CA Nancy, 5e ch. com., 25 septembre 2019, n° 18-02290
NANCY
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
SAG Service d'Achat en Groupe (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
MM. Soin, Firon
Avocats :
Mes Decorny, Delfour
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Services d'achat en groupes (ci-après la société SAG) propose un service d'inscriptions groupées à la loterie " Euromillion " par le biais d'un site internet dénommé " superchance100.fr " permettant de mutualiser les mises et les gains de 150 joueurs.
Fin mars 2018, la société SAG a constaté qu'un site internet dénommé " jourdegains.com ", édité par M. E... D..., avait été mis en ligne en proposant des services identiques aux siens.
Par acte d'huissier du 12 juillet 2018, la société SAG a fait assigner en référé M.D... devant le tribunal de commerce de Nancy aux fins de voir juger qu'il a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, engageant sa responsabilité civile en application de l'article 1240 du Code civil et constitutifs d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile, juger qu'en l'absence de contestation sérieuse il y a lieu d'allouer une provision, et voir en conséquence ordonner la fermeture immédiate et définitive du site internet " jourdegains.com " assortie d'une astreinte de 3 000 euros par jour de retard à compter de 48 h suivant la signification de la décision, lui enjoindre de ne pas exploiter de nouveau site internet reprenant les éléments de son site et de son service et de se conformer aux dispositions du Code de la consommation en matière de prestations de services à distance, de la loi du 21 août 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et du règlement européen du 27 avril 2016, plus particulièrement son article 13, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée, ordonner la publication de la décision dans cinq journaux et sur deux sites internet choisis par ses soins à hauteur de 3 000 euros par publication, aux frais du défendeur, et le condamner à lui payer une provision de 50 000 euros au titre du préjudice patrimonial et de 15 000 euros au titre du préjudice moral.
Par ordonnance réputée contradictoire du 19 septembre 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Nancy a :
- constaté l'accomplissement par M. E... D... d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique, engageant sa responsabilité civile en application des dispositions de l'article 1240 du Code civil, au détriment de la société SAG,
- en conséquence ordonné la fermeture immédiate et définitive, sous astreinte comminatoire de 3 000 euros par jour de retard passées 48 heures de la signification de cette ordonnance, du site internet " jourdegains.com ",
- ordonné à M. E... D... de ne pas exploiter de nouveau site internet reprenant les éléments du site et du service de la société SAG, ce sous astreinte comminatoire de 15 000 euros par infraction constatée,
- réservé la liquidation des astreintes,
- ordonné la publication, aux frais de M. E... D... dans la limite de la somme de 1 500 euros par publication, du dispositif de l'ordonnance dans trois journaux et sur deux sites internet choisis par la demanderesse,
- déclaré la société SAG mal fondée sur le surplus de ses demandes, l'en déboutant,
- condamné M. E... D... aux dépens de l'instance,
- condamné M. E... D... à payer à la société SAG la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rappelé le caractère exécutoire de plein droit de l'ordonnance.
M. E... D... a interjeté appel de cette décision, en ce qu'elle a constaté qu'il avait accompli des actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique, engageant sa responsabilité civile en application des dispositions de l'article 1240 du Code civil, au détriment de la société SAG, lui a en conséquence ordonné de ne pas exploiter de nouveau un site internet reprenant les éléments du site et du service de la société SAG, ce sous astreinte comminatoire de 15 000 euros par infraction constatée, outre la fermeture immédiate et définitive, sous astreinte comminatoire de 3 000 euros par jour de retard passées 48 heures de la signification de cette décision, du site internet " jourdegains.com " et la publication à ses frais, dans la limite de la somme de 1 500 euros par publication, du dispositif de cette décision dans trois journaux et sur deux sites internet choisis par la société SAG, et l'a condamné à payer à la société SAG la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de l'instance, rappelant le caractère exécutoire de plein droit de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, fondées sur les dispositions des articles 1240 et suivants du Code civil, il demande à la cour de :
- le recevoir en son appel de l'ordonnance de référé rendue par M. le président du tribunal de commerce de Nancy le 19 septembre 2018,
- le déclarer recevable et bien fondé,
- en conséquence, infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé dont s'agit, et statuant à nouveau,
- débouter la société SAG de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions à l'encontre de M. D...,
- constater en effet que le site incriminé " jourdegains.com " a été fermé fin mai-début juin 2018,
- dès lors, constater, dire et juger que l'intégralité des demandes de la société SAG sont aujourd'hui devenues sans objet,
- par voie de conséquence, dire et juger n'y avoir lieu d'entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. D...,
- débouter la société SAG de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions contraires,
- dire et juger n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, tant en première instance, qu'en appel, compte tenu des moyens des uns et des autres,
- statuer ce que de droit en ce qui concerne les frais et dépens, tant de première instance, que de la présente instance et de ses suites.
