CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 octobre 2019, n° 17-13644
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Serrano (ès qual.), Société de Développement Commercial Arsac (SARL)
Défendeur :
Copirel (Sasu), Distribution Literie Veldeman (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
Avocats :
Mes Ortolland, Girarmon, Teytaud, Valluis, Moulin, Fleury
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement rendu le 8 juin 2017 par le tribunal de commerce de Lyon qui :
- s'est déclaré compétent pour connaître des demandes formées à l'encontre de la société Distribution literie Veldeman DLV,
- a dit que la Société de développement commercial Arsac avait manqué de manière répétitive et persistance à ses obligations de paiement vis-à-vis de ses deux fournisseurs, que ce comportement revêtait un caractère de gravité suffisant pour caractériser un manquement grave à ses obligations contractuelles vis-à-vis des sociétés Distribution literie Veldeman DLV et Copirel et qu'en conséquence la rupture des relations commerciales était exclusivement imputable à la Société de développement commercial Arsac,
- a débouté Me Serrano, en sa qualité de mandataire judiciaire de la Société de développement commercial Arsac, de toutes ses demandes formées contre les sociétés Distribution literie Veldeman DLV et Copirel,
- a débouté les sociétés Distribution literie Veldeman DLV et Copirel de leurs demandes respectives de dommages-intérêts ainsi que du surplus de leurs demandes,
- a condamné Me Serrano, ès qualités aux dépens et à payer à chacune des sociétés défenderesses la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel relevé par Me Serrano, ès qualités, et ses dernières conclusions notifiées le 9 septembre 2019 par lesquelles il demande à la cour, au visa des articles D. 442-3 du Code de commerce, 46 du Code de procédure civile, L. 442-6 du Code de commerce, 1134 et 1382 du Code civil de :
- confirmer que les relations commerciales avec les sociétés Copirel et Distribution literie Veldeman-DLV présentaient un caractère régulier, stable et significatif,
- dire qu'en modifiant unilatéralement les conditions de fonctionnement du compte client en exigeant un paiement comptant au visa de factures pro-forma malgré la garantie fournie et en cessant les livraisons, ce qui a rendu impossible son approvisionnement, la société Distribution literie Veldeman a brutalement rompu la relation commerciale établie en n'accordant pas un préavis écrit d'une durée suffisante,
- dire qu'au regard de l'ancienneté de 28 ans de la relation commerciale établie pour la fourniture des produits sous marque de distributeur, elle aurait dû accorder un préavis de 56 mois,
En conséquence,
- infirmer le jugement et condamner la société Distribution literie Veldeman-DLV à lui payer la somme de 2 129 008 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de préavis,
- dire qu'en modifiant unilatéralement les conditions de fonctionnement du compte client en exigeant un paiement comptant malgré la garantie fournie et en cessant les livraisons, ce qui a rendu impossible son approvisionnement, la société Copirel a brutalement rompu la relation commerciale établie en n'accordant pas un préavis écrit d'une durée suffisante,
- dire qu'au regard de l'ancienneté de 20 ans de la relation commerciale établie pour la fourniture des produits sous marque de distributeur et de fabricant, la société Copirel aurait dû accorder un préavis de 40 mois,
En conséquence,
- infirmer le jugement et condamner la société Copirel à lui payer la somme de 1 520 720 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de tout préavis,
Subsidiairement,
- condamner la société Distribution literie Veldeman-DLV à lui payer la somme de 2 127 791,42 euros et la société Copirel à lui payer la somme de 1 521 936,58 euros,
- dire que les sociétés Distribution literie Veldeman-DLV et Copirel seront condamnées in solidum à hauteur de la somme de 1 521 936,58 euros,
- infirmant le jugement, condamner in solidum les sociétés Distribution literie Veldeman et Copirel à lui payer la somme de 257 375 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de valeur du fonds de commerce de la SDCA,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Distribution literie Veldeman-DLV et Copirel de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et les débouter de toutes leurs demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros à chacune des sociétés défenderesses,
- condamner in solidum les sociétés Distribution literie Veldeman-DLV et Copirel aux dépens de première instance et d'appel et à lui payer la somme de 50 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 2 septembre 2019 par la société Distribution literie Veldeman (DLV) qui demande à la cour, au visa des articles 1382 du Code civil et L. 442-6 et suivants du Code de commerce, de :
1) confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le liquidateur judiciaire de la société SDCA de l'intégralité de ses demandes mais l'infirmer partiellement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation au titre de la procédure abusive engagée par le liquidateur judiciaire de SDCA,
2) statuant à nouveau :
- dire que la rupture par elle des relations commerciales établies n'est pas brutale et n'est pas constitutive d'une faute à l'encontre de SDCA,
- constater que c'est SDCA qui a commis une rupture brutale des relations commerciales à son égard en réduisant ses commandes de plus de 30 %,
- dire que le liquidateur judiciaire de SDCA ne justifie d'aucun préjudice,
- en conséquence, le débouter de l'intégralité de ses demandes,
3) en tout état de cause :
- condamner le liquidateur judiciaire de SDCA à lui payer la somme de 50 000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive ainsi que la somme de 30 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- le condamner aux dépens de première instance et d'appel ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 3 septembre 2019 par la société Copirel qui demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 1315, 1382 et 1650 du Code civil ainsi que de l'article 9 du Code de procédure civile, de :
1) à titre principal :
- dire qu'elle n'a pas modifié brutalement des conditions de paiement à compter du 5 mars 2012,
- dire qu'à raison de l'absence de règlement de factures échues depuis janvier 2010, du non-respect de l'échéancier en date du 27 décembre 2011 et de la reconnaissance de dette en date du 5 mars 2012, la Société de développement commercial Arsac a manqué de manière réitérée et persistante à ses obligations de paiement à son égard,
- dire que la rupture des relations commerciales est exclusivement imputable à la Société de développement commercial Arsac,
- en conséquence, confirmer le jugement et débouter Me Serrano, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société de développement commercial Arsac, de l'intégralité de ses demandes,
2) en outre, infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de dommages-intérêts et, statuant à nouveau, condamner Me Serrano, ès qualités, à lui payer la somme de 50.000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive,
3) en tout état de cause, condamner Me Serrano, ès qualités, aux dépens et à lui payer la somme de 30 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile;
SUR CE, LA COUR
Le groupe X, du nom de son fondateur Y, exerçait une activité de commercialisation d'articles de literie au travers de plusieurs sociétés dont la Société de développement commercial Arsac, ci-après SDCA, qui était la centrale d'achats pour le compte des magasins succursales et la centrale de référencement pour les magasins franchisés sous l'enseigne Literieland.
La société SDCA entretenait des relations commerciales, dont le caractère établi n'est pas contesté, d'une part avec la société Copirel, appartenant au groupe Cofel, d'autre part avec la société Distribution literie Veldeman, ci-après DLV, fournisseurs de plusieurs marques de fabrique et de marques de distributeurs.
Le 2 juillet 2012, la SDCA a été placée en redressement judiciaire ; sa liquidation judiciaire a ensuite été prononcée le 10 juillet 2013, Me Serrano étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 7 août 2015, Me Serrano, ès qualités, a fait assigner les sociétés Copirel et DLV devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir réparation de ses préjudices résultant d'une rupture brutale de leurs relations commerciales; le tribunal, par le jugement déféré, l'a débouté de toutes ses demandes en retenant le manquement grave de la SDCA à ses obligations et a rejeté les demandes de dommages-intérêts formées par les sociétés Copirel et DLV.
Me Serrano, ès qualités, appelant, expose que :
- les négociations qui ont eu lieu entre le groupe X et le groupe Maison de la literie en vue d'un rapprochement n'ont pas abouti et, après l'échec de cette tentative de rapprochement, la société DLV, qui était le principal fournisseur de la société SDCA par le volume et l'antériorité, est devenue actionnaire majoritaire de son principal concurrent Maison de la literie,
- la société Copirel, principal fournisseur de la société SDCA, a développé des partenariats avec les principaux concurrents de cette société : Place de la literie, Maison de la literie et son fournisseur en Italie Dorelan,
- de façon concomitante, les sociétés Cofirel et DLV ont modifié unilatéralement les modalités de leurs relations commerciales, sans préavis, et ont rompu ces relations à compter de 2012,
- si le tribunal a bien jugé que " les fournisseurs ont, à un moment donné, durci les conditions de règlements et, ensuite, stoppé les livraisons ", il s'est laissé convaincre par la vision tronquée et parcellaire des faits présentée par les fournisseurs.
