CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 9 octobre 2019, n° 19-06053
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Swoke & Co (SAS)
Défendeur :
E. Tasty (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Dias Da Silva, Chegaray
Avocats :
Mes Guyonnet, Lentini, Kong Thong, Lavisse
La société Swoke & Co, créée le 20 février 2017 a pour activité la production et la vente de liquides pour cigarettes électroniques. Elle a repris l'activité de la société 16.05 fondée par MM. Z B et C F en mai 2014.
Elle a été constituée entre MM. B, F et X (Jean Pascal et Maxime). M. Jean Pascal Amato a été nommé président jusqu'au 20 décembre 2017 date à laquelle M. B lui a succédé dans ces fonctions.
Des divergences sont apparues entre les fondateurs de la société Swoke & Co conduisant les consorts X à quitter la société Swoke & Co et l'ensemble des fondateurs de cette dernière à signer un protocole d'accord le 22 décembre 2017 mettant fin à leurs différends.
La société E. Tasty a été créée le 10 janvier 2018 par MM. X et la société DMVB Hoding. Elle a la même activité que la société Swoke & Co.
Le 13 février 2018, la société Swoke & Co a adressé une mise en demeure à la société E. Tasty afin que cette dernière cesse tout acte de concurrence déloyale.
Une seconde lettre de mise en demeure lui a été envoyée le 15 mars 2018.
Considérant que la société E. Tasty persistait à commettre des actes de concurrence déloyale à son encontre, la société Swoke & Co a présenté le 26 septembre 2018 une requête devant le président du tribunal de commerce de Bobigny sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile aux fins de désignation d'un huissier de justice pour la recherche de tous documents et constatations utiles concernant les faits de concurrence déloyale visés par la requête.
Par ordonnance du 26 septembre 2018 la mesure a été accueillie et l'huissier désigné a procédé à ses opérations le 8 octobre 2018.
Par acte du 30 octobre 2018, la société Swoke & Co a assigné la société E. Tatsy devant le président du tribunal de commerce de Bobigny statuant en référé, afin de solliciter la mainlevée des documents placés sous séquestre par l'huissier lors des opérations de constatation effectuées en exécution de l'ordonnance du 26 septembre 2018.
Par assignation du 4 janvier 2019, la société E. Tasty a fait citer la société Swoke & Co devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 26 septembre 2018.
Les deux instances ont été jointes.
Par ordonnance contradictoire du 5 mars 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny a :
- rétracté l'ordonnance rendue le 26 septembre 2018 ;
- ordonné à la SAS Swoke & Co de payer à la SAS E. Tasty la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la SAS Swoke & Co aux dépens.
Par déclaration du 19 mars 2019, la société Swoke & Co a interjeté appel de cette ordonnance.
Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 27 juin 2019, elle demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
En conséquence :
- rejeter la demande de rétractation de l'ordonnance du 26 septembre 2018 rendue sur requête par le président du tribunal de commerce de Bobigny ;
- la juger recevable et bien fondée en sa demande de mainlevée du séquestre ;
- juger qu'elle a un intérêt légitime à obtenir la mainlevée du séquestre portant sur les pièces recueillies en exécution des missions 4, 5 et 6 de l'ordonnance rendue par M. le président du tribunal le 26 septembre 2018 et mises sous séquestre lors des opérations de constat réalisées le 8 octobre 2018 par la Selarl AY Eric Albou et A H, huissiers de justice, en la personne te Maître A H ;
En conséquence,
- ordonner la mainlevée du séquestre portant sur les pièces recueillies par la Selarl AY Eric Albou et A H, huissiers de justice, en la personne de Maître A H, en exécution des missions 4, 5 et 6 de l'ordonnance du 26 septembre 2018 ;
- ordonner la communication desdites pièces à la société Swoke & Co ;
Subsidiairement,
- ordonner une expertise, dans les conditions de l'article L. 153-1 du Code de commerce, et de désigner un expert avec pour mission de réunir les parties et l'huissier, de prendre connaissance des documents séquestrés, d'en donner connaissance aux parties, de recueillir les observations des parties sur la communication des documents séquestrés, de déterminer les pièces qui pourraient être communiquées en intégralité ou par extraits et celles qui ne le pourraient pas et d'en référer à la cour ;
Très subsidiairement,
- juger que l'huissier conservera les documents sous séquestre, à titre de garantie, conformément aux articles 489 et 517 du Code de procédure civile et ce, jusqu'à obtention d'une décision irrévocable sur la rétractation ;
