CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 20 septembre 2019, n° 19-04969
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cloisons Plafonds Run (SAS)
Défendeur :
Groupe Maisons familiales (SARL) , Société Immobilière du département de La Réunion (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dabosville
Conseillers :
Mmes Durand, Leblanc
FAITS ET PROCÉDURE
La société anonyme Immobilière du département de La Réunion (SIDR) a, en qualité de maître de l'ouvrage, entrepris deux programmes immobiliers intitulés "Grenadine" et "Corossol" comprenant des logements et des commerces à La Possession (974) dans l'île de la Réunion.
La société Groupe Maisons familiales (GMF), société faisant partie du groupement d'entreprises ayant en charge l'ensemble du marché, a sous-traité le lot "cloisons sèches" à la société Cloisons Plafonds Run (ci-après CPR) en août 2012 pour l'opération "Corossol" de construction de 29 logements sociaux d'un montant estimé à 849 555 TTC.
La société CPR prétend que le lot "cloisons sèches" lui a été également sous-traité verbalement pour l'opération "Grenadine" par la société GMF qui l'aurait évincée du chantier en novembre 2013 pour confier le lot cloisons sèches aux sociétés SMDM et Iso Placo.
Le 9 septembre 2014, la société CPR a vainement mis en demeure le groupement de régler la totalité du montant du marché cloison sèche des 2 programmes, soit la somme de 868 113,93 TTC.
Le 6 janvier 2017, la société CPR a assigné la société GMF et la société SIDR devant le tribunal de commerce de Paris.
Le tribunal, par jugement contradictoire du 25 janvier 2019, a statué en ces termes :
"- Dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Groupe Maisons familiales - GMF et Immobilière du département de La Réunion - SIDR,
- Se déclare incompétent au profit du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion,
- Dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé réception adressée exclusivement aux parties,
- Dit qu'en application de l'article 84 du Code de procédure civile, la voie de l'appel est ouverte contre la présente dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification,
- Dit qu'à défaut d'appel dans ce délai, le dossier sera transmis à la juridiction susvisée dans les conditions de l'article 82 du Code de procédure civile,
- Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a engagés,
- Condamne la SARL Cloisons Plafonds Run aux dépens"
Le jugement a été notifié par le greffe le 29 janvier 2019 à la société CPR qui en justifie.
Par déclaration d'appel du 13 mars 2019, la société CPR a formé un appel limité "en vue d'obtenir l'annulation ou l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a :
Dit recevable et bien-fondé l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés groupe maison familiale GMF et immobilière du département de la Réunion (SIDR).
Dit le tribunal de commerce de Paris incompétent au profit du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion.
Conclusion motivant le recours et requête à jour fixe jointes au recours."
Par requête du même jour, la société CPR a demandé l'autorisation d'assigner à jour fixe la GMF et la SIDR pour voir la cour statuer sur la compétence.
Par ordonnance du 28 mars 2019 cette autorisation a été donnée et l'assignation a été délivrée aux sociétés GMF et SIDR, intimées, les 5 et 9 avril 2019.
DEMANDES DES PARTIES
Par conclusions du 13 mars 2019, la société CPR appelante demande à la cour de :
"vu les articles D. 442-3, L. 442-6 du Code de commerce,
à titre principal :
- réformer le jugement entrepris en ce que le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent,
- juger que seul le tribunal de commerce de Paris est compétent pour trancher l'ensemble de ce litige,
en conséquence,
- ordonner le renvoi devant le tribunal de commerce de Paris,
à titre subsidiaire :
- réformer le jugement entrepris en ce que le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- juger que seul le tribunal de commerce de Paris est compétent pour trancher la demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce encontre de la société GMF,
en conséquence,
- ordonner le renvoi de la demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce devant tribunal de commerce de Paris,
- condamner la société GMF aux dépens de première instance comme aux dépens d'appel, et au paiement d'une somme de 1 500 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Débouter la société GMF et la société SIDR de leurs demandes, y compris celles formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens."
Par conclusions du 9 mai 2019, la société GMF mandataire du groupement de concepteurs-réalisateurs demande à la cour de :
"- de rejeter les demandes de la société CPR en ce que qu'elles tendent à la réformation du jugement du tribunal de commerce qui a statué sur sa compétence et à la désignation du tribunal de Paris comme juridiction compétente pour apprécier les faits de la cause;
- de rejeter toutes les demandes financières dirigées par la CPR contre la société GMF et le groupement dont elle est le mandataire commun ;
- de condamner la société CPR à verser à la société GMF la somme de 7 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du CPC au titre de la procédure d'appel"
Par conclusions du 7 mai 2019, la société SIDR maître de l'ouvrage intimée demande à la cour de :
"vu les dispositions des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce,
Vu les dispositions des articles 4, 48, 46, 53, 84, 643, 700 et 9I7 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,
A titre principal
Déclarer irrecevable l'appel formé par la société Cloisons Plafonds Run.
