CA Bordeaux, 4e ch. civ., 25 septembre 2019, n° 17-00128
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SCP CBF (ès qual.), Selarl Malmezat-Prat-Lucas-Dabadie (ès qual.)
Défendeur :
Moulins Soufflet (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chelle
Conseillers :
Mme Fabry, M. Pettoello
FAITS ET PROCEDURE
L'EURL Le Fournil X (la société Le Fournil), qui exploite un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie, se fournit auprès de la SA Moulins Soufflet (la société Soufflet).
Par acte du 12 novembre 2012, elle a conclu avec cette dernière une convention comportant un engagement d'approvisionnement exclusif, en contrepartie d'un prêt d'un montant de 392 290,80 euros, sur une durée de 60 mois.
Ce prêt était garanti par le cautionnement de Monsieur Y, dirigeant de la société Le Fournil, par le nantissement du fonds de commerce et par la caution hypothécaire de second rang de la SCI Z, propriété de M. Y.
Par courriers des 17 février, 14 avril et 17 septembre 2014 adressés à la société Le Fournil, la société Soufflet a fait valoir que l'engagement d'approvisionnement et le remboursement du prêt n'étaient pas respectés, et adressé une mise en demeure d'avoir à payer les sommes dues.
Par acte du 8 janvier 2016, la société Soufflet a assigné la société Le Fournil et M. Y devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de les voir solidairement condamnés au paiement de la somme de 269 617,06 euros restant due au titre du prêt, outre intérêts, la somme de 26 685 au titre de la clause pénale, la somme de 78 960 au titre du non-respect de l'engagement d'approvisionnement et la somme de 1 899 euros au titre d'une facture du 11 juillet 2014.
Par jugement réputé contradictoire du 21 octobre 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- constaté la défaillance de M. Y,
- condamné solidairement la société Le Fournil et M. Y à payer à la société Moulins Soufflet la somme de 269 617,06 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2015 au titre du solde du prêt,
- débouté la société Le Fournil de sa demande de délais,
- condamné solidairement la société Le Fournil et M. Y à payer à la société Moulins Soufflet la somme de 26 685 euros au titre de la clause pénale,
- débouté la société Moulins Soufflet de sa demande indemnitaire complémentaire,
- condamné la société Le Fournil à payer à la société Moulins Soufflet la somme de 1 899 euros TTC au titre de la facture du 11 juillet 2014,
- condamné solidairement la société Le Fournil et M. Y à payer à la société Moulins Soufflet la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné solidairement la société Le Fournil et M. Y aux dépens.
Par déclaration du 5 janvier 2017, la société Le Fournil a interjeté appel de la décision.
Le 2 février 2017, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties, qui ne se sont pas accordées sur le principe d'une acceptation.
La société Soufflet a formé un appel provoqué à l'encontre de M. Y par acte du 10 mai 2017. L'intimé sur appel provoqué n'a pas constitué avocat.
Le 14 février 2018, la société Le Fournil a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. La SCP CBF a été désignée en qualité d'administrateur et la Selarl Malmezat Prat Lucas Dabadie a été désignée en qualité de mandataire judiciaire. Ces dernières ont été assignées en intervention forcée.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions déposées en dernier lieu le 30 mars 2017, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, la société Le Fournil demande à la cour de :
Infirmer partiellement le jugement rendu le 21 octobre 2016 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux,
A titre principal :
Débouter la société Moulins Soufflet de l'ensemble de ses demandes ;
Prononcer l'annulation du contrat ;
Accorder un délai de 24 mois à la société Le Fournil pour la restitution de la somme due au principal.
Subsidiairement,
Dire que le dernier alinéa de l'article 2 du contrat du 12 novembre 2012 prévoyant une indemnité pour non-respect de l'engagement est nul ;
Réduire le montant de la somme due au titre de la clause pénale et le non-respect de l'engagement l'approvisionnement à 1
En tout état de cause :
Condamner la société Moulins Soufflet à lui payer la somme de 3 000 pour les frais de procédure et aux entiers dépens
La société Le Fournil fait notamment valoir, à titre principal, que la société Soufflet n'a pas la qualité d'établissement de crédit et ne pouvait donc pas lui octroyer un prêt ; que dès lors, le contrat est nul, ce qui entraine l'annulation de l'obligation d'approvisionnement exclusif ; qu'en outre, le contrat est dépourvu de cause, le prêt consenti étant dérisoire face à ses engagements. Subsidiairement, elle soutient que la clause pénale est manifestement excessive ; que l'indemnité prévue par l'article 2 du contrat constitue également une clause pénale ; que de bonne foi, elle n'a pas pu rembourser le prêt.
