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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 17 octobre 2019, n° 17-07025

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Caves du Château (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Patrie

Conseillers :

M. Franco, Mme Brisset

Avocats :

Mes Le Barazer, Labrousse, Queron

TGI Bordeaux, 5e ch., du 23 nov. 2017

23 novembre 2017

Par acte sous seing privé en date du 18 novembre 2014, Mme Z a cédé à la société Caves du Château son fonds de commerce et d'exportation de vins, spiritueux et boissons situé à Davignac (Corrèze) ainsi que son portefeuille d'agent commercial, avec effet au 1er janvier 2015.

Par acte d'huissier en date du 22 février 2016, la société Caves du Château a fait assigner la société civile X devant le Tribunal de commerce de Brive la Gaillarde, en soutenant que celle-ci avait rompu de manière unilatérale et fautive son contrat d'agent commercial par courriel du 24 décembre 2015, et en sollicitant sa condamnation :

- à lui communiquer le chiffre de ses ventes auprès de la société russe Winedom au cours du quatrième trimestre 2015, dans le délai de huit jours à compter de la signification du jugement, et sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- à lui payer le montant de ses commissions, au taux contractuel de 7 % sur les ventes du quatrième trimestre 2015, ainsi qu'une somme de 32 561,53 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat, celle de 4 070,16 euros au titre de l'indemnité représentative de préavis, outre 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

Par jugement en date du 1er juillet 2016, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société X et a désigné le tribunal de grande instance de Bordeaux en qualité de juridiction compétente.

La société Caves du château a maintenu ses demandes initiales, à l'exception de celle concernant l'indemnité de préavis.

La société X n'a pas constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire en date du 23 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Bordeaux a, sur le fondement des articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce :

- dit que la société X a résilié unilatéralement le mandat d'agent commercial exercé par la société Caves du château,

- dit que la société X devra communiquer à la société Caves du château le chiffre de ses ventes à la société russe Winedom au cours du quatrième trimestre 2015 dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard,

- condamné la société X à payer à la société Caves du château le montant des commissions dues sur les ventes du quatrième trimestre 2015 au taux contractuel de 7 %,

- rejeté la demande en paiement de la somme de 32 561,53 euros au titre de l'indemnité de rupture de contrat,

- condamné la société X à payer la société Caves du château la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code ainsi qu'aux dépens.

Le tribunal a considéré pour l'essentiel que la société X avait bien procédé à la rupture du contrat d'agent commercial par correspondance électronique du 24 décembre 2015, à effet immédiat, et qu'en conséquence la société Caves du château venant aux droits de Mme Z était en droit de bénéficier d'un préavis de trois mois et de réclamer l'indemnité compensatrice de rupture y afférente.

Il a estimé en revanche que la réclamation formée au titre de l'indemnité de rupture n'était pas justifiée au vu des documents produits aux débats, en l'absence d'éléments se rapportant aux trois périodes comptables retenues pour le calcul de l'indemnité.

Suivant déclaration en date du 19 décembre 2017, la société Caves du château a formé appel limité du jugement, en ce qu'il rejette sa demande en paiement de la somme de 32 561,53 euros au titre de l'indemnité de rupture.

La société X a formé appel incident du jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en paiement d'une indemnité de rupture de contrat et de préavis.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 21 juin 2018, la société Caves du château demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que la société X a résilié unilatéralement le mandat d'agent commercial exercé par la société Caves du château,

- dit que la société X devra lui communiquer le chiffre de ses ventes à la société russe Winedom au cours du quatrième trimestre 2015 dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard,

- condamné la société X à lui payer le montant des commissions dues sur les ventes du quatrième trimestre 2015 au taux contractuel de 7 %,

- de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement d'une indemnité de rupture de contrat d'agent commercial,

Statuant à nouveau,

- de condamner la société X à lui payer de ce chef la somme de 32 561,53 euros,

- de dire que le droit et le montant d'une indemnité de préavis est le complément nécessaire de sa demande d'indemnité compensatrice de rupture en application des dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile,

- de condamner la société X à lui payer la somme de 4 070,19 euros correspondant aux trois mois de préavis qui n'ont pas été effectués suite à la résiliation du contrat d'agent commercial le 24 décembre 2015,

- de condamner enfin la société X aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle souligne que le contrat d'agent commercial n'a pas besoin d'être formalisé par un écrit et qu'en l'espèce, les différents documents communiqués démontrent l'existence d'un contrat aux termes duquel elle devait développer ou travailler les vins de la société X avec Winedom, et avec d'autres pays ou d'autres importateurs et qu'en contrepartie la société X versait à Mme Z puis à la société Caves du château des commissions sur ventes de 7 % du montant total des ventes.

