ADLC, 28 octobre 2019, n° 19-D-21
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport routier de marchandises
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Florence Leroux, rapporteur, , l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mme Valérie Bros, Mme Catherine Prieto, M. Jean-Yves Mano, M. Fabien Raynaud, M. Christophe Strassel, membres.
L'Autorité de la concurrence (section III),
Vu la décision n° 17-SO-10 du 11 octobre 2017, enregistrée sous le numéro 17/0212F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport routier de marchandises ; Vu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce et notamment son article L. 420-1 ; Vu le procès-verbal de transaction du 26 juin 2019 signé par le rapporteur général adjoint et la société Astre Coopérative en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu le procès-verbal de transaction du 26 juin 2019 signé par le rapporteur général adjoint et la société Astre Commercial en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les décisions de secret d'affaires n° 18-DSA-395, n° 18-DSA-396 et n° 18-DSA-397 du 14 novembre 2018, n° 18-DSA-405 et n° 18-DSA-407 du 19 novembre 2018, n° 18-DSA-444 du 6 décembre 2018 et n° 19-DECR-095 du 13 mars 2019. Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Astre Coopérative et Astre Commercial entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 2 septembre 2019 ; Adopte la décision suivante :
Résumé (1)
L'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport routier de marchandises à la suite de la transmission d'un rapport d'enquête établi par la DGCCRF relatif à des pratiques de répartition de marché mises en œuvre au sein du groupement Astre.
Aux termes de la présente décision, l'Autorité sanctionne le groupement Astre pour avoir mis en œuvre depuis 1997, par l'entremise des sociétés Astre Coopérative et Astre Commercial, une entente horizontale entre ses membres ayant pour objet de se répartir la clientèle sur le fondement d'une obligation de non-concurrence, en violation des articles 101, paragraphe 1 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.
L'obligation de non-concurrence avait pour objet d'interdire aux adhérents du groupement Astre de démarcher les clients référencés par les autres adhérents mais aussi de répondre à des sollicitations émanant de ces clients.
Cette obligation, qui avait pour objectif de cristalliser les positions acquises et donc de répartir les clients entre les transporteurs membres du groupement, s'est tout d'abord manifestée au travers des clauses contenues dans les statuts, le règlement intérieur et la convention d'adhésion d'Astre Coopérative. Après la suppression de ces clauses en mars 2016, l'obligation de non-concurrence a été réinstaurée en matière d'appels d'offres par le biais d'une règle de priorité introduite dès mai 2016 dans le règlement intérieur d'Astre Commercial.
Les sociétés Astre Coopérative et Astre Commercial ont sollicité de l'Autorité le bénéfice de la procédure de transaction, en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce. La mise en œuvre de la procédure de transaction a donné lieu à l'établissement de procès-verbaux de transaction fixant le montant minimal et maximal des sanctions pécuniaires qui pourraient être infligées par l'Autorité.
L'examen des conditions d'éligibilité de la présente affaire à une transaction a soulevé deux questions qui ont dû faire l'objet de clarifications en séance.
Premièrement, la pratique de répartition de clientèle au sein du groupement Astre a perduré après la signature des procès-verbaux de transaction sous la forme d'une règle de priorité prévue par le règlement intérieur d'Astre Commercial.
Si la mise en conformité d'une clause statutaire avec le droit de la concurrence ne constitue pas en soi un engagement susceptible de faire l'objet d'une rétribution dans le cadre d'une transaction, les parties qui s'engagent dans cette voie procédurale se doivent d'apporter des garanties suffisantes, notamment en termes de délais de mise en conformité, pour que la pratique faisant l'objet d'un grief notifié cesse dans les meilleurs délais après la transaction. En l'espèce, ce n'est qu'après avoir sollicité et obtenu, en séance, des représentants des entreprises mises en cause des éléments sur les circonstances et le délai dans lequel les modifications statutaires envisagées interviendraient, que le Collège a considéré que les conditions d'éligibilité de l'affaire à une transaction étaient remplies.
Deuxièmement, Astre Commercial et Astre Coopérative ont développé des arguments relatifs à leur capacité contributive postérieurement à la signature des procès-verbaux de transaction.
En acceptant une transaction, les parties ont par principe estimé que les fourchettes de sanction définies dans leurs procès-verbaux de transaction respectifs étaient compatibles avec leur situation financière. Elles ne peuvent donc soutenir ensuite que l'application de sanctions dans les limites de ces fourchettes serait incompatible avec leur capacité contributive, sauf à ce que celle-ci se soit dégradée postérieurement à la signature des procès-verbaux de transaction.
Aussi, ce n'est qu'après avoir reçu confirmation solennelle, en séance, des représentants d'Astre Coopérative et d'Astre Commercial de son plein accord avec la procédure de transaction et son acceptation, en toute connaissance de cause, des conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire pouvant être prononcée par l'Autorité, que le collège a considéré que les conditions relatives à la procédure de transaction étaient réunies en l'espèce.
De surcroît, et en tout état de cause, conformément à une pratique décisionnelle constante de l'Autorité, le préjudice d'une association d'entreprises doit être apprécié en prenant en compte la situation de ses membres, lorsque les intérêts objectifs de l'association ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent.
En effet, et dans la négative, si la capacité contributive des associations d'entreprises était appréciée sans qu'il soit tenu compte des moyens financiers de leurs membres, l'Autorité ne pourrait conférer un caractère suffisamment dissuasif aux sanctions infligées à des entreprises qui, anticipant le risque de sanction pécuniaire assise sur leurs capacités financières propres, constitueraient à cette seule fin une association d'entreprises à laquelle une part seulement de leurs ressources serait alloué.
L'Autorité a estimé qu'il y avait lieu de prononcer une sanction pécuniaire de 1 300 000 euros à l'encontre de la société Astre Coopérative et de 2 500 000 euros à l'encontre de la société Astre Commercial, montants compris dans les fourchettes qui figurent dans les procès-verbaux de transaction.
I. Constatations
1. Seront successivement présentés la procédure (A), le secteur d'activité et les acteurs concernés (B), les pratiques relevées (C) et le grief notifié (D).
A. LA PROCÉDURE
2. Par décision n° 17-SO-10 du 11 octobre 2017, l'Autorité de la concurrence (ci-après, " l'Autorité ") s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport routier de marchandises.
3. Cette saisine d'office, enregistrée sous le numéro n° 17/0212 F, fait suite à la transmission d'un rapport d'enquête établi par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après, " DGCCRF ") dénonçant des pratiques de répartition de marché mises en œuvre au sein du groupement Astre.
4. Le 12 avril 2019, le rapporteur général a adressé aux sociétés Astre Coopérative et Astre Commercial une notification de griefs portant sur des pratiques prohibées au titre du paragraphe 1 de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après, " TFUE ") et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
B. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ ET LES ACTEURS CONCERNÉS
1. LE SECTEUR DU TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES
5. Le transport routier de marchandises consiste en l'acheminement, par la route et en général par camion, de produits de diverses natures (biens manufacturés, produits agroalimentaires, matériaux de construction, etc.) et sous différentes formes (par lot, en vrac solide ou liquide, sous température dirigée, etc.).
