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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 octobre 2019, n° 18-01063

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sablière de Vritz (Sasu)

Défendeur :

Cholet Agglos (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Gicquel, Jurasinovic, Beaumier

T. com. Rennes, du 12 déc. 2017

12 décembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La Sasu Sablière de Vritz, anciennement dénommée Orbello Granulats Loire, est spécialisée dans l'exploitation de gravières, de sablières et dans l'extraction d'argiles et de kaolin.

La SAS Cholet Agglos a notamment pour activité la fabrication et la vente de produits agglomérés, en ciment et tous matériaux, servant à la construction.

La société Orbello Granulats Loire et la société Cholet Agglos ont entretenu des relations commerciales depuis 2011.

En 2016, la société Cholet Agglos a cessé de s'approvisionner auprès de la société Orbello Granulats Loire.

S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Orbello Granulats Loire, par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 27 octobre 2016, a mis en demeure la société Cholet Agglos de respecter un préavis de six mois et, par acte extrajudiciaire du 8 mars 2017, elle l'a assignée en dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Le tribunal de commerce de Rennes, par jugement du 12 décembre 2017, a :

- dit que la société Cholet Agglos avait rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Orbello Granulats Loire ;

- dit qu'un préavis de six semaines aurait dû être respecté par la société Cholet Agglos ;

- condamné la société Cholet Agglos à payer à la société Orbello Granulats Loire la somme de 11 270 euros au titre de l'indemnisation de la brutalité de la rupture ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Cholet Agglos aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions du 14 juin 2019, la société Sablière de Vritz, appelante, demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I du Code de commerce ;

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la durée du préavis à six semaines ;

Et statuant à nouveau :

- fixer la durée du préavis à 6 mois ;

- condamner la société Cholet Agglos à lui payer une somme de 45 848,35 euros à titre de dommages-intérêts ;

- condamner la société Cholet Agglos à lui payer une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, entiers dépens en sus ;

Par dernières conclusions au fond du 3 juillet 2018, la société Cholet Agglos prie la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

- débouter la société Orbello Granulats de ses demandes ;

- infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

- dire qu'elle n'a pas rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Orbello Granulats Loire ;

- débouté cette société de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

Subsidiairement, au cas de confirmation du jugement entrepris sur l'existence de la faute qui lui est reprochée ;

- limiter à quinze jours la durée du préavis qu'elle aurait dû respecter, avec les conséquences indemnitaires y afférentes ;

En toutes hypothèses :

- condamner la société Orbello Granulats Loire à lui verser une somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter la charge des entiers dépens.

Par conclusions de procédure du 19 juin 2019, la SAS Cholet Agglos demande à la cour le rejet des conclusions et d'une pièce n° 4 notifiées le 14 juin 2019 par la société Sablière de Vritz, en présence d'une ordonnance de clôture du 18 juin 2019.

Par conclusions en réponse sur incident du 02 septembre 2019 la société Sablière de Vritz demande à la cour de dire que les conclusions et la pièce litigieuses sont recevables.

SUR CE, LA COUR

Sur la recevabilité des conclusions et d'une pièce de la société Sablière de Vritz

En droit, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Il est constant que la pièce n° 4 litigieuse et les dernières conclusions de la société Sablière de Vritz ont été notifiées le vendredi 14 juin 2019, alors que la clôture a été prononcée le mardi 18 juin 2019, conformément à ce qui avait été annoncé aux parties dès le 30 octobre 2018.

La société Sablière de Vritz soutient que les conclusions litigieuses ne comportent aucun moyen nouveau ni prétention nouvelle, mais seulement un nouveau paragraphe venant " simplement expliciter la pièce n° 18 qui met en exergue que la société Cholet Agglos était [son] 3e plus gros client ".

La société Sablière de Vritz fait également valoir que Cholet Agglos ne caractérise en aucun cas les circonstances particulières qui auraient pu l'empêcher de répondre auxdites écritures.

Toutefois, la pièce n° 4 litigieuse apporte un élément nouveau tenant au poids relatif de la société Cholet Agglos dans la clientèle de la société Sablière de Vritz, en la situant parmi les dix meilleurs clients de celle-ci.

Les conclusions litigieuses font état de cette dernière pièce.

Dès lors, il appartenait à la société Sablière de Vritz de communiquer en temps utile cette pièce et l'utilisation qu'elle en a faite à la société Cholet Agglos, pour permettre à celle-ci d'y répondre.

