CA Grenoble, 1re ch. civ., 24 septembre 2019, n° 17-04438
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupama Rhône Alpes Auvergne (AMA) , La Ferme de Bellegarde (GAEC)
Défendeur :
Claas France (Sté), Claas Tractor (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Combes
Conseillers :
Mmes Jacob, Blatry
EXPOSE DU LITIGE
Selon facture du 9 décembre 2003, la Sarl MBM a vendu au Gaec la Ferme de Bellegarde un tracteur neuf de marque Renault Celtis 446, équipé d'un chargeur frontal, au prix de 39 860 euros HT.
La société MBM avait préalablement acquis le tracteur, le 1er décembre 2003, auprès de la SAS Renault Agriculture, aux droits de laquelle se trouve la SAS Class Tractor.
Le 4 juillet 2012, le tracteur a pris feu devant la propriété de la SCI Bourdariat, alors qu'il circulait avec une remorque de paille.
La caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne Groupama a indemnisé son assuré, le Gaec la Ferme de Bellegarde, à hauteur de la somme de 28 140 euros, puis a saisi le juge des référés, par assignation du 23 novembre 2012, d'une demande d'expertise.
L'expert, désigné par ordonnance du 15 janvier 2013, a déposé son rapport le 3 décembre 2013.
Invoquant un défaut de conception de la ligne d'échappement du tracteur à l'origine du sinistre, Groupama et le Gaec la Ferme de Bellegarde ont assigné les sociétés Claas Tractor et Claas France, par acte du 12 et 22 mai 2015, devant le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu en indemnisation des préjudices subis.
Grégory A. L., Evelyne M. épouse Allegret L. et Gilbert M., membres du Gaec la Ferme de Bellegarde, sont intervenus à l'instance.
Par jugement du 3 août 2017, le tribunal a :
- déclaré Grégory A. L., Evelyne M. épouse Allegret L. et Gilbert M. recevables en leur intervention volontaire,
- dit irrecevable, comme prescrite, l'action en garantie des vices cachés,
- déclaré les sociétés Claas Tractor et Claas France responsables, sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, des désordres ayant affecté le chargeur du tracteur, le système de pesage électronique embarqué et la télécommande,
- condamné in solidum les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer à Groupama Rhône Alpes Auvergne, subrogé dans les droits du Gaec la Ferme de Bellegarde, la somme de 8 686 euros,
- condamné in solidum les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer au Gaec la Ferme de Bellegarde, la somme de 1 569,70 euros en réparation de son préjudice matériel,
- rejeté la demande d'indemnisation au titre du préjudice moral et d'un préjudice de jouissance du Gaec la Ferme de Bellegarde, ainsi que la demande au titre des frais de remorquage,
- condamné in solidum les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer, en réparation de leur préjudice moral, les sommes de :
- 2 000 euros à Gilbert M.,
- 500 euros à chacun de Grégory A. L. et Evelyne A. L.,
- condamné in solidum les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer, en application de l'article 700 du Code de procédure civile :
- à Groupama Rhône Alpes Auvergne la somme de 3 000 euros,
- au Gaec la Ferme de Bellegarde la somme de 2 000 euros,
- à Grégory A. L., Evelyne A. L. et Gilbert M., ensemble, la somme de 1 000 euros,
- condamné in solidum les sociétés Claas Tractor et Claas France aux dépens incluant les dépens exposés en référé et les frais d'expertise.
Gilbert M., Grégory et Evelyne A. L., Groupama Rhône Alpes Auvergne et le Gaec la Ferme de Bellegarde ont relevé appel le 20 septembre 2017.
Dans leurs dernières conclusions du 14 mai 2018, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement et de :
- dire recevable et bien fondée leur action en garantie des vices cachés,
- en conséquence, condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer à Groupama Rhône Alpes Auvergne, subrogé dans les droits du Gaec la Ferme de Bellegarde, les sommes de :
- 28 140 euros HT suivant quittance subrogative du 28 septembre 2012
- 2 746 euros au titre de l'indemnisation versée à AXA Assurances, assureur de la SCI Bourdariat,
- condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer au Gaec la Ferme de Bellegarde les sommes de :
- 13 860 euros HT au titre du différentiel entre le prix de vente du véhicule et le montant de l'indemnité versée par Groupama Rhône Alpes Auvergne,
- 1 569,78 euros TTC au titre des frais d'entraide agricole,
- 394,68 euros TTC au titre des frais de remorquage,
- 10 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 5 000 euros au titre du préjudice moral,
- si la cour devait considérer que les sociétés Claas Tractor et Claas France sont condamnées à régler au Gaec la Ferme de Bellegarde le différentiel entre le prix de vente du véhicule par la société Claas et l'indemnité versée par Groupama Rhône Alpes Auvergne, fixer cette somme à 6 189,28 euros,
- si la cour devait rejeter la demande d'indemnisation du préjudice moral formée par le Gaec la Ferme de Bellegarde, condamner les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer à chacun de Gilbert M., Grégory et Evelyne A. L. la somme de 5 000 euros à ce titre,
- subsidiairement, dire recevables et bien fondées les demandes au visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil,
- en conséquence, condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer à Groupama Rhône Alpes Auvergne, subrogé dans les droits du Gaec la Ferme de Bellegarde, les sommes de :
- 5 000 euros au titre des dommages causés au chargeur,
- 1 300 euros au titre des dommages causés au système électronique de pesage embarqué,
- 140 euros au titre des dommages causés à la télécommande,
- 2 746 euros au titre de l'indemnisation versée à AXA Assurances,
- condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer au Gaec la Ferme de Bellegarde les sommes de :
- 1 569,78 euros TTC au titre des frais d'entraide agricole,
- 394,68 euros TTC au titre des frais de remorquage,
- 10 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 5 000 euros au titre du préjudice moral,
- en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer à Groupama Rhône Alpes Auvergne, subrogé dans les droits du Gaec la Ferme de Bellegarde, et au Gaec la Ferme de Bellegarde, chacun, la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement les sociétés Claas Tractor et Claas France à payer à Gilbert M., Grégory et Evelyne A. L., chacun, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et les frais du cabinet CET pour la somme de 502,32 euros.