Elle conteste l'existence de toute faute grave susceptible de lui être reprochée, et en particulier celle d'un quelconque délaissement, même pendant l'année 2015.

Elle fait valoir que le premier juge ne pouvait rejeter sa demande d'indemnité compensatrice de rupture dès lors qu'il retenait l'existence d'une rupture de contrat imputable à la société X, et qu'au surplus, au vu des notes de commissions honorées par la société X en 2012, 2013 et 2014, et de l'attestation du bureau d'expertise comptable Fiducial, la somme de 32561,53 euros correspond bien à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du mandat.

Par ailleurs, se fondant sur les dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce, elle réclame une indemnité de préavis de trois mois soit 4 070,19 euros.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 26 avril 2018, la société X sollicite à titre principal le rejet de l'intégralité des prétentions de la société Caves du château et la confirmation du jugement, concernant le rejet de la demande en paiement de l'indemnité de rupture du contrat et de préavis.

Formant appel incident, elle demande à la cour :

- de dire qu'il n'y a aucune preuve d'un contrat d'agent commercial conclu avec la société Caves du château, ni d'une rupture fautive de relation commerciale,

- de débouter en conséquence la société Caves du château de toutes ses prétentions,

- en tout état de cause, de condamner la société Caves du château à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient que la société Caves du château ne justifie nullement de sa qualité d'agent commercial puisqu'il n'existe aucun contrat écrit, ni inscription au registre des agents commerciaux.

Il n'existerait aucune note de commission postérieure au 30 septembre 2014 ni preuve quelconque d'un travail commercial concret au profit de la société X à compter de cette date.

La société Caves du château serait seule responsable de la cessation de la relation commerciale qui a pu exister en raison du délaissement de toute activité à compter du dernier trimestre 2014, constitutif d'une faute grave.

Subsidiairement, elle conteste les modalités de calcul de l'indemnité de rupture puisque le niveau de commande n'aurait généré qu'une somme de 7 313,78 euros de droit à commissions pour 2014 et de 8 559,54 euros en 2015.

Enfin, il ne pourrait être fait droit à la demande au titre de l'indemnité de préavis dès lors que la société Caves du château n'a pas interjeté appel du jugement rejetant ce chef de demande.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des faits de l'espèce, des prétentions et moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 aout 2019.

MOTIFS DE LA DECISION :

Compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel principal limité et de l'appel incident, la cour est saisie de l'entier litige.

Selon les dispositions de l'article L. 134-13 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Le contrat d'agent commercial est un contrat consensuel, qui naît du seul accord des parties et sa validité n'est pas subordonnée à la rédaction d'un écrit.

En l'absence d'écrit, il incombe au mandataire qui revendique la qualité d'agent commercial de démontrer qu'il a agi en cette qualité au regard de ses conditions d'exercice ; cette preuve pouvant être rapportée par tous moyens, y compris par échanges des correspondances avec le mandant.

En l'espèce, la société Caves du Château, ayant pour président M. Y, et dont le siège social est situé <adresse>, indique avoir eu la qualité d'agent commercial de la société civile X, par acquisition le 1er janvier 2015 des entreprises individuelles de Mme Z.

La société Caves du Château a effectivement versé au débat le contrat du 18 novembre 2014, à effet au 1er janvier 2015, par lequel Mme Z, agent commercial et négociante, inscrite depuis le 15 mai 2009 au registre spécial des agents commerciaux de Brive et demeurant <adresse>, lui a cédé un fonds de commerce de vins, spiritueux et autres boissons et un portefeuille d'agent commercial.

Elle a en outre communiqué 29 notes de commissions établies par Mme Z, exerçant à l'enseigne Caves du Château, à l'ordre de la société X, concernant des opérations de ventes de vin à l'exportation au profit des clients russes Caudal (de juillet 2006 jusqu'au 3e trimestre 2010) et Winedom (entre le 2e trimestre 2010 et le 3e trimestre 2014).

Toutes ces notes de commissions comportent la mention '' Payé '', avec la date du chèque ; et la société X ne conteste pas la réalité de ces paiements, dont le montant s'élève au total à 145 053 euros entre 2006 et 2014.

En tant que de besoin, le cabinet Fiducial Expertise, comptable de Mme Z, a attesté le 8 décembre 2017 que celle-ci avait perçu de la société civile X, les sommes respectives de 32 968,97 euros, 8 559,54 euros et 7 313,78 euros, au titre des exercices 2012, 2013 et 2014.

