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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 octobre 2019, n° 17-04970

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MC2 Forces Nice (SARL)

Défendeur :

European Society of Cardiology (Association)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard Hermant, M. Gilles

Avocats :

Mes Bellichach, Marotte, Bourdarot

TGI Grasse, du 7 févr. 2017

7 février 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL MC2 Forces Nice est spécialisée dans le secteur d'activité des agences de voyages.

L'association European Society of Cardiology (l'association ESC) est spécialisée dans le secteur d'activité de l'organisation de foires, salons professionnels et congrès.

La société MC2 Forces Nice et l'association ESC ont régularisé un contrat de prestation de services daté des 26 janvier et 2 février 2010, relatif à la gestion des voyages et déplacements professionnels du personnel et de certains membres de l'association ESC, qui prévoit un préavis de trois mois en cas de résiliation.

Par acte du 29 juillet 2013, la société MC2 Forces a assigné l'association ESC en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance de Grasse, alléguant une rupture brutale de leurs relations commerciales résultant d'une baisse de 86 % du volume d'affaires réalisées avec l'association ESC entre 2012 et 2013.

Par jugement du 7 février 2017, le tribunal de grande instance de Grasse a rejeté ses demandes et l'a condamnée à payer à l'association ESC une indemnité de procédure de 3 000 euros et aux dépens.

La société MC2 Forces Nice est appelante de ce jugement suivant déclaration du 8 mars 2017 et par ses dernières conclusions transmises par RPVA le 11 septembre 2017, elle demande à la cour, au visa des articles 442-6 I 5° du Code de commerce et 1134 et 1147 du Code civil, de condamner l'association ESC au paiement :

- d'une somme de 120 097 euros à titre de dommages et intérêts

- d'une indemnité de procédure de 5 000 euros

- et des dépens distraits conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

La société MC2 Forces Nice soutient que :

- ses relations commerciales avec l'association ESC ont débuté en 2004 avec un chiffre annuel de 30 395 euros pour atteindre 886 006 euros en 2012, leur courant d'affaires étant en constante progression, particulièrement entre 2009 et 2012,

- l'association ESC, à compter de l'arrivée d'un nouveau directeur des achats, a déloyalement diminué de 86 % son chiffre d'affaires de 2012 à 2013 avant que le contrat ne soit définitivement résilié à effet du 2 février 2014 et sans dénoncer le contrat, ni au lancement de l'appel d'offre ni à l'issue de celui-ci dont le résultat ne lui a pas été communiqué non plus que les raisons du choix de l'opérateur gagnant,

- son préjudice s'élève à la somme totale de 120 097 euros correspondant à la perte subie, qui doit tenir compte de la progression moyenne du chiffre d'affaire de 2010 à 2012 et de la déloyauté des procédures mises en œuvre par l'association ESC,

- au demeurant, l'association ESC a reconnu sa faute et admis une indemnisation à 12 880 euros.

L'association ESC, intimée, par conclusions transmises par RPVA le 13 juillet 2017 demande à la cour de :

- rejeter les demandes adverses,

- confirmer le jugement entrepris, subsidiairement cantonner l'évaluation du préjudice à la somme de 12 880 euros

- et en tout état de cause, condamner la société MC2 Forces à lui payer une indemnité de procédure de 5 000 qu'aux entiers dépens.

L'association ESC soutient que :

- la société MC2 Forces Nice ne pouvait se prévaloir à son égard que de relations commerciales ponctuelles avant 2010,

- la notification en juin 2012 du lancement de l'appel d'offre pour les prestations réalisées par la société MC2 Forces Nice prive leurs relations commerciales de pérennité à compter de cette date et rend la rupture prévisible,

- la rupture des relations commerciales entre les parties s'est effectuée en deux temps et elle a, à chaque fois, respecté une période de préavis raisonnable soit 3 mois à la suite de la notification de la procédure d'appel d'offres et 6 mois à compter de la notification de résiliation du contrat,

- subsidiairement, le préjudice correspond à la perte de marge brute sur une période de 3 mois correspondant à la durée du préavis dû soit 12 880 euros, correspondant à la marge moyenne mensuelle multipliée par 3 et en tout état de cause, il n'est pas sérieusement établi, la société MC2 Forces Nice ayant varié dans son évaluation, passée d'un million d'euros dans son acte introductif d'instance à 122 779 euros en première instance puis 80 097 euros en appel, outre un préjudice complémentaire arbitrairement fixé à 40 000 euros. .

