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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 octobre 2019, n° 17-20939

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Audionova France (SAS), Amplifon Groupe France (SAS)

Défendeur :

R Events (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

T. com. Lyon, du 4 nov. 2014

4 novembre 2014

FAITS ET PROCÉDURE :

A partir de 2008, la société R Events, spécialisée dans la communication et l'événementiel, a assuré, pour la société Audionova France (Audionova), qui a pour principale activité la distribution d'audio-prothèses, l'organisation de différents événements à destination des spécialistes de l'audition, dont les assises annuelles des oto-rhino-laryngologistes.

Pour l'organisation des " assises de l'ORL ", prévues à Nice en février 2013, la société Audionova France a fait appel à Madame X, ancienne collaboratrice de la société R Events, et a ensuite informé cette société de sa volonté de procéder pour l'avenir par une procédure d'appel d'offres.

Se prévalant de ce que la société Audionova avait brutalement rompu la relation jusqu'alors entretenue avec elle, la société R Events a, le 17 juin 2013, assigné la société Audionova devant le tribunal de commerce de Lyon en réparation de ses préjudices résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie et de l'atteinte à son image.

Le tribunal de commerce de Lyon, par jugement rendu le 4 novembre 2014, a :

- constaté la rupture brutale des relations commerciales existantes entre elle et la société Audionova ;

- condamné cette dernière à payer à R Events les sommes de 36 807,99 euros à titre de dommages et intérêts, de 20 000 euros au titre du préjudice d'image, et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La cour d'appel de Paris, par arrêt rendu le 19 mai 2016, sur appel de la société Audionova, a :

- infirmé le jugement entrepris ;

- débouté la société R Events de ses prétentions ;

- condamné la société R Events à payer à la société Audionova la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

La Cour de cassation, par arrêt rendu le 27 septembre 2017 sur pourvoi de la société R Events, a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 19 mai 2016 et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, en retenant que la cour d'appel s'était déterminée par des motifs impropres à caractériser une renonciation certaine et non équivoque de la société R Events à se prévaloir de la responsabilité d'ordre public instituée par l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et avait ainsi privé sa décision de base légale.

La société Audionova a saisi la cour de renvoi le 14 novembre 2017.

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Amplifon Groupe France, venant aux droits de la société Audionova, par conclusions signifiées le 19 décembre 2018, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 5° du Code de commerce, 1240 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, de :

- déclarer recevable en son intervention volontaire la société Amplifon Groupe France ;

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 14 novembre 2014 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- dire que la société R Events ne démontre pas que la société Amplifon Groupe France, venant aux droits de la société Audionova, lui ait consenti la moindre exclusivité ;

- dire qu'aucun contrat n'a été signé entre Amplifon Groupe France et la société R Events s'agissant de l'organisation des Assises ORL de Nice 2013 ;

- dire que les sociétés Amplifon Groupe France, venant aux droits de la société Audionova, et R Events se sont accordées pour poursuivre leurs relations commerciales ;

- dire que la société Amplifon Groupe France a proposé la poursuite des relations commerciales avec la société R Events jusqu'à la fin de l'année 2014, date à laquelle elle entend recourir à la procédure d'appel d'offre s'agissant des prestations de communication et d'évènementiel, offrant ainsi un préavis de 18 mois, largement suffisant au regard des quatre années de relations commerciales ;

En conséquence,

- dire qu'il n'y a eu ni rupture des relations imputable à la société Amplifon Groupe France, ni, le cas échéant de brutalité dans la rupture des relations ;

- débouter la société R Events de l'intégralité de ses demandes formées au visa de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce ;

- dire que la société Amplifon Groupe France ne s'est rendue coupable d'aucun agissement déloyal à l'encontre de la société R Events ;

- dire que la société R. Events a expressément reconnu cet état de fait ;

En conséquence,

- débouter la société R Events de sa demande indemnitaire formée au visa de l'article 1240 du Code civil ;

- dire, en tout état de cause, que la société R Events ne prouve pas l'existence d'un quelconque préjudice, ni dans son principe, ni dans son quantum ;

En conséquence et de plus fort,

- débouter la société R Events de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

- condamner la société R Events au paiement d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle fait valoir que la relation s'est traduite par la succession de missions ponctuelles, l'existence de relations commerciales entre les parties n'étant pas contestable.