6. Le transport routier de marchandises se distingue des activités de messagerie et de fret express. En effet, les opérateurs de messagerie et d'express transportent des colis de petite taille ou de taille moyenne et recourent à des structures en réseau, ce qui nécessite de nombreuses opérations de groupage et de dégroupage et donc d'investir dans des plateformes logistiques sur l'ensemble du territoire. Le transport routier de marchandises proprement dit concerne quant à lui des lots complets ou semi-complets qui sont transportés directement d'un point à un autre sans rupture de charge. Un tel mode de transport n'exclut pas le transfert du fret d'un opérateur à un autre en cours de trajet. Toutefois, les lots transportés sont déchargés et chargés tels quels et ne font pas l'objet d'un tri supplémentaire.
7. Les pratiques analysées dans le cadre de la présente affaire concernent le transport routier de marchandises au sens strict.
8. Une entreprise peut prendre en charge elle-même l'acheminement de ses marchandises, ce qui correspond au transport pour compte propre. Cette pratique est couramment répandue dans la construction ou le secteur agricole. Une société peut également externaliser cette fonction auprès d'un spécialiste du transport routier. Cette prestation correspond alors au transport pour le compte d'autrui, qui prédomine largement puisqu'elle représentait en 2018 76,1 % du trafic routier de marchandises sous pavillon français.
9. L'activité de transport routier de marchandises de la flotte française est essentiellement centrée sur le marché intérieur puisque 93 % du transport routier de fret sous pavillon français a été effectué exclusivement sur le territoire national en 2018. Cette part s'est accrue au cours des dernières années, principalement en raison de l'abandon de l'international par les opérateurs français.
10. En 2016, le secteur du transport routier de marchandises en France a généré un chiffre d'affaires de 45,4milliards d'euros.
2. LES ACTEURS DU SECTEUR DU TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES
a) Les principaux opérateurs
11. En France, le secteur du transport routier de marchandises est très atomisé avec plus de 33 500 entreprises, dont plus de 83 % de TPE employant moins de 10 salariés. Depuis quelques années, la tendance est toutefois à la concentration, 18 % des groupes de transport réalisant désormais 75 % du chiffre d'affaires global du secteur.
12. Parmi les acteurs les plus importants en termes de chiffre d'affaires et de nombre de véhicules, figurent les grands groupes de transports généralistes, tels que XPO Logistics et Geodis. Ces transporteurs ont le statut de commissionnaire de transport qui leur permet de proposer à leurs clients une prestation globale pour l'ensemble de leurs transports, en ayant ensuite recours à des sous-traitants.
13. Viennent ensuite les groupements de PME, qui recherchent une mutualisation des flux afin d'optimiser le remplissage des camions et de limiter les retours à vide de leurs adhérents. Ce modèle s'est développé dans les années 1960 pour permettre à des entreprises de taille limitée-généralement actives sur un marché local -de se réunir afin de pouvoir répondre à des commandes plus importantes et de couvrir un plus large territoire. Ces groupements adoptent généralement le modèle coopératif qui permet notamment aux entreprises concernées de procéder à des achats en commun et de transférer du fret entre elles. Toutefois, au sein de ces groupements, chaque transporteur demeure une société indépendante.
14. La plupart des groupements sont généralistes (Astre, Tred Union, Flo), même si certains sont spécialisés (France Benne pour le transport de vrac, France Plateau pour le transport par plateaux).
b) Le groupement Astre
15. Avec près de 400 implantations situées dans 12 pays de l'Union européenne, le groupement Astre se présente comme le premier groupement européen de transport et de logistique (2).
16. Astre est structuré autour de deux entités.
17. La première est la société Association des transporteurs européens (ci-après, " Astre Coopérative ") qui veille au respect des règles internes du groupement, recrute de nouveaux adhérents et propose des services et des outils pour les adhérents (mutualisation des achats, organisation de manifestations, ...). Fondée en 1992, Astre Coopérative est une société anonyme coopérative détenue au 31 décembre 2017 par [100 - 200] actionnaires qui ont signé une convention d'adhésion (ces actionnaires étant dénommés " astriens ") (3). Sur ces [100 - 200] astriens, la grande majorité est constituée d'entreprises localisées en France (4).
18. La seconde est la société par actions simplifiée Astre Commercial, créée en 1998, qui commercialise les services de transport et de logistique des membres du groupement en répondant aux consultations et appels d'offres de clients grands comptes. Astre Commercial, qui agit en qualité de commissionnaire de transport, sert d'intermédiaire entre les transporteurs adhérents et les clients grands comptes. Astre Commercial intervient également pour l'optimisation du transport de palettes dans le cadre du système d'exploitation " Palet System". Son capital est détenu par Astre Coopérative et la grande majorité des astriens. Au 31 décembre 2017, Astre Coopérative détenait [...] % d'Astre Commercial, le reste étant détenu par [100 - 200] astriens (5).
19. En 2017, Astre Coopérative et Astre Commercial ont respectivement généré des chiffres d'affaires de 5,6 millions d'euros et 75,2 millions d'euros (6). Les astriens ont, quant à eux, généré un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros en janvier 2017 (7).
C. LES PRATIQUES CONCERNÉES
20. Les comportements relevés concernent l'introduction dans le règlement intérieur, les statuts et la convention d'adhésion d'Astre Coopérative de clauses instaurant une obligation de non-concurrence entre astriens (1) dont la mise en œuvre a été effective (2). Si ces mêmes clauses ont été formellement supprimées en mars 2016, des comportements identiques ont néanmoins perduré, tandis qu'une nouvelle règle de priorité a été instaurée chez Astre Commercial dès mai 2016 (3).
1. LES CLAUSES D'ASTRE COOPÉRATIVE INSTAURANT UNE OBLIGATION DE NON- CONCURRENCE ENTRE ASTRIENS
21. De janvier 1997 à mars 2016, plusieurs documents d'Astre Coopérative ont contenu des stipulations conduisant à établir une obligation de non-concurrence entre les astriens.
22. Premièrement, l'article 2.3.3 du règlement intérieur d'Astre Coopérative visait à empêcher les astriens de se concurrencer sur leur propre clientèle appelée " clients référencés " (8). Cet article posait en effet une " obligation de non-concurrence " rédigée dans les termes suivants : " En devenant Astrien, chaque membre d'ASTRE COOPERATIVE s'interdit tout démarchage de clients des Actionnaires ASTRE et des Astriens en période probatoire ainsi que des sociétés portant la marque ASTRE (ex : ASTRE COMMERCIAL) et plus particulièrement l'émission de propositions tarifaires concurrentes. Les informations concernant ces clients sont disponibles sur le SIG à la rubrique : " clients référencés ". Cette liste est établie et actualisée directement par les Astriens et sous leur responsabilité et concerne tous leurs clients ayant une importance certaine pour leur activité. Dans le cas de client commun, (par exemple un groupe) toute action commerciale devra être précédée d'une information et d'un accord des autres prestataires référencés chez ce client " (9).
