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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 10 octobre 2019, n° 16-19663

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SV Expertises (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. David

Conseillers :

Mmes Trouiller, Bisch

TI Le Raincy, du 25 août 2016

25 août 2016

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 19 juillet 2014, M. X était victime d'un vol dans sa résidence principale <adresse>. Il avait souscrit deux assurances habitation, l'une auprès de la société Pacifia et l'autre auprès de la société ACM, pour le complément des pertes non indemnisées.

M. X était indemnisé par la société Pacifia à hauteur de 70 116 euros, et par suite d'un désaccord avec la société ACM sur la proposition d'indemnisation complémentaire, il donnait mandat au cabinet SV Expertises, le 2 février 2015, pour fixer cette indemnisation.

En juin 2015, la société SV Expertises proposait à M. X un versement complémentaire par la société ACM de 25 440 euros, proposition jugée insatisfaisante et refusée par ce dernier.

Par actes en date des 16 octobre 2015 et 28 octobre 2015, la société SV Expertises assignait M. X devant le tribunal d'instance du Raincy, aux fins de le voir condamner à payer la somme de 6 739,42 euros au titre de ses honoraires avec intérêts au taux légal, et la somme de 250 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. X demandait au tribunal de prononcer la nullité de l'assignation introductive d'instance et de débouter la société SV Expertises de l'intégralité de ses demandes, au motif que le contrat de mission d'expertise n'aurait pas été exécuté.

Par jugement contradictoire en date du 25 août 2016, le tribunal d'instance du Raincy :

- rejetait l'exception de nullité de l'exploit introductif d'instance,

- déboutait M. X de sa demande de résiliation et de nullité du contrat de mission,

- condamnait M. X à payer à la société SV Expertises la somme de 789,60 euros, au titre du solde d'honoraires restant dû, avec intérêts,

- réputait non écrite la clause permettant à un professionnel d'interrompre sa mission en fixant ses honoraires (180 euros de l'heure en fonction du travail exécuté) sans reconnaître ce même droit au non professionnel, conformément à l'article R. 132-1 du Code de la consommation,

- déboutait les parties du surplus de leurs autres demandes.

Le tribunal considérait que M. X ne rapportait pas la preuve du grief résultant de la nullité qu'il invoquait, concernant l'absence de la mention du siège social de la société SV Expertises, dans l'assignation.

Le tribunal retenait que la société SV Expertises avait fait procéder à l'arrêt technique des dommages, selon les termes de sa mission, sans qu'une faute particulière ne soit démontrée, à défaut de pouvoir transiger, de sorte que le contrat ne pouvait être résilié ou annulé.

Mais il jugeait que la clause prévoyant le calcul des honoraires, à défaut de présenter un caractère abusif, était imprécise quant au calcul des honoraires fixés sur le préjudice total, qui devait s'entendre sur celui qui restait à indemniser et non sur celui qui avait déjà été indemnisé par la société Pacifia à hauteur de 70 116 euros.

Le tribunal estimait que la clause permettant à un professionnel d'interrompre sa mission en fixant ses honoraires, présentait un caractère abusif en ce qu'elle prévoyait une faculté de résiliation unilatéral du contrat.

Par déclaration en date du 30 septembre 2016, la société SV Expertises a relevé appel de la décision.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 25 mars 2019, la société SV Expertises demande à la cour de :

- débouter M. X de l'ensemble de son appel incident et de ses moyens et prétentions contre la société SV Expertises,

- confirmer le jugement déféré qui a rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par M. X, et qui a débouté M. X de sa demande de résiliation et de nullité du contrat de mission,

- en conséquence, juger que M. X a rompu les dispositions du contrat de mission le liant à la société SV Expertises,

- dès lors, condamner M. X à payer à la société SV Expertises la somme de 6 739,42 euros au titre de ses honoraires dus, avec intérêts et au taux légal à compter du 28 octobre 2015, date de l'assignation introductive d'instance,

- condamner M. X à payer à la société SV Expertises la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner M. X à payer à la société SV Expertises la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, l'appelante fait valoir que l'intimé ne rapporte pas la preuve de grief tiré de l'absence de la mention de son siège social dans l'assignation. Elle prétend avoir parfaitement réalisé sa mission, conformément aux règles contractuelles, et que M. X ne démontre aucun motif de résiliation ou d'annulation.

