ADLC, 23 août 2019, n° 19-DCC-162
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif du groupe De Fursac par le groupe Sandro Maje Claudie Pierlot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
La vice-présidente, Irène Luc
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 24 juillet 2019, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société De Fursac Finance par la société SMCP Group, formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 5 juillet 2019 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. SMCP Group est une société contrôlée par la société SMCP, à la tête du groupe Sandro Maje Claudie Pierlot (ci-après, " le groupe SMCP "). Le groupe SMCP est contrôlé exclusivement par la société European Top Soho, elle-même contrôlée exclusivement par le groupe chinois Ruyi, lequel est actif dans le secteur du textile. Le groupe SMCP est actif dans la conception, la fabrication et la vente en gros et au détail d'articles de prêt-à-porter, d'accessoires et de chaussures sous les marques Sandro, Maje et Claudie Pierlot (1). Seule la marque Sandro est présente dans le secteur du prêt-à-porter, d'accessoires et de chaussures pour hommes, par le biais de 184 points de vente et d'un site de vente en ligne (www.sandro- paris.com).
2. De Fursac Finance est la société-mère du groupe De Fursac, lequel est actif dans la conception, la fabrication et la vente au détail d'articles de prêt-à-porter, de chaussures, et d'accessoires pour hommes. Le groupe dispose de 51 points de vente et d'un site de vente en ligne (www.defursac.fr). 3. L'opération notifiée, formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 5 juillet 2019, consiste en l'acquisition par la société SMCP Group de la quasi-totalité du capital social (96,70 %) et des droits de vote (96,35 %) de la société De Fursac Finance.
4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif du groupe De Fursac par le groupe SMCP, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430- 1 du code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires mondial hors taxes de plus de 75 millions d'euros (groupe SMCP : [= 75 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018 ; groupe De Fursac : [= 75 millions] d'euros pour l'exercice clos au 31 janvier 2019). Chacune de ces entreprises réalise en France un chiffre d'affaires supérieur à 15millions d'euros (groupe SMCP : [= 15 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2018 ; groupe De Fursac : [= 15 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 janvier 2019). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle relatifs au commerce de détail mentionnés au II de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
6. Dans le secteur de l'approvisionnement des distributeurs, les autorités de concurrence considèrent que les producteurs ne peuvent pas se convertir facilement à la fabrication d'autres produits que les leurs. Elles distinguent ainsi autant de marchés qu'il existe de familles de produits. L'Autorité de la concurrence a notamment envisagé un marché de l'approvisionnement en chaussures distinct d'un marché de l'approvisionnement en vêtements pour hommes (2).
7. Les marchés de l'approvisionnement en produits non alimentaires neufs sont généralement de dimension au moins nationale (3). Les marchés de l'approvisionnement en vêtements et en chaussures revêtent quant à eux une dimension mondiale (4).
B. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION AU DÉTAIL
1.MARCHÉS DE PRODUITS
Marché de la distribution au détail de vêtements
8. Concernant la distribution au détail de vêtements, l'Autorité a envisagé plusieurs segmentations en fonction (i) du genre et de l'âge des consommateurs (hommes, femmes, enfants) et (ii) de la gamme des produits vendus (entrée de gamme, milieu de gamme et haut de gamme) (5).
9. S'agissant des canaux de distribution, elle a distingué, à ce jour, les ventes réalisées en magasins physiques et les ventes à distance (en ligne et par correspondance) (6). Le marché de la distribution de vêtements en magasins est enfin sous-segmenté entre les ventes en boutiques spécialisées et les ventes en grandes surfaces spécialisées (comme Gémo ou Kiabi) et en grandes surfaces alimentaires (7).
10. La question de la définition exacte du marché de la distribution au détail de vêtements peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées.
Marché de la distribution au détail de chaussures
11. À l'instar de sa pratique décisionnelle en matière de distribution au détail de vêtements, l'Autorité a segmenté le marché de la distribution au détail de chaussures en fonction de la gamme des produits vendus (entrée de gamme, milieu de gamme et haut de gamme) (8).
12. Elle a également distingué la distribution de chaussures d'intérieur (pantoufles, charentaises) et la distribution de chaussures d'extérieur, en sous-segmentant ce segment entre chaussures de ville et chaussures de sport (9).
13. Le marché de la distribution de chaussures en magasins est segmenté par canal de distribution, entre les ventes en boutiques spécialisées et les ventes en grandes surfaces alimentaires et grandes surfaces spécialisées (10). Par ailleurs, l'Autorité a récemment envisagé l'existence d'un marché incluant tous les canaux de distribution, sans toutefois trancher la question (11).
14. La question de la définition exacte du marché de la distribution au détail de chaussures peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées.