23. Cette obligation de non-concurrence reposait elle-même sur une obligation de déclaration des clients référencés :
- en vertu de l'article 2.2.8 du règlement intérieur d'Astre Coopérative, les astriens s'obligeaient à " participer à la collecte et à la diffusion d'informations relatives à la clientèle propre aux astriens afin d'éviter une concurrence involontaire dans le cadre de démarches commerciales " (10) ;
- en vertu de l'article 2.3.4 du même règlement, les astriens devaient communiquer à Astre Coopérative, au minimum une fois par semestre, la liste des clients référencés (11) ;
- en vertu de l'article 7 de la convention d'adhésion d'Astre Coopérative, " Afin de préserver son portefeuille client, l'adhérent partenaire s'oblige à déclarer ceux-ci dans le module " clients référencés " du SIG. Seuls les clients avec lesquels l'adhérent réalise des prestations sont à déclarer " (12).
24. Deuxièmement, en vertu de l'article 2.3.3 du règlement intérieur d'Astre Coopérative, le non-respect de l'obligation de non-concurrence entraînait " automatiquement une procédure pouvant aller jusqu'à l'exclusion du fautif, sans préjudice de toute demande de dommages et intérêts ". En effet, l'article 2.1.2 de ce règlement mettait en place un label pour les astriens actionnaires d'Astre Coopérative qui pouvait être suspendu ou retiré en cas de manquement de son titulaire au règlement (13). Dans la mesure où l'obligation de non-concurrence faisait partie intégrante du règlement intérieur, son non-respect pouvait donner lieu à des sanctions.
25. L'obligation de non-concurrence s'appliquait non seulement aux astriens actionnaires d'Astre Coopérative mais aussi aux astriens en période probatoire et aux astriens sortants.
26. En effet, l'assujettissement des astriens en période probatoire à l'obligation de non-concurrence tenait à la circonstance que le règlement intérieur d'Astre Coopérative et les obligations qu'il renferme s'imposent selon ses propres termes " à tous les astriens " (14). En contrepartie, les membres en période probatoire pouvaient se prévaloir de l'obligation de non-concurrence vis-à-vis de leurs propres clients, comme indiqué par l'article 2.3.3 du règlement intérieur mentionné ci-dessus. Sur ce point, l'article 2.1.5 de ce règlement prévoyait que " les astriens en période probatoire doivent, s'ils veulent être protégés, déclarer leurs clients de la même manière " (15).
27. De même, les astriens sortants étaient également tenus de respecter l'obligation de non-concurrence en vertu du règlement intérieur et des statuts d'Astre Coopérative. Selon l'article 3.3 du règlement intérieur d'Astre Coopérative, " l'Actionnaire sortant s'interdit pendant un an à compter de la date de prise d'effet de sa démission ou de son exclusion, toute concurrence dans les termes de l'article 2.3.3. du présent règlement intérieur " (16). De même, selon l'article 14 des statuts d'Astre Coopérative, " l'associé qui cessera de faire partie de la coopérative, pour quelque cause que ce soit, s'interdira, sauf dérogation expressément accordée par le conseil d'administration, d'accepter ou de provoquer des ordres directement ou indirectement de la part de clients des associés de la coopérative existant au moment de son départ et dont la liste lui sera remise lors de son départ, le tout sous peine de dommages-intérêts et du droit pour la coopérative pour le compte des associés de faire cesser l'infraction. Cette interdiction ne s'appliquera pas pour les clients qui étaient les propres clients de l'associé avant de devenir ceux des autres associés de la coopérative. Cette restriction est limitée à une durée d'un an et couvre le territoire de la communauté européenne " (17).
2. LA MISE EN œUVRE DES CLAUSES INSTAURANT UNE OBLIGATION DE NON-CONCURRENCE
28. L'obligation de non-concurrence entre astriens a fait l'objet d'une mise en œuvre effective au sein du groupement Astre.
29. En premier lieu, les astriens ont déclaré un nombre significatif de " clients référencés " couverts par l'obligation de non-concurrence.
30. Ainsi, en février 2015, le groupement Astre a communiqué à l'un de ses anciens adhérents une liste de clients référencés classés par départements qui identifiait (9) 185 clients référencés en Europe, dont 7 553 clients référencés en France (18). Ce fichier contenait des données indiquant, généralement pour chaque client référencé, le chiffre d'affaires réalisé avec celui-ci et la période durant laquelle le client était réservé.
31. L'examen de ce fichier permet de constater que certains clients étaient réservés sur des périodes particulièrement longues, pouvant aller jusqu'à 7 ans (de 2008 à 2015). En outre, si l'article 2.3.3. du règlement intérieur d'Astre Coopérative prévoyait que seuls les "clients ayant une importance certaine pour l'activité " pouvaient être référencés, il a été constaté que certains clients mentionnés sur ce fichier étaient réservés malgré un chiffre d'affaires très limité (inférieur à 10 000 euros).
32. En deuxième lieu, la liste de clients référencés a donné lieu à des interdictions de démarchage et d'émission de propositions tarifaires après une sollicitation d'un client.
33. À titre d'exemple, un adhérent du groupement Astre a reçu un courriel du représentant d'un astrien, également président d'Astre Coopérative entre 2006 et 2014, lui demandant de se retirer d'un dossier, au motif qu'il s'agissait d'un de ses clients référencés (19) : " En aucun cas, un astrien ne peut se prévaloir de récupérer le client référencé d'un autre astrien sans son aval avec ou sans problème de qualité. Tu n'as pas notre aval et tu ne l'as jamais sollicité au préalable " (20). La nécessité d'obtenir l'accord de l'astrien titulaire pour répondre à des sollicitations de clients référencés revient à poser un principe d'interdiction de telles réponses (l'exception résultant de l'accord de l'astrien titulaire).
34. La représentante d'un adhérent du groupement Astre a ainsi confirmé que : " Si un adhérent veut démarcher un nouveau client, il doit d'abord consulter l'intranet pour s'assurer que ce client n'est pas référencé [...] De même, si un client contacte un astrien, celui-ci doit d'abord vérifier si ce dernier est référencé " (21).
35. En troisième lieu, la liste des clients référencés a été utilisée pour limiter la diffusion des appels d'offres au sein du groupement Astre.
36. Sur ce point, une assistante commerciale d'Astre Commercial a déclaré : " À l'époque, quand nous avions connaissance du fait qu'il s'agissait d'un client référencé pour un adhérent, nous appelions l'adhérent et lui demandions s'il travaillait toujours sur une ou plusieurs lignes avec le client. Si c'était le cas, nous ne diffusions pas l'appel d'offres " (22).
37. La liste de clients référencés était donc vérifiée par Astre Commercial et utilisée pour filtrer les appels d'offres à diffuser aux adhérents.
38. En quatrième lieu, des mécanismes de surveillance ont été mis en œuvre pour rassurer le respect des obligations de déclaration et de non-concurrence.
