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Décisions

CA Rennes, 5e ch., 2 octobre 2019, n° 16-06180

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Clinique Saint Michel et Sainte Anne (SASU), Matmut (Sté)

Défendeur :

Symbios (SAS), Symbios Orthopedie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lachal

Conseillers :

Mmes Sochacki, Le Potier

Avocats :

Mes Berthault, Dussud, Endros

TGI Quimper, du 5 juill. 2016

5 juillet 2016

Vu le jugement, frappé du présent appel, rendu le 5 juillet 2016 par le tribunal de grande instance de Quimper, qui a :

Mis hors de cause la société Symbios ; déclaré la société Clinique Saint Michel et Sainte Anne, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil et la société Symbios Orthopédie sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil responsables in solidum du préjudice subi par M. C E F ;

Dit que dans les rapports entre la société Clinique Saint Michel et Sainte Anne et la société Symbios Orthopédie, cette dernière sera tenue de garantir intégralement la première de toutes les condamnations mises à sa charge par la présente décision ;

Condamné les mêmes à payer à M. F la somme globale de 20 490 € avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision et celle de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ; condamné la société Clinique Saint Michel et Sainte Anne et la société Symbios Orthopédie in solidum aux entiers dépens comprenant les frais de référé et d'expertise ;

Rejeté toutes autres demandes ;

Vu les dernières conclusions, en date du 24 janvier 2017, de la SASU Clinique Saint Michel et Sainte Anne et de la Matmut, appelantes, tendant à :

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Quimper en ce qu'il a déclaré la Clinique Saint Michel et Sainte Anne responsable du préjudice subi par M. F ;

Dire et juger que la clinique n'a commis aucun manquement dans le cadre du contrat d'hospitalisation et de soins la liant à M. F ;

Déclarer irrecevable l'action engagée par M. F à l'encontre de la clinique Saint Michel et Sainte Anne et la mettre hors de cause ;

A titre subsidiaire,

Condamner la société Symbios Orthopédie à garantir la clinique de toute condamnation prononcée à son encontre ;

Déclarer satisfactoires les offres d'indemnisation formulées par les concluantes ;

Vu les uniques conclusions, en date du 26 octobre 2016, de M. C E F, intimé, tendant à :

Déclarer la société Clinique Saint Michel et Sainte Anne et la Matmut tant irrecevables que mal fondées en leur appel ;

Confirmer en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y additant : condamner la société Clinique Saint Michel et Sainte Anne et la Matmut, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel par M. F, au paiement de la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société Clinique Saint Michel et Saint Anne et la Matmut aux dépens ;

Vu les dernières conclusions, en date du 22 janvier 2019, de la société Symbios Orthopédie et de la société Symbios, intimées, tendant à :

Recevoir la société Symbios Orthopédie et la société Symbios en leurs écritures et les déclarer bien fondées ;

A titre liminaire,

Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Quimper en ce qu'il a mis la société Symbios hors de cause ;

En conséquence,

Mettre hors de cause la société Symbios ;

A titre principal, infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Constater que M. F ne rapporte pas la preuve du défaut de la prothèse litigieuse ; constater que l'expert judiciaire désigné par le tribunal a conclu à l'absence de défaut de la prothèse ;

En conséquence,

Mettre hors de cause la société Symbios Orthopédie ; constater que le rapport bénéfice/risque ne permet pas de conclure que la prothèse n'apportait pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ;

Constater que l'état des connaissances scientifiques au moment de la mise en circulation de la prothèse ne permettait pas d'anticiper le risque de rupture ;

En conséquence,

Exonérer la société Symbios Orthopédie de toute responsabilité conformément à l'article 1245-10 du Code civil ;

A titre subsidiaire, infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Constater que le tribunal de grande instance de Quimper a surévalué, financièrement, le préjudice subi par M. F ;

En conséquence,

Ramener le montant des sommes allouées à M. F à de plus justes proportions ; limiter l'indemnisation de M. F à la somme totale de 11 317€

En tout état de cause,

Ramener le montant alloué à M. F par le tribunal au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à de plus justes proportions ;

Condamner toute partie succombante au versement de la somme de 2 500 € à la société Symbios au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner toute partie succombante au versement de la somme de 3 500 € à la société Symbios Orthopédie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner toute partie succombante aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 16 mai 2019 ;

Sur quoi, la cour

Le 15 mars 2010, M. C E F a subi, au sein de la clinique Saint Michel et Sainte Anne à Quimper, une opération chirurgicale consistant en la mise en place d'une prothèse totale de la hanche droite fabriquée par la société Symbios orthopédie. Le 1er mars 2012, cette prothèse s'est soudainement rompue entraînant la chute brutale de M. F, son hospitalisation à la clinique pour un changement de prothèse le 5 mars 2012 et un arrêt de travail jusqu'au 30 août 2012.

