CA Bordeaux, 4e ch. civ., 21 octobre 2019, n° 17-03742
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M Corporation (EURL)
Défendeur :
I-Immobilier (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chelle
Conseillers :
Mme Fabry, M. Pettoello
FAITS ET PROCÉDURE
La Sarl I-Immobilier, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Libourne (Gironde), où elle a son siège, a débuté son activité le 1er mars 2010, et a pour activité la transaction, la vente, la location de biens immobiliers, le conseil et l'expertise en matière de biens immobiliers. Elle dispose d'un site internet aux adresses " cabinet-i-immobilier.com " et " cabinet-i-immobilier.fr ".
L'Eurl M Corporation, dont le siège est à Mimizan (Landes), immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Mont-de-Marsan le 24 juin 2014, a pour activité déclarée toutes activités liées aux transactions immobilières, la négociation, les transactions, la location de tous biens immobiliers.
Le 7 mars 2016, la société I-Immobilier a adressé à la société M Corporation une mise en demeure de cesser l'exploitation de la dénomination " i-immobilier ", de lui transférer les droits sur le nom de domaine " www.i-immobilier.net " et de l'indemniser des préjudices qu'elle estimait avoir subis.
Les parties n'ont pu trouver d'accord.
Par acte du 18 août 2016, la société I-Immobilier a fait assigner la société M Corporation devant le tribunal de commerce de Bordeaux, en demandant sa condamnation pour concurrence déloyale et parasitisme.
Par jugement du 6 juin 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
Dit la société M Corporation coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société I-Immobilier,
Interdit à la société M Corporation de poursuivre l'utilisation du vocable " I-Immobilier " par tous moyens et sur tous supports, et notamment sur son enseigne commerciale et ses sites internet sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision,
Ordonné à la société M Corporation [de] transférer ses droits à la société I-Immobilier sur le nom de domaine www.i-immobilier.net, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision,
Condamné la société M Corporation à payer la somme de 10 000 euros à la société I-Immobilier en réparation du préjudice moral, 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
Débouté les parties du surplus de leurs demandes,
Ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 22 juin 2017, la société M Corporation a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 7 juillet 2017, le président de chambre délégué par le Premier président, saisi par la société M. Corporation d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la décision dont appel, a arrêté cette exécution provisoire, mais seulement en ce qu'elle ordonnait à la société M Corporation de transférer ses droits sur le nom de domaine www.i-immobilier.net, et a autorisé la société M. Corporation à consigner le montant des condamnations prononcées en faveur de la société I-Immobilier.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions déposées en dernier lieu le 30 août 2017, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société M Corporation demande à la cour de :
Réformer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 juin 2017 par le Tribunal de commerce de Bordeaux.
Condamner la société I-Immobilier à payer à la société M Corporation la somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700.
Réserver le préjudice subi par la société M Corporation en raison de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement du 6 juin 2017.
Condamner la société I-Immobilier aux entiers dépens de l'instance devant la Cour et devant le Tribunal de Commerce.
La société appelante fait notamment valoir que les faits qui lui sont reprochés ne constituent ni des actes de concurrence déloyale, ni des agissements parasitaires, en raison de l'absence d'originalité du signe distinctif revendiqué et l'absence de risques de confusion ; qu'elle n'a pas d'agence physique et ne commercialise que les biens immobiliers de son ressort géographique, à savoir le sud du département des Landes ; que force est de constater de l'examen des annonces figurant sur son site, qu'elle ne cherche pas activement des clients sur le territoire revendiqué par la société I-Immobilier ; qu'il n'y a aucun risque de confusion entre les services proposés par les deux sociétés ; que l'argument de parasitisme soutenu par I-Immobilier se heurte à plusieurs objections ; qu'elle n'exploite un site internet que postérieurement à la création de M Corporation ; qu'elle a fait ses propres investissements sans se placer dans le sillage de I-Immobilier ; que la visibilité comparée sur les réseaux sociaux révèle l'absence de concurrence parasitaire ; que le préjudice d'image invoqué est purement putatif.
Par conclusions déposées en dernier lieu le 26 octobre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société I-Immobilier demande à la cour de :
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bordeaux le 6 juin 2017 en ce qu'il a :
" - Dit la société M Corporation SARL coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société I-Immobilier,
- Interdit à la société M Corporation SARL de poursuivre l'utilisation du vocable " I-Immobilier ", par tous moyens et sur tous supports, et notamment sur son enseigne commerciale et ses sites internet sous astreinte de 50,00 par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision,
- Ordonné à la société M Corporation SARL de transférer ses droits à la société I-Immobilier SARL sur le nom de domaine www.i-immobilier.net sous astreinte de 50,00 par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision,
- Condamné la société M Corporation à payer la somme de 10 000,00 euros à la société I-Immobilier en réparation du préjudice moral,
- Condamné la société M Corporation à payer la somme de 2 500,00 euros à la société I-Immobilier au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- Condamné la société M Corporation SARL aux entiers dépens ".
Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bordeaux le 6 juin 2017 pour le surplus et y ajoutant :
- Dire et juger que le transfert du nom de domaine ainsi que les modifications au RCS ainsi que sur tous supports de communication seront effectués aux frais de la SARL M Corporation et ce pour l'avenir, mais également sur la période couvrant les 5 années antérieures à l'assignation délivrée par la SARL I-Immobilier,
- Condamner la société M Corporation à payer une somme complémentaire de 20 000,00 euros à la société I-Immobilier en réparation de son préjudice moral,
- Condamner la société M Corporation à payer la somme de 4 500,00 euros à la société I-Immobilier en réparation de son préjudice financier,
- Condamner la société M Corporation à payer la somme de 8 000,00 euros complémentaire à la société I-Immobilier au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la société M Corporation aux entiers dépens de l'instance d'appel.
La société intimée fait notamment valoir qu'elle a acquis un titre de propriété sur la dénomination I-Immobilier à titre de dénomination sociale mais également à titre de nom commercial ; que la société M Corporation fait usage à titre de nom commercial et de nom de domaine de la dénomination I-Immobilier antérieurement adoptée par elle ; que cet usage est à la fois un acte de concurrence déloyale et un acte de parasitisme ; que le signe revendiqué ne correspond pas à un assemblage de termes descriptifs ; que la lettre " I " évoque une activité immobilière inventive et innovante et non des services en ligne ; qu'elle n'exerce d'ailleurs pas son activité uniquement sur internet ; que la dénomination n'a aucune signification officiellement reconnue dans la langue française ; que le risque de confusion s'évince de l'identité des termes choisis pour s'identifier à l'égard des tiers ; que le secteur d'activité des deux sociétés est national ; qu'elle a engagé des frais afin de promouvoir et valoriser sa dénomination sociale ainsi que son nom commercial ; qu'elle a offert à sa clientèle un site internet de qualité dès 2010 ; que M Corporation se sert du nom de domaine i-immobilier.net en tant que vitrine pour renvoyer la clientèle potentielle de la société I-Immobilier vers son propre site internet www.immobiliermimizan.fr ; que l'existence du préjudice moral s'induit du procédé utilisé ; qu'elle sollicite une indemnisation de 30 000 euros en raison de l'usage illicite pendant 3 ans ; qu'elle demande une indemnisation de son préjudice financier à hauteur de 50 % de ses investissements.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 septembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
La société I-Immobilier poursuit réparation de préjudices qu'elle estime que lui cause l'utilisation par la société M Corporation de la dénomination " I-Immobilier ", notamment sur Internet, utilisation qu'elle considère constitutive de concurrence déloyale et de parasitisme.
Le tribunal de commerce a jugé que l'utilisation par la société M Corporation dans son nom de domaine du nom commercial de " I-Immobilier " constitue un acte de concurrence déloyale et de concurrence parasitaire.
En conséquence, il a ordonné à la société M Corporation de transférer ses droits à la société I-Immobilier sur le nom de domaine " www.i-immobilier.net ", sous astreinte, et à lui payer 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral.
La société M Corporation, appelante, conclut à la réformation du jugement.
Elle fait valoir l'absence d'originalité du signe distinctif revendiqué, l'absence de risque de confusion, et l'absence de parasitisme.
La concurrence déloyale est un fait fautif qui résulte d'un usage excessif par un concurrent dans la compétition économique, de la liberté de la concurrence, par emploi de tout procédé malhonnête dans la recherche de la clientèle.
L'action en concurrence déloyale est fondée sur les textes généraux de responsabilité civile délictuelle, prévue par les articles 1382 et 1383 du Code civil, devenus articles 1240 et 1241 depuis le 1er octobre 2016.
Le parasitisme, tout comme la confusion, peuvent constituer une forme d'acte de concurrence déloyale.
Les parties débattent d'abord du risque de confusion introduit par l'utilisation par M Corporation du mot " I-Immobilier ", qui est la raison sociale de la demanderesse, comme nom de site internet.
En premier lieu, la confusion consiste dans l'acte d'imitation d'éléments distinctifs d'un concurrent qui est susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle.
En l'espèce, le tribunal de commerce a pu à juste titre considérer que l'appellation " I-Immobilier ", par l'assemblage du nom commun " immobilier " et du préfixe " I- " constituait un caractère distinctif, et non pas un terme générique simplement descriptif de l'activité.
