CA Douai, 1re ch. sect. 1, 10 octobre 2019, n° 18-03488
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Appellation Vins Fins (EURL)
Défendeur :
Lille Métropole Enchères (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mmes Boutié, Aldigé
Le 25 novembre 2013, la SAS Lille Métropole Enchères " qui est une société de vente aux enchères de mobiliers et objet d'arts et qui exploite son activité sous l'enseigne commerciale " Mercier et Compagnie " " a organisé une vente aux enchères publiques de vins, une exposition des lots étant réalisée et un catalogue des ventes édité sur internet notamment. Chaque lot a été expertisé par M. Patrick K., expert agrée par le Conseil des Ventes.
Par courriel du 21 novembre 2013, l'EURL Appellations Vins Fins " créée par M. G. en 2011 et qui est spécialisée dans la vente de grands crus et de bouteilles d'exception " a demandé à la société Lille Métropole Enchères de la contacter par téléphone le jour de la vente afin qu'elle puisse porter des enchères pour les lots n° 101, 102, 181, 244 et 405.
Le jour de la vente, la société Appellations Vins Fins s'est rendue adjudicataire des lots suivants :
lot n° 101 : bouteille de champagne Brut Salon 1961, pour 3 050 euros hors frais ;
lot n° 102 : une bouteille de champagne brut Salon 1961, pour 3 050 euros hors frais ;
lot n° 181 : douze bouteilles de Château Palmer, pour 720 euros hors frais ;
lot n° 405 : un magnum de Château Lafite Rothschild, pour 450 euros hors frais.
Le montant total de ces acquisitions, frais de vente inclus, s'élevait à la somme de 9 008,98 euros, une facture étant adressée à la société Appellations Vins Fins le 25 novembre 2013. Par courrier du 24 décembre 2013, la société Appellations Vins Fins a contesté l'acquisition des bouteilles de champagne au motif que leur état ne correspondait pas au descriptif présenté pour la vente.
Après avoir vainement mis en demeure la société Appellations Vins Fins de payer par courriers du 2 janvier 2014, puis des 30 octobre et 8 décembre 2014, la société Lille Métropole Enchères l'a fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Lille par acte en date du 27 janvier 2015.
Suivant jugement du 29 février 2016, le tribunal de grande instance de Lille a :
déclaré recevable l'action introduite par la société Appellations Vins Fins ;
débouté en conséquence la société Appellations Vins Fins de ses demandes de dommages et intérêts en raison de la fin de non-recevoir ;
sursis à statuer sur l'ensemble des demandes formulées ;
ordonné avant dire droit une expertise et commis pour y procéder M. Thierry B. expert près la cour d'appel de Reims, avec mission de :
- examiner les deux bouteilles de champagne brut Salon 1961 correspondant aux lots n° 101 et 102 adjugées lors de la vente du 25 novembre 2013 organisée par la société Lille Métropole Enchères et pour lesquelles la société Appellations Vins Fins s'est portée acquéreur et en réaliser des photographies qui seront jointes au rapport ;
- vérifier l'exactitude et plus généralement la conformité des descriptions fournies aux acquéreurs au regard des dispositions de l'article 1.5.5 de l'arrêté du 21 février 2012 portant approbation du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;
- dire si la description des bouteilles litigieuses est sincère, exacte, précise et non équivoque au regard des connaissances que l'on pouvait en avoir au moment de la vente, s'agissant notamment de leur niveau, de l'aspect du liquide contenu et de la présence ou non d'un dépôt ;
- dire si la description de la nature des deux bouteilles et de leur état reflète les doutes qui pouvaient exister sur certaines de leurs qualités ;
- fournir tout autre élément utile au tribunal pour la solution du litige.
L'expert judiciaire a rendu son rapport le 20 février 2017.
Par jugement en date du 30 avril 2018, le tribunal de grande instance de Lille a :
débouté la société Appellations Vins Fins de sa demande de nullité de la vente pour vice du consentement ;
débouté la société Lille Métropole Enchères de sa demande de dommages et intérêts ;
débouté la société Appellations Vins Fins de ses demandes reconventionnelles ;
condamné la société Appellations Vins Fins à payer à la société Lille Métropole Enchères les sommes suivantes :
- 9 008,98 euros au titre des prix d'adjudications des lots n° 101, 102, 181 et 405, avec intérêts au taux légal à compter dû à compter de la mise en demeure en date du 2 janvier 2014 ;
- une indemnité journalière de 6 euros TTC par lot - et uniquement pour les lots n° 101 et 102 - au titre des frais de gardiennage, à compter du 10 décembre 2013, et ce jusqu'au complet paiement des demandes de prix d'adjudication avec intérêts équivalant à la somme de 18 036 euros TTC au 05 janvier 2018 ;
- une indemnité de 192 euros au titre des frais de manutention et de magasinage pour les lots n°101 et 102 ;
- 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Manuel B..
