CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 octobre 2019, n° 17-15386
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LBF Crea Paris (Sasu)
Défendeur :
LVMH Montres & Joaillerie France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Avocats :
Mes Guerre, Mazur, Hinoux, Vallery-Masson
FAITS ET PROCÉDURE :
La société LBF Créa Paris, immatriculée le 21 juillet 2011, a pour activité des prestations de services dans la décoration, la communication pour l'horlogerie, la joaillerie, métiers de luxe, et notamment la réalisation d'installations de vitrines.
Elle a collaboré avec la société LVMH Montres & Joaillerie (ci-après, la société LVMH), distributeur exclusif en France de la société de droit suisse Tag Heuer, pour l'aménagement de vitrines Tag Heuer.
Se plaignant d'une rupture brutale de la relation commerciale établie nouée en 2002 avec la société LVMH, à la suite d'une procédure d'appel d'offre organisée en juillet 2014 par la société LVMH, la société LBF Créa Paris a, par courriers des 7 et 27 janvier 2015, mis en demeure la société LVMH de lui allouer une indemnité de 400 000 euros HT au titre du délai de préavis de deux ans qui aurait dû être respecté. La société LVMH s'est opposée à cette demande par lettre du 6 février 2015, en contestant la durée des relations commerciales établies, nouées après mai 2011, ainsi que la brutalité de la rupture, compte tenu du respect d'un préavis, à compter du 10 septembre 2014 et jusqu'au 31 mars 2015.
La société LBF Créa Paris a alors saisi, par acte du 25 mars 2015, le président du tribunal de commerce de Paris, afin de voir cesser le trouble manifestement illicite dont elle s'estime victime et prévenir un dommage imminent consistant en des difficultés économiques annoncées par la perte de la moitié de son chiffre d'affaires. Par ordonnance du 7 mai 2015, le président du tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à référé.
Par acte du 2 novembre 2015, la société LBF Créa Paris a assigné la société LVMH devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
Par jugement du13 juin 2017, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit que la société LVMH Montres & Joaillerie s'est rendue coupable de rupture brutale des relations commerciales établies vis-à-vis de la société LBF Créa Paris,
- condamné la société LVMH Montres & Joaillerie à payer à la société LBF Créa Paris la somme de 25 413 euros à titre dommages et intérêts,
- condamné la société LVMH Montres & Joaillerie à payer à la société LBF Créa Paris la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société LVMH Montres & Joaillerie aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquides à la somme de 81,90 euros dont 13,43 euros de TVA.
Par déclaration du 27 juillet 2017, la société LBF Créa Paris a interjeté appel à l'encontre de cette décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par dernières conclusions notifiées le 11 juin 2019, la société LBF Créa Paris, appelante, demande à la cour au visa de l'article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce, de :
- la déclarer recevable et fondée en son appel,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- dit que la société LVMH s'est rendue coupable de rupture brutale de relations commerciales établies vis-à-vis de la société LBF Créa Paris,
- retenu que l'antériorité de la relation commerciale remonte à mai 2002, date à laquelle s'est nouée la relation entre la société LBF Créa et la société LVMH, relation qui a perduré en suite de la cession du fonds de commerce de la société LBF Créa à la société LBF Créa Paris intervenue en mai 2011,
- fixé au 12 décembre 2014 le point de départ du préavis de rupture ;
- l'infirmer en ce qu'il a :
- considéré qu'un préavis de 8 mois aurait été suffisant au regard de l'antériorité des relations de 12 années,
- considéré que la société LVMH aurait loyalement exécuté le préavis durant trois mois et demi du 12 décembre 2014 au 31 mars 2015,
- fixé la marge brute de la société LBF Créa paris à 35 %,
- conclu à une indemnité lui revenant limitée à 25 413 euros ;
Statuant à nouveau,
- dire qu'un préavis de rupture de 24 mois s'imposait au regard de l'antériorité de 12 années des relations commerciales dont l'objet,
- relever que la société LVMH n'a pas exécuté totalement les 3 mois et demi de préavis qu'elle est censée lui avoir " accordé " sur la période du 12 décembre 2014 au 31 mars 2015,
- dire qu'une marge brute minimale de 66 % doit être retenue dans le calcul de l'indemnité lui revenant à la société LBF Créa Paris (309 257 euros) en réparation du préjudice né de la rupture brusque et abusive des relations commerciales établies dont la société LVMH s'est rendue coupable,
- condamner en conséquence la société LVMH à lui payer à une indemnité de 309 257 euros,
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour devait retenir un préavis de 8 mois à l'instar du premier juge,
- condamner la société LVMH à lui payer une indemnité de 101 447 euros en réparation du préjudice né de la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies dont la société LVMH s'est rendue coupable ;
En tout état de cause,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusion de la société LVMH Montres & Joaillerie,
- condamner la société LVMH à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société LBF Créa Paris fait valoir l'existence d'une relation commerciale établie nouée avec la société LVMH en 2002. Elle explique que la société LBF Créa a entretenu, depuis sa création en 2002, une relation commerciale établie avec la société LVMH dont elle était le prestataire exclusif pour l'aménagement des vitrines Tag Heuer. Elle soutient que par acte du 11 mai 2011, la société Créa Paris lui a cédé son fonds de commerce, dont sa clientèle, parmi laquelle figure la société LVMH et qu'elle est aussitôt devenue le prestataire exclusif de ladite société pour l'aménagement des vitrines Tag Heuer, poursuivant ainsi la relation commerciale entretenue entre la société LBF Créa et la société LVMH. Elle souligne que dès mai 2011, la société LVMH lui a confié de nouvelles missions, faisant ainsi le choix de poursuivre la relation commerciale établie nouée avec la société LBF Créa. Elle indique que depuis lors, l'intimée lui a passé des commandes récurrentes, et non pas exceptionnelles et uniquement liées à l'ouverture de boutiques. Elle ajoute que la facturation par anticipation, demandée et acceptée par la société LVMH, illustre les relations de confiance qu'elle entretenait avec l'intimée.
Elle argue de la rupture brutale de la relation commerciale établie, à l'occasion d'une prétendue procédure d'appel d'offre organisée en juillet 2014. Elle indique que le 11 juillet 2014, la société LVMH lui a adressé un courriel emportant prétendument " appel d'offres Tag Heuer ", qui est frauduleux et donc entaché de nullité. Elle soutient qu'elle a soumissionné à ce prétendu appel d'offres par courriel du 21 juillet 2011 [sic] et qu'elle a été informée, le 10 septembre 2014, que sa candidature n'était pas retenue au motif injustifié de tarifs excessifs. Elle précise que la société de droit luxembourgeois EMBL, qui a obtenu le marché, a été créée en août 2014 entre M. X, associé dirigeant de la société Carré Prod, sous-traitant principal de la société LBF Créa Paris, et M. Y, alors salarié de ladite société, et que ce dernier a profité de ses attributions pour accéder au contenu l'offre de la société LBF Créa Paris.
Elle soutient qu'à compter du 10 septembre 2014, la société LVMH a cessé toute commande significative, sans respecter le préavis dont celle-ci se prévaut et qui aurait couru du 10 septembre 2014 jusqu'au 31 mars 2015. Elle précise que la société LVMH ne lui a adressé qu'une commande ayant fait l'objet d'une facturation de 3 725 euros HT le 16 février 2015, les autres prestations facturées durant le délai de préavis ayant été commandées antérieurement à celui-ci. Elle indique que l'intimée s'est bornée à lui adresser, pour la première fois, des demandes de devis pour ensuite les refuser au motif de tarifs trop élevés, alors que ceux-ci étaient identiques à ceux pratiqués l'année précédente. Elle ajoute que cette période ne correspond pas à une période creuse justifiant une diminution des commandes, et que la société LVMH ne démontre pas ses prétendues difficultés économiques. Elle fait valoir qu'elle a ainsi subi une perte de chiffre d'affaires dès le 10 septembre 2014. Elle considère que le préavis a couru à compter du 17 décembre 2014, date à laquelle la société LVMH lui a signifié par courriel sa décision de rompre la relation commerciale établie.
Elle soutient qu'elle a été dans l'impossibilité de disposer, à bref délai, d'une solution économique équivalente. Elle fait valoir sa situation de dépendance économique, compte tenu de l'importance de la société LVMH, représentant 50 % de son chiffre d'affaires, et de la notoriété des marques Tag, Zenith et du groupe LVMH. Elle indique qu'au regard de sa situation de dépendance économique, un préavis de 24 mois aurait dû être respecté pour lui permettre de trouver une solution de substitution. Elle considère que les premiers juges ont à tort réduit ce délai de préavis à 8 mois, et déduit de celui-ci le préavis de 3 mois et demi prétendument exécuté par l'intimée. Elle fait ainsi valoir un préjudice de 309 257 euros, ramené à 101 447 euros au cas où le délai de préavis devait être réduit à 8 mois, ce sur la base de sa marge brute de 66 % dont atteste son expert-comptable et qu'aucun motif ne justifie de réduire à 35 % comme l'ont fait les premiers juges.
Par dernières conclusions notifiées le 12 juin 2019, la société LVMH, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :
- la recevoir en ses écritures et y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris et ordonner la restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire avec intérêts légaux à compter de leur versement et capitalisation,
- débouter la société LBF Créa Paris de l'ensemble de ses prétentions formulées en cause d'appel et de toutes fins qu'elles comportent,
- condamner la société LBF Créa Paris à lui payer la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
- dire que ceux d'appel seront recouvrés par Maître Audrey Hinoux conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que la relation commerciale qu'elle a nouée avec l'appelante est postérieure à l'acquisition, par celle-ci, du fonds de commerce de la société LBF Créa au mois de mai 2011. Elle considère que la société LBF Créa Paris ne peut se prévaloir de l'antériorité des relations ayant existé entre la société LVMH et la société LBF Créa entre 2002 et 2011, ce qui nécessiterait à la fois que le contrat ait été cédé, et que le donneur d'ordre ait confirmé maintenir sa relation avec le cessionnaire. Elle relève qu'aucune liste de clients ne figure dans l'acte de cession de la société LBF Créa. Elle ajoute que la cession de fonds de commerce ne substitue pas de plein droit le cessionnaire au cédant dans les relations commerciales que ce dernier entretenait auparavant, même si le cessionnaire du fonds a repris sans interruption un courant d'affaires portant sur les mêmes prestations, à défaut d'accord express du cocontractant à la poursuite de la relation nouée initialement avec le cédant. Elle souligne que la société LBF Créa France lui a dissimulé la cession intervenue, en adoptant la même dénomination sociale que le cédant, la même adresse mail, la même présentation des factures et en conservant le même personnel. Elle ajoute que la société LBF Créa Paris ne lui ayant pas signifié la cession de commerce, elle a continué à effectuer ses paiements entre les mains de la société LBF Créa au moins jusqu'en juillet 2011.
Elle soutient qu'aucun contrat n'a été conclu pour les prestations de merchandising, que ce soit avec la société LBF Créa ou avec la société LBF Créa Paris, et que seules ont été confiées à l'appelante des prestations ponctuelles et conjoncturelles, sous forme de recours à la procédure d'appel d'offres et ne permettant aucune prévisibilité. Elle en déduit que la relation commerciale est précaire et que les dispositions de l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce ne sont pas applicables.
Elle fait valoir que la procédure d'appel d'offres du 11 juillet 2014 est régulière, les sociétés interrogées y ayant répondu en connaissance de cause, et que le résultat de cette procédure est opposable à l'appelante dont les tarifs n'étaient pas suffisamment compétitifs, étant précisé qu'à cette époque, la société LVMH accusait une perte significative de son chiffre d'affaires et de son budget marketing.
Elle expose que le délai de préavis a couru à compter du 11 juillet 2014, date de la notification de l'appel d'offres ayant remis en cause la poursuite de la relation commerciale, et non pas à la date de réception de la lettre du 19 décembre 2014 ayant informé la société LBF Créa Paris que son offre n'était pas retenue. Elle souligne qu'à compter de cette date, elle a continué de passer des commandes à la société LBF Créa Paris, pour un montant total de 21 130,80 euros. Elle ajoute qu'à la demande de l'appelante, la durée du préavis a été prorogée jusqu'au 31 mars 2015, par lettre du 17 décembre 2014, et que durant la totalité du préavis, la société LBF Créa Paris a réalisé avec elle un chiffre d'affaires de 25 600,80 euros.
Elle conteste la situation de dépendance économique alléguée par l'appelante, alors que le chiffre d'affaires réalisé par celle-ci avec la société LVMH ne représente que 26 % de son chiffre d'affaires total en 2012, et en moyenne 22,8 % sur les quatre dernières années, exclusion faite de l'année 2013. Elle précise que durant cette année, la société LBF Créa Paris a réalisé avec elle un chiffre d'affaires exceptionnel dû à un effet d'aubaine, trois boutiques et un corner à l'enseigne Tag Heuer ayant été ouverts.
Compte tenu de la durée de la relation commerciale, de 3 ans, elle considère que le préavis accordé, ayant couru du 11 juillet 2014 au 31 mars 2015, et que l'appelante a elle-même interrompu du fait de la mise en demeure qu'elle lui a adressée le 7 janvier 2015, réitérée le 27 janvier 2015, est suffisant, en l'absence de dépendance économique et d'exclusivité. Elle précise que ce préavis a bien été exécuté au vu du chiffre d'affaires réalisé avec elle par l'appelante, qu'en outre, diverses opportunités de commandes n'ont pu aboutir pour des motifs qui lui sont étrangers, ou en raison des prix prohibitifs pratiqués par l'appelante. Elle ajoute que ses difficultés économiques ne permettaient pas l'acceptation de tels tarifs ni la passation de commandes dont elle n'avait pas besoin.
Subsidiairement, sur le préjudice, elle soutient que la marge brute moyenne réalisée par la société LBF Créa Paris avec elle est de l'ordre de 22,8 %, hors opérations exceptionnelles de l'année 2013, et que le préjudice invoqué par l'appelante n'est pas démontré.
MOTIFS
Sur la rupture de la relation commerciale :
Selon l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...) ".
Sur le caractère établi et l'ancienneté de la relation commerciale :
L'appelante produit aux débats une attestation de son expert-comptable, dont il résulte qu'elle a réalisé avec la société LVMH un chiffre d'affaires de 136 587 euros en 2011-2012, 96 889 euros en 2012-2013, 375 407,50 euros en 2013-2014, 25 438 euros en 2014-2015, et qui représente en moyenne 25,43 % de son chiffre d'affaires total.
La société LBF Créa Paris justifie également des factures qu'elle a adressées à la société LVMH durant ces années, dont le montant total corrobore avec le chiffre d'affaires réalisé avec l'intimée. Il ressort de l'état de la facturation émise par l'appelante envers la société LVMH, que les factures de la société LBF Créa Paris ont été régulières et souvent mensuelles depuis 2011, et ont porté sur des montants conséquents. Les commandes de l'intimée n'étaient donc pas ponctuelles ni conjoncturelles, mais régulières et conséquentes.
Ces éléments, non discutés par l'intimée, établissent l'existence d'un courant d'affaires continu entretenu entre les parties depuis 2011. Compte tenu de la régularité des prestations qui lui étaient confiées et de leur caractère significatif, la société LBF Créa Paris pouvait légitimement espérer que la relation commerciale nouée avec la société LVMH perdurerait, peu important que la société LVMH ait eu recours à la procédure d'appel d'offre pour sélectionner la société LBF Créa Paris, et l'absence de contrat écrit conclu entre les parties.
Il est ainsi démontré que les parties ont entretenu une relation commerciale régulière et durable, donc établie, depuis 2011.
Pour justifier de la reprise de la relation commerciale antérieurement nouée entre la société LVMH et la société LBF Créa, la société LBF Créa Paris se prévaut de l'acte de cession du fonds de commerce de la société LBF Paris, conclu à son bénéfice le 11 mai 2011.
Cependant, si cet acte mentionne la cession de la clientèle de la société LBF Créa, la cession de la cliente LVMH n'y est pas expressément indiquée, et la liste des clients cédée n'est pas produite aux débats.
La seule circonstance que la société LBF Créa Paris, cessionnaire du fonds de commerce de la société LBF Créa, ait engagé avec la société LVMH des relations commerciales à compter du 30 mai 2011, ainsi qu'en justifie la première facture qu'elle a adressée à la société LVMH, et qu'elle l'ait alors enregistré en comptabilité en qualité de fournisseur, ne suffit pas à établir la reprise de la relation commerciale nouée entre l'intimée et son cédant, faute de démonstration de l'accord des parties au titre de cette reprise.
L'appelante ne justifie en effet d'aucun élément permettant de considérer que la société LVMH a eu l'intention de poursuivre avec elle la relation commerciale initialement nouée entre la société LVMH et la société LBF Créa.
Alors que la société LVMH soutient que la société LBF Créa Paris lui a caché la cession de commerce, a volontairement entretenu la confusion entre elle et la société LBF Créa et qu'elle a réglé à ladite société des prestations réalisées par la société LBF Créa Paris, cette dernière ne produit aucune pièce démontrant que la société LVMH avait connaissance de l'acte de cession de commerce à son profit et la volonté de celle-ci de poursuivre la relation commerciale nouée avec le cessionnaire.
La société LBF Créa Paris échouant à établir, par des éléments circonstanciés, que les parties ont sciemment décidé de poursuivre ensemble la relation commerciale initialement nouée entre la société LVMH et la société LBF Créa, ne peut donc se prévaloir de cette antériorité.
La relation commerciale établie a donc été nouée entre les parties à compter du 30 mai 2011, et non pas en 2002 comme l'ont retenu les premiers juges.
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :
La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale c'est-à-dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels.
Dans son courriel du 11 juillet 2014 adressé à la société LBF Créa Paris et à divers destinataires, ayant pour objet est " appel d'offres Tag Heuer " et contenant en pièce jointe un document intitulé " Appel d'offres Tag Heuer juillet 2014 ", la société LVMH précise : " Ceci est un appel d'offres Tag Heuer - LVMH Montres et Joaillerie France SAS, envoyé à plusieurs prestataires (...). Cet appel d'offre à une date de validité du 11/07/2014 au 25/07/2014 ".
La société LBF Créa Paris ne discute pas utilement de la régularité de cet appel d'offres, alors que celui-ci a été adressé de manière transparente à divers prestataires, et qu'elle a pu y soumissionner. La circonstance que sa candidature n'ait pas été retenue au profit d'un autre prestataire pratiquant des tarifs plus compétitifs, et envers lequel elle a engagé une action en concurrence déloyale, ne suffit pas à établir le caractère frauduleux de cet appel d'offres.
Le courriel contenant cet appel d'offres ne saurait constituer le point de départ du délai de préavis, dès lors qu'il n'y est nullement mentionné la fin de la relation commerciale établie nouée avec la société LBF Créa Paris, que celle-ci a obtenu les différentes commandes précédentes à l'issue de procédures d'appels d'offres qu'elle a remportées, et a pu librement soumissionner à cette nouvelle procédure d'appel d'offres, conservant ainsi l'espérance légitime que la relation pourrait se poursuivre.
Seul le courrier du 10 septembre 2014, par lequel la société LVMH a informé l'appelante que sa candidature n'était pas retenue, et lui a donc signifié la fin de leur relation commerciale établie, a fait courir le délai de préavis.
Le délai de préavis raisonnable tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels devant être respecté en cas de rupture de la relation commerciale établie doit être apprécié en tenant compte de la durée et de la nature de la relation commerciale établie, notamment de la situation de dépendance économique du partenaire.
La relation commerciale établie nouée entre les parties était ancienne de trois ans et quatre mois lors de sa rupture, le 10 septembre 2014.
Ainsi que le fait valoir l'intimée, elle n'était liée par aucun engagement d'exclusivité envers la société LBF Créa Paris. Celle-ci ne justifie pas de l'état de dépendance économique qu'elle allègue, le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé avec la société LVMH étant respectivement de 22,57 %, 13,27 % et 51,97 % durant les trois dernières années ayant précédé la rupture, dont l'année 2013 qu'il n'y a pas lieu d'écarter au motif que l'appelante a bénéficié de commandes exceptionnelles, ce qui représente en moyenne 29,27% de son chiffre d'affaires total. La notoriété des marques Tag, Zenith et du groupe LVMH ne suffit pas à établir, au vu de la proportion du chiffre d'affaires que représente l'activité avec l'intimée, l'état de dépendance économique de l'appelante.
Au vu, d'une part, de l'ancienneté de la relation commerciale, de 3 ans et demi au moment de la rupture, d'autre part, de la proportion que représente l'activité avec la société LVMH dans le chiffre d'affaires total de l'appelante, enfin du secteur d'activité concerné, soit le marché de la décoration de vitrines qui offre de nombreux débouchés, le délai de préavis suffisant dont la société LBF Créa Paris aurait dû bénéficier pour lui permettre de se réorganiser et de trouver d'autres partenaires commerciaux est de 3 mois.
Il est démontré par les pièces produites aux débats qu'à compter du 10 septembre 2014, point de départ du délai de préavis, la société LBF Créa Paris a établi les factures suivantes envers la société LVMH :
- facture FA020011409 du 29 septembre 2014, d'un montant de 3 388,80 euros TTC, au titre de prestations réalisées le 10 septembre 2014 et donc commandées antérieurement à cette date,
- facture FA02041410 du 7 octobre 2014, d'un montant de 22 666,80 euros TTC, au titre de prestations réalisées entre le 1er juillet 2014 et le 17 septembre 2014, et donc commandées avant le 10 septembre 2014,
- facture FA02401502 du 16 février 2015, d'un montant de 4 470 euros TTC, au titre de prestations réalisées le 9 février 2015.