En tout état de cause,
- condamner la société E. Tasty à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir que :
- contrairement à ce qu'indique le juge des référés elle n'a pas occulté, ni le protocole d'accord ni le fait que le protocole stipulait un changement de dénomination sociale de Swoke puisque ces éléments ont bel et bien été soumis au président lors de la présentation de la requête ;
- la prétendue violation du protocole d'accord sur la modification de la dénomination sociale ne constitue pas un fait justificatif des actes de concurrence déloyale ;
- la société E. Tatsty a commis des actes de concurrence déloyale puisqu'elle a repris 3 gammes complètes de la société Swoke, correspondant à 11 produits, présentés de la même façon alors qu'elle n'a aucun droit sur ces dernières ;
- les attestations qu'elle produit faisant état d'actes de détournement de clientèle sont recevables puisqu'elles ne proviennent pas d'amis proches de son dirigeant comme allégué par la partie adverse mais de véritables clients ;
- elle justifie d'un intérêt légitime à obtenir les éléments placés sous séquestre puisque la main levée de celui-ci s'inscrit dans la continuité de l'ordonnance du 26 septembre 2018 et vise à assurer son efficacité ainsi que celle des opérations de constat ;
- la demande de la main levée du séquestre ne porte nullement atteinte ni à la vie privée ni au secret des affaires puisque la recherche effectuée par l'huissier était strictement circonscrite à l'objet du litige au moyen de mots clés restrictivement définis dans l'ordonnance du 26 septembre 2018.
La société E. Tasty, par conclusions transmises par voie électronique le 29 août 2019, demande à la cour de :
- dire la société Swoke & Co irrecevable dans les branches de son appel portant sur la mainlevée du séquestre la première décision n'ayant statué que sur la rétractation et ayant sursis à statuer sur le reste vu I'effet dévolutif limité à ce qui a été tranché et son appel expressément limité ;
- si par impossible la cour venait à évoquer la demande adverse de mainlevée du séquestre, rejeter cette demande comme étant mal fondée ;
- débouter la société Swoke & Co de toutes ses autres demandes ;
- la dire recevable et bien fondée en son appel incident et y faire droit ;
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- rétracter l'ordonnance rendue le 26 septembre 2018 ;
- condamner la société Swoke & Co à lui payer la somme de 5 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Swoke & Co aux dépens y compris le coût des constats d'huissier qu'elle a dû faire réaliser pour protéger ses droits (pièces 6 et 20 avec bénéfice de l'article 699 au profit de Me D G).
Elle fait valoir que :
- le seul point en discussion dans le cadre du présent appel est la demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête ;
- la société Swoke & Co n'a pas fait preuve de loyauté lors de la présentation de sa requête et a dissimulé ou omis des éléments importants et notamment les points de désaccord puis l'accord conduisant les parties à retrouver leur liberté de travailler dans le même domaine ;
- la requête a été présentée sous le nom de Swoke & Co par une personne ayant souscrit l'engagement de ne plus se dénommer ainsi depuis 8 mois sans qu'aucune explication ne soit fournie quant à cette situation ; cet usage d'un nom commercial interdit au moment de la présentation de la requête justifie à lui seul la rétractation de l'ordonnance sur requête ;
- il y a une atteinte grave à la vie privée en ce que les informations personnelles sollicitées par l'huissier n'ont pas lieu d'être communiquées à la société Swoke et à son dirigeant puisque l'ordonnance du 26 septembre 2018 n'autorisait pas la mise sous séquestre de telles informations ;
- l'atteinte au secret des affaires est constituée par la copie de tous les fichiers de clients de la société E. Tasty référencés dans les téléphones de leurs animateurs, M. X ;
- elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, le marché des produits de " vapotage " étant concurrentiel et les produits vendus sont des déclinaisons de mélanges qui commercialement se ressemblent quelques soient les distributeurs ;
- M. B a menti au président du tribunal de commerce en se présentant comme le créateur des recettes des produits alors qu'ils sont inventés par des laboratoires compétents.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
Il résulte des articles 497 et 561 du Code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.
Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci. Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.
Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.
En l'espèce la requête soumise au président du tribunal de commerce de Bobigny a été présentée par la société Swoke & Co. Celle-ci expose les motifs pour lesquels elle soupçonne la société E. Tasty de se livrer à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.
Elle explique qu'elle a appris la création de la société E. Tasty, immatriculée le 10 janvier 2018, exerçant l'activité de distribution de liquides pour cigarettes électroniques ; que cette société a été créée par MM. X et la société DMVB Holding et est dirigée par M. X qui était précédemment actionnaire et président de la société Swoke ; qu'elle a eu la surprise de découvrir que la société E. Tasty distribue et offre notamment à la vente 3 gammes de liquides pour cigarettes électroniques qui correspondent exactement aux 3 gammes de liquides que fabrique et offre la société Swoke depuis sa création ; que chacun des produits E. Tasty a la même composition qu'un produit antérieur de Swoke et que l'ancien président de Swoke a repris 10 produits représentant près de 85 % des ventes de Swoke à son départ de la société, pour les vendre via sa nouvelle structure E. Tasty ; qu'il a ainsi choisi délibérément des produits dont il savait qu'ils se vendaient bien afin de ne pas avoir à supporter le risque de son entreprise.
Elle ajoute en page 6 de sa requête que " E. Tasty fabrique et vend des liquides pour cigarettes électroniques qui n'ont pas fait l'objet d'une déclaration à l'ANSES dans les conditions du Code de la santé publique et, outre la violation du Code de la santé publique, il y a là des actes de concurrence déloyale au préjudice des opérateurs du marché qui, comme SWOKE, se conforment à la réglementation ".
Ainsi que l'indique à juste titre la société E. Tasty, un protocole d'accord a été signé le 22 décembre 2017 entre M. Y B, M. C F, M. Jean Pascal Amato, M. E X, la société 16.05 et la société Swoke & Co (pièce 1.4 de l'appelante) aux termes duquel " Les parties entendent mettre fin, de manière amiable, à l'ensemble de leurs différends, notamment évoqués dans le préambule, nés ou à naître de la relation commerciale existant entre les parties, et/ou à naître des relations entre associés également visés dans le préambule " (page 4).
L'article 6 de ce protocole, relatif au transfert du siège social et au changement de dénomination sociale et d'établissement bancaire, stipule que " Les parties conviennent que la dénomination sociale de la société Swoke & Co doit être modifiée afin de ne plus contenir le mot " Swoke ". Messieurs B et F se portent fort d'obtenir la modification de la dénomination sociale de la société Swoke & Co dans le mois qui suit la signature des présentes. "
En application de ce protocole d'accord dont les parties ont expressément prévu qu'il était conclu conformément aux dispositions des articles 2044 et suivants du Code civil et qu'il avait entre elles l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, les dirigeants de la société Swoke & Co se sont engagés à changer la dénomination sociale de cette dernière dans le mois de la signature de l'acte soit au plus tard le 22 janvier 2018.
La requête litigieuse a cependant été présentée le 26 septembre 2018, soit bien postérieurement à cette date, au nom de la société Swoke & Co qui s'était pourtant engagée à ne plus se dénommer ainsi depuis le 22 janvier 2018.
Il s'ensuit que la société Swoke & Co n'a pas de motif légitime à obtenir une quelconque mesure d'instruction au visa de l'article 145 du Code de procédure civile sous cette dénomination sociale. Dès lors l'ordonnance qui a rétracté la mesure ordonnée sur requête doit être confirmée et les prétentions relatives à la main levée du séquestre deviennent sans objet.
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge
A hauteur de cour, il convient d'accorder à la société E. Tasty contrainte d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci-après.
Partie perdante, la société Swoke & Co ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supportera les dépens d'appel lesquels pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ces motifs Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Condamne la société Swoke & Co à verser à la société E. Tasty la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Swoke & Co aux dépens distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.