Marché de la distribution au détail de produits déstockés
15. L'Autorité a retenu l'existence d'un marché de la distribution au détail d'articles à bas prix dans lequel des magasins spécialisés dans le déstockage de produits de marque ou la vente de produits discomptes vendent des articles à bas prix aux consommateurs. Elle a envisagé une segmentation de ce marché par famille de produits et par canal de distribution (12).
16. En l'espèce, les parties disposent de magasins dits " outlet " dans lesquels elles distribuent à des prix inférieurs aux prix pratiqués dans les magasins traditionnels les stocks non écoulés (vêtements pour hommes et chaussures) des collections précédentes (13).
17. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de revenir sur cette délimitation du marché de la distribution au détail de produits déstockés.
2.MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
18. S'agissant de la distribution au détail de chaussures, de vêtements et de produits déstockés, l'Autorité considère que la concurrence s'exerce entre les points de vente situés dans des zones de chalandise. Deux critères sont utilisés pour délimiter ces zones (14) :
- d'une part, pour les boutiques spécialisées, il existe autant de marchés géographiques que de villes où sont situés les détaillants susceptibles de vendre ces articles, chacun de ces marchés correspondant à la zone d'attraction commerciale de la ville dans laquelle un magasin des parties est situé ;
- d'autre part, pour les grandes surfaces alimentaires et les grandes surfaces spécialisées, le marché géographique correspondrait à un rayon de 20 minutes en voiture à partir d'un magasin des parties.
19. Par ailleurs, le poids croissant dans ce secteur de chaînes de distribution spécialisées, constituées de réseaux de points de vente sous une enseigne commune, exploités en propre, en franchise ou en groupement d'achats et présents sur l'ensemble du territoire national pose la question de l'intérêt d'une analyse complémentaire au niveau national (15).
20. Enfin, s'agissant des ventes à distance de ces articles, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence retient une délimitation nationale, en raison des différences linguistiques et de l'hétérogénéité des habitudes des consommateurs au sein de l'Union européenne, ainsi que de l'homogénéité des coûts et des délais de livraison au niveau national (16).
21. En l'espèce, les parties distribuant leurs articles par le biais de chaînes de boutiques spécialisés et sur internet, l'analyse concurrentielle sera effectuée au niveau de chacune des villes dans lesquelles les activités des parties se chevauchent et à l'échelon national.
III. Analyse concurrentielle
22. Les groupes SMCP et De Fursac sont simultanément actifs sur les marchés amont de l'approvisionnement en vêtements pour hommes et en chaussures en tant qu'acheteurs et vendeurs (bien que cette activité soit marginale pour le groupe De Fursac).
23. Ils sont également présents sur les marchés de la distribution au détail de chaussures de ville et de vêtements pour hommes en boutiques spécialisées et sur internet, ainsi qu'en points de vente de produits déstockés.
A. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
24. Sur les marchés amont de l'approvisionnement en chaussures et en vêtements pour homme, la part de marché de la nouvelle entité sera inférieure à 5 %, à la vente comme à l'achat.
25. En conséquence, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l'approvisionnement.
B. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION AU DÉTAIL
26. La partie notifiante considère que la marque Sandro dispose d'un positionnement de milieu de gamme, tandis que la marque De Fursac a un positionnement haut de gamme dit " access luxe ". Cependant, selon plusieurs relevés de prix effectués au cours de l'instruction, il apparaît que les articles vendus sous la marque De Fursac ont généralement un positionnement tarifaire proche de ceux vendus sous la marque Sandro.
27. L'analyse concurrentielle a donc été menée en considérant que les deux marques ont un positionnement commun, en l'espèce, de milieu de gamme au vu de la pratique décisionnelle de l'Autorité (17).
28. Quelle que soit la segmentation de marché retenue, au niveau national, la nouvelle entité disposera d'une part de marché inférieure à 25 %. Elle fera face à la concurrence d'autres enseignes nationales, disposant de magasins physiques et de sites de vente en ligne, telles que The Kooples, Zadig & Voltaire, Lacoste et Scotch & Soda.
29. Au niveau local, les parties sont simultanément présentes dans 22 villes (18). Dans chacune de ces villes où se trouvent un magasin De Fursac et un magasin Sandro (ou Suite 341), la part de marché de la nouvelle entité est inférieure à 35 %, quelle que soit la segmentation de marché retenue.