Enfin, le 4 décembre 2014, Mme Z a adressé à la société X le courriel suivant :

" Mon mari a dû vous dire que nous étions en train d'explorer le Kazakhstan. Je suis en train de faire des propositions à un importateur d'Alamaty ; je pensais à proposer vos vins. Merci de me dire si vous êtes d'accord et si, dans l'affirmative, je peux utiliser le tarif joint. A moins que vous ne préfériez me passer un tarif 2015 s'il est prêt. "

Mme X a fait la réponse suivante par courriel du 4 décembre 2014, pour le compte des vignobles X :

" Bonjour Madame Z, Merci de bien vouloir présenter mes vins. Le tarif reste valable et sera le même pour 2015, votre commission 7 % est incluse. Le millésime en Bordeaux rouge passera rapidement sur 2014. "

Il est ainsi établi que durant au moins 8 ans, et jusqu'au 31 décembre 2014, Mme Z a été mandataire de la société X, à titre de professionnelle indépendante, pour négocier et conclure à l'export des contrats de vente de vins de Bordeaux, pour l'essentiel auprès de clients de nationalité russe.

Il existait incontestablement un contrat d'agence commerciale entre les deux parties.

Toutefois, la société Caves du Château ne peut valablement soutenir avoir acquis la qualité d'agent commercial de la société X par le seul effet de l'acte de cession du 18 novembre 2014.

Il sera d'abord relevé que l'article 10 du contrat de cession stipule seulement que " le vendeur cède son portefeuille d'agent commercial à l'acquéreur en même temps qu'il lui cède son fonds de commerce ", sans aucune précision ni référence aux contrats d'agence en cours d'exécution.

Mais surtout, il y a lieu de relever que le contrat d'agent commercial, conclu en considération de la personne du cocontractant, ne peut être cédé qu'avec l'accord du cessionnaire et de l'agent commercial.

Or, en l'espèce, il ne ressort nullement des pièces produites que Mme Z ait sollicité l'agrément de la société civile X pour que l'activité d'agence commerciale, qu'elle exerçait jusqu'alors à titre individuel, soit poursuivie à compter du 1er janvier 2015 par son cessionnaire, la SAS Caves du Château, ayant pour président M. Y, président.

Il n'est pas davantage établi que la société X ait accepté tacitement cette cession en cours d'année 2015, ni même qu'elle en ait eu connaissance.

Dans le courriel du 4 décembre 2014, la société X s'adressait à Mme Z et non à la société Cave du château pour lui donner mandat de poursuivre en 2015 son contrat d'agent commercial.

Par courriel du 24 décembre 2015, la société X s'est adressée à Madame et Monsieur Z dans les termes suivants :

" depuis plusieurs années, ma fille est en relation directement avec Winedom. Je vous ai laissé vous en occuper également, comme au début de notre collaboration, tout en vous demandant de travailler nos vins sur d'autres pays ou d'autres importateurs. J'ai bien remarqué cette année que votre volonté n'était pas de développer nos vins. Je vous informe donc que nous arrêtons toute collaboration et que nous continuons seul avec Winedom. "

Le seul fait que ce courriel soit également adressé à M. Z ne peut être considéré comme la preuve d'un agrément tacite et non équivoque de la société Caves du Château comme agent commercial durant l'année 2015.

Au vu des pièces produites, la société Caves du Château n'a adressé aucune correspondance à la société X entre le 1er janvier 2015 et le 28 décembre 2015, date de la lettre recommandée avec accusé de réception dans laquelle elle sollicitait des indemnités de rupture et de préavis, en réponse au courriel adressé le 24 décembre 2015 par la société X. Elle n'a justifié durant l'instance d'aucune activité pour le compte de la société X au cours de l'année 2015.

Il en résulte que la société Caves du Château ne peut revendiquer la qualité d'agent commercial, et qu'elle ne peut donc invoquer le bénéfice des articles L. 134-1 à L. 134-13 du Code de commerce, propres au contrat d'agent commercial, qui constituent le fondement exclusif de ses demandes en paiement de dommages-intérêts et communication sous astreinte des chiffres de vente de la société X à la société russe Winedom pour le 4e trimestre 2015.

Il convient d'infirmer le jugement et de débouter la société X de toutes ses demandes.

Sur les demandes accessoires :

Il est équitable d'allouer à la société X une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Caves du Château doit supporter les dépens d'appel ainsi que ses frais irrépétibles.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Rejette les demandes de la société Caves du château, Y ajoutant, Condamne la société Caves du château à payer à la société X la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Caves du château aux dépens.