Or, en notifiant les écritures et la pièce moins de deux jours ouvrables avant l'ordonnance de clôture, la société Sablière de Vritz n'a pas permis à la société Cholet Agglos de préparer sa défense sur ce point.

Au demeurant, si le document litigieux, interne à la société Sablière de Vritz, a été édité le 4 octobre 2018, il se fonde sur les chiffres de l'année 2015, et rien n'indique que la société qui le produit n'ait pas pu en disposer plus tôt.

Les conclusions et la pièce litigieuse seront donc écartées des débats.

Par conséquent, les conclusions retenues de la société Sablière de Vritz seront les précédentes, notifiées le 2 octobre 2018, qui contiennent les mêmes demandes que les conclusions écartées.

Sur l'existence d'une rupture brutale

Les moyens soutenus par la SAS Cholet Agglos au soutien de son appel incident contestant toute rupture brutale des relations contractuelles établies avec la Sasu Orbello Granulats Loire, ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

A ces justes motifs, il sera ajouté qu'il est établi, d'après les déclarations des parties et la date du dernier bon de livraison produit par la SAS Cholet Agglos, que les relations commerciales établies depuis 2011 entre les parties ne se sont pas poursuivies après la date du 15 avril 2016 correspondant à la dernière livraison, nulle commande n'ayant plus été passée par la suite auprès de la société Orbello Granulats Loire.

La société Cholet Agglos expose que Monsieur X, dirigeant de l'entreprise Cholet Agglos, avait eu l'occasion d'alerter à de nombreuses reprises la responsable qualité et la responsable commerciale de la société Orbello Granulats Loire des problèmes récurrents de non-respect des tonnages livrés. Elle explique que le sable livré par la société Orbello Granulats Loire était toujours extrêmement humide, de sorte que la société Cholet Agglos achetait un mélange de sable et d'eau pour le prix du sable commandé. Elle indique que consciente de cette difficulté, la responsable qualité de la société Orbello Granulats Loire a offert plusieurs semi-remorques gratuites pour compenser les écarts de marchandise facturée mais non livrée. Elle affirme que les parties se sont entretenues de ce sujet au début de l'année 2016 et qu'un délai de trois mois a été imparti à la société Orbello Granulats Loire pour remédier à la situation. La société Cholet Agglos expose qu'aucune mesure n'ayant été prise par la société Orbello Granulats Loire, 3,8 tonnes de sable ont été facturées à la société Cholet Agglos, sans avoir été livrées. Dans ces conditions, la société Cholet Agglos explique qu'elle n'a eu d'autre choix que de rompre le contrat, la société Orbello Granulats Loire ne respectant pas ses obligations contractuelles.

La société Sablière de Vritz conteste la réalité des manquements contractuels qui lui sont reprochés, affirme que la société Cholet Agglos n'a jamais fait part d'une quelconque difficulté quant aux livraisons, fait valoir qu'il n'a pas été répondu à ses mises en demeure, soutient que nulle pièce ne vient étayer la thèse de la société Cholet Agglos et souligne qu'aucune pesée contradictoire n'a été établie.

La cour, sur ce point, relève que les déclarations des parties concordent s'agissant du rythme des livraisons, qui était de l'ordre de 4 à 5 chargements de 30 tonnes par jour ouvré.

Or, ce rythme quotidien élevé des livraisons vient nécessairement relativiser la gravité des manquements contractuels invoqués par la société Cholet Agglos.

En effet, à supposer démontré que, conformément aux pièces produites par la société Cholet Agglos, entre les mois de février 2016 et avril 2016, 17 bons de livraisons ont été établis par la société Orbello Granulats Loire pour des tonnages inférieurs à ce qui a été effectivement livré, correspondant à une moindre livraison globale de l'ordre de 3,8 tonnes sur la période déjà indiquée, il n'en demeure pas moins que la société Cholet Agglos, qui échoue en toutes hypothèses à démontrer que les moindres livraisons sur la période ont été plus nombreuses que 17, ne peut pas soutenir qu'elle démontre une violation suffisamment grave des obligations contractuelles de la société Orbello Granulats Loire, de nature à ôter tout caractère brutal à la rupture sans préavis des relations commerciales qu'elle a délibérément décidée.

Par conséquent, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu que la rupture avait été brutale.

Sur la durée du préavis qui aurait dû être observé

En droit, la durée du préavis doit être appréciée compte tenu des circonstances particulières des relations commerciales auxquelles il est mis fin.