30. Dans ces villes, la nouvelle entité sera confrontée à la concurrence d'au moins trois enseignes nationales, certaines proposant à la fois vêtements et chaussures comme, notamment, Balibaris, Fred Perry, Gant, Hackett London, Hugo Boss, IKKS, Lacoste, Massimo Dutti, Ralph Lauren, Scotch & Soda, The Kooples, Tommy Hilfiger, et Zadig & Voltaire. Outre les enseignes concurrentes, les consommateurs pourront s'adresser à des magasins spécialisés exclusivement dans la vente de vêtements pour homme (Café Coton et Nodus) ou de chaussures (Finsbury, Repetto, Mephisto).
31. Enfin, sur les marchés locaux de la distribution au détail de vêtements pour homme et de chaussures déstockés, la part de marché de la nouvelle entité demeure inférieure à 25 % (19).
32. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence.
DÉCIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 19-172 est autorisée.
NOTES
1 Ces trois marques peuvent être distribuées ensemble au sein de l'enseigne Suite 341.
2 Décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-42 du 25mai 2010 relative à l'acquisition par la société 3Suisses International SA de certains actifs de la société La Source, n° 10-DCC-77 du 9 juillet 2010 relative à la prise de contrôle de la société Afibel SAS par la société Damartex SA, n° 10-DCC-139 du 27octobre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de Maje, Sandro, Claudie Pierlot et HF Biousse par LCapital et Florac, n° 10-DCC-159 du 12 novembre 2010 relative à la prise de contrôle de la société Comptoir Français de la Mode par la société Du Pareil au Même, n° 11-DCC-49 du 24 mars 2011 relative à l'acquisition des actifs du groupe La City par le groupe Beaumanoir, n° 13-DCC-77 du 4 juillet 2013 relative à l'acquisition des sociétés Financière Riu, Riu-Aublet et Compagnie et Jacqueline Riu Polska par la Société Immobilière et Mobilière de Montagny, n° 17-DCC-39 du 4 avril 2017 relative à l'acquisition du contrôle exclusif des sociétés Livelle et 3 Suisses Belgium par Domoti SAS, et n° 18-DCC-01 du 10 janvier 2018 relative à l'acquisition du contrôle exclusif de la société La Redoute par la société Motier (groupe Galeries Lafayette).
3 Décisions n° 10-DCC-42, n° 17-DCC-39 et n° 18-DCC-01 précitées.
4 Décisions n° 10-DCC-42, n° 10-DCC-77, n° 10-DCC-139, n° 10-DCC-159, n° 11-DCC-49, n° 13-DCC-77, n° 17-DCC-39 et n° 18-DCC-01 précitées.
* Rectification d'erreur matérielle.
5 Décisions n° 10-DCC-139, n° 10-DCC-159, n° 11-DCC-49, n° 13-DCC-77 précitées et la décision de l'Autorité n° 17-DCC-69 du 31 mai 2017 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe HMY par la société LBO France Gestion.
6 Décisions n° 10-DCC-77, n° 17-DCC-139 et n° 18-DCC-01 précitées.
7 Ibid.
8 Décisions n°10-DCC-139 et n° 10-DCC-159 précitées.
9 Décision de l'Autorité n° 18-DCC-50 du 20 avril 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sarenza SA par la société Monoprix SAS (groupe Casino).
10 Décisions n° 10-DCC-139 et n° 10-DCC-159 précitées.
11Décision n° 18-DCC-50 précitée.
12 Décisions de l'Autorité n° 12-DCC-88 du 20 juin 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Stokomani Holding SAS par la société Sagard SAS, n° 16-DCC-166 du 31 octobre 2016 relative à la prise de contrôle exclusive de la société Bazarchic par la société UPLIC (groupe Galeries Lafayette) et n° 18-DCC-01 et n° 18-DCC-150 précitées.
13 Les parties ne sont pas présentes sur le marché de l'approvisionnement en produits déstockés.
14 Décisions n° 10-DCC-139, n° 10-DCC-159 et n° 16-DCC-166 précitées.
15 Décisions n° 10-DCC-139, n° 10-DCC-159, n° 13-DCC-77 et n° 17-DCC-169 précitées.
16 Décisions n° 18-DCC-01 et n° 18-DCC-50 précitées.
17 Décision n° 10-DCC-139 précitée.
18 Les parties sont simultanément présentes dans les villes d'Annecy (74), Boulogne Billancourt (92), Bordeaux (33), Bron (69), Cannes (06), Chambéry (73), La Défense (92), Le Chesnay (78), Levallois Perret (92), Lille (59), Lyon (69), Marseille (13), Metz (57), Nantes (44), Paris (75), Rouen (76), Saint-Laurent du Var (06), Strasbourg (67), Toulouse (31), Tours (37), La Valette-du Var (83) et Vélizy-Villacoublay (78).
19 Les parties disposent de magasins de déstockage dans les villes de Miramas (13), Pont Sainte-Marie (10) et Villefontaine (38).