Cass. com., 16 octobre 2019, n° 17-12.952
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Geo Instrumentation (Sté), Lamarque, Vaillant, Pepin, GI2M (Sté), Cheron, Bernard
Défendeur :
Telemac (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Sudre
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Gaschignard, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Donne acte à Mmes Lamarque et Vaillant et MM. Pépin, Chéron et Bernard du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Telemac ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2016), que, début 2001, l'un des cadres de la société Telemac, filiale du groupe canadien Roctest, exerçant une activité de conception, fabrication et vente d'instruments de mesures d'auscultation des sols et ouvrages de génie civil, a, en accord avec le groupe Roctest qui envisageait de mettre fin à la production de capteurs à corde vibrante en France, quitté la société Telemac pour créer la société GI2M ; que le 4 avril 2001, les sociétés Telemac et GI2M ont conclu un contrat d'une durée de trois ans, non renouvelable, comportant une clause d'exclusivité réciproque, prévoyant que la première confiait à la seconde l'exclusivité de la fabrication des produits C110 et CL1, utilisant la technologie de la "corde vibrante", tandis que la société GI2M s'engageait à ne pas fabriquer, pour son compte ou pour le compte d'autrui, des produits à corde vibrante similaires à ceux fabriqués par la société Telemac, à moins d'un consentement écrit de cette dernière ; que les relations d'affaires des deux sociétés se sont poursuivies postérieurement au terme du contrat sans qu'une nouvelle convention soit formalisée ; que reprochant à la société GI2M de fabriquer et de vendre à la société Geo instrumentation, qu'elle avait créée en février 2008, des produits similaires à ceux fabriqués pour son compte, de démarcher sa clientèle et d'avoir débauché plusieurs de ses salariés, la société Telemac a assigné les deux sociétés en concurrence déloyale, ainsi que leurs dirigeants et salariés, MM. Cheron, Pepin et Bernard et Mmes Lamarque et Vaillant ; que la société GI2M a formé une demande reconventionnelle en réparation de son préjudice pour rupture brutale de leur relation commerciale établie et violation de ses droits de propriété intellectuelle ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Geo instrumentation et GI2M font grief à l'arrêt de dire qu'un nouveau contrat oral de licence s'est substitué, à partir du 5 avril 2004, à celui conclu le 4 avril 2001, et que la société GI2M, restant tenue par son obligation contractuelle d'exclusivité, a violé celle-ci, en vendant postérieurement au 5 avril 2004 sa production à des concurrents de la société Telemac alors, selon le moyen : 1°) que lorsque le contrat a été conclu pour une durée déterminée non renouvelable, les obligations réciproques des parties prennent fin à l'arrivée du terme ; qu'il résulte des constatations de la cour que la clause d'exclusivité souscrite par la société GI2M au profit de la société Telemac était expressément limitée, dans sa durée, à la durée du contrat qui la contenait, et qu'en vertu de l'article 6 de ce contrat, celui-ci était conclu à compter du 4 avril 2001 " pour une durée de 3 ans sans renouvellement " ; qu'en affirmant néanmoins que la société GI2M restait tenue par cette clause d'exclusivité postérieurement au 4 avril 2004, au motif inopérant que les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies après cette date, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que le contrat d'exclusivité par lequel un fabricant accepte de vendre ses produits à son cocontractant de manière exclusive et s'interdit de vendre des produits identiques ou similaires à ses concurrents, qui constitue une restriction à la liberté du commerce et de l'industrie, n'est valablement formé que si le fabricant manifeste sa volonté de manière expresse et non équivoque ; que pour dire que la société GI2M était toujours tenue de respecter, après l'expiration du contrat conclu le 4 avril 2001, la clause d'exclusivité qu'il contenait et qui lui faisait interdiction de vendre des produits similaires à ceux fabriqués par la société Telemac et ses filiales, la cour d'appel se borne à relever que les parties ont poursuivi leurs relations commerciales aux mêmes conditions de prix et qu'il n'était pas établi que la société Telemac se serait, pour sa part, affranchie de son propre engagement ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à établir que la société GI2M aurait manifesté de manière non équivoque sa volonté de prolonger les effets de la clause d'exclusivité la concernant après l'expiration du contrat qui la contenait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil et du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; 3°) que les conventions d'exclusivité constituent une atteinte disproportionnée au principe de la liberté du commerce et de l'industrie quand elles ne sont pas limitées dans l'espace ou dans le temps ; qu'en mettant à la charge de la société GI2M une obligation d'exclusivité, à l'origine consentie pour une durée de trois ans, pendant une période illimitée à compter du 5 avril 2004 et sans limitation territoriale, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;