M. F a obtenu en référé, par ordonnance du 6 mars 2013, l'organisation d'une mesure d'expertise confiée au docteur H, qui a déposé son rapport 1e 18 février 2015.

Par acte du 2 juillet 2015, M. F a assigné la société Symbios et la SASU clinique Saint Michel et Sainte Anne en responsabilité et indemnisation de son préjudice.

La société Symbios orthopédie est intervenue volontairement à la procédure ainsi que la société Matmut, en qualité d'assureur de la clinique.

Le tribunal a déclaré la clinique responsable sur le fondement de l'article 1147 du Code civil et la société Symbios orthopédie responsable sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil et les a condamnées in solidum à indemniser M. F de ses préjudices personnels, puis a condamné la société Symbios orthopédie à garantir la clinique de l'intégralité des condamnations mises à sa charge.

L'expert judiciaire a confié l'implant litigieux au laboratoire national de métrologie et d'essai (LNE) qui a conclu que :

- la rupture de la prothèse de la hanche, localisée à l'endroit où le col vient s'insérer dans la tige, résulte d'un processus de fissuration progressive sous sollicitations cycliques de flexion plane (fatigue). Les dimensions de la plage de propagation par fatigue excluent toute surcharge.

- la structure métallurgique du col de la prothèse de hanche n'appelle pas de commentaire particulier.

L'expert indique que des études de 2010 mais postérieures à la pose de l'implant rapportaient 6 ou 8 cas de rupture de col sur 5ans sur 64 000 prothèses référencées, et des risques prépondérants de survenue de rupture en cas de microtraumatismes répétés et de surchage pondérale (au-dessus de 100 kg avec IMC au-dessus de 30)

Au terme de son rapport, l'expert judiciaire a conclu que :

- M. F, opéré d'une coxarthrose droite le 15 mars 2010, a été victime d'une rupture de l'implant deux ans après.

- la mise en place de la prothèse par le docteur Z était conforme aux recommandations de la profession, l'implant était bien posé.

- l'étude macroscopique et micro fractographique effectuée par le LNE n'a pas mis en évidence d'anomalie de la structure métallurgique du col de la prothèse et a retrouvé un processus de fissuration progressive sous sollicitations cycliques à l'origine de la rupture.

La fatigabilité de l'implant peut être considérée comme anormalement précoce, possiblement en lien avec la surchage pondérale mais sans certitude.

La disposition du jugement qui a mis hors de cause la société Symbios n'est pas critiquée et sera maintenue.

L'action à l'égard de la clinique

La clinique soutient que les actions en réparation du dommage causé par le produit défectueux doivent être dirigées contre le producteur identifié et que l'établissement de santé, simple fournisseur non fabricant, ne peut pas être tenu responsable du préjudice subi par son patient.

M. F était lié à elle par un contrat d'hospitalisation et de soins et il ne prouve pas sa faute dans l'organisation du service en lien avec la survenance du dommage , alors qu'elle n'est pas responsable de la défectuosité de la prothèse qui correspondait aux caractéristiques demandés et dont le vice n'était pas décelable, et qu'elle n'est pas fournisseur au sens de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique, seuls, les fabricants dès lors qu'ils sont identifiés, pouvant être tenus comme responsables de plein droit du préjudice causé par le défaut de leur produit .

M. F répond que, comme l'a jugé le tribunal, il fonde sa demande à l'encontre de la clinique sur les articles 1147 du Code civil et L. 1142-1- I du Code de la santé publique pour voir engager la responsabilité de la clinique en invoquant que la seule défaillance précoce de la prothèse est constitutif à lui seul du défaut visé par l'article 1386-1 du Code civil et engage la responsabilité de la clinique qui l'a fournie.

D'une part, s'agissant du défaut de sécurité de la prothèse, il résulte de l'article 1386-7 devenu l'article 1245-6 du Code civil que la responsabilité pour défectuosité du produit du fournisseur professionnel non fabricant ne peut être engagée que si le producteur n'a pu être identifié, ce qui n'est pas le cas en l'espèce où le fabricant de la prothèse est à la cause.

D'autre part, M. F qui n'invoque ni ne caractérise d'autre faute que la fourniture d'une prothèse ne remplissant pas les exigences de sécurité des articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil, ne démontre pas un manquement de la clinique dans l'exécution du contrat d'hospitalisation passé entre eux et ne caractérise ni même n'allègue une faute contractuelle de nature à engager la responsabilité de la clinique à son égard .