Sur la rupture brutale des relations commerciales imputée à la société DLV
Après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 442-6-I 5° dans sa version en vigueur au moment des faits et de l'assignation, l'appelant soutient :
- que celle-ci entretenait des relations commerciales avec la société SDCA depuis 1983, soit 28 années et que 100 % des commandes passées portaient sur des produits MDD,
- que depuis toujours, la société DLV lui consentait des délais de paiement particuliers à 90 jours fin de mois, ainsi qu'un encours proportionnel à son développement, lequel faisait l'objet d'un contrat d'affacturage auprès de la banque Dexia devenue Belvius qui mentionnait un délai moyen de paiement des clients de la société DLV de 85 jours,
- que dès 2010, l'attitude de la société DLV et de son factor a changé, remettant en cause les pratiques de longue date en usage entre eux,
- que le 4 mai 2010, la banque Dexia a exigé et obtenu une garantie à première demande de la société Cofiges, holding du groupe X, pour un montant de 450 000 euros couvrant largement l'encours,
- que le15 juillet 2010, la société Veldeman group, actionnaire principal de DLV, a contraint la société Cofiges à souscrire un prêt de 185 000 euros pour permettre à la société DLV de préfinancer les matières premières de la nouvelle collection Literieland,
- que la société DLV a commencé à remettre en cause les délais de paiement octroyés depuis toujours en demandant à la société SDCA de se conformer aux délais légaux de règlement,
- que le 25 février 2011, la société DLV a confirmé à la société SDCA que celle-ci avait respecté ses échéances et se trouvait à jour dans ces livres, ce qui évince tout grief antérieur,
- qu'elle a seulement sollicité le 5 octobre 2011 la fourniture d'une garantie pour l'encours moyen, afin d'assurer la continuité des relations commerciales,
- que le 5 novembre 2011, elle a exigé de la société Cofiges la signature d'une garantie à première demande au bénéfice de la banque Dexia,
- que cette garantie a été doublée ultérieurement d'une garantie personnelle à première demande fournie par M. Y, de sorte que la banque Dexia disposait en réalité d'une garantie de 900 000 euros, et qu'entre décembre 2011 et juin 2012, la société SDCA a payé la somme de 176 838,61 euros, soit au total " une couverture de 1 176 838,61 euros ",
- que ces garanties ainsi fournies, la continuité de la relation commerciale était assurée et que jamais la société DLV ni la banque Dexia n'ont notifié de nouvelles conditions de paiement,
- que toutefois, le 15 décembre 2011, la société DLV a cessé, sans préavis, de livrer les commandes en exigeant un paiement comptant des marchandises sur factures pro-forma, ce qui constitue une modification substantielle des conditions commerciales et caractérise la rupture brutale des relations commerciales.
Mais il ressort des pièces versées aux débats que :
- dans le cadre d'un contrat d'affacturage, la société DLV avait cédé à la banque Dexia devenue Belvius, l'ensemble de ses créances sur la société SDCA ;
- suivant contrat du 15 juillet 2010, la société Veldeman group a consenti à la société Cofiges un prêt de 185 000 euros destiné à permettre de payer l'encours dû par la société SCDA à la société DLV et remboursable au 30 septembre 2010 ;
- par courriel du 24 septembre 2010, la société DLV a informé M. Y que sa banque était plus que réticente quant au prolongement des délais de règlement à 90 jours ainsi qu'au report du remboursement de 185 000 euros pour la deuxième fois, en ajoutant :
" Concrètement ils ne sont pas prêts à l'accorder une fois de plus.
