a ensuite été saisi par I... de l'Economie concernant des faits similaires, le 20 novembre 2007.

Dans sa décision n° 11-D-02 du 26 janvier 2011, l'Autorité de la concurrence a sanctionné quatorze entreprises pour avoir réparti entre elles la quasi-totalité des marchés publics de restauration des monuments historiques dans les régions de Basse-Normandie, Haute-Normandie et Picardie entre 1992 et 2002.

L'Autorité a sanctionné, par ailleurs des ententes ponctuelles mises en œuvre par ces entreprises dans ce secteur, dans les régions Aquitaine, Bourgogne, Nord-Pas-de-Calais et Ile de France entre 1998 et 2002, ententes qui auraient affecté la majeure partie des appels d'offres lancés par les maîtres d'ouvrages publics dans les régions de Normandie et Picardie et auraient freiné le lancement de chantiers de restauration de monuments historiques appartenant au patrimoine culturel national dans les autres régions.

Par la décision n° 11-D-02 du 26 janvier 2011,l'Autorité de la Concurrence a retenu que différentes sociétés avaient enfreint les dispositions de l'article L.420-1 du Code commerce dont les quatre sociétés suivantes à savoir la société Lanfry, la société Pradeau et Morin, la société T.E.R.H.et la société Chevalier Nord, qui ont formé chacune séparément une demande de sursis à exécution qui a été appelée à l'audience de la chambre 5-7 de la Cour d'appel de Paris le 16 juin 2011.

Concernant la société Lanfry, l'Autorité de la Concurrence a infligé une sanction pécuniaire de 633 000 euros avec obligation de participer au financement de la publication dans deux journaux d'un extrait de la décision.

Après avoir formé à l'encontre de cette décision un recours en réformation en date du 2 mars 2011devant la Cour d'appel de Paris, la société Entreprise Georges Lanfry (EGL) a saisi le Premier président de la Cour d'appel pour se voir autoriser à assigner en référé aux fins d'obtenir son sursis à exécution.

L'Autorité de la Concurrence et le Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie entendu à l'audience ont conclu oralement au rejet de la requête.

SUR CE :

1)Sur la demande de la société Entreprise Georges Lanfry :

Attendu, qu'aux termes de l'article L. 464-8 du Code de commerce, le recours n'est pas suspensif mais le Premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu postérieurement à sa notification des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ;

Attendu qu'au soutien de sa demande de sursis, la société Entreprise Georges Lanfry fait valoir concernant l'exécution de la décision de sanction :

- que celle-ci est de nature à compromettre la pérennité de l'entreprise,

- que le montant de la sanction a été déterminé en violation des principes généraux du droit posés aux articles 12 du Code de procédure civile et 112-1 du Code pénal,

- que l'Autorité a tiré parti de la durée de la procédure anormalement longue pour déterminer comme base de sanction maximum un montant de chiffre d'affaire qu'elle n'aurait jamais pu retenir si la décision était intervenue dans un délai raisonnable conformément aux dispositions de l'article 6 de la CESDH

- et que l'entente sur le marché dit ND de Treguier a été sanctionnée deux fois (en 2004 et en 2009) en violation du principe non bis in idem posé à l'article 4 du protocole additionnel n° 7 de la CESDH ;

Qu'elle ajoute, concernant l'exécution de la publication de la décision, que l'information est trompeuse et que ladite exécution est matériellement impossible à mettre en œuvre et porte atteinte au principe du droit à un double degré de juridiction ;

Mais attendu que, s'il n'appartient pas au magistrat délégué de contrôler la légalité de la décision, objet du recours, il lui revient en revanche de s'assurer, lorsqu'une irrégularité grave de procédure est invoquée, que la décision n'est pas de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives visées par l'article L. 464-8 précité ;

Attendu que concernant l'exécution de la sanction financière, la requérante ne fait état d'aucune difficulté financière de nature à porter définitivement atteinte à la poursuite de l'exploitation, puisque même si les comptes arrêtés au 31 décembre 2010 font apparaître une diminution de son chiffre d'affaires depuis le 31 décembre 2009 (près de 15 %) ainsi qu'une diminution de ses bénéfices, sa situation demeure excédentaire; qu'en effet, il ressort de ses comptes , arrêtés au 31 décembre 2010 et du tableau synthétique dont il est fait état en page 7 de ses écritures que son résultat demeure bénéficiaire à hauteur de 75 394 euros et qu'elle dispose d'une trésorerie excédentaire d'un montant de 596 080 euros;