Elle conteste toute rupture de la relation et indique que :

- aucun engagement n'avait été pris par Audionova de confier à R Events l'organisation des assises de l'ORL de février 2013 ;

- R Events a su très tôt, le 21 novembre 2012, et non la veille de l'événement comme elle le prétend, qu'elle n'était pas retenue pour l'organisation de cette manifestation ;

- les parties ont exprimé leur volonté de poursuivre la relation : la dirigeante de R Events a ainsi évoqué, par courriel du 28 janvier 2013, avec Audionova le devenir des relations contractuelles et Audionova a manifesté le 25 mars 2013 son souhait de poursuivre la relation jusqu'à la fin de l'année 2014 ; or, c'est R Events qui a fait le choix de plus continuer à travailler avec Audionova en l'assignant dans le cadre de la présente procédure.

Elle souligne ensuite que la notification par une entreprise à son fournisseur de son recours à un appel d'offres pour choisir ses fournisseurs peut certes manifester son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures, mais fait courir le délai de préavis raisonnable ; en l'espèce, c'est un délai de 18 mois qui a été consenti à R Events, délai pendant lequel Audionova a offert à R Events de continuer la relation.

Sur le préjudice, la société Audionova indique que R Events ne rapporte pas la preuve de la perte de marge pendant la durée du préavis dont elle aurait été privée, le seul élément produit étant un tableau établi par ses soins.

Sur la réparation de prétendus agissements déloyaux d'Audionova, elle souligne que R Events ne rapporte nullement la preuve d'une quelconque concurrence déloyale, dès lors qu'Audionova n'était liée par aucune exclusivité envers la société R Events et qu'aucun contrat n'a été signé entre Audionova et R. Events s'agissant de l'organisation des Assises ORL de Nice de 2013 ; elle fait valoir que, si l'organisation de cette manifestation a été confiée à Madame X, la société Audionova en avait parfaitement le droit, Madame X, auparavant employée par la société R Events, n'étant d'ailleurs liée par aucune clause de non-concurrence ; elle ajoute qu'en tout état de cause, Audionova n'est pas responsable des agissements déloyaux et parasitaires de Madame X, si tant est qu'ils existent.

La société R Events, par conclusions signifiées le 27 décembre 2018, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 5° du Code de commerce, 1104 et 1240 du Code civil, de :

- recevoir la société R Events en ses écritures et l'y déclarer bien fondée ;

- constater que la société Audionova France a rompu brutalement et sans préavis sa relation commerciale établie avec la société R Events ;

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu le 4 novembre 2014 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a condamné la société Audionova, devenue Amplifon Groupe, au paiement d'une somme de 36 807,99 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- confirmer le jugement rendu le 4 novembre 2014 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a condamné la société Audionova, devenue Amplifon Groupe, à réparer le préjudice résultant pour la société R Events de l'atteinte à son image ;

Y ajoutant,

- condamner la société Amplifon Groupe à payer à la société R Events la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à son image ;

- débouter la société Amplifon Groupe de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires ;

- condamner la société Amplifon Groupe au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.

Elle fait valoir que, si Audionova, par sa proposition du 25 mars 2013, a offert à R Events un préavis de 18 mois, ce préavis n'a pas été respecté : la prétendue proposition d'Audionova de poursuivre ses relations commerciales avec R Events était en effet assortie d'une condition purement potestative la proposition étant faite " sous réserve naturellement de l'existence des budgets adéquats ".

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS

Il convient de recevoir la société Amplifon Groupe France, venant aux droits de la société Audionova, en son intervention volontaire.

Sur la rupture butale de la relation commerciale établie

L'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, dispose qu'" engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers,

(...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...) ".

Le caractère établi de la relation commerciale ayant existé entre les parties à compter de 2008 n'est pas sérieusement contesté.

La rupture de la relation commerciale établie doit être matérialisée par la manifestation, par une partie, de son intention de ne pas poursuivre la relation.

Les éléments de la procédure établissent qu'alors que la société R Events avait entamé la procédure d'organisation des Assises de l'ORL de Nice de février 2013 - ainsi que cela ressort des échanges de courriels entre les parties des 20 et 21 novembre 2012 (pièce R Events n° 5) - comme elle l'avait fait au cours des années précédentes, ce dossier lui a été retiré par Audionova qui en a confié la gestion à Madame X, ancienne collaboratrice de la société R Events. Néanmoins, le seul retrait d'un dossier à un prestataire, dont il n'est pas en l'espèce contesté qu'il était chargé d'en suivre d'autres, ne saurait caractériser une manifestation non équivoque de volonté de rompre la relation commerciale.