Au surplus, la société M Corporation est mal fondée à prétendre, sans l'établir, que l'appellation n'est que le descriptif de transactions immobilières via internet.
La société I-Immobilier peut alors soutenir sans être utilement démentie que, à travers la lettre " I ", elle entendait promouvoir une activité immobilière innovante et inventive et non pas évoquer des services en lignes.
Elle peut également faire remarquer utilement que la lettre " I " n'est pas la désignation usuelle du commerce sur internet, habituellement désigné comme " E-Commerce " ou " Cyber-commerce ", et que la dénomination " I-Immobilier " est un néologisme sans signification officiellement reconnue.
Par ailleurs, et contrairement à ce qu'écrit M Corporation, la société I-Immobilier ne prétend pas à une exclusivité sur une marque ou un nom commercial, mais exerce une action pour concurrence déloyale.
A cet égard, la société M Corporation fait usage d'une dénomination qui est la reproduction intégrale de la dénomination sociale et du nom commercial de la société intimée.
Il est constant que les deux sociétés exercent dans le même domaine d'activité dans l'immobilier.
Or, le risque de confusion pour la clientèle est établi, dès lors que les deux sociétés exercent leur activité sur Internet, à titre exclusif pour M Corporation, ce qui constitue un mode de communication accessible non seulement sur l'ensemble du territoire national, mais même à l'international.
Dès lors, le fait que I-Immobilier ait son siège en Gironde et M Corporation dans les Landes est indifférent quant au risque de confusion, rien n'interdisant d'ailleurs à chacune de procéder à des transactions immobilières dans le département où l'autre a son siège.
La société M Corporation omet d'expliciter la raison pour laquelle elle a choisi d'utiliser le nom de domaine " www.i-immobilier.net ", de sorte qu'elle ne tente même pas de faire état d'une quelconque bonne foi dans ce choix.
Le grief de concurrence déloyale par imitation d'éléments distinctifs d'un concurrent, susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, est donc établi à l'encontre de la société M Corporation.
En second lieu, le parasitisme est le comportement par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.
En l'espèce, la société I-Immobilier peut faire valoir qu'elle a créé dès 2010 un site internet, pour lequel elle a engagé des frais, et qu'elle a valorisé sa raison sociale, notamment au moyen de flocages sur ses véhicules.
Au contraire, la société M Corporation, qui, comme déjà relevé, ne s'explique pas sur son choix, ne présente aucun lien avec la dénomination " I-Immobilier ", pas plus que n'en présente le réseau Immo-Diffusion auquel elle est affiliée.
La société I-Immobilier peut, sans être démentie, faire valoir que lorsqu'on consulte le site de M Corporation nommé " www.i-immobilier.net ", un renvoi est en réalité fait sur un autre site nommé " www.immobiliermimizan.fr " qui apparaît être le véritable site internet de M Corporation (ses pièces 5), et que, sur le site internet du réseau Immo-Diffusion, au 3 mars 2016, la société M Corporation indique expressément, sous l'identité de son gérant, être " rattaché juridiquement à : agence I-Immobilier " (sa pièce n° 11).
Il résulte de ces éléments que le parasitisme à l'encontre de la société I-Immobilier est caractérisé au sens de la définition ci-dessus, à l'encontre de M Corporation, même si celle-ci a pu par ailleurs faire ses propres investissements,
La concurrence déloyale de M Corporation est ainsi doublement caractérisée par la confusion et le parasitisme à l'encontre de I-Immobilier.
C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a ordonné à M Corporation de transférer à la société I-Immobilier ses droits sur le nom de domaine " www.i-immobilier.net " sous astreinte, et qu'il a accordé des dommages-intérêts à I-immobilier.
La société intimée forme appel incident sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été accordés, en demandant 20 000 euros pour son préjudice moral et 4 500 euros pour son préjudice financier.
Sur ce dernier chef de préjudice, c'est à tort que la société I-Immobilier le calcule à partir de la moitié des investissements dont elle justifie. En effet, ces investissements ne sont en rien perdus ni en totalité ni pour la moitié, et la société ne justifie pas qu'elle aurait connu des pertes financières en raison des agissements de M Corporation. Le jugement rejetant cette demande sera confirmé.
Les dommages-intérêts pour préjudice moral à hauteur de 10 000 euros pour l'usage de sa dénomination sociale pendant trois ans constituent une juste indemnisation au vu des éléments de la cause, et le jugement sera également confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
Partie tenue aux dépens d'appel, la société M Corporation paiera à la société I-Immobilier la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 6 juin 2017, Déboute la société I-Immobilier du surplus de ses demandes, Condamne la société M Corporation à payer à la société I-Immobilier la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société M Corporation aux dépens d'appel. Le présent arrêt a été signé par M. Chelle, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.