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ".

Ces dispositions sont applicables en l'espèce, compte tenu de la date de la rupture brutale alléguée, antérieure au 25 avril 2019, date de publication de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce qui, en son article 2, les remplace par les dispositions de l'article L. 442-1 II du même Code.

Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Il est par ailleurs de principe que l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures, sauf à priver le délai de préavis de son intérêt.

Au terme du contrat signé entre les parties les 26 janvier et 2 février 2010, les parties se sont entendues pour faire de la société MC2 Forces Nice " l'agence privilégiée de l'association ESC " (préambule et article 2) et qu'elle assurera la gestion de sa billetterie aérienne et des prestations de voyages dérivées (réservations hôtelières, SNCF, locations de voitures) dont elle a pour obligation (article 1) de mettre en place la logistique, selon le modèle économique appelé " Management Fee " décrit à l'article 3, basé sur la rétrocession de commissions d'un montant unique par type d'opération traitée, le montant défini pour 2010 pour la billetterie aérienne étant de 25 euros HT par billet émis. L'article 4 du contrat précise les conditions générales de vente et selon l'article 5, le contrat est conclu pour une durée d'une année à compter de sa signature soit du 2 février 2010, renouvelable par consentement mutuel des parties par période minimale d'un an, avec une faculté de non-renouvellement au terme de chaque période anniversaire, sauf à prévenir de la rupture par lettre RAR adressée, au plus tard, trois mois avant la date anniversaire du contrat.

Il n'est pas contesté que l'association ESC a informé la société MC2 Forces Nice par courriel du 22 juin 2012 du lancement d'un appel d'offres pour une prestation de " Voyages d'affaires " du type de celle que celle-ci assure pour elle au titre du contrat litigieux, cette prestation étant à effet du 1er janvier 2013, avec choix du prestataire en septembre 2012 et début des négociations contractuelles en octobre 2012.

Il n'est pas en débat non plus que la société MC2 Forces Nice a accusé réception de ce message le 25 juin 2012 et a participé à cet appel d'offres mais n'a pas été retenue.

Enfin, les relations commerciales des parties ont été rompues, conformément à l'article 5 du contrat, suite à la notification de la fin de celles-ci par l'association ESC à la société MC2 Forces Nice, par lettre RAR du 24 juillet 2013, à effet du 2 février 2014.

En cet état, la société MC2 Forces Nice prétend que dès la notification de l'appel d'offres la rupture a été effective et brutale, en arguant d'une baisse de 86 % de son volume d'affaires avec l'association ESC de 2012 à 2013.

L'association ESC soutient quant à elle qu'une baisse substantielle n'est intervenue qu'à compter de décembre 2012 soit à l'issue d'un préavis conforme aux usages compte tenu de la date du contrat et qu'en tout état de cause, elle a résilié le contrat dans les formes et conditions prévues à ce contrat, le 24 juillet 2013.

Il ressort de ces circonstances que, comme l'ont justement relevé les premiers juges, la société MC2 Forces Nice avait pleinement conscience, dès le 22 juin 2012, que ses relations avec l'association ESC étaient remises en cause et que les parties ne parvenaient pas à se mettre d'accord sur les modalités de leur poursuite dans le cadre de l'appel d'offres.