Par courriel en date du 28 janvier 2013 la société R Events indiquait à Audionova : " Je vous remercie de m'avoir accordé une entrevue en date du vendredi 25 courant au cours de laquelle nous avons abordé le devenir de nos relations contractuelles. (...) Naturellement pour les autres éléments et pour les prochaines assises comme nous en avons discuté, ma société se tient à votre disposition pour répondre à vos appels d'offres et pour en assurer l'organisation et en optimiser le coût (séminaires, déplacements pour le club Alter Ago, assises...) ", termes dont il se déduit que R Events avait été informée verbalement de la décision d'Audionova de recourir désormais à des procédures d'appels d'offres ; en l'absence cependant d'écrit, cette information verbale ne saurait valoir notification de la rupture de la relation commerciale.

Toutefois, il est, par ailleurs, constant que, par courriel en date du 25 mars 2013, la société Audionova a indiqué à la société R Events : " Nous allons modifier notre politique à l'égard de nos partenaires / fournisseurs et mettre en place de nouvelles procédures. A cet effet, nous souhaitons systématiser le recours à l'appel d'offres dans différents domaines et notamment, vous concernant, en matière d'évènementiel. Concrètement, nous voulons mettre en concurrence nos fournisseurs habituels et, le cas échéant, faire appel à de nouveaux partenaires. Ceci serait effectif sur la fin de l'année 2014. / En attendant, nous souhaitons toujours profiter de vos services à vos condtions habituelles sur nos prochains évènements pour la période 2013/2014 (notamment SFORL - Paris 2013, Team Building Entreprise 2014 et les Assises de Nice 2014), sous réserve naturellement de l'existence des budgets adéquats. ". Cette notification du recours à une procédure d'appel d'offres valait notification de la rupture de la relation commerciale et constituait le point de départ du préavis, lequel courait jusqu'à la fin de l'année 2014.

Mais la relation doit, durant la période d'exécution du préavis, se poursuivre entre les parties selon des modalités équivalentes à celles précédant la rupture. Or, il est constant qu'entre les 25 mars 2013 et 17 juin 2013, date d'introduction de l'instance, Audionova n'a confié aucune prestation à R Events, alors qu'il n'est pas contesté qu'était notamment prévue la tenue d'un séminaire Audionova Team Building du 6 au 8 juin 2013, de sorte qu'Audionova a supprimé le bénéfice du préavis accordé. Cette dernière ne saurait, dans ces circonstances, soutenir ni qu'elle a poursuivi la relation, ni que la rupture est imputable à la seule société R Events. Si, en outre, Audionova s'est engagée à poursuivre la relation " sous réserve de l'existence des budgets adéquats ", elle ne soutient pas que la poursuite de la relation se serait heurtée à une quelconque impossibilité.

La rupture brutale de la relation par Audionova est, dès lors, caractérisée. Le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé sur ce point.

Sur le préjudice

En cas d'insuffisance de préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire. Audionova admettant que le préavis initialement accordé par ses soins était de 18 mois, la société R Events est fondée à obtenir une réparation fondée sur le préavis notifié.

L'appelante n'oppose aucun élément sérieux aux chiffres portés sur le document établi par M. Y, expert-comptable et commissaire aux comptes de la société R Events, aux termes duquel le chiffre d'affaires moyen réalisé par la société R Events avec Audionova au cours des trois dernières années s'est élevé à 204 488,84 euros et le taux de marge a été de 12 %. Le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a alloué à la société R Events la somme de 36 807,99 euros (204 488 euros x 12 % x 18 / 12 = 36 807,99 euros).

La société R Events soutient par ailleurs qu'en utilisant son ancienne préposée, Audionova a entretenu une confusion dans l'esprit de différents intervenants qui pensaient à tort, avoir à faire à R Events et lui a ainsi causé un préjudice d'image. Les pièces de la procédure établissent que les courriels adressés par Madame X pour l'organisation des " assises de l'ORL " de 2012 l'ont été sous l'adresse " [xxx] ", adresse créant une confusion avec R Events auprès des personnes souhaitant s'inscrire à cette manifestation (pièce R Events n° 10) ; il n'est toutefois démontré ni que cette confusion a été le fait de la société Audionova, ni qu'elle ait causé un préjudice réel à la société R Events. La cour déboutera, en conséquence, cette dernière de sa demande de ce chef et infirmera en ce sens le jugement entrepris.

L'équité commande de condamner la société Audionova à payer à la société R Events la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la SA Amplifon Groupe France, venant aux droits de la société Audionova, en son intervention volontaire ; Confirme le jugement entrepris, sauf sur la condamnation de la société Audionova au paiement de la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image ; Statuant à nouveau du chef infirmé ; Déboute la société R Events de sa demande de réparation d'un préjudice d'image ; Condamne la SA Amplifon Groupe France à payer à la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la SA Amplifon Groupe France aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.