Vu que nous vous avons accordé des facilités de paiement en 6 fois en ce qui concerne les nouvelles implantations nous vous proposons de solder le prêt de 185(-60) euros en deux tranches, une fin septembre et l'autre fin octobre par traite acceptée.
D'autre part nous nous voyons dans l'obligation de vous demander de régulariser les délais de règlement de nos factures et de vous aligner sur les délais légaux d'ici la fin de l'année.
Entre-temps nous vous proposons de mettre en place une garantie personnelle des actionnaires majoritaires afin de couvrir nos engagements financiers. " ;
- le 25 février 2011, la société DLV a confirmé à la société SDCA que depuis le 31 octobre 2010 les échéances étaient respectées et qu'elle était à jour dans ses livres ;
- mais par la suite l'exercice de la société SDCA, clos le 30 septembre 2011, a révélé une perte de 2 129 000 euros au titre des résultats financiers, provenant de l'abandon d'une créance de 2 110 905 euros sur la société ADL, filiale du groupe X,
- par courriel du 5 octobre 2011 adressé à M. Y, la société VLD s'est plainte d'être confrontée 2 mois de suite à des impayés, ce qui lui créait préjudice auprès de sa société d'affacturage - laquelle l'avait avisée qu'elle ne pourrait plus assurer le financement de l'encours sur le groupe X - mais qu'elle avait obtenu, non sans difficulté, la continuité du financement sous réserve d'une garantie de la part des actionnaires du groupe (Cofiges) et qu'il était impératif de régulariser cette garantie afin d'assurer la continuité de leurs relations commerciales ;
- le 5 novembre 2011, la société Cofiges a souscrit une garantie à première demande, s'engageant irrévocablement à payer à la banque Dexia la somme de 450 000 euros au cas où le débiteur ne remplirait pas son obligation de paiement ;
- par courriel du 9 novembre 2011, mentionnant en objet " Impayés-nouvelles conditions ", la société VLD a averti M. Y que la banque continuerait de financer l'encours à condition que celui-ci n'augmente pas et que, outre la garantie accordée par la société Sofiges, les livraisons se fassent contre remboursement jusqu'à régularisation des impayés et règlement de l'échéance du 30 novembre 2011 et qu'ensuite les livraisons se fassent avec un règlement à 45 jours fin de mois;
- le 26 janvier 2012, M. Y a souscrit une garantie à première demande au profit de la société Dexia pour garantir de façon irrévocable le paiement de la somme de 450 000 euros si la société SDCA manquait à son obligation de paiement;
- le 6 février 2012, M. Y a écrit à la société Veldeman qui lui réclamait la somme de 441 234,41 euros due par la société SDCA, que cette dernière était créancière au titre de deux factures pour des montants de 38 255,08 euros et 25 748,86 euros et qu'après compensation il proposait de payer le solde de 377 230,47 euros en 6 mensualités, la première intervenant le 28 février 2012,
- la société VDL ayant accordé ce moratoire, la société SDCA a accepté 6 lettres de change qui sont restées impayées à leurs échéances ;
- suite à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société SDCA, la société VLD a déclaré sa créance pour la somme de 382 924,62 euros au titre des traites impayées ainsi que la somme de 45 019,81 euros au titre de la clause pénale ; cette créance a été admise pour un montant de 392 924,62 euros par ordonnance du juge commissaire du 29 janvier 2014
- par jugement du tribunal de première instance de Bruxelles rendu le 28 octobre 2014, la société Belfius, nouvelle dénomination de la banque Dexia, a obtenu la condamnation de la société Cofiges et de M. Y à exécuter leurs garanties; l'exequatur ayant été ordonnée, les garants ont relevé appel et la cour d'appel de Grenoble, par arrêt du 1er décembre 2015, a sursis à statuer jusqu'à l'arrêt à intervenir de la cour d'appel de Bruxelles sur l'appel du jugement du 28 octobre 2014.
