CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 29 octobre 2019, n° 17-02713
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Brossette (SAS), Enertech AB (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Greiner
Conseillers :
Mmes Fouchard, Real Del Sarte
Avocats :
AARPI Assier & Salaun, Me Forquin, Selarl Raynaud Avocat, SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, Selarl Racine
Suivant devis du 12 mai 2010 et facture du 2 juillet 2010, la SARL Ets Fasana a remplacé la chaudière bois de M. X par une chaudière à tirage naturel et combustion inversée Zaegel-Held modèle Vosgienne SF.
Par ordonnance du 30 août 2011, opposable à la SARL Ets Fasana et la SAS Brossette fournisseur de la chaudière, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Albertville a ordonné une expertise de la chaudière.
Les opérations d'expertise ont été étendues au fabricant la SA Zaegel-Held Saint Roch Couvin (ci-après Zaegel) et le rapport d'expertise a été déposé le 4 avril 2013.
Par actes des 19 et 24 juillet 2013, M. X a fait assigner devant le tribunal de grande instance d'Albertville la SAS Brossette et la SA Zaegel aux fins de résolution de la vente.
Par jugement en date du 10 novembre 2017, le tribunal a :
Prononcé la résolution de la vente de la chaudière bois à titrage naturel et combustion inversé Zaegel-Held modèle Vosgienne SF, conclue entre la SAS Brossette et la SA Enertech AB venant aux droits de la SA Zaegel, et des ventes suséquentes sur l'action directe de M. X,
Condamné la SA Enertech AB à restituer à M. X le prix de vente à hauteur de 4 344,92 euros,
Débouté M. X de sa demande de restitution du prix à l'encontre de la SAS Brossette,
Condamné in solidum la SA Enertech AB et la SAS Brossette à payer à M. X la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;
Condamné la SA Enertech AB à relever et garantir la SAS Brossette à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre dans la présente instance ;
Débouté M. X de ses autres demandes de dommages et intérêts ;
Condamné in solidum la SAS Brossette et la SA Enertech AB à payer à M. X la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné in solidum la SAS Brossette et la SA Enertech AB aux entiers dépens incluant les frais d'expertise judiciaire.
M. X a interjeté appel de toutes les dispositions de cette décision.
Aux termes de ses conclusions en date du 6 mars 2018, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, il demande à la cour de :
- Voir prononcer la résolution de la vente ;
- Voir condamner solidairement la SAS Brossette et la SA Zaegel Held à lui payer les sommes suivantes :
* 10 155,34 euros au titre de la chaudière
* 12 607,16 euros au titre des préjudices liés à l'utilisation d'une chaudière au fuel
* 5 000 euros au titre des préjudices personnels (perte de jouissance)
* 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- Voir condamner les mêmes aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise.
Aux termes de ses conclusions en date du 1er juin 2018, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la SAS Brossette demande à la cour de :
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et condamné la SAS Brossette au paiement de diverses sommes ;
- Débouter M. X de sa demande en résolution de la vente de chaudière ;
- Débouter M. X de l'ensemble de ses demandes de condamnation solidaire en paiement formulées à l'encontre de la société Brossette à hauteur de la somme de 10 155,34 euros au titre de la chaudière, de la somme de 12 607,16 euros au titre des préjudices liés à l'utilisation de la chaudière au fuel et de la somme de 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance.
A titre subsidiaire,
- Voir limiter le préjudice subi par M. X au coût de réparation de la chaudière non chiffré à ce jour ;
A titre reconventionnel,
- Condamner la société Enertech AB, à la relever et garantir en intégralité de toute éventuelle condamnation qui viendrait à être prononcée à son encontre ;
- En tout état de cause,
- Débouter M. X et la société Enertech AB de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre ;
- Condamner solidairement M. X et la société Enertech AB à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner solidairement M. X et la société Enertech AB aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions en date du 5 juin 2018, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la SA Enertech AB demande à la cour de :
A titre principal,
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
- Dire et juger que M. X ne rapporte pas la preuve de l'existence de vice cachés inhérents à la chaudière de marque Zaegel Held la rendant impropre à son usage et qui auraient préexisté au transfert de propriété ;
- Dire et juger que les conditions d'application de l'article 1641 du Code civil ne sont pas réunies en l'espèce ;
- Débouter M. X de sa demande tendant à voir prononcer la résolution de la vente de la chaudière ainsi que de l'ensemble de ses demandes en paiement de dommages et intérêts, formulées sur le fondement de l'article 1641 du Code civil ;
Subsidiairement,
- Limiter la condamnation de la société Enertech AB à la restitution du prix de la chaudière qu'elle a reçu soit une somme maximale de 2 674,70 euros ;
- Dire et juger que M. X ne justifie pas de l'existence des préjudices dont il sollicite la réparation et en conséquence ni leur causalité avec les dysfonctionnements de la chaudière et le débouter de l'ensemble de ses demandes ;
A titre infiniment subsidiaire,
- Condamner la société Brossette in solidum avec elle au paiement des condamnations qui pourraient être prononcées à son égard ;
- Débouter la société Brossette de sa demande tendant à voir la société Enertech AB condamnée à la relever et la garantir de toute éventuelle condamnation qui viendrait à être prononcée à son encontre.