Mais attendu que l'arrêt relève que, si les parties avaient limité l'exécution du contrat conclu le 4 avril 2001 à une période de trois années, sans tacite reconduction, la négociation éventuelle d'un nouveau contrat était prévue à l'échéance ; qu'il retient que les nombreuses factures produites et la mention des produits CL110 et CLI dans le catalogue 2009 de la société GI2M établissent que la relation commerciale liant les parties s'est poursuivie postérieurement au 4 avril 2004, dans les mêmes conditions de commandes régulières et de prix ; qu'il retient encore que le fait, pour la société GI2M, de reconnaître avoir vendu le produit CL1 à d'autres clients ne démontre pas que les parties avaient l'intention de ne pas maintenir leurs obligations d'exclusivité réciproque mais que la société GI2M n'a pas respecté son obligation, et qu'il n'est ni établi ni même allégué que la société Telemac se serait affranchie de sa propre obligation d'approvisionnement exclusif postérieurement au 4 avril 2004 ; qu'en cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la commune intention des parties et sans méconnaître le principe de la liberté du commerce et de l'industrie que la cour d'appel a retenu que celles-ci avaient conclu un nouveau contrat verbal de licence, qui s'est substitué à compter du 5 avril 2004 à celui conclu le 4 avril 2001, aux mêmes conditions contractuelles, incluant l'engagement réciproque d'exclusivité ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société GI2M fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) que le premier moyen reproche à la cour d'avoir dit que la société GI2M était tenue d'une obligation d'exclusivité en vertu d'un contrat oral de licence ayant le même contenu que le contrat du 4 avril 2001, et qu'elle avait violé cette obligation en vendant sa production, postérieurement au 5 avril 2004, à des concurrents de la société Telemac ; que la cassation à intervenir sur ce moyen entraînera donc, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a dit que cette violation de l'obligation d'exclusivité justifiait la résiliation sans préavis des relations commerciales entretenues par la société Telemac avec la société GI2M, par application de l'article 624 du Code de procédure civile ; 2°) que la société Telemac n'a jamais prétendu qu'elle avait mis un terme à ses relations commerciales avec la société GI2M en raison d'une méconnaissance, par celle-ci, de son obligation d'exclusivité et que le non-respect de cette obligation-là l'autorisait à ne pas respecter un délai de préavis minimal ; qu'en se fondant sur de tels faits, qui n'étaient pas invoqués, pour dire que la société Telemac n'était pas tenue de respecter un délai de préavis minimal pour rompre ses relations commerciales avec la société GI2M, la cour d'appel a violé les articles 4 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que le rejet du premier moyen rend le grief de la première branche sans portée ;
Et attendu, d'autre part, que c'est sans méconnaître l'objet du litige que la cour d'appel, répondant aux conclusions de la société Telemac qui invoquait la violation par la société GI2M de son obligation d'exclusivité pour justifier l'absence de préavis de rupture, a jugé que la rupture immédiate par la société Telemac des relations contractuelles n'était pas fautive ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que les sociétés GI2M et Geo instrumentation font grief à l'arrêt de dire que cette dernière s'est livrée à des actes de concurrence déloyale, de leur faire injonction, sous astreinte, de cesser de fabriquer, commercialiser et utiliser la fiche technique de la cale dynamométrique CV8 et d'utiliser les fiches techniques de la mini-centrale d'acquisition Géolog, du clinomètre de forage et de surface géocline BWE et du dispositif de mesure des débits de drainage et de fuite, de les condamner au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et d'ordonner la réouverture des débats pour évaluer le préjudice financier de la société Telemac alors, selon le moyen : 1°) qu'en l'absence de tout droit privatif, le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux distribués par un concurrent n'est pas fautif ; que pour dire que la société Geo instrumentation avait commis un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel retient qu'elle a commercialisé un produit dénommé cale dynamométrique modèle VW8, qui est une copie de la cale dynamométrique CV8 et qu'elle a copié la fiche technique de ce produit, alors que la société Telemac justifie d'une " priorité d'usage " pour avoir commercialisé ce produit entre 2007 et 2009 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; 2°) que seule constitue un acte de concurrence déloyale la copie servile d'un produit commercialisé par une entreprise susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ; que pour dire que la société Geo instrumentation avait commis un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel retient qu'elle a commercialisé un produit dénommé cale dynamométrique modèle VW8, qui est une copie de la cale dynamométrique CV8 conçue et commercialisée par la société Telemac entre 2007 et 2009, et qu'elle a recopié la fiche technique de ce produit ; qu'en statuant ainsi, sans constater l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle professionnelle à laquelle ces produits étaient destinés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que seul constitue un acte de parasitisme le fait de s'immiscer dans le sillage d'un concurrent afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses investissements, de son savoir-faire ou de sa notoriété ; que pour dire que la société Geo instrumentation a bénéficié, sans aucun coût pour elle, des investissements réalisés par la société Telemac, la cour d'appel se borne à constater qu'elle a copié la cale dynamométrique CV8 commercialisée par celle-ci et sa fiche technique ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la société Telemac justifiait qu'elle avait effectivement engagé des frais de conception ou de développement pour ce produit et/ou sa fiche technique, ni que la société Geo instrumentation avait effectivement repris des