La société SV Expertises fait valoir qu'elle justifie son chiffrage et que le tribunal a justement retenu qu'elle avait fait application d'une réparation cumulative entre les sociétés Pacifia et ACM. Elle soutient qu'elle n'avait pas à conseiller M. X sur une transaction, puisqu'elle n'avait pas ce mandat, mais celui d'une estimation.

La société SV Expertises soutient donc que ses honoraires sont dus et qu'en jugeant non écrite la clause qui lui permettait d'interrompre sa mission en fixant ses honoraires, le tribunal a commis une erreur de droit en faisant une mauvaise interprétation de la partie qui peut résilier cette clause, sans réciprocité. L'appelante soutient que M. X, qui conteste les honoraires demandés, maintient à tort la confusion entre les pertes, c'est-à-dire les dommages et l'indemnité en fonction des clauses du contrat souscrit.

L'appelante fait valoir que les bijoux dont l'indemnisation fut réclamée de manière complémentaire, ont bien été chiffrés.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 5 septembre 2017, M. X demande à la cour de :

- déclarer la société SV Expertises mal fondée en son appel,

- recevoir M. X en son appel incident,

- infirmer le jugement déféré qui a rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par M. X et l'a débouté de sa demande de résiliation et de nullité du contrat de mission,

- le confirmer en ce qu'il a réputé non écrite la clause permettant à un professionnel d'interrompre sa mission,

- juger que le contrat de mission d'expertise n'a pas été exécuté par la société SV Expertises, et la débouter de toutes ses demandes,

- à titre subsidiaire, juger que les honoraires demandés ne sont pas dus,

- prononcer la nullité des clauses du contrat de mission fixant les honoraires, en application des articles L. 132-1 et R. 132-1, 9° du Code de la consommation,

- prononcer la résiliation du contrat de mission, en application de l'article 1134 du Code civil,

- en conséquence, débouter la société SV Expertises de toutes ses demandes,

- accueillir M. X en sa demande reconventionnelle,

- condamner la société SV Expertises à payer à M. X la somme de 1 500 euros en remboursement de la provision versée,

- si la cour ne faisait pas droit aux demandes de M. X, le solde des honoraires dus serait fixé à la somme de 789,60 euros,

- condamner la société SV Expertises à payer à M. X la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société SV Expertises aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, l'intimé fait valoir la nullité de l'assignation, pour défaut d'indication du siège social du cabinet SV Expertises.

L'intimé soutient qu'une grande partie du sinistre ayant déjà été indemnisée par la société Pacifica avant l'intervention de la société SV Expertises, celle-ci ne peut pas entendre fixer la perte subie à la totalité du sinistre, ni même prétendre que M. X aurait accepté une telle clause.

L'intimé fait valoir que la mission n'a pas été exécutée, le cabinet ne parvenant jamais à un chiffrage complet ni accepté par l'intimé, des objets dérobés permettant l'indemnisation due par la société ACM.

M. X rappelle que le chiffrage à prendre en compte pour les bijoux et objets de valeur, est de 111 310 euros, qui permet d'aboutir à une indemnisation par la société ACM de 45 310 euros. M. X soutient que vouloir contraindre son client à accepter une proposition défavorable démontre un défaut de conseil grave et un mépris de ses obligations professionnelles en violation de l'article 1147 du Code civil.

M. X invoque la nullité de clause fixant le quantum des honoraires, au motif que cette clause est abusive en ce qu'elle prévoit des conséquences financières excessives, ainsi que la nullité de la clause permettant l'interruption de la mission par la société SV Expertises, sans reconnaître le même droit à son cocontractant.

L'intimé fait valoir que l'appelante a commis un abus dans la fixation des honoraires entraînant la résiliation du contrat en application de l'article 1134 du Code civil.

L'intimé soutient qu'il a informé la société SV Expertises dès le juillet 2015 qu'il voulait obtenir une indemnisation de 45 310 euros de la société ACM, de sorte que son refus d'accepter l'offre de règlement manifestement défavorable, proposée par l'appelante, ne peut être analysé en une résistance abusive.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 mars 2019.