En tout état de cause,
- Condamner M. X au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens incluant les frais d'expertise.
Par ordonnance en date du 20 septembre 2018, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de la société Enertech tendant à voir déclarer l'appel de M. X caduc.
L'ordonnance de clôture est en date du 17 juin 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
En l'espèce, l'expert judiciaire M. Y conclut que la chaudière à bois ne monte pas en température, s'encrasse et de ce fait ne peut assurer le chauffage de la maison. Il précise que ce désordre est imputable au fabricant.
La société Enertech AB conteste les conclusions de l'expert en faisant valoir que la conception de la chaudière est étrangère au désordre, que la preuve de l'antériorité du vice allégué à la vente n'est pas rapportée, que le dysfonctionnement de la chaudière est dû au sous-dimensionnement du ballon tampon, à l'absence de modérateur de tirage, à l'utilisation de résineux comme bois de chauffage et au mauvais dimensionnement du conduit de raccordement.
L'expert judiciaire, ainsi que l'expert ENR Consulting mandaté par la société Enertech le 3 juin 2011, ont effectivement constaté que le ballon tampon est d'une capacité de 500 litres alors que la notice de la chaudière précise que ce ballon doit avoir une capacité minimale de 1 000 litres.
Pour autant, ce sous-dimensionnement est sans lien de cause à effet avec le dysfonctionnement de la chaudière, dans la mesure où, ainsi que le mentionnent les deux experts, le défaut de capacité du ballon tampon a pour conséquence une montée trop rapide en température alors qu'en l'espèce le désordre constaté consiste, au contraire, en une faible montée en température.
S'agissant du combustible, la notice du constructeur recommande un bois ayant une hygrométrie inférieure à 20 %, soit l'équivalent de 2 à 3 années de chauffage sous abri en fonction des essences, mais n'écarte pas l'utilisation de résineux.
Le cabinet ENR Consulting, expert mandaté par le fabricant, a constaté le 3 juin 2011 que le bois présentait une humidité proche de 20 %.
De son côté, le cabinet Polyexpert, mandaté par la compagnie d'assurance de M. X, s'est rendu sur place le 24 juin 2011, soit 21 jours plus tard, et a testé le bois qui présentait un taux d'humidité de 15 % soit bien en-deçà du maximum préconisé par le fabricant.
S'agissant de l'absence de modérateur de tirage, l'expert judiciaire a constaté lors de ses opérations la présence de ce dernier. De la même manière les réglages d'air ont été effectués par le cabinet ENR Consulting en juin 2011 sans apporter de solution.
C'est donc à bon droit que le premier juge a écarté les causes invoquées par la société Enertech.
En revanche, ainsi qu'il résulte du courrier en date du 12 avril 2011 de la SARL Ets Fasana, à l'attention de M. X, le responsable du service après-vente Zaegel Held et le commercial de la société Brossette, ont effectué une visite de la chaufferie le 6 avril 2011 et ont constaté que la chaudière présentait un problème de montée en température occasionnant un encrassement anormal du foyer.
Ils ont indiqué ne pas être opposés au remplacement à terme de la chaudière mais ont désiré procéder à un ultime essai en remplaçant le revêtement réfractaire du foyer par des grilles fonte qui devaient améliorer la montée en température, grilles qui ont été adressées à l'installateur en vue de leur pose.
Cette modification des éléments composant la chaudière, à l'initiative du fabricant, est confirmée par le cabinet ENR consulting en ces termes :
" La chaudière SF 250i est une chaudière qui peut être déclinée en deux versions. La SF 320 est une chaudière à combustion horizontale donnant des performances équivalentes. Cette dernière est cependant moins sensible à une utilisation non optimale. C'est pourquoi la société Zaege-Held a proposé la conversion de cette chaudière SF250i en SF 320 en prenant à sa charge la fourniture des grilles foyères. "
De son côté, le cabinet Polyexpert explique que le fabricant a fait retirer le foyer réfractaire pour installer une grille en fonte, que cette modification a pour effet de transformer le fonctionnement de la chaudière c'est-à-dire le passage d'un tirage inversé à un tirage simple et qu'ainsi M. X s'est retrouvé avec une chaudière qui ne correspondait plus à celle qu'il avait commandée initialement.