Que la circonstance que le montant de l'amende ramènerait la trésorerie à un montant négatif de 36 920 euros, ne peut conduire à présumer la survenue d'une éventuelle cessation des paiements compte tenu de la possibilité d'obtenir du Trésor public des délais de paiement ;

Attendu que concernant l'exécution de la publication de la décision, il ne peut être fait droit aux critiques de la requérante concernant la mention de la procédure pénale visant les dirigeants de certaines des entreprises sanctionnées, puisque le texte sur lequel porte l'obligation de publication mentionne les circonstances entourant la procédure devant le Tribunal de grande instance de Rouen ainsi que les délits reprochés aux dirigeants mis en cause ;

Qu'il s'en suit qu'il y a lieu de rejeter la demande de sursis à exécution de la société Entreprise Georges Lanfry concernant tant la sanction pécuniaire que l'injonction de publication ;

2)Sur la demande de la société H. Chevalier :

Attendu que dans le cadre de la présente procédure, la société Entreprise Georges Lanfry avait assigné différentes sociétés dont la société Chevalier ;

Que les trois autres sociétés qui avaient également sollicité un sursis à exécution pour l'audience du 16 juin 2011, avaient aussi assigné la société Chevalier ;

Que celle-ci, par conclusions du 16 juin 2011, indique qu'elle ne fait pas partie des entreprises sanctionnées par l' Autorité de la concurrence aux termes de sa décision n° 11-D-02 du 26 janvier 2011, qu'elle n'a donc pas formé de recours contre cette décision, qu'elle n'est pas concernée par les demandes formulées par la société Pradeau et Morin, qu'elle demande en conséquence sa mise hors de cause et qu'ayant été contrainte d'exposer des frais irrépétibles, elle sollicite la condamnation solidaire des sociétés Pradeau et Morin, T.E.R.H. Monuments historiques et l'entreprise Georges LANFRY au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Attendu que l'Autorité de la concurrence dans l'article 2 de sa décision du 26 janvier 2011 indique effectivement qu'il n'est pas établi que la société Chevalier ait enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Qu'il y a lieu en conséquence de prononcer sa mise hors de cause dans la présente procédure ;

Attendu en l'espèce, que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la demande formée à ce titre sera rejetée ;

Que par ailleurs, les dépens la concernant resteront à la charge des demandeurs au sursis ;

3)Sur la demande de la société Pavy :

Attendu que dans le cadre de la présente procédure, la société Entreprise Georges Lanfry avait assigné différentes sociétés dont la société Pavy ;

Que les trois autres sociétés qui avaient également sollicité un sursis à exécution pour l'audience du 16 juin, avaient aussi assigné la société Pavy ;

Attendu que celle-ci a par conclusions du 14 juin 2011 indiqué avoir régularisé un recours en annulation contre la décision rendue le 26 janvier 2011 par l'Autorité de la concurrence et déclaré s'associer à la demande de sursis à exécution de la décision de sanction prononcée le 26 janvier 2011 ;

Mais attendu, que ces écritures sont parvenues postérieurement à la date d'audience et que tant l'Autorité de la concurrence que le Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et le Ministère public n'ont été en mesure de faire connaître leur position ;

Qu'en tout état de cause, la demande doit être faite par voie d'assignation ;

Qu'en conséquence, la demande formée par voie de conclusions doit être déclarée irrecevable ;

4)Sur les demandes de certaines autres sociétés également assignées :

Attendu que les sociétés E..., Coefficient, Bodin, Charpentier, Degaine et Pateu & Robert sont intervenues à l'audience pour indiquer qu'elles s'en rapportaient à la justice et la société Anonyme Terh Monuments Historiques pour indiquer qu'elle soutenait la demande ;

Qu'il y a lieu de leur en donner acte ;

Par ces motifs Rejette l'ensemble de la demande de sursis à exécution de la société Entreprise Georges Lanfry ; Ordonne la mise hors de cause de la société Chevalier et la déboute de sa demande de paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que les dépens la concernant resteront à la charge des demandeurs au sursis ; Déclare irrecevable la demande de l'entreprise Pavy ; Donne acte aux sociétés E..., Coefficient, Bodin, Charpentier, Degaine et Pateux & Robert de ce qu'elles s'en rapportent à la justice et à la société Anonyme Terh Monuments Historiques de ce qu'elle déclare soutenir la demande ; Dit que pour le surplus, les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance principale.