39. S'agissant des mécanismes de surveillance, un adhérent a déclaré : " on se faisait rappeler à l'ordre si nous ne déclarions pas de clients " (23).
40. En outre, les astriens pouvaient saisir le comité d'éthique d'Astre Coopérative pour assurer le respect de l'obligation de non-concurrence. Les services d'instruction ont constaté quatre cas ayant donné lieu à une saisine de ce comité pour donner un avis sur un manquement d'un astrien à l'obligation de non-concurrence (24).
41. Au-delà de ces saisines effectives, il convient de souligner que des saisines du comité d'éthique ont pu également être envisagées pour faire respecter l'obligation de non-concurrence. Ainsi, le procès-verbal du conseil d'administration d'Astre Coopérative du 4 février 2015 indique que : " les membres du conseil [...] relèvent de nombreuses agressions commerciales sur les membres de la région ouest mais également sur le département de l'Aisne. Les membres du conseil veulent avertir la société (...) que si de telles pratiques devaient perdurer, alors ils saisiraient le comité d'éthique " (25).
42. En cinquième lieu, des mécanismes de sanction ont été utilisés pour assurer à la fois le respect de l'obligation de déclaration de clients référencés et celui de l'obligation de non-concurrence, et ce à plusieurs reprises.
43. En ce qui concerne l'obligation de déclaration de clients référencés, le comité d'éthique d'Astre Coopérative a envisagé de sanctionner l'un de ses adhérents pour y avoir manqué (26).
44. En ce qui concerne l'obligation de non-concurrence, l'article 2.3.3. du règlement intérieur d'Astre Coopérative prévoyait que son non-respect entraînait "automatiquement une procédure pouvant aller jusqu'à l'exclusion du fautif, sans préjudice de toute demande de dommages et intérêts " (27).
45. Chaque astrien disposait d'un " label " de 12 points qui pouvaient être retirés en cas de non-respect des obligations prévues par le règlement intérieur, en particulier l'obligation de non-concurrence (28).La perte de la totalité des points entraînait le retrait du label et l'exclusion du groupement Astre : "Le retrait définitif du label entraîne l'arrêt immédiat de la totalité des services de toutes les sociétés du Groupement ASTRE et l'obligation d'enlever les logos sur les véhicules ainsi que sur l'ensemble des documents commerciaux et ce dans un délai de deux mois maximum à compter de la notification sous peine de dommages et intérêts " (29).
46. Selon l'article 2.7 du règlement intérieur d'Astre Coopérative, le retrait de points se traduisait en outre par des pénalités financières à hauteur de 250 le point (30).
47. Ces sanctions, prévues par le règlement intérieur d'Astre Coopérative, ont été effectivement mises en œuvre par le conseil d'administration. Les services d'instruction ont relevé six cas ayant donné lieu à des sanctions, qui sont allés de la perte de points accompagnée de pénalités financières jusqu'à l'exclusion du groupement Astre :
- le 4 octobre 2016, le conseil d'administration, suivant la proposition du comité d'éthique, a retiré10 points du label d'un adhérent et l'a condamné à payer une amende de 5 000 euros pour avoir manqué à son obligation de non-concurrence vis-à-vis d'un autre astrien sur trois dossiers commerciaux (31) ;
- le 5 mai 2010, le conseil d'administration a examiné un différend concernant un appel d'offres lancé par un client commun à deux astriens. Ces derniers avaient répondu à l'appel d'offres sans se concerter préalablement, ce qui leur a été reproché expressément : " Les Transports A...et les Transports B...sont fautifs de ne pas avoir cherché à s'accorder sur la réponse à apporter à cet appel d'offres " (32). Se fondant sur un rapport du comité d'éthique, le conseil d'administration a rappelé les stipulations de l'article 2.3.3 du règlement intérieur qui prévoyait que : "dans le cas d'un client commun(par exemple un groupe), toute action commerciale devra être précédée d'une information et d'un accord des autres prestataires référencés chez ce client " et a considéré que : "La société B..., par sa présence et le courant d'affaires réalisé avec le site [...] peut être considéré comme détenteur majoritaire des flux départs de ce client qu'elle a référencé. La société A...ne pouvait pas l'ignorer et a délibérément transgressé une règle fondamentale du Groupement ASTRE. Les transports B... ne sont pas exempts de reproches car, ils n'ont, eux non plus, à aucun moment cherché à se rapprocher des transports A...afin de connaître leurs intentions. A leur décharge toutefois, on peut considérer que le volume d'affaires réalisé leur donnait la légitimité nécessaire sur ce site et que le respect des règles du Groupement leur laissait penser être à l'abri d'une agression astrienne " (33). Le 7 juillet 2010, le conseil d'administration a sanctionné la société A...en lui retirant 10 points sur 12 de son label et en lui infligeant des pénalités financières (1 500 euros en sus des frais de déplacement des membres du comité d'éthique). Cet exemple permet de comprendre, en outre, comment s'articulait l'obligation de non-concurrence lorsqu'un client était référencé par deux entreprises au sein du groupement Astre ;
- le 4 décembre2012, le comité d'éthique s'est prononcé sur un différend opposant deux astriens, le premier reprochant au second d'avoir travaillé avec un de ses clients référencés. Un membre du comité d'éthique a souligné que " la règle chez ASTRE est de ne pas prendre un client référencé, (...). L'agression commerciale chez ASTRE est un fait grave " (34). Le comité d'éthique a demandé une sanction consistant en un retrait de 6 points du label de l'astrien concerné ;
- le 9 avril 2014, le conseil d'administration a sanctionné un astrien pour avoir noué une relation commerciale avec un client réservé par un autre astrien. Le conseil d'administration a suivi l'avis du comité d'éthique qui préconisait un retrait de 11 points sur le label pendant 12 mois avec une sanction financière de 2900 euros (35) ;
- le 7 janvier 2015, le conseil d'administration a sanctionné un astrien pour avoir remporté l'appel d'offres d'un client réservé par un autre astrien (36). Le conseil d'administration a suivi l'avis du comité d'éthique qui préconisait un retrait de 9 points du label, le paiement d'une amende de 4 250 euros et le retrait potentiel de 3 points supplémentaires du label à compter du 11 mars 2015 si un accord amiable n'était pas trouvé à cette date entre les deux astriens. Afin d'éviter de se voir retirer les trois derniers points de son label et d'être exclu du groupement, l'astrien concerné a proposé une indemnité financière de 4000 euros à l'adhérent qui se plaignait d'une agression commerciale sur un de ses clients référencés (37) ;
- le 4 février 2015, le conseil d'administration a prononcé l'exclusion d'un astrien pour avoir travaillé avec un client référencé par un autre adhérent. Une pénalité financière de 5100 euros a également été appliquée à l'encontre de l'astrien exclu (38).
48. Ainsi, des mécanismes de sanction ont été utilisés pour assurer à la fois le respect de l'obligation de déclaration des clients référencés et celui de l'obligation de non-concurrence, et ce à plusieurs reprises.