Ils font valoir que l'action en garantie des vices cachés est recevable en ce que :
- l'assignation en référé expertise a été engagée dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil, dans sa version applicable au contrat,
- l'action contre le vendeur est soumise au délai de prescription de droit commun de la responsabilité contractuelle et non à celui de la prescription commerciale de 10 ans,
- le délai court à compter non pas du jour de la vente, mais de la date de l'ordonnance de référé.
Ils indiquent, sur le fond, que les sociétés Claas Tractor et Claas France n'apportent aucun élément technique permettant de remettre en question les observations et les conclusions de l'expert judiciaire, selon lesquelles l'incendie résulte d'un défaut de conception de la ligne d'échappement du tracteur.
Ils ajoutent que l'incendie s'est produit dans des conditions normales d'utilisation du tracteur et que l'expert a exclu tout défaut d'entretien.
Ils relèvent que de nombreux tracteurs de ce type ont subi ce genre d'incendie.
Ils invoquent, subsidiairement, la responsabilité des sociétés Claas Tractor et Claas France du fait des produits défectueux, en ce que le coude d'échappement du véhicule ne présente pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans leurs dernières conclusions du 25 septembre 2018, les sociétés Claas Tractor et Claas France demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en garantie des vices cachés et débouté le Gaec la Ferme de Bellegarde de ses demandes d'indemnisation des prétendus préjudices de jouissance et moral,
- l'infirmer pour le surplus,
- débouter Groupama Rhône Alpes Auvergne, le Gaec la Ferme de Bellegarde, Gilbert M., Grégory et Evelyne A. L. de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner in solidum Groupama Rhône Alpes Auvergne, le Gaec la Ferme de Bellegarde, Gilbert M., Grégory et Evelyne A. L. à leur verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Elles répliquent que l'action en garantie des vices cachés est prescrite et qu'en tout état de cause, la preuve n'est pas rapportée de l'existence d'un défaut de conception constitutif d'un vice caché.
Elles soutiennent que la preuve n'est pas plus rapportée d'un défaut de sécurité affectant le tracteur.
Elles contestent, subsidiairement, la réalité des préjudices de jouissance et du préjudice moral allégués.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
Sur l'action en garantie des vices cachés
L'article 1648 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005 applicable au contrat de vente conclu le 9 décembre 2003, impose à l'acheteur qui veut engager une action en garantie des vices cachés contre le vendeur d'agir à bref délai, lequel court à compter de la découverte du vice.
En l'espèce, la vente a été conclue entre un commerçant et un non commerçant et est donc soumise aux dispositions du Code de commerce.
L'article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 applicable au litige, dispose que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
Il résulte de ces articles que l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans un bref délai à compter de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L 110-4 du Code de commerce, qui court à compter de la vente initiale.
La loi du 17 juin 2008 a modifié le délai en le raccourcissant à cinq ans.
S'agissant de livraisons de biens antérieures à l'entrée en vigueur de cette loi, le nouveau délai de cinq ans court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, conformément à l'article 2222 second alinéa du Code civil.
La vente ayant été conclue le 9 décembre 2003, le délai pour agir expirait donc le 19 juin 2008 et l'action en garantie des vices cachés introduite en mai 2015 est prescrite.
Le jugement doit par conséquent être confirmé en ce qu'il a déclaré l'action irrecevable.
Sur l'action en responsabilité des produits défectueux
En application des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du Code civil, le producteur est responsable de plein droit du dommage causé par un défaut de son produit, à moins qu'il ne prouve une cause exonératoire, et la responsabilité s'applique à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
Il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut de sécurité et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'incendie du tracteur a causé des dommages à des biens autres que celui-ci, à savoir le chargeur, le système électronique de pesage embarqué et la télécommande.
Il ressort par ailleurs du rapport d'expertise judiciaire que l'incendie est dû à un défaut de conception de la ligne d'échappement du tracteur et que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés intimées, aucun défaut d'entretien et de nettoyage du tracteur n'a été mis en évidence.
L'expert a en outre relevé que les différentes mises à niveau préconisées par le constructeur avant l'incendie n'avaient pas réussi à régler le défaut de conception de la ligne d'échappement.
Il est donc établi que le produit est défectueux au sens des textes susvisés, en ce qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, s'agissant d'un engin agricole équipé d'un chargeur frontal soumis, notamment lors des travaux d'été, à des conditions d'utilisation intensives.
C'est donc à bon droit que le tribunal a, par des motifs que la cour adopte, déclaré les sociétés Claas Tractor et Claas France responsables in solidum des dommages causés tant aux équipements susvisés, qu'au portail et aux haies de la SCI Bourdariat.
C'est également par une exacte appréciation des préjudices directement liés au produit défectueux que le tribunal a exclu les frais de remorquage du tracteur et le préjudice moral du Gaec et a indemnisé les frais d'entraide agricole en 2012 et 2013 au titre du préjudice de jouissance ainsi que le préjudice moral des membres du Gaec.
Le jugement doit donc être intégralement confirmé.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Groupama Rhône Alpes Auvergne, le Gaec la Ferme de Bellegarde, Gilbert M., Grégory et Evelyne A. L. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.