éléments qui avaient été créés par la société Telemac, afin de se placer dans son sillage et de profiter de son savoir-faire et des efforts humains et financiers consentis par elle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) que la cour d'appel retient que la société Geo instrumentation pouvait commercialiser sa mini-centrale d'acquisition, son clinomètre de forage et surface géocline, et son dispositif de mesure de débits de drainage et de fuite, sans faute de sa part, mais qu'elle a commis une faute constitutive de concurrence déloyale en réalisant, pour ces produits, des fiches techniques qui constituent des copies quasi-intégrales de celles rédigées par la société Telemac pour ses propres produits ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un acte de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Telemac, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 5°) que seul constitue un acte de parasitisme le fait de s'immiscer dans le sillage d'un concurrent afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses investissements, de son savoir-faire ou de sa notoriété ; que pour dire que la société Geo instrumentation a bénéficié, sans aucun coût pour elle, des investissements réalisés par la société Telemac, la cour d'appel se borne à constater qu'elle a copié les fiches techniques de la mini-centrale d'acquisition, du clinomètre de forage et surface géocline, et du dispositif de mesure de débits de drainage et de fuite commercialisés par cette dernière ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la société Telemac justifiait qu'elle avait effectivement engagé des frais de conception ou de développement pour ces fiches techniques ou que celles-ci seraient le résultat d'un savoir-faire particulier dont la société Geo instrumentation avait entendu bénéficier, sans frais de sa part, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir rappelé que le simple fait de copier un produit concurrent, qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle, ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, l'arrêt retient que la cale dynamométrique CV8, commercialisée par la société Geo instrumentation sous l'appellation " cale dynamométrique VW8 ", a été conçue, dès 1990, par la société Telemac, tandis que la société GI2M n'était intervenue dans l'assemblage du produit qu'en qualité de sous-traitant ; qu'il retient encore, après comparaison des pièces produites, que la fiche technique afférente à la cale dynamométrique ainsi que les fiches techniques de la mini-centrale Géolog, dont la dénomination a été reproduite à l'identique, du clinomètre de forage et de surface géocline BWE et du dispositif de mesure des débits de drainage et de fuite étaient des copies quasi intégrales de celles rédigées par la société Telemac ; qu'ayant déduit de ces constatations et appréciations souveraines que ce faisant, la société Geo instrumentation avait bénéficié sans aucun coût pour elle des investissements réalisés par la société Telemac pour concevoir, créer et développer ce produit et sa fiche technique, caractérisant ainsi des actes de parasitisme, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que ce n'est que par une impropriété de langage que la cour d'appel a qualifié de concurrence déloyale les actes de parasitisme qu'elle retenait ; que le moyen qui, en ses première, deuxième et quatrième branches, lui fait grief de ne pas avoir suffisamment caractérisé des actes de concurrence déloyale, est donc inopérant ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen : - Attendu que la société GI2M fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de dommages-intérêts pour violation de ses droits de propriété intellectuelle et de faits de parasitisme alors, selon le moyen, que si les parties ne peuvent, à hauteur d'appel, présenter des prétentions nouvelles, elles peuvent fonder leurs prétentions antérieures sur des fondements juridiques différents et invoquer tous moyens nouveaux ; que, devant le tribunal de grande instance, la société GI2M avait demandé la condamnation de la société Telemac à lui verser une somme de 400 000 euros en réparation de son préjudice résultant, d'une part, de la rupture brutale de leurs relations commerciales, et d'autre part, d'une violation de ses droits de propriété intellectuelle, en indiquant que celle-ci avait utilisé des diagrammes réalisés par M. Cheron ; qu'à hauteur d'appel, la société GI2M demandait toujours une somme de 400 000 euros à titre de dommages et intérêts, en invoquant les mêmes fondements, à savoir la rupture brutale de leurs relations commerciales et une violation de ses droits de propriété intellectuelle, et les mêmes faits de reprise, par la société Telemac, des graphiques réalisés par M. Cheron ; que cette demande n'était pas nouvelle, quand bien même la société GI2M y avait ajouté que ces faits caractérisaient en sus un fait de parasitisme et avait invoqué des faits complémentaires de reprise, par la société Telemac, d'un poste de lecture PC 9 ; qu'en affirmant néanmoins que la demande indemnitaire de la société GI2M était nouvelle et, partant, irrecevable, la cour d'appel a violé les articles 563, 564 et 565 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la demande de la société GI2M relative à la violation des droits de propriété intellectuelle, dont la nature n'avait pas été précisée devant le tribunal, portait également, en cause d'appel, sur les fiches techniques du poste de lecture PC9 et qu'en outre, la demande relative à des actes de parasitisme était aussi invoquée pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel les a, à juste titre, déclaré irrecevables comme étant nouvelles ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.