3. LA POURSUITE DE LA PRATIQUE DE NON-CONCURRENCE MALGRÉ LA SUPPRESSION DES CLAUSES INSTAURANT UNE TELLE OBLIGATION
a) La suppression des clauses instaurant une obligation de non-concurrence
49. Le groupement Astre, après avoir fait l'objet d'une enquête de la DGCCRF, s'est engagé vis-à-vis de cette dernière à " procéder, par précaution, à des modifications et suppressions de clauses qui pouvaient paraître excessives en première analyse, et en particulier la clause de non-concurrence relevée dans les procès-verbaux d'enquête " (39).
50. Le 6 janvier 2016, le conseil d'administration d'Astre Coopérative s'est réuni afin de modifier son règlement intérieur pour " mettre ledit Règlement Intérieur en conformité avec le droit de la concurrence " (40). Ont ainsi été supprimés :
- les articles 2.1.5, 2.2.8, 2.3.3 et 3.3,
- les termes " des réponses communes aux appels d'offres " et " des actions régionales grands comptes " figurant précédemment à l'article 2.1.4.4, et
- le terme " listes de clients référencés " figurant précédemment dans l'annexe 4 relative à l'Éthique du groupement (41).
51. Le 26 janvier 2016, un huissier a constaté la suppression de l'onglet du site Intranet d'Astre listant les clients référencés (42).
52. Le 23 mars 2016, l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire d'Astre Coopérative a ratifié les modifications décidées par le conseil d'administration le 6 janvier 2016 et a également supprimé l'article 14 des statuts (43).
b) Le maintien d'une pratique de non-concurrence
53. Si les clauses qui instauraient une obligation de non-concurrence entre astriens ont bien été supprimées au début de l'année 2016, cette pratique a néanmoins perduré pour une partie de l'activité du groupement.
54. Premièrement, sous le contrôle d'Astre Commercial, la pratique générale consistant à ne pas démarcher un client d'un autre astrien s'est poursuivie en matière d'appels d'offres, comme en attestent les deux exemples suivants :
- le 18 novembre 2016, une assistante commerciale d'Astre Commercial a relayé un appel d'offres de la société C...aux astriens puis leur a demandé de ne pas y répondre au motif que le flux concerné était déjà assuré par un autre astrien (44) ;
- le procès-verbal du conseil d'administration d'Astre Commercial des 11 et 12 janvier 2017 a indiqué au sujet d'un appel d'offres lancé par D...que : " AO D... : Perte d'environ 450K sur les 1 400K , attention à ne pas répondre aux sollicitations des Commissionnaires au départ de Châtres vers l'Ouest de la France [...] " (45). L'alerte, qui figure dans le procès-verbal ne s'adressait pas seulement aux astriens ayant répondu à l'appel d'offres, mais visait l'ensemble des adhérents. Elle avait donc pour objectif d'éviter que des astriens démarchent un ancien client d'un autre adhérent, comme si ce client était toujours référencé.
55. Deuxièmement, une règle de priorité a été instaurée par l'article 2.2.12 du règlement intérieur d'Astre Commercial en mai 2016, soit quelques mois seulement après la suppression des clauses de non-concurrence.
56. Plus précisément, l'article 2.2.12 prévoit deux cas de réponse aux appels d'offres :
- celui où un astrien apporte à Astre Commercial un appel d'offres portant sur un client qui a besoin de s'associer à d'autres transporteurs pour satisfaire les besoins exprimés ;
- celui où Astre Commercial lance un appel d'offres émanant d'un client avec lequel un ou plusieurs Astriens sont déjà en relation (46).
57. Ce second cas est le plus fréquent, comme indiqué par le représentant d'Astre Coopérative et d'Astre Commercial : " Les appels d'offres émanent de manière quasi systématique des clients ou prospects " (47).
58. Or, dans ce second cas, l'article 2.2.12 instaure une règle de priorité : " Afin d'assurer la cohésion du Groupement, il convient autant que possible de ne pas imposer l'intervention d'un Astrien sur un marché sur lequel un autre Astrien intervient déjà, ce dernier ayant l'avantage de connaître le client et pouvant ainsi apporter des éléments positifs dans le cadre de l'élaboration de l'offre. Cette priorité ne peut toutefois pas jouer si des offres sensiblement plus compétitives ont été émises ou si le client a indiqué ne plus vouloir traiter avec l'Astrien concerné ".
59. Astre a expliqué que ce type d'appels d'offres n'était diffusé qu'à un nombre limité d'astriens considérés comme étant les mieux placés pour soumissionner (48) : " Si des Astriens déclarent leur intérêt en faisant état de leur expérience du dossier :
- Astre Commercial contacte les Astriens concernés pour connaître leur champ d'action, le mode opératoire de conduite de cet appel d'offres et leur souhait de devenir chef de file (ou " CDF ") ;
- Astre Commercial diffuse l'appel d'offres à ces Astriens, qui sont les mieux à même d'y répondre ;
- Le Chef de file réalise un arbitrage entre les offres reçues des Astriens intéressés " (49).
60. Ainsi, lorsqu'un appel d'offres émane d'un client travaillant déjà avec des astriens, Astre Commercial ne diffuse cet appel d'offres qu'à ces derniers. Dans les faits, la règle de priorité bénéficie, en raison de la limitation de la diffusion des appels d'offres, aux astriens expérimentés.
61. La pratique consistant à limiter la diffusion des appels d'offres en raison d'une déclaration d'expérience a porté sur environ [...] % de la totalité des appels d'offres en 2017 (50).
D. LE GRIEF NOTIFIÉ
62. Le rapporteur général a notifié le 12 avril 2019 aux sociétés Astre Coopérative et Astre Commercial le grief suivant : " Il est fait grief à la société Astre Coopérative (RCS Versailles n° 387 681 711,) pour la période du 1er janvier 1997 au 23 mars 2016, et à la société Astre Commercial (RCS Evry n° 420 385 403), pour la période du 1er octobre 1998 à aujourd'hui, en raison de leur participation directe, d'avoir, dans le secteur du transport routier de marchandises, mis en œuvre une entente visant à répartir la clientèle entre les astriens sur le fondement d'une obligation de non-concurrence. Une telle pratique est prohibée par les articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LA MISE EN œUVRE DE LA PROCÉDURE DE TRANSACTION
63. Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose : " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l'organisme ou l'entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l'Autorité de la concurrence, qui entend l'entreprise ou l'organisme et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I dans les limites fixées par la transaction ".
64. Astre Commercial et Astre Coopérative ont sollicité l'application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce auprès du rapporteur général de l'Autorité, qui leur a soumis une proposition de transaction.
65. Par procès-verbaux du 26 juin 2019, Astre Commercial et Astre Coopérative ont renoncé à contester la réalité du grief qui leur a été notifié et ont donné leur accord à une proposition de transaction définissant les limites de la sanction pécuniaire pouvant leur être infligée (51).
66. L'examen des conditions d'éligibilité de la présente affaire à une transaction par le Collège a soulevé deux questions qui ont dû faire l'objet de clarifications en séance.