La société Appellations Vins Fins a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 septembre 2018, elle demande à la cour, au visa de l'article l'article 1.5.5 de l'arrêté du 21 février 2012 portant approbation du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et des anciens articles 1109 et 1110 du Code civil, d'infirmer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions, et statuant à nouveau, de :
juger que son consentement a été vicié et en conséquence, prononcer la nullité des enchères qu'elle a portées sur les lots n° 101 et 102 ;
dès lors, débouter la société Lille Métropole Enchères de l'ensemble de ses demandes ;
la condamner au paiement des sommes suivantes :
- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive en réparation du préjudice subi ;
- 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- 2 400 euros TTC au titre des frais d'expertise judiciaire qu'elle a avancés ;
- les entiers dépens dont distraction au profit de Me Olivier B..
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 décembre 2018, la SAS Lille Métropole Enchères demande à la cour, au visa des articles L. 320-2, L. 321-3, L. 321-5, L. 321-14 et L. 321-37 et R. 321-33 du Code de commerce et de ses conditions générales, de confirmer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des moyens.
Pour la clarté des débats, il sera seulement indiqué que l'appelante fait essentiellement valoir que c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu que son consentement a été vicié par erreur. Elle soutient qu'il ressort de l'expertise judiciaire que la société Lille Métropole Enchères a méconnu les dispositions de l'article 1.5.5 de l'arrêté du 21 février 2012, lequel impose à l'opérateur une description des lots qui soit sincère, exacte, précise et non équivoque et que la description de la nature des lots mis en vente et de leur état reflète les doutes qui peuvent exister sur certaines de ses qualités. En effet, selon elle, la description ne reflétait pas l'aspect réel des deux bouteilles de champagne. Elle affirme que la description faite dans le catalogue de l'opérateur de vente doit se suffire à elle-même sans nécessité de la part des enchérisseurs potentiels qu'ils se déplacent pour examiner les lots, et qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir pris un quelconque risque en portant des enchères à distance sans prendre la précaution d'examiner préalablement les lots mis en vente. Elle soutient que si elle avait été dûment informée par une description conforme des lots, elle ne s'en serait pas portée acquéreuse et que son consentement a été donné en considération uniquement des informations erronées ou à tout le moins incomplètes et équivoques fournies par l'opérateur. Elle ajoute que sa qualité de professionnelle n'est pas de nature à écarter l'erreur dont elle était victime.
Pour sa part, l'intimée fait essentiellement valoir que c'est à bon droit que le tribunal a considéré que l'erreur ne portait pas sur la substance même de la chose. Elle considère que la société Appellations Vins Fins, professionnelle du négoce en vins, ne saurait se prévaloir du fait que l'expert judiciaire a estimé que la description était trop flatteuse sur quelques aspects alors même qu'elle a pris le risque de renchérir sans avoir examiné les bouteilles lors de l'exposition organisée préalablement à la vente, ni avoir sollicité aucune information supplémentaire sur les aspects dont elle affirme avoir été déterminants de son consentement et qu'elle n'a jamais jugé utile de porter à sa connaissance. Selon elle, elle ne pouvait ignorer, en absence d'un descriptif normalisé des bouteilles champenoises (notamment s'agissant du niveau de remplissage), l'existence d'une inévitable part de subjectivité de toute description. Elle affirme qu'une vente aux enchères publiques de meubles n'est pas une vente sur catalogue, qu'en vertu des obligations réglementaires et de ses conditions générales, la description des biens a pour seul but de faciliter leur examen par l'acquéreur potentiel, lors de l'exposition et non de le dispenser de tout examen personnel.
MOTIVATION
A titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du Code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.
Selon l'article L. 320-2 du Code de commerce, constituent des ventes aux enchères publiques les ventes faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs à l'issue d'un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent. Le mieux-disant des enchérisseurs acquiert le bien adjugé à son profit ; il est tenu d'en payer le prix.
L'article 1.5.5 de l'arrêté du 21 février 2012 portant approbation du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques prévoit que les objets proposés à la vente font l'objet d'une description préalable portée à la connaissance du public, sauf pour les objets proposés dans les ventes courantes au regard de leur valeur minime. La description de l'objet doit être sincère, exacte, précise et non équivoque au regard des connaissances que l'on peut en avoir au moment de la vente. La description de la nature de cet objet et de son état doit refléter les doutes qui peuvent exister sur certaines de ses qualités. La description doit indiquer l'existence de réparations ainsi que de restaurations, manques et ajouts significatifs dont le bien peut avoir fait l'objet et qu'il a pu constater.
En vertu de l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet. L'erreur inexcusable n'est pas une cause de nullité.
Sur ce
En l'espèce, le catalogue décrivait les deux bouteilles de champagne Brut Salon 1961 de la manière suivante :
lot n° 101 : bon niveau ; eth (= traces d'humidité) ; quelques manques ; clm légèrement abimée (= collerette millésime légèrement abîmée) ; coiffe légèrement sale, coiffe embossée salon ; bel aspect) ;
lot n° 102 : bon niveau ; ea (= étiquette abîmée), lisible ; clm légèrement abîmée, coiffe légèrement sale, coiffe embossée salon ; bel aspect.