En conséquence, M. F doit être débouté de sa demande mal fondée contre la clinique Saint Michel et Sainte Anne, et le jugement qui a déclaré celle-ci sur le fondement de l'article 1147 du Code civil responsable du préjudice subi par M. C E F et l'a condamnée in solidum avec la société Symbios orthopédie à indemniser ce dernier sera infirmé de ces chefs.

L'action à l'égard de la société Symbios orthopédie

La société Symbios Orthopédie soutient que M. F ne rapporte pas la preuve que la prothèse est défectueuse au sens des articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil et elle se prévaut des conclusions de l'expert H qui a conclu que le dispositif médical implanté ne présentait pas de caractère défectueux.

Cependant, M. F réplique à raison que la responsabilité de la société Symbios orthopédie, producteur du produit ne présentant pas la sécurité légitimement attendue, est engagée de plein droit.

En effet, la prothèse n'a pas offert la sécurité à laquelle M. F pouvait légitimement s'attendre, compte tenu de l'usage espéré, alors que celle-ci n'était posée que depuis deux ans et qu'elle a rompu sans cause extérieure, peu important que la cause exacte de la fracture de fatigue ne soit pas établie.

Et, la société Symbios orthopédie qui se réfère aux causes d'exonération de l'article 1386-11 4° devenu 1245-10 4° du Code civil ne rapporte nullement la preuve dont elle a la charge que l'état des connaissances techniques et scientifiques au moment où elle a mis le produit en circulation n'a pas permis de déceler l'existence d'un défaut.

Par ailleurs, elle évoque le moyen tiré de l'évaluation du rapport bénéfice/ risques du produit de façon non circonstanciée et inopérante en l'espèce.

Le défaut de sécurité de la prothèse de hanche est en lien de causalité directe avec les dommages subis par M. F et dont il demande réparation.

Il y a donc lieu en confirmant le jugement de déclarer la société Symbios orthopédie responsable du préjudice corporel subi par M. F et tenue de l'indemniser.

L'indemnisation des préjudices

Au terme de son rapport du 18 février 2015, le docteur H, a présenté les conclusions suivantes :

- déficit fonctionnel temporaire total du 1er au 9 mars 2012,

- déficit fonctionnel temporaire partiel du 10 mars 2012 au 31 aôut 2012,

- souffrances endurées avant la consolidation du 1er septembre 2012

(dues au bris du matériel, à la réintervention et aux soins ultérieurs) : 3/7

- préjudice esthétique temporaire : 1,5/7

- préjudice esthétique permanent : 1/7

M. F sollicite la confirmation du montant de toutes les indemnités qui lui ont été accordées par le tribunal tandis que la société Symbios orthopédie conteste le montant des sommes attribuées au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice d'anxiété.

Les indemnités allouées par le tribunal concernant les souffrances endurées (4 000 €) et les préjudices esthétiques temporaire (500 €) et permanent (1 000 €) ne sont donc pas critiquées par les parties concernées et seront confirmées.

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire subi en 2012, la société Symbios orthopédie fait valoir à raison que c'est la somme de 23 € qui doit être la base de son calcul, de telle sorte que, les nombres de jours et les classes de déficit fonctionnel temporaire n'étant pas contestés, c'est la somme de 1 817 € (9 jours x23 € et 175 jours x 23x40%) qui doit revenir à M. F au lieu de celle de 1990 € allouée par le tribunal.

La société Symbios orthopédie fait grief au tribunal d'avoir alloué à M. F au titre d'un préjudice moral d'anxiété lié à la crainte d'une rupture de l'autre prothèse la somme manifestement excessive de 13 000 € et elle propose la somme maximale de 4 000 €.

L'expert judiciaire a considéré que l'inquiétude de M. F quant à l'évolution de la prothèse implantée à droite est légitime et correspond à un véritable préjudice moral.

Eu égard au préjudice moral subi par M. F en raison de la crainte de subir à nouveau une rupture de prothèse de hanche, la somme de 4 000 € lui sera accordée, le jugement étant infirmé sur ce point.

En conséquence, la société Symbios orthopédie sera condamnée à payer à M. F une somme de 11 317 € en réparation de son préjudice corporel.

Enfin, seule la société Symbios orthopédie doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer une indemnité à M. F par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe, Infirme partiellement le jugement ; Statuant à nouveau sur le tout, Met la société Symbios hors de cause ; Déboute M. C E F de toutes ses demandes à l'encontre de la SASU clinique Saint Michel et Sainte Anne ; Condamne la société Symbios orthopédie à payer à M. C E F la somme de 11 317 € en réparation de son préjudice corporel ; Condamne la société Symbios orthopédie aux dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise, et d'appel ; Condamne la société Symbios orthopédie à payer à M. C E F la somme de 6 000 € au titre de ses frais non taxables de première instance et d'appel.