À titre subsidiaire
Confirmer le jugement querellé en ce que la juridiction commerciale parisienne s'est déclarée incompétente au profit du tribunal de commerce de Saint-Denis de la Réunion,
Condamner la société Cloisons Plafonds Run au paiement de la somme de 4 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens."
MOTIFS
La société SIDR soulève l'irrecevabilité de l'appel in limine litis.
Elle invoque en premier lieu l'absence en l'espèce de péril pourtant exigé par l'article 917 du Code de procédure civile pour l'assignation à jour fixe.
Cet article prévoit en effet : "si les droits d'une partie sont en péril, le premier Président peut, sur requête, fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité."
Cependant la société CPR répond justement que la procédure d'appel sur la compétence est régie par les articles 80 et suivants du Code de procédure civile issus du décret du 6 mai 2017 applicable aux contredits postérieurs au 1er septembre 2017.
En effet l'article 84 al. 2 du Code de procédure civile prévoit "en cas d'appel (du jugement statuant exclusivement sur la compétence), l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir dans le délai d'appel, le premier Président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire."
Dès lors l'appelante a bien respecté la procédure applicable à l'espèce.
Elle invoque ensuite l'irrecevabilité de l'appel qui n'aurait pas été interjeté dans le délai de 15 jours de la notification du jugement, majoré du délai de distance d'un mois de l'article 643 du Code de procédure civile.
L'alinéa un de l'article 84 du Code de procédure civile dispose : "le délai d'appel est de 15 jours à compter de la notification du jugement. Le greffe procède à cette notification adressée aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception."
L'article 643 du Code de procédure prévue civile prévoit : "lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel sont augmentés de :
- 1 mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à la Réunion"
L'appelante justifie que le greffe lui a notifié le jugement du 25 janvier 2019 dont appel, le 29 janvier 2019.
Le délai exprimé en jours court donc en l'espèce à compter du mercredi 30 janvier par application de l'article 641 du Code de procédure civile pour se terminer le mercredi 13 février à minuit par application de l'article 642 du Code de procédure civile.
Ce délai est augmenté d'un mois en raison de la distance à partir du jeudi 14 février, pour se terminer le jeudi 14 mars 2019. Dès lors l'appel interjeté le 13 mars 2019 dans ce délai est recevable.
La société CPR, qui fait appel du jugement d'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris, explique qu'elle demande la condamnation à réparer son préjudice pour le chantier "Grenadine", à titre principal des deux intimées sur le fondement d'un contrat de sous-traitance verbal et, à titre subsidiaire, de la société GMF sur celui d'une rupture brutale des relations commerciales et de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Elle invoque la compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris pour connaître d'un litige fondé sur l'article L. 442-6 du Code de commerce et argue de l'indivisibilité du litige car elle subit un préjudice unique dont la réparation procède de deux fondements juridiques alternatifs pour soutenir que la compétence spéciale du tribunal de commerce de Paris doit prévaloir et régir l'entier litige.
À titre subsidiaire elle considère que le tribunal de commerce de Paris ne devait se déclarer incompétent que pour la demande principale et surseoir à statuer sur la demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, dans l'attente de la décision du tribunal de commerce mixte de Saint-Denis de la Réunion sur le contrat de sous-traitance.
Selon la société GMF, il y a une demande principale et une demande accessoire et non subsidiaire. Elle prétend que s'il n'y a pas contrat de sous-traitance, il n'y a pas de rupture des relations contractuelles d'une certaine durée exigée pour l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Selon elle, seul le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion est compétent pour apprécier l'existence d'un contrat de sous-traitance et expose que l'accessoire suit le principal.
La société SIDR maître d'ouvrage fait valoir que la demande principale doit être examinée avant la demande subsidiaire et qu'elle n'est pas concernée par la subsidiaire ; que les articles 42 et 46 du Code de procédure civile s'appliquent pour déterminer la compétence territoriale du tribunal. Elle ajoute qu'elle est une société d'économie mixte et non une société commerciale et que l'article L. 442-6 du Code de commerce ne lui est pas applicable et qu'il en est de même de toute clause de compétence spéciale du contrat de sous-traitance.