C'est également ce qu'a constaté l'expert judiciaire qui a précisé dans son rapport, que la chaudière n'étant pas dans sa configuration d'origine et qu'il considérait que le matériel installé n'était pas en conformité avec le matériel proposé.
Ainsi qu'il l'a précisé dans sa réponse au dire de la société Brossette, la chaudière a été modifiée sur préconisation des techniciens de la société Zaegel Held et ceci sans amélioration.
La modification du foyer effectuée à l'initiative du fabricant et du vendeur, qui a eu pour effet de transformer le modèle de chaudière sans succès, établit sans conteste, l'existence d'un vice inhérent à cette dernière et préexistant à la vente dans la conception de cette dernière.
Selon l'expert, la chaudière ne peut pas chauffer la maison.
Qui plus est son usage peut se révéler dangereux puisque l'expert a noté la trace d'un feu de cheminée qui s'est produit après la modification du foyer.
Ainsi que l'a relevé le premier juge, si le sous-acquéreur est recevable à exercer l'action en garantie des vices cachés contre le vendeur originaire, ce dernier ne peut être tenu de restituer d'avantage qu'il n'a reçu, sauf à devoir des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé.
Il en résulte que M. X n'est pas fondé à solliciter le remboursement de la facture acquittée auprès de la SARL Ets Falsana qui comprend d'autres travaux et le coût de la main d'œuvre pour l'installation et qui s'agissant de la chaudière elle-même, l'a facturée à un prix supérieur à celui perçu par la SAS Brossette et la SA Zaegel Held.
Le jugement qui a prononcé la résolution de la vente et condamné la SA Enertech AB à payer à M. X la somme de 4 344,92 euros en restitution du prix sera ainsi confirmé.
Sur les demandes indemnitaires
Selon l'article 1645 du Code civil, " si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. "
Le vendeur professionnel comme le fabricant sont tenus de connaître les vices de la chose et partant d'indemniser l'acheteur des dommages résultant du vice caché.
M. X fait valoir qu'il n'a pu faire usage de sa nouvelle chaudière à bois et qu'il a été contraint d'avoir recours à une chaudière à fuel dont il réserve l'usage au jour où son âge ne lui permettra plus de couper son bois.
Son préjudice résulte non des dépenses de fuel comme il le réclame mais du surcoût engendré par ces dernières par rapport au dépenses relatives au chauffage par une chaudière à bois.
Il justifie d'une part des dépenses de fuel qu'il a dû exposer sur la période allant de l'hiver 2011-2012 à septembre 2016 représentant un total de 11 178 euros.
De cette somme il y a lieu de déduire les frais exposés pour l'acquisition du bois de chauffage.
Il résulte des attestations et pièces produites que, d'une part M. X fait partie d'un groupe de propriétaires et habitants de la commune de Le Freney commandant régulièrement du bois de chauffage à la société ONF TSC située dans le Jura et qu'il commande une moyenne de 12,5 stères par an, d'autre part qu'il procède à des acquisitions de bois de chauffage sous forme d'affouage donnant lieu à une taxe au bénéfice de la municipalité (attestation du maire de Le Freney).
Au regard des justificatifs produits (coût d'une stère 52 euros TTC, taxe d'affouage versée en 2011 pour un montant de 89,04 euros) le coût annuel du bois de chauffage représente une somme de 739,04 euros soit sur 5 ans une somme de 3 695,20 euros.
Il en résulte un surcoût de 7 482,80 euros que la SA Enertech AB et la SAS Brossette seront condamnées in solidum à lui verser et dans leur rapport entre elles ces dernières seront tenues à hauteur de 50 %.
S'agissant du préjudice de jouissance, M. X qui fait valoir que l'ancien système de chauffage ne lui a pas permis de jouir pleinement de son immeuble, ne rapporte pas la preuve de ce préjudice de sorte que sa demande indemnitaire à ce titre sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. X le montant des frais irrépétibles exposés en appel de sorte que la SA Enertech AB et la SAS Brossette seront condamnées in solidum à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ces dernières qui succombent sont tenues aux dépens.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions concernant les demandes indemnitaires, L'infirme de ces chefs et statuant à nouveau, Déboute M. X de sa demande au titre d'un préjudice de jouissance, Condamne in solidum la SA Enertech AB et la SAS Brosette à payer à M. X la somme de 7 482,80 euros au titre du surcoût de chauffage engendré par le dysfonctionnement de la chaudière à bois, Condamne in solidum la SA Enertech AB et la SAS Brossette à payer à M. X la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum la SA Enertech AB et la SAS Brossette aux dépens d'appel, Dit que dans leurs rapports entre elles la SA Enertech et la SAS Brossette sont tenues des condamnations à concurrence de 50 % chacune.