Ainsi, l'examen de ces pièces et la chronologie des faits montrent que, contrairement à ce que prétend l'appelant, la société DLV n'a pas modifié brutalement les conditions de paiement très favorables consenties antérieurement à la société SDCA; en effet, c'est en septembre 2010 et à plusieurs reprises après cette date qu'elle lui a fait part des difficultés qu'elle rencontrait avec son factor, lequel exigeait des garanties de paiement de la SCDA et la réduction des délais de paiement à 45 jours fin de mois conformément la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, pour continuer à financer l'encours.
Or si les garanties légitimement sollicitées en raison de l'importance de l'encours ont été accordées, il demeure que la société SDCA, bien que parfaitement avertie dès septembre 2010 et encore le 9 novembre 2011, ne s'est pas conformée aux dispositions légales de paiement comme demandé ; de surcroît, bien qu'elle ait reconnu sa dette, elle n'a pas respecté les échéances de remboursement qui lui étaient consenties.
Il apparaît ainsi que la société SDCA, qui a longtemps bénéficié du soutien de la part de la société DLV, a manqué gravement à son obligation de paiement ; dès lors, elle est mal fondée à lui reprocher s'avoir cessé ses livraisons le 15 décembre 2011 et d'avoir rompu brutalement les relations commerciales sans préavis au début de l'année 2012 ; ses demandes de dommages-intérêts formées contre la société DLV doivent être rejetées.
Sur la rupture brutale des relations commerciales imputées à la société Copirel
Me Serrano, ès qualités, soutient :
- que la société Copirel entretenait des relations commerciales avec la société SDCA depuis 1992, soit depuis 20 ans et que les commandes passées portaient sur des produits MDD,
- qu'elle lui consentait des modalités de paiement souples mais qu'à la même époque que la société DLV elle a décidé de modifier les conditions de la relation,
- que le 27 décembre 2011 un échéancier de paiement a été arrêté, la société SDCA s'engageant à rembourser la somme de 103 852,12 euros, que la première échéance a été payée et que les autres courant de fin février à fin août 2012 ont fait l'objet d'un accord le 5 mars 2012,
- que le 5 mars 2012, les parties se sont accordées sur les sommes dues par la société SDCA, soit :
* 193 015,50 euros au titre de l'encours arrêté au 13 février 2012, étant convenu que les factures seraient payées conformément aux conditions générales de vente de la société Copirel,
* 90 870,60 euros au titre des impayés constitutifs d'arriérés qui devaient être payés en 8 échéances mensuelles de 12 981,52 euros, celle de janvier ayant été réglée,
Cet accord prévoyait, en cas de non-respect des échéances, que la société Copirel pourrait demander le paiement immédiat de l'intégralité des sommes restant dues,
- que M. Arsac a été contraint de se porter caution et d'hypothéquer un bien immobilier au profit de la société Copirel pour garantir les engagements de la société SDCA à hauteur de 300 000 euros jusqu'au 31 décembre 2012 sauf prorogation,
- que cette garantie ne stipule pas de nouveaux délais de paiement plus courts ou un paiement comptant, qu'elle ne couvre pas seulement les arriérés mais toutes sommes dues au titre des engagements nés ou à naître et que la société SDCA avait toute raison de penser que la pratique de l'encours serait reconduite dès lors que le créancier bénéficiait d'une garantie suffisante,
- que le 3 mai 2012, alors même que la société SCDA avait payé 3 traites, la société Copirel a prononcé la déchéance du terme pour le règlement de l'arriéré et l'a mise en demeure de payer la somme de 90 870,60 euros,
- que par ailleurs, sous la menace de l'absence de reprise des livraisons, elle a imposé une modification unilatérale des conditions de paiement en exigeant, sans prévis, un paiement comptant alors même que les parties avaient convenu de conditions particulières de paiement,
- qu'il est faux pour la société Copirel d'invoquer le non-respect des délais légaux alors que les parties avaient convenu de façon constante et ancienne de déroger à ce délai légal,
- que la société SDCA n'a jamais reçu de lettre la mettant en demeure d'effectuer des paiements comptants, lui impartissant un délai pour ce faire et la prévenant des conséquences en cas de non-respect,
- que le 24 juillet 2014, la société Copirel a déclaré sa créance au passif de la société SDCA pour la somme de 254 660,48 euros, que cette créance a été contestée au regard de la brutalité de la rupture de la relation commerciale et que l'instance est pendante devant la cour d'appel de Grenoble,
- que des poursuites ont été engagées à l'encontre de M. Y en sa qualité de caution hypothécaire .