67. Premièrement, la notification de griefs indique que la pratique de répartition de clientèle au sein du groupement Astre perdure sous la forme d'une limitation de la diffusion des appels d'offres en application de l'article 2.2.12 du règlement intérieur d'Astre Commercial.
68. Alors que la cessation de la pratique litigieuse impliquait la modification de cette clause, les observations écrites relatives à la détermination de la sanction pécuniaire déposées par les parties le 22 août 2019 ne donnent aucune indication sur les moyens qu'ils entendent mettre en œuvre pour y procéder.
69. Le 28 août 2019, Astre Commercial et Astre Coopérative ont transmis à l'Autorité une version modifiée de la clause litigieuse, mais n'ont apporté aucune précision sur le calendrier d'adoption de ce projet de clause et son entrée en vigueur.
70. Ces incertitudes quant à la volonté réelle des parties de modifier de façon diligente la clause, dont elles ne contestent pas la qualification anticoncurrentielle, ont conduit le Collège en séance à demander des précisions aux représentants d'Astre Coopérative et d'Astre Commercial. Ceux-ci ont indiqué que le projet de clauses serait adopté lors de la prochaine assemblée générale d'Astre Commercial prévue en 2019.
71. Si la mise en conformité d'une clause statutaire avec le droit de la concurrence ne constitue pas en soi un engagement susceptible de faire l'objet d'une rétribution dans le cadre d'une transaction, les parties qui s'engagent dans cette voie procédurale se doivent d'apporter des garanties suffisantes, notamment en termes de délais de mise en conformité, pour que la pratique faisant l'objet d'un grief notifié cesse dans les meilleurs délais après la transaction.
72. En l'espèce, ce n'est qu'après avoir sollicité et obtenu, en séance, des représentants des entreprises mises en cause des éléments sur les circonstances et le délai dans lequel les modifications statutaires envisagées interviendraient, que le collège a considéré que les conditions d'éligibilité de l'affaire à une transaction étaient remplies.
73. Deuxièmement, Astre Commercial et Astre Coopérative ont joint à leurs observations du 22 août 2019 deux notes rédigées par leur expert-comptable le 4 juin 2019, indiquant pour chacune de ces entreprises les montants au-delà desquels une sanction " mettrait en péril directement la viabilité de l'exploitation et serait préjudiciable pour la pérennité du Groupement ".
74. Il est constaté tout d'abord que ces deux notes ont été rédigées avant la signature des procès-verbaux de transaction, qui a eu lieu le 26 juin 2019.
75. Il est constaté ensuite que les montants maximaux mentionnés dans ces deux notes sont inférieurs au plancher des fourchettes figurant dans les procès-verbaux de transaction signés par Astre Commercial et Astre Coopérative.
76. Compte tenu de l'antériorité de ces deux notes par rapport à la signature des procès-verbaux de transaction, leur production au stade des observations conduit à s'interroger sur la sincérité de l'adhésion des parties signataires, leur bonne compréhension des termes et de la portée de l'accord transactionnel ou leur perception du bien-fondé des éléments qu'elles produisent elles-mêmes, sauf à démontrer que leur situation économique ait évolué de manière suffisamment significative ou exceptionnelle, entre la signature du procès-verbal et le jour où l'Autorité a statué.
77. Aussi, ce n'est qu'après avoir reçu confirmation solennelle, en séance, des représentants d'Astre Coopérative et d'Astre Commercial de son plein accord avec la procédure de transaction et son acceptation, en toute connaissance de cause, des conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire pouvant être prononcée par l'Autorité, que le Collège a considéré que les conditions relatives à la procédure de transaction étaient réunies en l'espèce.
78. Les pratiques n'ayant par ailleurs pas été contestées, l'Autorité se bornera aux développements suivants.
B. SUR LE DROIT APPLICABLE
79. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du TFUE, trois éléments doivent être établis pour que des pratiques soient susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres de l'Union : l'existence d'un courant d'échanges entre les États membres portant sur les produits en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette affectation.
80. Il ressort d'une pratique décisionnelle et d'une jurisprudence constantes qu'une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, ce qui induit une forte présomption d'affectation du commerce entre États membres (voir, par exemple, l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 octobre 2014, Kontiki, n° 13-19.476, p. 3).
81. En l'espèce, les pratiques constatées s'étendent à l'ensemble du territoire français. Le caractère sensible de cette affectation résulte quant à lui du fait que le groupement Astre rassemble un grand nombre de transporteurs ([100 - 200] adhérents), présents sur l'ensemble du territoire national et générant ensemble un chiffre d'affaires cumulé de 2,7 milliards d'euros.
82. En conséquence, les pratiques en cause sont susceptibles d'avoir affecté sensiblement le commerce entre les États membres. Elles doivent donc être examinées tant au regard des règles de concurrence internes que de celles de l'Union.
C. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
83. Selon une pratique décisionnelle constante, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes, comme c'est le cas en l'espèce, il suffit que le secteur soit déterminé avec assez de précision pour permettre d'apprécier l'incidence des pratiques en cause sur la concurrence (voir notamment arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, William Prym, T-30/05, point 86 et décisions n° 11-D-19 du 15 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de fantaisie, paragraphe 99 ; n° 12-D-10 du 20 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'alimentation pour chiens et chats, paragraphe 150 et n° 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients, paragraphes 417 et suivants ).
84. Les pratiques visées par la notification de griefs ont été mises en œuvre dans le secteur du transport routier de marchandises pour le compte d'autrui. Ce secteur comprend des activités variées au regard du type de produits transportés (matières dangereuses, marchandises sous température dirigée par exemple), de la distance parcourue ou encore du mode de conditionnement (marchandises conditionnées ou en vrac).
85. En ce qui concerne la définition géographique à prendre en considération, il y a lieu de rappeler que la clause de non-concurrence a concerné en grande majorité des clients situés sur le territoire national.
86. Le marché concerné par les pratiques constatées est donc le marché national du transport routier de marchandises pour le compte d'autrui.
87. Eu égard à la nature et à l'objet des pratiques en cause, il n'apparaît pas nécessaire de délimiter plus précisément le marché pertinent.
D. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF
1. RAPPEL DES PRINCIPES
88. Le premier paragraphe de l'article 101 du TFUE et l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibent les accords et les pratiques concertées entre entreprises qui ont pour objet ou effet de restreindre la concurrence.
89. L'existence d'un accord est établie dès lors que les entreprises ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir notamment, arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni SpA, C-49/92, point 40). Selon une jurisprudence constante, les pratiques mises en œuvre par des groupements sont présumées constituer des accords entre leurs membres (voir par exemple, arrêt de la Cour de cassation, 16 mai 2000, n° 98-12612, Ordre national des pharmaciens).
90. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union que si l'organisation d'une entreprise sous la forme juridique spécifique d'une société coopérative ne constitue pas en elle-même un comportement restrictif de la concurrence, un tel mode d'organisation peut néanmoins constituer un moyen susceptible d'influencer le comportement commercial des entreprises qui en font partie, de manière telle à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur le marché où ces entreprises déploient leurs activités. Dès lors, les dispositions statutaires qui régissent les rapports entre la société et ses membres ne sont pas soustraites à l'application du droit de la concurrence (arrêt de la Cour du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a., C-399/93 ; points 13 et 13 ; arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, point 51).
91. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union que certains types de coordination entre entreprises révèlent intrinsèquement un degré suffisant de nocivité pour qu'ils soient considérés comme anticoncurrentiels compte tenu de leur objet même, si bien que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, C-67/13, points 49 et 50, du 30 juin 1966, LTM, 56/65, pages 359 et 360 ; du 20 novembre 2008, BIDS, C-209/07, point 15, ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, points 34 et 35).
92. De manière générale, l'appréciation de l'existence d'un degré suffisant de nocivité nécessite d'examiner concrètement et cumulativement la teneur et les objectifs de la disposition restrictive de concurrence, ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel elle s'insère (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupements des cartes bancaires, C-67/13, point 53 et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., point 36).
93. Les pratiques par lesquelles des concurrents fixent les prix, se répartissent les marchés ou la clientèle sont considérées comme particulièrement nocives à la concurrence (Lignes directrices sur l'applicabilité de l'article 101 du TFUE aux accords de coopération horizontale, point 236). L'Autorité considère également qu'un partage de clientèle constitue une entente ayant un objet anticoncurrentiel au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce (décision n° 18-D-15 du 26 juillet 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de médicaments vétérinaires, point 158).
94. La cour d'appel de Paris considère, en outre, qu'une répartition de marchés entre les membres d'une société coopérative constitue une restriction de concurrence par objet (arrêt du 18 janvier 2018, n° 2017/01709, GIF, points 149 et 150).
2. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
95. Le groupement Astre a instauré une obligation de non-concurrence conduisant à une répartition des clients.
96. Cette obligation, qui avait pour objectif de cristalliser les positions acquises, s'est tout d'abord manifestée dans le cadre de clauses contenues dans les statuts, le règlement intérieur et la convention d'adhésion d'Astre Coopérative.
97. En effet, en vertu de l'article 2.3.3 du règlement intérieur d'Astre Coopérative, l'obligation de non-concurrence avait pour objet d'interdire aux astriens de démarcher les clients référencés des autres astriens mais aussi de répondre à des sollicitations émanant de tels clients.
98. Cette interdiction de démarchage actif et passif de clients référencés concernait aussi bien les astriens en période probatoire que ceux admis définitivement au sein du groupement ou encore ceux ayant quitté le groupement (52). Ainsi, les clients référencés ne pouvaient pas bénéficier d'offres émanant de ces trois catégories d'astriens, tandis que les astriens en période probatoire et les astriens membres du groupement bénéficiaient d'une protection de leur clientèle respective. De fait, cette répartition des clients conduisait à limiter la concurrence entre les transporteurs.
99. Après la suppression des clauses instaurant une obligation de non-concurrence en mars 2016, la répartition des clients s'est néanmoins poursuivie en matière d'appels d'offres. Tout d'abord, le groupement Astre est intervenu à plusieurs reprises pour demander à ses adhérents de ne pas répondre aux sollicitations de clients d'autres astriens, comme l'illustrent les messages d'un salarié d'Astre Commercial de novembre 2016 et le procès-verbal du conseil d'administration d'Astre Commercial de janvier 2017 (53).
100. Ensuite, une règle de priorité a été instaurée par l'article 2.2.12 du règlement intérieur d'Astre Commercial à partir de mai 2016. Ainsi, quelques mois seulement après avoir supprimé les clauses qui instauraient une obligation de non-concurrence, le groupement a réintroduit des dispositions substituant à la liste de clients référencés la déclaration d'expérience qui - nonobstant une modification terminologique - a eu un effet équivalent.
101. Conformément aux principes rappelés ci-dessus, de telles pratiques revêtent intrinsèquement un objet anticoncurrentiel.
102. Ces pratiques s'inscrivent en outre dans un contexte marqué par la possibilité pour les membres du groupement Astre de se concurrencer.
103. En effet, dans plus de 70 % des départements métropolitains, au moins deux astriens sont actifs. Si les astriens français peuvent présenter des profils différents, il n'en demeure pas moins qu'ils sont susceptibles d'être concurrencés par au moins un autre astrien.
104. Dès lors, l'interdiction de la concurrence entre astriens conduit à limiter fortement l'autonomie commerciale des membres du groupement, à réduire les alternatives à la disposition des clients et donc à entraver la libre formation des prix.
105. Il résulte de ce qui précède que les pratiques de non-concurrence mises en œuvre par le groupement Astre organisent une répartition de la clientèle. Ces pratiques ont pour finalité d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Le caractère anticoncurrentiel est démontré à la fois pour les clauses initiales et leur application ainsi que pour la pratique qui s'est instaurée après leur suppression formelle. Elles constituent de fait une pratique anticoncurrentielle par objet au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.
106. Astre Coopérative et Astre Commercial ne contestant pas le grief qui leur a été notifié, celui-ci est établi à leur égard.
E. SUR LA SANCTION
1. RAPPEL DES PRINCIPES
107. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité peut infliger une sanction pécuniaire aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101, paragraphe 1, du TFUE.
108. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 précité prévoit que " [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction (...) ".
109. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, " [l]e montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
110. Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose : " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l'organisme ou l'entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l'Autorité de la concurrence, qui entend l'entreprise ou l'organisme et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I dans les limites fixées par la transaction ".
111. En outre, les circonstances particulières résultant de la mise en œuvre en l'espèce, de la procédure de transaction fondée sur les dispositions précitées du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce justifient que les sanctions prononcées ne soient pas motivées par référence à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires énoncée dans le communiqué du 16 mai 2011 de l'Autorité (voir décision n° 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients, paragraphe 452 ; communiqué de procédure du 21 décembre 2018 relatif à la procédure de transaction ; voir également l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2019, Alcyon SA, n° 18/20229).
2. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
112. La pratique en cause, à savoir une répartition de clientèle entre entreprises concurrentes, constitue l'une des pratiques les plus graves en droit de la concurrence (voir notamment les arrêts de la Cour de justice du 26 janvier 2016, Toshiba c/Commission, Aff. C-373/14, point 28 et de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2019, Alcyon, RG n° 2018/20229, paragraphes 110 et 111).
113. Par ailleurs, la pratique en cause a été mise en œuvre pendant plus de vingt ans. Or, plus une infraction est longue, plus l'atteinte qu'elle porte au libre jeu de la concurrence et la perturbation qu'elle entraîne pour le fonctionnement du secteur en cause - et plus généralement pour l'économie - sont susceptibles d'être significatives.
114. La gravité des pratiques est accrue, en l'espèce, par la circonstance que l'obligation de non-concurrence entre astriens a fait l'objet d'une surveillance au sein du groupement et a conduit au prononcé de sanctions à l'encontre des entreprises déviantes.