Subsidiairement, elle fait valoir que le tribunal de Paris ne pourrait statuer que sur la demande subsidiaire tandis que le tribunal de Saint-Denis de la Réunion devrait statuer sur l'existence d'un contrat de sous-traitance.
La société CPR a dirigé sa demande de réparation devant le tribunal de commerce de Paris à titre principal contre les deux intimées in solidum sur le fondement de contrat de sous-traitance et à titre subsidiaire contre la seule GMF sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce. En effet dans son assignation elle demande au tribunal de commerce de Paris de :
"À titre principal
sur la responsabilité de la société GMF
- constater l'existence d'un contrat de sous-traitance conclue entre la société GMF et la société CPR ;
sur la responsabilité de la société SIDR
- constater que la société CPR est intervenue en qualité de sous-traitant au bénéfice de la SIDR
... en conséquence condamner in solidum la société GMF et la société SIDR au paiement...
À titre subsidiaire
- constater l'existence de relations commerciales entre les sociétés GMF et CPR ;
- constater que la société GMF a brutalement rompu les relations contractuelles qu'elle entretenait avec la société CPR ; en conséquence, condamner la société GMF à réparer l'entier préjudice subi par la société CPR"
La société SIDR fait valoir à juste titre que la hiérarchie des moyens et des demandes d'une partie s'impose au juge. En l'espèce il y a lieu pour le juge d'examiner en premier lieu l'existence ou non d'un contrat de sous-traitance et la responsabilité des deux intimées puis à défaut, dans un deuxième temps, celle d'une rupture brutale des relations commerciales entre la société CPR et la société GMF et la responsabilité de la société GMF.
La compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris ne peut être invoquée que pour l'examen de la demande subsidiaire c'est-à-dire fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce contre la société GMF. Cet article n'est invoqué contre la société SIDR.
Les règles générales de compétence territoriale s'appliquent à la demande principale fondée sur le contrat de sous-traitance contre les deux intimées.
D'une part l'article 42 du Code de procédure civile prévoit que le juge territorialement compétent est celui du lieu où demeure le défendeur. En l'espèce toutes les parties ont leur siège social à la Réunion :
- la société GMF à Saint-Louis (97450)
- la société SIDR à Saint-Denis (97450)
et de même l'appelante à la Ligne Paradis à Saint-Pierre (97410)
D'autre part l'article 46 du Code de procédure civile dispose que "le demandeur peut saisir à son choix outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur : en matière contractuelle la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service". En l'espèce le chantier est également situé à la Possession (97419) à la Réunion.
Par conséquent, en vertu des règles générales de compétence territoriale, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion est compétent pour statuer sur la demande principale contre la société GMF et contre la société SIDR fondée sur le contrat de sous-traitance.
Par ailleurs la clause du CCAP qui prévoit la compétence du tribunal de grande instance de Saint-Denis n'est pas opposable au maître de l'ouvrage qui est une société d'économie mixte par application de l'article 48 du Code de procédure civile qui prévoit "toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'il n'ait été convenu entre des personnes ayant toutes contractées en qualité de commerçant ..."
En conséquence, la demande principale dirigée contre la société GMF et la SIDR tenues in solidum sur le fondement d'un contrat de sous-traitance est de la compétence matérielle et territoriale du tribunal de commerce de Saint Denis.
Ce n'est que s'il n'était pas fait droit à cette demande principale que la demande subsidiaire dirigée contre la seule société GMF sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce serait examinée et relèverait de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris. Cette question subsidiaire n'a pas à être examinée en l'état par le tribunal et il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer. Le jugement du tribunal de commerce qui a renvoyé l'affaire devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion doit être confirmé en toutes ses dispositions.
Il serait inéquitable de laisser à la charge des intimées la totalité des frais de procédure qu'elles ont été contraintes d'exposer en appel. L'appelante sera condamnée à les indemniser selon les modalités prévues au dispositif.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, Déclare l'appel recevable ; Confirme le jugement du tribunal de commerce du 27 janvier 2019 en toutes ses dispositions ; Déboute la SARL CPR (Cloisons Plafonds Run) de toutes ses demandes ; Condamne la SARL CPR (Cloisons Plafonds Run) à verser à la SARL GMF (Groupe Maison familiale) et à la société d'économie mixte SIDR (Immobilière du département de La Réunion) une somme de 2 000 à chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.