Par conclusions déposées en dernier lieu le 26 novembre 2018 auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, la société Soufflet demande à la cour de :
Rejeter l'appel formé par la société Le Fournil
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
Dit et jugé que la société Moulins Soufflet était créancière de la société Le fournil et de Monsieur Y en sa qualité de caution, de la somme de 269 617,06 avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2015 et au paiement de la somme de 26 685 au titre de la clause pénale, à la somme de 1 899 au titre de la facture du 11 juillet 2014 et enfin, à la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné Monsieur Y en sa qualité de caution, à payer à la société Moulins Soufflet la somme de 269 617,06 avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2015 et au paiement de la somme de 26 685 au titre de la clause pénale, à la somme de 1 899 au titre de la facture du 11 juillet 2014 et enfin, à la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Recevant l'appel incident de la concluante
Réformer le jugement en ce qu'il a débouté la société Moulins Soufflet de sa demande tendant à voir condamner la société Le fournil et Monsieur Y à lui payer la somme de 78 960 au titre du non-respect de l'engagement d'approvisionnement
Condamner Monsieur Y à payer à la société Moulins Soufflet la somme de 78 960 au titre du non-respect de l'engagement d'approvisionnement
Constater que la société Moulins Soufflet détient une créance à titre privilégié au passif de la société Le Fournil et la fixer aux sommes suivantes
- 269 617,06 en principal restant dû au titre du prêt
- 5 523 au titre des intérêts au taux légal du 7 décembre 2015 jusqu'au 15 février 2018
- 26 685 au titre de la clause pénale
- 78 960 au titre du non-respect de l'engagement d'approvisionnement
- 1 899 au titre de la facture du 11 juillet 2014
- 2 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Condamner la société Le Fournil et Monsieur Y à payer à la société Moulins Soufflet la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens.
La société Soufflet fait notamment valoir que l'exception de nullité est irrecevable à raison de l'exécution du contrat ; que le prêt est parfaitement licite ; que le contrat est bien pourvu d'une cause, au regard de l'approvisionnement exclusif et de sa contrepartie ; que l'indemnité prévue à l'article 2 du contrat ne s'analyse pas en une clause pénale susceptible de réduction par le juge, mais en une clause de quota dont il n'est pas démontré le caractère illicite ou déraisonnable ; qu'il n'est aucunement démontré le caractère excessif de la clause pénale prévue par l'article 4 du contrat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2019.
Le 6 juin 2019, la société Le Fournil, la SCP CBF en qualité d'administrateur et la Selarl Malmezat-Prat Lucas-Dabadie en qualité de mandataire judiciaire ont déposé de nouvelles écritures tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture et comprenant pour le surplus un dispositif identique aux précédentes.
Les parties ont repris des écritures identiques sauf à indiquer régulariser la procédure par l'intervention des organes de la procédure collective.
Au regard des intérêts en cours et compte tenu de l'accord des parties il a été procédé à la révocation de l'ordonnance de clôture, à l'admission des écritures tardives et, avant les débats, à la clôture à nouveau de la procédure.
EXPOSE DES MOTIFS
À titre principal, l'appelante désormais assistée des organes de la procédure soulève la nullité du contrat de prêt sur le fondement de l'article L. 511-5 du Code monétaire et financier comme contrevenant au monopole bancaire.
Alors que l'appelante ne s'explique pas sur le caractère habituel de l'opération et qu'en toute hypothèse celle-ci était liée au contrat d'approvisionnement de sorte qu'il ne s'agissait pas d'une opération purement financière, il est constant que le contrat a reçu exécution puisque suite à la remise des fonds par la comptabilité du notaire, des échéances ont été réglées. L'appelante invoque ainsi avoir réglé la somme de 122 673,74 euros et se prévaut elle-même d'une nullité relative sans s'expliquer sur la fin de non-recevoir qui lui est opposée.
La demande en nullité du prêt sur ce fondement est ainsi irrecevable.