Au soutien de ses prétentions, M. D... fait valoir qu'au moment de son assignation en référé devant le tribunal de commerce de Nancy, les demandes de la société SAG étaient devenues sans objet, dès lors que le site incriminé " jourdegains.com " était fermé depuis la fin mai-début juin 2018, et ce à sa demande.
Il expose que son site internet a en réalité été créé par M. G... C..., lequel avait préalablement créé le site internet de M. A... qui aurait déjà copié les éléments caractéristiques du site internet de la société SAG, fin août 2015.
Il ajoute qu'il ne vit actuellement que d'allocations familiales et d'aides familiales et amicales.
Dans ses dernières conclusions, fondées sur les dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile, 1240 et suivants du Code civil, L. 111-1, L. 111-2, L. 121-3, L. 221-5 et L. 221-9 du Code de commerce, la société SAG demande à la cour de :
- la juger recevable en toutes ses demandes, moyens, fins et conclusions et la déclarer bien fondée,
- juger que M. D... a commis des actes de concurrence déloyale engageant sa responsabilité civile en application de l'article 1240 du Code civil,
- juger que M. D... a commis des actes de parasitisme engageant sa responsabilité civile en application de l'article 1240 du Code civil,
- juger que ces actes de concurrence déloyale et/ou de parasitisme sont constitutifs d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile,
- juger qu'en l'absence de contestation sérieuse il y a lieu d'allouer une provision au sens de l'article 873 du Code de procédure civile,
- en conséquence, confirmer la décision en date du 19 septembre 2018 rendue par le président du tribunal de commerce de Nancy en ce qu'elle a ordonné la fermeture immédiate et définitive, sous astreinte comminatoire de 3 000 euros par jour de retard passées 48 heures de la signification de la présente ordonnance, du site internet " jourdegains.com ",
- confirmer la décision en date du 19 septembre 2018 rendue par le président du tribunal de commerce de Nancy en ce qu'elle a ordonné à M. D... de ne pas exploiter de nouveau site internet reprenant les éléments du site et du service de la société SAG, ce sous astreinte comminatoire de 15 000 euros par infraction constatée, a ordonné la publication, aux frais de M. D... dans la limite de 1 500 euros par publication, du dispositif de l'ordonnance dans trois journaux et sur deux sites internet choisis par la société SAG, a condamné M. D... à payer la somme de 10 000 euros à la société SAG en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- infirmer la décision en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes, à titre de provision, d'octroi des sommes de 50 000 euros au titre du préjudice patrimonial, et de 15 000 euros au titre du préjudice moral,
- et statuant à nouveau, condamner M. D... à payer à la société SAG une provision de 50 000 euros au titre du préjudice patrimonial et 15 000 euros au titre du préjudice moral subis par cette dernière au titre des actes fautifs susmentionnés constitutifs d'un trouble manifestement illicite,
- en tout état de cause, débouter M. D... de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et conclusions,
- condamner M. D... au paiement, à la société SAG, de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (en sus du montant auquel il a été condamné en première instance) ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la société SAG fait valoir que M. D... lui a causé un trouble manifestement illicite au sens des dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile par l'accomplissement d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme.