SUR CE,

Sur l'exception de nullité affectant l'assignation :

M. X soulève la nullité de l'assignation au motif que le siège social de la société SV Expertises, ne figure pas dans cet acte.

L'article 648 du Code de procédure civile prévoit en effet que : " tout acte d'huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs : ... si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente également ".

L'article 114 alinéa 2 du même Code énonce que : " la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public ".

En l'espèce, M. X n'évoque et ne prouve a fortiori aucun grief.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'assignation.

Sur la validité du contrat de mission et sur la demande en paiement des honoraires d'un montant de 6 739,42 euros :

1- L'article 1104 du Code civil dispose que " les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ".

L'article 103 précise qu'ils doivent être exécutés de bonne foi.

La société SV Expertises a reçu, selon mandat du 2 février 2015 produit aux débats, la mission d'évaluer les dommages aux matériels et mobiliers, après le vol qu'a subi M. X à son domicile, le 19 juillet 2014.

Il est rappelé qu'elle est intervenue suite au refus du second assureur de M. X, la société ACM, d'accorder une indemnisation complémentaire, selon une lettre du 18 décembre 2014, expliquant que : " au regard des garanties souscrites et du chiffrage de l'expert, il apparaît qu'aucun règlement complémentaire à l'indemnité versée par Pacifica n'est justifié pour la compagnie ACM ".

Par un courrier de juin 2015, la société SV Expertises a proposé à M. X, la somme de 25 440 euros au titre de l'indemnisation complémentaire versée par la société ACM, ce que l'intéressé a refusé, l'estimant insuffisante, puisque par courrier électronique du 30 juin 2015, il indiquait à la société SV Expertises, que l'indemnisation complémentaire devait être portée à la somme de 45 310 euros.

Il résulte des débats que M. X a poursuivi seul les négociations avec la société ACM, qui ont abouti, en décembre 2015, à fixer l'indemnité complémentaire à la somme de 45 428 euros.

M. X soutient que la société SV Expertises a manqué à ses obligations contractuelles puisqu'elle ne serait pas parvenue à un chiffrage des objets dérobés permettant l'indemnisation complémentaire, le chiffrage obtenu n'ayant en tout cas n'ayant pas été complet, puisque l'ensemble des bijoux à évaluer n'aurait pas été pris en compte, ce chiffrage complet de 111 310 euros, justifiant l'indemnisation complémentaire de 45 310 euros.

M. X fait grief à la société SV Expertises d'avoir voulu lui imposer une indemnisation complémentaire de près de la moitié inférieure à celle qui était due, et qu'il a finalement obtenue sans elle.

Il est cependant constaté que la société ACM avait d'abord refusé toute indemnisation complémentaire à M. X, qui après avoir donné mandat à la société SV Expertises, a tout de même obtenu une proposition de 25 440 euros.

L'intimée précise au demeurant, à juste titre au regard des termes du mandat, qu'elle avait pour mission d'expertiser les biens volés et non de négocier et de transiger avec la société d'assurances.

Aucune violation contractuelle ni mauvaise foi ne peuvent être retenues à l'encontre de la société SV Expertises, puisqu'il résulte encore des débats qu'à la suite d'une réunion d'expertise du 11 juin 2015, dont l'objet fut de redéfinir la liste des objets volés et de parvenir à un chiffrage commun, l'intimée a procédé à un " arrêt technique des dommages ", justifiant le chiffrage complet des objets, la répartition entre les deux sociétés d'assurances, et le détail de la production d'une quittance chiffrant l'indemnité complémentaire, qui a été refusée par son client.

L'article L. 121-4 alinéas 4 et 5 du Code des assurances dispose que : " dans les rapports entre assureurs, la contribution de chacun est déterminée en appliquant au montant du dommage le rapport existant entre l'indemnité qu'il aurait versée s'il avait été seul et le montant cumulé des indemnités qui auraient été à la charge de chaque assureur s'il avait été seul ".

Il est démontré que la société SV Expertises a effectué un calcul exact, même si M. X l'a jugé insuffisant, pour proposer l'indemnisation complémentaire à hauteur de 25 440 euros.

Il s'en déduit que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté M. X de ses demandes en résiliation et en annulation du contrat de mission signé entre les parties le 2 février 2015.

2 - En ce qui concerne le montant des honoraires, le contrat de mission prévoit que : " les honoraires de la SARL SV Expertises pourront être pris en charge par la compagnie d'assurances dans le cas où le contrat le prévoirait. Ils seront payables aussitôt l'arrêt technique des dommages par nous-mêmes ou par cession de créance et seront calculés sur les sommes fixées comme perte, tout chef de préjudice confondu. En cas d'interruption de la mission par nos soins, les honoraires seront calculés suivant un taux horaire de 180 €/l'heure en fonction du travail exécuté. Les honoraires seront calculés d'après le barème UPEMEIC ".

L'appelante soutient que le tribunal a commis une erreur d'interprétation de la clause susvisée, et elle souligne que ses honoraires doivent être calculés sur les sommes fixées comme perte ou tout chef de préjudice confondu, en rappelant que les dommages ont été arrêtés suivant un état de pertes évaluées à la somme de 119 276 euros et que les honoraires ont été fixés sur la somme de 95 556 euros.

Le tribunal a considéré que les dispositions contractuelles susvisées sont imprécises quant au calcul des honoraires fixés sur le préjudice total, qui doit s'entendre sur celui qui reste à indemniser, et non sur celui qui a déjà été indemnisé à hauteur de 70 116 euros par la société Pacifica.

Par ailleurs, l'appelante explique que la clause dont il est question, ne donne un pouvoir de résiliation qu'à M. X, et qu'elle est parfaitement claire sur le calcul des honoraires.

Elle produit aux débats sa facture du 23 juin 2015 portant montant de 6 739,42 euros au titre de ses honoraires.

Cependant, la société SV Expertises ne peut prétendre fixer ses honoraires sur la totalité de l'évaluation du dommage subi, puisque la plus grande partie de celle-ci était déjà indemnisée par la société Pacifica, et qu'elle n'a reçu mission que pour le complément d'indemnisation.

L'article L. 132-1 du Code de la consommation dispose que : " dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ".

En l'espèce, une clause qui fixe les honoraires au pourcentage de l'évaluation totale d'un dommage alors qu'une partie de celui-ci a déjà été chiffrée et indemnisée, entraîne des conséquences financières disproportionnées et injustes pour le consommateur.

De même, la faculté de résiliation unilatérale par le professionnel, sans reconnaître ce droit au consommateur, crée un déséquilibre au détriment de ce dernier, et rend la clause abusive.

La société SV Expertises ne peut pas convaincre la cour que l'expression contenue dans la clause litigieuse " en cas d'interruption de la mission par nos soins ", ne concerne pas sa prérogative, mais uniquement celle de son client, le consommateur.

Il convient par conséquent, d'une part de confirmer le solde de 789,60 euros, arrêté par le tribunal et reconnu à titre subsidiaire par M. X, que ce dernier doit à la société SV Expertises, et d'autre part de confirmer le caractère non écrit de la clause relative à la fixation des honoraires et à la faculté d'interruption unilatérale de la mission du professionnel.

Le jugement sera donc confirmé.

Sur la demande en remboursement de la provision et sur la demande de dommages et intérêts :

M. X sollicite le remboursement de la somme de 1 500 euros qu'il a versée à la société SV Expertises, au titre de son forfait d'intervention.

Le contrat n'étant pas résilié et un solde d'honoraires étant encore dû, il convient d'ordonner la compensation des créances.

Le jugement a omis de se prononcer sur cette question dans le dispositif.

La société SV Expertises sollicite quant à elle des dommages et intérêts en arguant de la mauvaise foi et de la résistance abusive de M. X.

Cependant, ni l'une ni l'autre ne sont démontrées.

L'intimée sera par conséquent déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

La société SV Expertises, qui succombe en son appel, sera condamnée aux entiers dépens.

Il ne convient pas par ailleurs de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Par ces motifs LA COUR, Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, - Confirme le jugement en toutes ses dispositions, - Y ajoutant, - Ordonne la compensation des créances, entre le solde dû au titre des honoraires à hauteur de 789,60 euros, et la provision de 1 500 euros déjà versée par M. X, - Déboute la société SV Expertises de sa demande de dommages et intérêts, - Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne la société SV Expertises aux entiers dépens.