Alors que la SAS Cholet Agglos ne peut soutenir avoir donné un préavis oral, dès lors qu'il doit nécessairement être écrit, il ne peut davantage être affirmé que dans le cadre d'une relation commerciale dont les livraisons sont faites plusieurs fois par jour, la durée d'amortissement de la rupture est très rapide, de quelques jours voire de quelques semaines, alors qu'elle relèverait d'un temps plus long pour des livraisons à fréquence hebdomadaire ou mensuelle.

La circonstance ci-dessus alléguée par la SAS Cholet Agglos n'est en effet pas propre à réduire la durée de préavis, en ce que la fréquence des livraisons ne peut être invoquée en l'espèce que pour apprécier la durée qui a été nécessaire à la société Orbello Granulats Loire pour retrouver un client ayant des besoins en sable en rapport avec un rythme équivalent de livraisons.

Il est établi, au demeurant, que la société Orbello Granulats n'était pas en état de dépendance économique à l'égard de la société Cholet Agglos, eu égard à la part de son chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec cette société, qui a été (pour les années pleines) de l'ordre de 5 % en 2012, 2013 et 2014 et de l'ordre de 6,8 % en 2015.

Cependant, Mme Y, responsable commerciale de la société Orbello Granulats Loire, atteste que le temps pour " récupérer un client équivalent à la société Cholet Agglos est de minimum un an ", affirme que le nombre de préfabriquants se réduit, fait valoir la rudesse de la concurrence et les difficultés pour faire changer de fournisseur un futur client.

Cette affirmation est partiellement corroborée en l'espèce.

En effet, si la société Cholet Agglos, commentant la pièce adverse n° 2, reconnaît qu'entre 2014 et 2015, la perte d'un autre du client (" Point P ") de la société Orbello Granulats Loire avait déjà causé une perte significative de chiffre d'affaires, il n'est pas contestable, en vertu de ce même document, que l'année de la rupture litigieuse, en 2016, le tonnage global vendu sur le site a encore diminué de 42 690 tonnes au regard de l'année précédente (411 134 tonnes en 2016, contre 453 824 tonnes en 2015).

Au regard du tonnage annuel perdu avec le client société Cholet Agglos, de l'ordre de 30 000 tonnes, sont confirmées les difficultés particulières du secteur d'activité en cause, en particulier pour trouver un client de remplacement équivalent et il doit être retenu que la perte du client Cholet Agglos a eu, sur la société Orbello Granulats Loire, un impact qui n'a pas pu être résorbé en 2 voire 6 semaines seulement.

Au contraire, compte tenu de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur d'affaires concerné et des difficultés propres au secteur d'activité, dans la région considérée, pour retrouver un partenaire, il est démontré que la société Orbello Granulats Loire aurait dû bénéficier d'un préavis de 6 mois, ainsi qu'elle le soutient depuis toujours.

Le jugement entrepris sera donc réformé sur ce point.

Sur le montant de l'indemnité compensatrice

Il est démontré par l'attestation de la directrice générale de la Sasu Orbello Granulats Loire et par l'attestation du commissaire aux comptes de cette société que la marge moyenne brute moyenne dégagée sur six mois avec le client société Cholet Agglos s'évalue à 45 848,35 euros.

Il n'est pas contesté que cette méthode de calcul soit représentative, dans son principe, du préjudice causé par la brutalité de la rupture résultant du non-respect du préavis exigé par la loi.

Par infirmation du jugement entrepris, la SAS Cholet Agglos sera donc condamnée à payer ladite somme à la Sasu Sablière de Vritz.

Sur les mesures accessoires

Le jugement entrepris ayant exactement statué sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile, il sera confirmé sur ces points.

La SAS Cholet Agglos qui succombe en appel sera condamnée aux dépens d'appel et, en équité, elle sera également condamnée à verser à la Sasu Sablière de Vritz une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, telle que précisée au dispositif du présent arrêt.

Par ces motifs LA COUR, Ecarte des débats les conclusions et la pièce n° 4 notifiées par la société Sablière de Vritz le 14 juin 2019, Infirme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a fixé à 6 semaines le préavis qui aurait dû être respecté par la SAS Cholet Agglos, et en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 11 270 euros à la société Orbello Granulats Loire, Statuant de nouveau, Dit que la SAS Cholet Agglos aurait dû respecter un préavis de 6 mois, Condamne la SAS Cholet Agglos à payer à la société Sablière de Vritz une somme de 45 848,35 euros à titre d'indemnité compensatrice de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies, Pour le surplus, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne la SAS Cholet Agglos à payer à la société Sablière de Vritz une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en appel, LA Condamne aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande.