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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 3 octobre 2019, n° 18-23501

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dipa (SAS), Cemoi Confiseur (Sasu)

Défendeur :

Agence commerciale Robert (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Avocat :

Me Lesénéchal

Paris, pôle 5 ch.5, du 15 sept. 2016

15 septembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Établissements Jacquot, qui fabrique et commercialise des confiseries de chocolat saisonnières destinées au grand public et distribuées principalement en grandes surfaces, a, par contrat conclu le 1er mai 2007, donné à la société Agence Robert un mandat d'agent commercial pour la vente de chocolat à la grande distribution.

La société Établissements Jacquot ayant fait l'objet d'une acquisition par la société Cémoi le 12 juillet 2007, un nouveau contrat à durée indéterminée élargi à la société Dipa, filiale de la société Cémoi, a été conclu le 1er octobre 2009 avec la société Agence Robert pour représenter les sociétés Établissements Jacquot et Dipa dans cinq départements.

Des litiges sont apparus entre les contractants, la société Robert soulignant le retard dans le paiement des commissions mettant en péril son équilibre financier tandis que les sociétés Dipa et Établissements Jacquot ont reproché plusieurs manquements dans les rapports contractuels.

Le contrat a été résilié le 6 avril 2012 par les sociétés Dipa et Établissements Jacquot qui ont refusé de payer les indemnités réclamées par la société Robert et de laisser le préavis s'effectuer.

Par actes des 26 mars et 2 avril 2013, la société Robert a assigné les sociétés Dipa et Établissements Jacquot devant le tribunal de commerce de Paris en condamnation à paiement des indemnités de rupture et de préavis. Les sociétés Établissements Jacquot et Dipa ont conclu au rejet des demandes en raison des fautes graves de la société Robert.

Par jugement rendu le 8 avril 2015, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Agence Commerciale Robert de sa demande d'expertise ;

- condamné la société Dipa et la société Établissements Jacquot & Cie à payer à la société Agence Commerciale Robert une indemnité de rupture de 181 489,71 euros ;

- condamné la société Dipa et la société Établissements Jacquot & Cie à payer à la société Agence Commerciale Robert une indemnité de préavis de 30 248,25 euros ;

- débouté la société Agence Commerciale Robert de sa demande sur le licenciement de M. X ;

- condamné solidairement la société Dipa et la société Établissements Jacquot & Cie à payer à la société Agence Commerciale Robert la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- débouté les parties de leurs prétentions autres, plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la société Dipa et la société Établissements Jacquot & Cie aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euros dont 17,42 euros de TVA.

Le tribunal a écarté les griefs de fautes graves en ce que :

- la commercialisation par Robert de produits concurrents Baby Délices avait été découverte après la lettre de résiliation du 6 avril 2012 et n'avait porté que sur deux produits ;

- les manquements de Robert à ses obligations générales, notamment celle de rendre compte à son mandat ne présentait pas de gravité au sens de l'article L. 134-13 du Code de commerce.

Par arrêt du 15 septembre 2016, la cour d'appel de Paris, a, sur appel des sociétés Dipa et Cémoi :

- confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne la somme allouée au titre de l'indemnité de l'indemnité de rupture ;

Statuant de nouveau de ce chef,

- condamné solidairement la société Dipa et la société Établissements Jacquot & Cie à payer à la sociétéAgence Commerciale Robert une indemnité de rupture d'un montant de 241 986,24 euros ;

- condamné solidairement la société Dipa et la société Établissements Jacquot & Cie à payer à la société Agence Commerciale Robert une somme complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté toutes autres demandes ;

- condamné solidairement la société Dipa et la société Établissements Jacquot & Cie aux dépens et accordé à Maître Olivier, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par arrêt rendu le 14 février 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris, remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée,

au motif qu'en retenant que la commercialisation par la société Robert de produits concurrents ne pouvait constituer une faute grave dès lors qu'elle a été découverte par les sociétés Cémoi et Dipa postérieurement à l'envoi de leur lettre de résiliation, et ce alors qu'il n'était pas contesté que le manquement à l'obligation de loyauté ainsi reproché à la société Robert avait été commis antérieurement à la rupture du contrat, peu important que, découvert postérieurement par les mandantes, il n'ait pas été mentionné dans la lettre de résiliation, la cour d'appel a violé les articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce.

Vu la déclaration de saisine du 2 novembre 2018, signifiée le 6 décembre 2018, par les sociétés Dipa et Cémoi Confiseur ;

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Les sociétés Dipa et Cémoi Confiseur, demanderesses à la saisine, par dernières conclusions notifiées le 31 décembre 2018, demandent à la cour, au visa de l'article L. 134-13 du Code de commerce, de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par les sociétés Dipa et Établissements Jacquot & Cie devenue Cémoi Confiseur ;

- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris sauf en ce qu'il a considéré que les sociétés Dipa et Établissements Jacquot & Cie devenue Cémoi Confiseur n'étaient redevables d'aucune indemnité au titre du licenciement de Monsieur X ;

en conséquence,

- constater les fautes graves de l'Agence Commerciale Robert & Cie ;

- dire bien fondée la lettre de résiliation pour faute grave du contrat d'agent commercial du 6 avril 2012 ;

- constater que les sociétés Dipa et Cémoi Confiseur ne sont redevable d'aucune indemnité ;

- dire les demandes de l'Agence Commerciale Robert représentée par Maître Y ès qualités irrecevables et mal fondées ;

- débouter l'Agence Commerciale Robert représentée par Maître Y ès qualités de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Maître Y ès qualités à payer aux sociétés Dipa et Cémoi Confiseur la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Maître Y ès qualités aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elles invoquent les manquements de l'agent commercial constitués notamment par la commercialisation de produits concurrents, et ce en violation de la clause de non-concurrence, fait constituant une faute grave justifiant la résiliation du contrat d'agence commerciale.

Elles font valoir qu'elles ont dénoncé les manquements de l'agent commercial dans plusieurs mises en demeure, lesquelles sont restées sans réponse ; en outre, ces mises en demeures ne peuvent être contredites par de prétendus retards dans le versement des commissions. Elles indiquent que les fautes graves qu'elles ont relevées figurent dans la lettre de résiliation adressée à l'Agence Commerciale Robert, notamment :

- le non-respect des délais de transmission des commandes ;

- un défaut récurrent d'organisation d'animation et d'expositions dans les magasins, dans la mesure où ces animations et expositions ont fait l'objet de diminutions considérables en contradiction avec la politique commerciale du groupe Cémoi, entraînant une baisse de chiffre d'affaire préjudiciable pour le groupe ;

- l'absence de retour d'information et de suivi des litiges, contraignant Dipa et Cémoi à revenir auprès de la société Agence Commerciale Robert et rendant, en conséquence, toute tentative d'apaisement impossible ; dans la mesure où la violation de ces obligations a gravement compromis la bonne démarche de la distribution et de la commercialisation des sites dont la société intimée était responsable ;

- le mauvais suivi du linéaire de certains produits, ayant entraîné, après absence de remplissage des rayons par les produits de la marque Festy, le déréférencement de cette dernière par le magasin E-Leclerc ;

- la mauvaise gestion des campagnes saisonnières, dans la mesure où Dipa et Cémoi ont eu connaissance, de la part de magasins clients, de réclamations évaluées à hauteur de 122 081,00 euros ;

- des retards d'information sur les avoirs.

Sur la violation de la clause de non-concurrence, elles indiquent que peu importe que cette violation ait été révélée ait eu lieu postérieurement à la rupture du contrat d'agence commerciale, dans la mesure où non seulement l'agent commercial a effectivement commercialisé des produits de la marque concurrente Bay Délice, où il n'a jamais sollicité l'autorisation de Dipa et Cémoi pour commercialiser de tels produits et où le fait que cette violation de la clause de non-concurrence n'ait porté que sur deux catégories de produits et dans un volume très modeste ne suffit pas à écarter le caractère fautif de cette commercialisation.

Elles font valoir qu'elles ont subi un préjudice tiré des actes précités de la société intimées, lequel est constitué par une baisse de chiffre d'affaires et un manque à gagner évaluable à hauteur de 207 725,00 euros et obligeant les sociétés appelantes à procéder à des compensations envers ses clients.

Il est expressément référé aux écritures des demanderesses à la saisine pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

La société Agence Commerciale Robert a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bar Le Duc du 7 octobre 2018, Maître Y étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Maître Y, auquel les sociétés Dipa et Cémoi Confiseur ont fait signifier la déclaration de saisine de la cour de renvoi par acte en date du 6 décembre 2018 et leurs conclusions par acte du 3 janvier 2019, n'a pas constitué avocat.