Mais il ressort des pièces versées aux débats que :
- à partir de janvier 2011, la société SDCA a commandé à la société Copirel des articles de literie qui ont été livrés aux magasins du groupe X mais n'ont pas été payés;
- le 27 décembre 2011, un échéancier a été convenu, la société SDCA s'engageant à rembourser la somme de 103 852,12 euros en 8 échéances mensuelles de 12 981,52 euros, la première étant exigible le 31 janvier 2012 ;
- la dette de la société SDCA ayant augmenté au cours du premier trimestre 2012, la société SDCA a signé une reconnaissance de dette le 5 mars 2012 par laquelle :
* elle reconnaissait devoir à la société Copirel la somme de 193 019,59 euros au titre de l'encours et celle de 103 852,12 euros au titre des impayés constitutifs d'arriérés, déduction à faire de l'échéance de janvier 2012,
* elle s'engageait à payer les arriérés en 8 échéances mensuelles de 12 981,52 euros à compter du 31 janvier 2012 jusqu'au 31 août 2012, quittance lui étant donnée pour l'échéance de janvier,
* il était expressément convenu entre les parties que le non-respect par le débiteur de l'échéancier entraînerait automatiquement la déchéance du terme et que le créancier pourrait demander le règlement de l'intégralité des sommes restant dues, outre les intérêts de retard au taux conventionnel de 5 % l'an ;
- suivant acte notarié daté des 5 et 12 mars 2012, M. Y s'est porté caution solidaire pour garantir le paiement de tous sommes dues par la société SDCA à la société Copirel à hauteur de 300 000 euros et pour une durée courant jusqu'au 31 décembre 2012, en consentant à la créancière une hypothèque sur un appartement,
- dès le 25 avril 2012, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Copirel a demandé à la société SDCA de lui régler la somme de 25 963,04 euros, montant des deux échéances impayées de février et mars ainsi que le montant d'autres traites revenues impayées pour défaut de provision ou demande de prorogation, l'avertissant que ses comptes resteraient bloqués jusqu'à complet remboursement ;
- la société SDCA a répondu le 26 avril 2012 en joignant 3 traites prorogées à fin mai, fin juin et fin juillet, et en expliquant à propos de " sa tension de trésorerie " qu'elle travaillait à la mise en place d'un accord qui allait lui permettre de retrouver un fonctionnement normal,
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 mai 2012, la société Copirel, soulignant que la prorogation des traites ne correspondait à aucun accord de sa part et se prévalant de la déchéance du terme, a mis en demeure la société SDCA de procéder au paiement complet des mensualités avant la fin du mois et de respecter toutes ses échéances futures,
- que suite à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société SDCA, la société Copirel a déclaré sa créance pour les sommes en principal de 90 180,51 euros au titre de la reconnaissance de dette du 5 mars 2012 et de 154 018,90 euros correspondant aux autres factures, outre intérêts,
- l'admission de la créance et les poursuites engagées contre M. Y en sa qualité de caution hypothécaire ont donné lieu à de multiples procédures initiées par la société SDCA et M. Y.
La société Copirel fait justement valoir que la société SDCA a manqué de manière répétée et persistante à ses obligations de paiement, en dépit des délais de règlement qui lui avaient été accordés à compter du 21 décembre 2011 ; c'est en vain que Me Serrano, ès qualités, invoque une modification des conditions de paiement qui serait intervenue sans préavis; en effet la reconnaissance de dette signée le 5 mars 2012 stipule en son article 1er que les factures de la société Copirel seront payées en conformité avec les conditions générales de vente du créancier; ces conditions générales, qui figurent au recto des factures émises avant cette date puis après, prévoient que, sauf conditions particulières, le paiement des marchandises s'effectue comptant à la réception de la marchandise ; si la société Copirel a modifié ses conditions de paiement à compter du 5 mars 2012, cette modification est justifiée par les impayés persistants qu'elle subissait et ne constitue pas de sa part une rupture brutale de la relation commerciale.