A cet égard, elle soutient que M. D... a violé délibérément les dispositions légales du droit de la consommation, du droit du commerce électronique et du droit de la protection des données à caractère personnel, en ce que le site internet incriminé " jourdegains.com " ne comprenait ni les mentions légales au sens de l'article 6 III 1 de la loi pour la confiance en l'économie numérique ni les informations relatives aux traitements des données à caractère personnel des utilisateurs de ce site par le responsable de traitement.
Elle ajoute que :
- le site internet de M. D... ne respecte pas les exigences des articles L. 111-1 et suivants et L. 121-1 et suivants du Code de la consommation en ne proposant pas de conditions générales de prestations de services et en trompant à plusieurs reprises les utilisateurs, caractérisant ainsi des pratiques commerciales trompeuses.
- M. D... a commis des actes de parasitisme en cherchant à tirer profit sans bourse délier de ses investissements intellectuels, matériels et financiers sur le marché de l'organisation de communauté de joueurs, puisque le site incriminé " jourdegains.com " imitait les éléments caractéristiques des services proposés par la société SAG par son site internet dans le but d'usurper sa notoriété.
Elle fait valoir que les agissements de M. D... lui ont causé un préjudice important, dans la mesure où ils l'ont placée dans une situation anormalement défavorable en créant une rupture d'égalité et en engendrant un risque important de déférencement de son site auprès des moteurs de recherches, alors qu'elle avait investi des moyens très importants pour la mise en conformité de son propre site internet.
SUR CE, LA COUR,
Sur la fermeture immédiate et définitive du site
L'article 873 du Code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence du tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, outre le fait que M. D... ne conteste ni être le titulaire du nom de domaine " http://jourdegains.com ", ni la violation par le site internet accessible à cette adresse des dispositions légales du droit de la consommation, du droit du commerce électronique et du droit de la protection des données à caractère personnel, s'agissant notamment de l'absence des mentions légales au sens de l'article 6-III-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCNE), du défaut d'informations relatives aux traitements des données à caractère personnel des utilisateurs du site par le responsable de traitement, dont les modalités sont fixées à l'article 13 du règlement UE 2016-679 du parlement européen et du conseil (RGPD) du 27 avril 2016, et du respect des exigences des articles L. 111-1, L. 111-2, L. 121-3 et L. 221-5 du Code de la consommation, en matière de communication des caractéristiques essentielles du service, des modalités de souscription, de celles du droit de rétractation ou des modalités de saisine d'un médiateur de la consommation, le constat établi le 05 avril 2018 par Me B..., huissier de justice, à partir des sites " jourdegains.com " et du site " superchance100.fr " établit de manière incontestable ces divers manquements et violations commis par le site " jourdegain.com ", étant observé au surplus que les annonces figurant sur la page d'accueil du site ainsi que sous sa rubrique " comment jouer ", selon lesquelles l'utilisateur, par l'utilisation du site, pouvait " miser moins " et " gagner plus ", laissent accroire qu'en misant sur des grilles de jeu de loterie, l'internaute pouvait effectivement gagner plus en misant ou en payant moins, alors que cette assertion, non prouvée par l'appelant, constitue une pratique commerciale trompeuse prohibée par l'article L. 121-4 15° du Code de la consommation.
Le fait pour M. D... de s'affranchir du respect des obligations légales a placé incontestablement celui-ci dans une situation anormalement favorable vis à vis de la concurrence et plus particulièrement de la société SAG, la rupture d'égalité au détriment de cette dernière étant de surcroît aggravée par les mentions trompeuses sus-relevées.
Dès lors, il convient d'approuver les premiers juges en ce qu'après avoir considéré que cette situation constituait un trouble illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile, ils ont décidé d'y mettre fin en prescrivant en référé la fermeture immédiate et définitive du site.