MOTIFS :

Considérant que, par courrier en date du 6 avril 2012, les sociétés Dipa et Cémoi Confiseur ont notifié à la société Robert la rupture du contrat d'agent commercial pour fautes graves et indiqué que "cette rupture ne donnera lieu à aucune indemnité de notre part et prendra effet à réception de la présente" ;

Considérant que la société Agence Commerciale Robert réclamait, devant le tribunal de commerce, la condamnation des sociétés Dipa et Cémoi Confiseur au paiement d'indemnités de rupture et de préavis ; que les sociétés Dipa et Cémoi Confiseur concluent au rejet de ces demandes en raison des fautes graves de l'agent commercial privatives de toute indemnité ;

Considérant que l'article L. 134-12 du Code de commerce prévoit un droit à indemnité au profit de l'agent commercial en cas de cessation de ses relations avec le mandant, sauf, ainsi que le précise l'article L. 134-13 du même Code, en cas de faute grave de l'agent ;

Considérant que la faute grave de l'agent commercial, exclusive d'indemnité, est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la commercialisation par l'agence Robert de produits concurrents de la marque Baby Délices a été découverte par les sociétés Dipa et Cémoi par un courrier électronique de Monsieur Z du 12 mai 2012 (pièce Dipa et Cémoi n° 29 : " Contrairement aux autres fournisseurs comme Révillon, Abtey, Bonbons Buddies, Fortwenger et Baby Délice représentés par cette agence, (...) ") ; que le contrat d'agent commercial prévoyait toutefois une interdiction, pour l'agent commercial, de représenter toute société concurrente ;

Que, si l'article L. 134-3 du Code de commerce dispose, en son alinéa 1er, que "l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants.", le second alinéa du même article prévoit : "Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier." ; qu'en outre, aux termes de l'article L. 134-4, alinéa 2, du même Code, "les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information." ; qu'il est indifférent que cette faute ait été révélée au mandat postérieurement à la rupture, dès lors qu'il n'est pas discuté qu'elle a été commise antérieurement à la rupture de la relation ; qu'elle doit donc être prise en considération ; que la commercialisation, par l'agence Robert, de produits concurrents, sans l'autorisation de ses mandantes, caractérise un manquement à l'obligation de loyauté et est dès lors constitutive d'une faute grave ;

Considérant, par ailleurs, que les sociétés Dipa et Cémoi ont fait état d'autres fautes par leur courrier du 6 avril 2012 de résiliation du contrat d'agent commercial (pièce Dipa - Cémoi n° 6) :

- non-respect du minimum de commandes requis pour effectuer les animations en magasin, entraînant une baisse de rentabilité allant à l'encontre de la politique commerciale ;

- absence de retours d'informations ni de suivi des litiges en cours ;

- mauvais suivi du linéaire des produits Festy, le défaut répété du remplissage du rayon ayant entraîné le déréférencement de la gamme Festy du Leclerc de Fameck ;

- mauvaise gestion des campagnes saisonnières, la Scarpest (centrale régionale Leclerc) ayant fait part de son mécontentement ;

- retards d'information sur les avoirs ;

Que, les sociétés Dipa et Jacquot avaient déjà, par lettre en date du 19 janvier 2012, mis en demeure leur agent commercial d'apporter les réponses qui s'imposaient sur les délais de transmission des commandes, la nécessité d'offrir aux magasins une gamme complète, les délais de réponse ; qu'une réunion a été tenue avec l'agence Robert 25 janvier 2012 ; qu'une nouvelle mise en demeure a été adressée à l'agent commercial le 1er février 2012 concernant d'autres incidents : absence de visibilité sur les commandes de Pâques 2012, absence de retour d'information sur le plan d'action ; qu'une troisième mise en demeure a été envoyée le 23 février 2012 sur l'absence de solution apportée aux manquements signifiés précédemment, sur l'absence d'information concernant le plan d'action ;

Que, compte tenu de la multiplication des incidents, révélatrice d'un manque persistant de rigueur, et de l'incapacité dans laquelle s'est trouvé l'agent commercial d'y remédier malgré les multiples mises en demeure qui lui ont été adressées, l'ensemble de ces fautes est constitutif d'un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat d'agent commercial sans indemnité compensatrice ;

Considérant qu'en conséquence, la cour dira que l'agence Robert a commis des fautes graves privatives d'indemnités, la déboutera de ses demandes et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité commande de condamner Maître Y ès qualités à payer aux sociétés Dipa et Cémoi la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau ; deboute la société Agence Commerciale Robert de ses demandes ; condamne Maître Y ès-qualités à payer aux sociétés Dipa et Cémoi Confiseur la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne Maître Y ès qualités aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.