Il ressort de l'expertise judiciaire que les descriptions des bouteilles litigieuses étaient globalement correctes à l'exception du niveau que l'expert a jugé trop flatteur (avec un volume manquant de 4 % pour le lot 101 et de 7,5 % pour le lot 102) et de la description de la coiffe jugée sale et aussi abîmée au niveau de l'illet de muselet. Il estime que l'état extérieur des bouteilles est correct. Il conclut que la description du contenu lui apparaît trop flatteuse dans la mesure où il manque du vin et qu'il existe un dépôt, et que ces caractéristiques n'apparaissent pas dans la description des bouteilles laquelle peut donc être, selon lui, jugée incomplète. Il précise que rien ne permet d'affirmer que les qualités gustatives des bouteilles soient altérées par la présence d'un dépôt ou par une diminution du niveau du vin.
En réponse à un dire, l'expert judiciaire précise qu'il n'existe pas de " schéma spécifique des bouteilles champenoises " et qu'il existe un " vide normatif " pour la description du niveau, de sorte que chaque expert peut développer ses propres critères qui lui sont propres. Il indique également que le fait de ne pas avoir vu les articles avant la vente constitue " un risque supplémentaire car un système de description des biens, si précis soit-il, n'est jamais absolument parfait et comporte toujours une petite part de subjectivité ".
Au vu de cette absence normative concernant la description du niveau de vin et de la part de subjectivité inhérente à toute description qualitative, le seul fait que l'expert judiciaire conclut que la description du niveau faite dans le catalogue était " trop flatteuse " ne suffit pas à caractériser une description inexacte, insincère ou imprécise. Il n'est donc pas démontré que la description du catalogue méconnaît les dispositions de l'article 1.5.5 de l'arrêté du 21 février 2012 au regard des connaissances actuelles en matière de description des bouteilles champenoises. C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré qu'en tout état de cause l'erreur ne portait pas sur des qualités substantielles.
Au surplus, il est essentiel de rappeler que ces dispositions réglementaires n'excluent aucunement l'application de prévisions contractuelles concernant les modalités d'organisation de la vente. Or, aux termes de l'article 2 des conditions générales de la société Lille Métropole Enchères, lesquelles s'appliquent à l'ensemble des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques qu'elle organise, il est expressément stipulé :
" Le Commissaire-Priseur peut précéder toute vente volontaire de meubles aux enchères publiques de l'édition du catalogue de vente qui sera mis à la disposition, le cas échéant, de tout acquéreur potentiel, au sein de l'hôtel des ventes.
Les indications reprises audit catalogue à titre strictement informatif sont établies par le Commissaire-Priseur et l'expert qui l'assiste le cas échéant, sous réserve des notifications, déclarations, rectifications, annoncées au moment de la présentation de l'objet lors du déroulement de la vente volontaire aux enchères publiques et portées au procès-verbal de la vente. Ces informations, y compris les indications de dimension figurant dans le catalogue sont fournies pour faciliter l'inspection de l'acquéreur potentiel et restent soumises à son appréciation personnelle.
L'absence d'indication d'une restauration d'usage, d'accidents, retouches ou tout autre incident dans le catalogue, sur des rapports de condition ou des étiquettes, ou encore lors de l'annonce verbale n'implique nullement qu'un bien soit exempt de défaut.
Tout acquéreur potentiel dispose en effet de la possibilité de se rendre à l'exposition préalable à la vente qui sera organisée par le Commissaire-Priseur. A cette occasion, ledit acquéreur potentiel a la faculté d'examiner les objets mobiliers proposés à la vente afin de se faire sa propre opinion sur les caractéristiques essentielles et son état général. Aucune réclamation ne sera admise une fois l'adjudication prononcée ".
Or, il résulte des propres conclusions de l'appelant, que dès qu'il a vu les bouteilles litigieuses, il a considéré que leur aspect extérieur ne correspondait pas à ce qu'il attendait au vu de la description du catalogue. Il en résulte que s'il s'était rendu à l'exposition préalable à la vente, il aurait eu tout loisir de se faire sa propre opinion sur les caractéristiques essentielles des bouteilles et leur état général. Alors qu'en tant que professionnel en négoce de vin et spiritueux il ne pouvait ignorer l'absence de critère normatif quantitatif concernant le niveau de vin et la nécessaire part de subjectivité dans l'appréciation qualitative de l'aspect extérieur de bouteilles aussi anciennes, et qu'il était avisé par les conditions générales de vente que les indications figurant dans le catalogue restaient soumises à son appréciation personnelle, l'erreur qu'il allègue sur des qualités qu'il considérait comme essentielles apparaît inexcusable.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement déféré.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En application des articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il y a lieu de confirmer la décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles, et y ajoutant de condamner la société Appellations Vins Fins au paiement des entiers dépens de l'appel et à payer à société Lille Métropole Enchères la somme de 1 500 euros.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions ; Y ajoutant : Condamne l'EURL Appellations Vins Fins au paiement des entiers dépens et à payer à la SAS Lille Métropole Enchères la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.