L'appelante fait encore valoir que le contrat serait nul pour absence de cause. Elle entend caractériser cette absence de cause par le caractère dérisoire de l'engagement pris par le fournisseur en contrepartie de l'approvisionnement exclusif. De ce chef, elle fait valoir que peu importe l'exécution du contrat puisque l'absence de cause entache le contrat d'une nullité absolue.
Si sa demande en nullité est de ce chef recevable, elle supporte néanmoins la charge de la preuve de ce que les contreparties étaient dérisoires. Elle soutient ainsi que l'engagement de se fournir à titre exclusif auprès de l'intimée l'était à des conditions financières excédant le prix du marché pour la tonne de farine. Elle ne produit toutefois aucun élément de preuve de ce chef et veut procéder à un renversement de la charge probatoire en faisant valoir que l'intimée ne s'explique pas sur une différence de prix qu'elle-même n'établit pas. Il n'est ainsi pas démontré que l'engagement de se fournir de manière exclusive auprès de l'intimée qui consentait un prêt était assorti de contreparties dérisoires, lesquelles ne sauraient se déduire de la seule existence de sûretés au titre de ce prêt.
Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du prêt.
Le débat est désormais celui de la clause pénale stipulée au titre du prêt et du non-respect de l'engagement d'approvisionnement.
C'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de réduction de la clause pénale stipulée au titre du prêt et dont le montant est de 26 685 euros. En effet, il n'est aucunement établi qu'une telle clause, prévue dans les termes usuels en la matière, présentait un caractère manifestement excessif.
Formant appel incident, l'intimée formule à nouveau sa demande à hauteur de 78 960 euros au titre de l'engagement d'approvisionnement exclusif. Elle conteste la qualification de clause pénale en considérant qu'il était stipulé une clause de quota. Toutefois, s'il était stipulé un quota minimum d'approvisionnement, il ressort de la propre argumentation de l'intimée qu'elle sollicitait une somme stipulée en cas de non-respect de l'engagement. Dans son courrier du 19 juin 2015, elle qualifiait elle-même cette somme de pénalité. Il était ainsi expressément stipulé à l'article 2 du contrat qu'en cas de non-respect de l'engagement d'approvisionnement l'emprunteur devra verser au prêteur une indemnité égale au produit de 10 % du prix de vente HT au quintal sur la base de la dernière facture par le nombre de quintaux qu'auraient dû acheter l'emprunteur pendant la durée restant à courir dudit engagement. Une telle clause est bien constitutive d'une clause pénale au sens de l'article 1152 du Code civil dans sa version applicable aux faits de l'espèce.
C'est à juste titre que les premiers juges l'ont réduite à zéro en ce que cette clause se cumulait avec la clause pénale envisagée ci-dessus et que c'est ce cumul portant le total de la clause pénale à un montant supérieur à 100 000 euros, soit plus du tiers des sommes dues en principal qui emportait un caractère manifestement excessif. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Pour le surplus la cour n'est pas saisie de moyens de réformation au titre des dispositions du jugement ayant condamné l'appelante au paiement de la somme de 1 899 euros au titre d'une facture impayée.
Le jugement doit donc être confirmé dans son appréciation de l'étendue des créances de la société Moulins Souflet.
Il convient en conséquence uniquement de tenir compte des conséquences d'ordre public de la procédure de redressement judiciaire de la société Le Fournil alors qu'il est justifié par l'intimée de sa déclaration de créance.
Sans qu'il y ait lieu pour la cour de calculer les intérêts dont le point de départ était fixé par le jugement confirmé, il convient de fixer la créance au passif du redressement judiciaire dans les mêmes termes que le jugement, lequel est confirmé dans ses dispositions de condamnation à l'encontre de la caution.
L'appel est mal fondé, de sorte que l'appelante sera condamnée au paiement d'une somme complémentaire de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement par arrêt de défaut et en dernier ressort, Confirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 21 octobre 2016 sauf en ce qu'il a procédé à la condamnation de l'EURL Le Fournil X, Statuant à nouveau de ce chef, Fixe la créance de la SA Moulins Soufflet au passif du redressement judiciaire de l'EURL Le Fournil X dans les mêmes termes que le jugement du 21 octobre 2016 en principal et accessoires. Y ajoutant, Condamne l'EURL Le Fournil X à payer à la SA Moulins Soufflet la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne l'EURL Le Fournil X aux dépens.