En conséquence, Me Serrano, ès qualités, est mal fondé en sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Copirel ;
Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour perte de valeur du fonds de commerce de la société SDCA
Pour demander la condamnation in solidum des sociétés DLV et Copirel à payer la somme de 257 375 euros à ce titre, l'appelant prétend que les ruptures brutales, concomitantes et concertées des relations commerciales par les sociétés DLV et Copirel sont la cause directe de la liquidation judiciaire de la société SDCA et que la perte de valeur du fonds constitue un préjudice à indemniser.
Mais aucune brutalité dans la rupture des relations commerciales entretenues par ces deux sociétés n'est établie ; de plus l'appelant n'apporte aucune preuve d'une action concertée de ces sociétés, tous deux fournisseurs mais concurrents, en vue de modifier sans préavis leurs conditions de paiement ; il doit donc être débouté de sa demande.
Sur les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive
La société DLV reproche au liquidateur judiciaire de la société SDCA :
- de l'avoir poursuivie alors qu'elle était déjà assignée pour les mêmes faits par la société Cofiges et M. Y,
- de n'avoir à aucun moment démontré le caractère brutal de la rupture, celle-ci étant au contraire imputable à la société SDCA qui avait réduit ses commandes de plus de 30 % au cours de l'année 2011 et y avait mis fin en janvier 2012, en laissant des impayés,
- d'avoir agi de mauvaise foi en engageant une procédure plus de 4 ans après la rupture de la relation commerciale et en sollicitant des indemnisations injustifiées pour des montants insensés, manifestant ainsi une nuisance délibérée.
Mais il convient de relever que la demande de la société DLV n'est recevable qu'à l'encontre de Me Serrano, ès qualités, et non du liquidateur judiciaire dont elle demande la condamnation et qui n'est pas en la cause à titre personnel.
Les circonstances invoquées par la société DLV ne suffisant pas à établir que Me Serrano, ès qualités, aurait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, la demande de dommages-intérêts sera rejetée ;
Au soutien de sa demande, la société Copirel précise qu'une action en justice peut dégénérer en abus si elle manifeste soit une volonté de nuire, soit une erreur équipollente au dol ; elle ajoute que par application des articles 9 du Code de procédure civile et 1315 du Code civil, une procédure est abusive si, de manière répétée, le demandeur n'apporte pas la preuve de ses prétentions ; elle reproche à la société SCDA :
- d'avoir attendu plus de 3 ans et 8 décisions judiciaires, toutes rendues en sa faveur à elle et dont certaines sont devenues définitives, pour engager la présente procédure,
- d'avoir omis d'indiquer à la cour qu'elle avait manqué à son obligation de paiement, que c'est seulement après la déchéance du terme qu'elle avait cessé de passer des commandes et qu'elle n'avait jamais sollicité la poursuite de la relation commerciale dans le cadre de son redressement judiciaire,
- de ne pas justifier de la durée de préavis invoquée ni de la marge brute alléguée,
- de demander la somme de 257 375 euros pour perte de valeur du fonds de commerce résultant de la liquidation judiciaire sans aucunement justifier du lien de cause à effet entre cette perte et la rupture prétendument brutale de la relation commerciale.
Mais au regard de ces éléments il n'est pas établi que Me Serrano, ès qualités, aurait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice ; en conséquence, la demande de dommages-intérêts de la société Copirel sera rejetée.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
L'appelant qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens.
Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 15 000 euros à chacune des sociétés DLV et Copirel, la demande de ce chef de Me Serrano, ès qualités, étant rejetée.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne Me Serrano, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société de développement commercial Arsac (SDCA) à payer, par application de l'article 700 du Code de procédure civile : - la somme de 15 000 euros à la société Distribution Literie Veldeman (DLV), - la somme de 15 000 euros à la société Copirel, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, Condamne Me Serrano, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société de développement commercial Arsac (SDCA) aux dépens de première instance et d'appel.