Néanmoins, même si l'association ESC était en droit de mettre en concurrence sa cliente à laquelle elle n'avait accordé aucune exclusivité, elle s'était engagée à en faire sa partenaire privilégiée et ne pouvait, au visa des articles 1134 et 1147, devenu 1240 et 1217 du Code civil, rompre le contrat en examen qu'à sa date anniversaire, selon les formes prévues à son article 5 rappelées plus haut.

Ainsi, si la rupture des relations commerciales entre l'association ESC et la société MC2 Forces Nice ne peut être considérée comme brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dès lors que les circonstances ci-dessus rappelées attestent de l'intention de rupture de l'association ESC, la société MC2 Forces Nice était en droit de voir le contrat maintenu dans les conditions antérieures jusqu'à la date anniversaire du contrat suivant la notification de l'appel d'offres, soit jusqu'au 2 février 2013.

Or, tel n'a pas été le cas.

En effet, il est vrai que les pièces 1 à 4 produites par la société MC2 Forces Nice et destinées à établir le volume d'affaires entre les parties depuis 2004 et son évolution jusqu'en 2013 ne comportent pas la signature alléguée de sa société d'expertise comptable. Elles sont donc dénuées de force probante pour les motifs adoptés des premiers juges (p. 4) en ce qu'elles sont établies par la société MC2 Forces Nice elle-même, sur papier libre et qu'elles sont contestées.

De même, la société MC2 Forces Nice ne justifie pas avoir embauché du personnel dédié au compte de l'association ESC dès lors qu'au vu de son bilan 2011 (pièce 11 ESG) ses charges salariales et l'effectif de son personnel ont baissé entre 2010 et 2011, période pendant laquelle se situe selon elle la plus forte hausse des demandes de l'association ESC, passant de 370 070 euros à 237 313 euros et de 6 salariés à 5, ainsi que celle-ci le fait valoir sans être contredite.

En revanche, son expert-comptable M. X, indique, (pièce 11 MC2), que " sur les années 2011 et 2012, le client " Maison du cœur " représente respectivement 14,44 % et 19,10 % de l'activité totale voyage de l'agence, pour subitement diminué (sic) à 5,31 % en 2013 puis disparaître totalement en 2014 ", ce dont atteste le tableau joint en page 2 de ce document, lequel est également signé.

Il n'est toutefois pas de nature à établir l'évolution mensuelle de ce volume d'affaires en 2012 et en janvier et février 2013, seule susceptible d'établir si ce dernier a effectivement chuté sur la période pertinente du 22 juin 2012 au 2 février 2013.

Cependant, l'association ESC admet une baisse substantielle de commandes à compter de décembre 2012 ce que confirme cette pièce 11 qu'elle ne conteste pas précisément. Elle admet en outre subsidiairement que le préjudice de la société MC2 Forces Nice peut être calculé sur la base des commissions mensuellement payées en 2012, soit 4 293,62 euros au vu de sa pièce 10.

Le préjudice de la société MC2 Forces Nice sera donc évalué à 94,69 % de cette somme en janvier 2013 soit 4 065,63 euros et aucune somme ne pourra lui être accordée pour la période antérieure, faute de tout élément de preuve pertinent, y compris quant au préjudice complémentaire allégué au titre de la déloyauté.

A cet égard, le lancement de l'appel d'offres ne suffit pas à établir cette déloyauté, non plus que le manque d'information à ce sujet, que la société MC2 Forces Nice ne prétend pas avoir sollicité en vain.

Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, l'association ESC, partie perdante doit supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure et l'équité commande de la condamner à ce dernier titre dans les termes du dispositif de la présente décision.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en toutes ses dispositions.

Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; statuant à nouveau, Condamne l'association European Society of Cardiology à payer à la société MC2 Forces Nice la somme de 4 065,63 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant pour elle de la résiliation le 24 juillet 2013 du contrat signé les 26 janvier et 2 février 2010 ; Condamne l'association European Society of Cardiology aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne l'association European Society of Cardiology à payer à la société MC2 Forces Nice une indemnité de procédure de 4 000 euros et rejette toute autre demande.