115. De surcroît, l'Autorité relève qu'Astre Commercial a réintroduit une obligation de non-concurrence sous la forme d'une règle de priorité dans son règlement intérieur en septembre 2016, soit quelques mois seulement après que son conseil a indiqué à la DGCCRF que les clauses de non-concurrence relevées dans ses procès-verbaux d'enquête avaient été supprimées (54). Ce comportement est de nature à accentuer la gravité de la pratique s'agissant d'Astre Commercial.
116. L'obligation de non-concurrence entre astriens a fait l'objet d'une mise en œuvre effective au sein du groupement Astre. Les astriens ont déclaré un nombre significatif de " clients référencés " couverts par l'obligation de non-concurrence et la liste de clients référencés a donné lieu à des interdictions de démarchage et d'émission de propositions tarifaires après une sollicitation d'un client, voire à des sanctions en cas de manquement à ces obligations (voir les paragraphes 28 et suivants ci-dessus).
117. Dans la présente affaire, le dommage causé à l'économie est certain mais limité, compte tenu du caractère fortement atomisé du marché de transports routiers de marchandises et de la part de marché limitée du groupement Astre sur ce marché (entre 1 et 3 % en France).
118. Par ailleurs, Astre Coopérative et Astre Commercial ont développé des arguments sur le caractère mono-produit de leurs activités et leur capacité contributive respective, en demandant de limiter le montant de la sanction pécuniaire.
119. Ces arguments ne peuvent être retenus en l'espèce.
120. Il ressort en effet du dossier que les éléments relatifs à la situation financière d'Astre Coopérative et d'Astre Commercial ont été transmis avant la signature des procès-verbaux de transaction aux services d'instruction, qui en ont tenu compte durant les discussions visant à déterminer la fourchette de sanction susceptible d'être prononcée à leur encontre (55).
121. En acceptant une transaction, Astre Coopérative et Astre Commercial ont par principe estimé que les fourchettes de sanction définies dans leurs procès-verbaux de transaction respectifs étaient compatibles avec leur situation financière.
122. Elles ne peuvent donc soutenir ensuite que l'application de sanctions dans les limites de ces fourchettes serait incompatible avec leur capacité contributive, sauf à ce que celle-ci se soit dégradée postérieurement à la signature des procès-verbaux de transaction (voir le paragraphe 76 ci-dessus). Or, les derniers éléments produits par les parties sont des notes rédigées par leur expert-comptable le 4 juin 2019, soit antérieurement à la signature des procès-verbaux de transaction qui est intervenue le 26 juin 2019.
123. Au demeurant, ces notes ne sont pas étayées par des éléments permettant de comprendre précisément comment a été calculé le montant au-delà duquel la continuité d'exploitation d'Astre Coopérative et d'Astre Commercial serait mise en péril. En effet, selon ces notes, ce montant correspondrait à la trésorerie placée de ces entreprises, qui ne représente qu'une fraction de leur trésorerie permanente. Or, les conclusions qui figurent dans ces notes ne sont étayées d'aucun document comptable permettant de déterminer l'état de la trésorerie d'Astre Coopérative et d'Astre Commercial. Par ailleurs, Astre ne produit aucun élément comptable permettant d'apprécier, de manière incontestable, le " péril " encouru dans l'hypothèse où une partie (ou la totalité) du reste de la trésorerie disponible serait utilisée pour le paiement d'une sanction.
124. De surcroît, et en tout état de cause, conformément à une pratique décisionnelle constante de l'Autorité, " le préjudice d'une association d'entreprises doit être apprécié[e] en prenant en compte la situation de ses membres, lorsque les intérêts objectifs de l'association ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent " (décisions n° 19-D-05 du 28 mars 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-Les-Pins et n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille).
125. En effet, et dans la négative, si la capacité contributive des associations d'entreprises était appréciée sans qu'il soit tenu compte des moyens financiers de leurs membres, l'Autorité ne pourrait conférer un caractère suffisamment dissuasif aux sanctions infligées à des entreprises qui, anticipant le risque de sanction pécuniaire assise sur leurs capacités financières propres, constitueraient à cette seule fin une association d'entreprises à laquelle une part seulement de leurs ressources serait alloué.
126. Dès lors, les sanctions en l'espèce doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation des entités sanctionnées. S'agissant plus précisément de la capacité contributive, en l'espèce, l'Autorité tient compte de la possibilité, pour les entreprises mises en cause, de répercuter en tant que de besoin le montant de la sanction sur ses adhérents par une cotisation exceptionnelle.
127. Aucune circonstance aggravante ou atténuante ne peut être retenue pour la détermination des sanctions en l'espèce.
128. Enfin, les montants de sanctions envisagés ne sont pas supérieurs aux plafonds légaux des entreprises en cause.
129. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant de la sanction infligée à Astre Coopérative s'élève à 1 300 000 euros, tandis que le montant de la sanction infligée à Astre Commercial s'élève à 2500 000 euros.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Astre Commercial et Astre Coopérative ont enfreint les dispositions du paragraphe 1 de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : À ce titre, sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
- à la société Astre Coopérative une sanction de 1 300 000 euros ;
- à la société Astre Commercial, une sanction de 2 500 000 euros.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 Cotes 1544 et 1545.
3 Cote 2382.
4 Cote 286.
5 Cote 2382.
6 Cote 4762.
7 Cote 1557.
8 L'article 2.1.5 du règlement intérieur d'Astre Coopérative (cote 650) distinguait trois catégories de clients : les clients référencés ou clients propres aux astriens, les clients Astre déclarés par Astre Commercial, et les clients en commun déclarés par les astriens.
9 Cote 654.
10 Cote 652.
11 Cotes 654 et 655.
12 Cotes 665 et 666.
13 Cotes 642 à 644.
14 Cote 639.
15 Cotes 650 et 651.
16 Cote 661.
17 Cote 718.
18 Cotes 1565 à 1571.
19 Cotes 739 et 740.
20 Cote 744.
21 Cote 4216.
22 Cote 1575.
23 Cote 872.
24 Cotes 509, 517, 544 et 2603.
25 Cote 526.
26 Cote 2638.
27 Cote 654.
28 Cote 643.
29 Article 2.1.2.3 du règlement intérieur d'Astre Coopérative, cote 643.
30 Cote 660.
31 Cotes 2601 et 2602.
32 Cote 2611.
33 Cotes 2615 et 2616.
34 Cote 2636.
35 Cote 496.
36 Cotes 517 et 518.
37 Cote 872.
38 Cote 732.
39 Cote 165.
40 Cote 250.
41 Cotes 250 et 251.
42 Cotes 167 à 175.
43 Cotes 2655 à 2660.
44 Cotes 784 à 786.
45 Cote 1702.
46 Cotes 2323 à 2325.
47 Cote 3652.
48 Cote 2537.
49 Cote 2386.
50 Cote 4187.
51 Cotes 6073 à 6077.
52 Pour les astriens ayant quitté le groupement, l'obligation de non-concurrence était valable pendant un an.
53 Cotes 784 à 786 et 1702.
54 Cote 165.
55 Cotes 4291 à 4754.