Il n'est ainsi justifié que d'une commande de la société LVMH durant la période de préavis, peu important que le chiffre d'affaires réalisé par la société LBF Créa Paris, qui porte également sur des commandes antérieures, soit d'un montant supérieur à celui de cette commande.
La société LVMH, dont les commandes étaient régulières et mensuelles antérieurement à septembre 2014, ne justifie pas de circonstances expliquant la baisse subite de commandes durant la période de préavis. Elle n'établit pas par le seul courriel du 29 janvier 2015 qu'elle produit aux débats, que le refus d'un commercial l'a mise dans l'incapacité de passer une commande à l'appelante, le contenu de ce courriel ne permettant nullement de faire le lien avec l'activité de la société LBF Créa Paris. De même, elle ne justifie pas avoir refusé un devis de la société LBF Créa Paris le 11 mars 2015 en raison des tarifs prohibitifs pratiqués par ladite société, ne produisant pas aux débats ceux plus avantageux proposés par des entreprises concurrentes pour la même prestation. La circonstance que la société LVMH ait diminué son budget marketing à compter de 2013 n'explique pas la baisse subite de commandes durant le préavis ayant couru à compter du 10 septembre 2014. Enfin, le fait que l'appelante l'ait mise en demeure de l'indemniser de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 7 janvier 2015, n'a pas eu pour effet d'interrompre le préavis en cours, la société LBF Créa Paris n'ayant pas manifesté son refus de nouvelles commandes.
La seule facture FA02401502 du 16 février 2015 n'établissant pas le maintien de la relation commerciale entre les parties, et aucun obstacle à la poursuite de ladite relation durant la période de préavis n'étant démontré, il y a lieu de considérer qu'aucun préavis contractuel n'a été effectivement respecté.
A défaut de respect d'un préavis tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale établie nouée avec la société LBF Créa Paris, la rupture brutale de celle-ci, par la société LVMH, est caractérisée.
Sur le préjudice :
Le chiffre d'affaires moyen réalisé par la société LBF Créa Paris durant les exercices 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014, s'élève à la somme moyenne de 202 961 euros. La circonstance que la société LBF Créa Paris ait pu bénéficier en 2013 de commandes importantes du fait de la création de boutiques ne justifie pas que soit écarté le chiffre d'affaires réalisé durant cette année.
La société LBF Création Paris démontre, au vu de l'attestation de son expert-comptable, qu'elle réalisait avec la société LVMH un taux de marge brute de 66 %. La société LVMH ne prétend pas utilement que cette marge serait de 22,8 %, hors opérations exceptionnelles de l'année 2013, ce taux allégué étant fondé sur un calcul de taux de marge erroné ainsi que le relève avec pertinence l'expert-comptable de l'appelante, et aucun motif légitime ne permettant d'exclure l'année 2013 de l'assiette du calcul. Les premiers juges ont fait une appréciation inexacte du taux de marge brute de la société LBF Créa Paris justifié à hauteur de 66 %, en le réduisant à 35 %.
Compte tenu du chiffre d'affaires moyen réalisé par l'appelante avec la société LVMH, de 202 961 euros, et du taux de marge brute de 66 %, le préjudice subi au titre du non-respect du préavis de 3 mois doit être évalué à la somme de 33 488 euros ((202 061 : 4) x 66 %).
Il convient, en conséquence, de condamner la société LVMH à payer à la société LBF Créa Paris une somme de 33 488 euros en réparation de son préjudice, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.
La société LVMH échouant en ses prétentions, sera déboutée de sa demande aux fins de voir ordonner la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire, avec intérêts légaux à compter de leur versement, outre capitalisation.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
Les dispositions du jugement entrepris seront confirmées s'agissant des dépens et de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il convient, en outre, de condamner la société LVMH, échouant en ses prétentions, aux dépens exposés en cause d'appel, et à payer à la société LBF Créa Paris une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du même Code.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 13 juin 2017 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a : condamné la société LVMH Montres & Joaillerie à payer à la société LBF Créa Paris la somme de 25 413 euros à titre dommages et intérêts, Statuant de nouveau, Condamne la société LVMH Montres & Joaillerie à payer à la société LBF Créa Paris la somme de 33 488 euros, en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de sa relation commerciale établie nouée avec la société LVMH Montres & Joaillerie, Y ajoutant, Condamne la société LVMH Montres & Joaillerie à payer à la société LBF Créa Paris une indemnité de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société LVMH Montres & Joaillerie aux dépens exposés en cause d'appel.