Toutefois, M. D... rapportant la preuve de la fermeture du site " jourdegains.com ", à tout le moins depuis la fin mai-début juin 2018, et l'intimée reconnaissant dans ses propres conclusions que l'entreprise dénommée D... E..., inscrite naguère au registre du commerce et des sociétés comme exerçant une profession libérale, apparaît désormais au répertoire " Sirene " comme " établissement fermé ", et ce depuis le 9 février 2018, il convient d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné la fermeture immédiate et définitive du site en litige, sous astreinte comminatoire de 3 000 euros par jour de retard passées 48 heures de la signification de l'ordonnance.
Il convient en revanche de confirmer la décision en ce qu'elle a ordonné à M. D... de ne pas exploiter de nouveau site internet reprenant les éléments du site et du service de la société SAG, ce sous astreinte comminatoire de 15 000 euros par infraction constatée, en ce que le juge des référés s'est réservé la liquidation des astreintes, et en ce qu'elle a ordonné la publication, aux frais de M. D... dans la limite de la somme de 1 500 euros par publication, du dispositif de l'ordonnance dans trois journaux et sur deux sites internet choisis par la demanderesse, cette publication ne devant cependant pas porter sur les chefs infirmés par la cour.
Sur la demande de dommages et intérêts
La société SAG ne rapportant pas à suffisance la preuve du caractère non contestable de l'obligation délictuelle dont elle se prévaut à l'encontre de la partie adverse, s'agissant notamment de la réalité de ses préjudices et surtout du lien de causalité existant entre la faute, avérée, commise par M. D... et lesdits préjudices, il convient de confirmer l'ordonnance en ce que, dans ses motifs, elle a débouté celle-ci de ses demandes de provision au titre du préjudice patrimonial et du préjudice moral résultant du trouble manifestement fautif reproché à M. D....
Toutefois, le dispositif de la décision se bornant à " déclarer la société SAG mal fondée sur le surplus de ses demandes, l'en déboutant ", sans cependant répondre expressément à la demande de provision, il y a lieu de la compléter en ce sens.
Sur les autres prétentions
Si l'ordonnance doit être confirmée en ce qu'elle a condamné M. D... à payer les dépens, elle doit cependant être infirmée en ce qu'elle a condamné M. D... à payer à la société SAG la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, aucune considération tirée de l'équité ne commandant en effet de prononcer une condamnation d'un tel quantum.
L'appelant, partie perdante, doit être condamné aux dépens d'appel.
L'intimée ayant exposé des frais irrépétibles afin de faire valoir ses droits, il convient de lui allouer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre le remboursement par M. D... du coût du constat établi le 5 avril 2018 par Me B..., huissier de justice.
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile Confirme l'ordonnance déférée, sauf en ce qu'elle a : - ordonné la fermeture immédiate et définitive, sous astreinte comminatoire de 3 000 euros par jour de retard passées 48 heures de la signification de cette ordonnance, du site internet " jourdegains.com ", - condamné M. E... D... à payer à la société SAG la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, - ordonné la publication, aux frais de M. E... D... dans la limite de la somme de 1 500 euros par publication, du dispositif de l'ordonnance dans trois journaux et sur deux sites internet choisis par la demanderesse. Statuant à nouveau sur ces points et y ajoutant, Constate que la demande principale formée par la SARL Services d'achat en groupe (SAG) est devenue sans objet, en considération de la fermeture du site internet " jourdegains.com ", Ordonne la publication, aux frais de M. E... D... dans la limite de la somme de 1 500 euros par publication, du dispositif de l'ordonnance dans trois journaux et sur deux sites internet choisis par la demanderesse, sauf en ce qui concerne les chefs infirmés de ladite ordonnance, Deboute la SARL SAG de ses demandes de provision au titre du préjudice patrimonial et du préjudice moral résultant du trouble manifestement fautif reproché à M. E... D..., Condamne M. E... D... à payer à la SARL SAG la somme de trois mille euros (3 000) au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi que le remboursement du coût du constat établi le 5 avril 2018 par Me B..., huissier de justice Condamne M. E... D... à payer les dépens d'appel.