CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 novembre 2019, n° 18-02947
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maghreb Health Services (SARL), Medsanté (EURL)
Défendeur :
Biotronik France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard Hermant, M. Gilles
Avocats :
Mes Bernabe, Harroch, Meynard
FAITS ET PROCÉDURE
Les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté, animées par M. X, médecin cardiologue, importent des produits de santé en Algérie.
La société Biotronik France a pour activité la distribution en France et dans les pays du Maghreb des produits de cardiologie développés par sa maison mère : produits de cardiologie vasculaire interventionnelle, d'électrophysiologie, de bradycardie et de tachycardie.
A compter de 2009, la société Biotronik France a confié l'ensemble de la distribution de ses produits en Algérie aux sociétés Maghreb Health Services et Medsanté.
A partir du printemps 2014, les relations entre les parties ont commencé à se dégrader et par courrier du 21 novembre 2014, la société Biotronik a notifié aux sociétés Maghreb Health Services et Medsanté la fin de leurs relations commerciales à compter du 28 février 2015, soit un préavis d'un peu plus de trois mois.
Estimant que cette rupture avait été faite au mépris de leurs droits, ces sociétés et M. X l'ont assignée, par acte du 13 mars 2015, devant le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 23 janvier 2018, les a déboutées de leurs demandes et les a condamnées, in solidum, à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 euros ainsi qu'aux dépens.
La société Maghreb Health Services, la société Medsanté et M. X sont appelants de ce jugement suivant déclaration du 2 février 2018 et par conclusions transmises par RPVA le 5 avril 2018, elles demandent à la cour de l'infirmer et de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- dire et juger que la rupture des relations commerciales entre la société Biotronik et les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté est brutale ;
- dire et juger que celle-ci n'a en tout état de cause pas respecté de préavis ;
- condamner la société Biotronik à payer à la société Maghreb Health Services la somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts outre la somme de 100 000 euros pour le préjudice d'image ;
- condamner la société Biotronik à payer à la société Medsanté la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages et intérêts outre la somme 300 000 euros pour le préjudice d'image ;
Vu l'article 1382 du Code civil,
- condamner la société Biotronik à payer à M. X la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis ;
- condamner la société Biotronik à leur payer à chacun une indemnité de procédure de 5 000 euros ainsi qu'aux dépens ;
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
La société Biotronik France, intimée par conclusions transmises par RPVA le 2 juillet 2018, demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1240 du Code civil,
- confirmer le jugement entrepris et rejeter les demandes adverses ;
- subsidiairement, minorer très sensiblement le quantum de ces demandes ;
- condamner in solidum M. X, la societeé Maghreb Health Services et la société Medsanté a lui verser une indemnité de procédure additionnelle de 46 550 euros.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
Sur l'allégation de rupture brutale d'une relation commerciale établie
M. X et les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté rappellent qu'elles étaient les seules à distribuer les produits Biotronik en Algérie. Elles soutiennent qu'il ne peut être fait aucun reproche aux sociétés Maghreb Health Services et Medsanté tandis que la société Biotronik France a créé volontairement et artificiellement des incidents dans les relations contractuelles, refusant, à compter de septembre 2014, d'honorer les commandes de la société Maghreb Health Services et de lui remettre les documents nécessaires à l'importation en Algérie des produits acquis. Elles ajoutent que la dégradation des relations évoquée dans la lettre de rupture est imputable à la société Biotronik France qui n'a pas exécuté ses obligations ainsi que cela résulte de la lettre qui lui a été envoyée le 24 septembre 2014, qui ne peut s'analyser en une volonté de rompre de leur part.
La société Biotronik France, qui fait valoir qu'elle n'a jamais été en contact avec Medsanté soutient qu'elle a dû faire face, à compter de l'été 2014, à une avalanche de correspondances agressives et menaçantes l'accusant même implicitement de tolérer des faits de corruption, à propos de commandes à des conditions préférentielles impossibles à satisfaire, ne tenant aucun compte de ses tarifs qui ne seraient plus adaptés au marché algérien. Elle ajoute que la rupture est le fruit de la volonté des parties dans un tel contexte de défiance.
La cour retient ce qui suit.
Il est constant qu'une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
Les premiers juges ont donc exactement retenu, par motifs adoptés par la cour, d'une part que la relation commerciale des parties à la date de la rupture le 21 novembre 2014, présentait à l'évidence un caractère polémique qui obérait ses perspectives de continuité, d'autre part qu'à plusieurs reprises, M. X a exprimé sa volonté de ne pas inscrire dans la durée la relation commerciale des sociétés Maghreb Health Services et Medsanté avec la société Biotronik France et enfin que l'analyse des dizaines de courriels envoyés par M. X ne montre pas une volonté d'apaisement du caractère conflictuel de cette relation.
Ils en ont exactement déduit que M. X ne pouvait pas s'attendre en novembre 2014 à la continuation de celle-ci et que les conditions d'application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce n'étaient pas réunies faute de relation commerciale établie à cette date.
Il suffira d'ajouter que M. X et les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté persistent dans leurs demandes sans discuter les motifs du jugement entrepris ni apporter aux débats aucun élément de nature à remettre en cause cette analyse.
En effet, elles ne contestent pas les termes du mail de M. X du 24 septembre 2014, ainsi libellé en gras : " je ne désire plus travailler avec Biotronik après avoir fini d'honorer les engagements concernant les appels d'offres 2014 ", ni les 9 mails suivants, envoyés sur la période du 22 octobre au 17 novembre 2014 pour confirmer ce souhait de toutes appelantes sauf à prévoir " une courte phase de transition " et réclamer une lettre de rupture (pièces intimée 15-18). Elles ne s'expliquent pas non plus sur les griefs formulés par la société Biotronik France quant aux insinuations de celui-ci relatifs à une prétendue complicité de corruption du fait de Biotronik, telles que celles-ci résultent du mail de M. X du 11 septembre 2014 (pièce intimée 9).
Par suite, il est établi que la relation commerciale des parties n'était pas établie au jour de la rupture compte tenu du climat de défiance extrême de leurs échanges et, au demeurant, que sa rupture résulte d'une décision conjointe de leur part fondée sur le constat de l'impossibilité de poursuivre une collaboration ainsi dénuée de toute confiance entre elles.
Les demandes des appelantes fondées sur cette rupture doivent donc être rejetées.
Sur l'allégation d'inexécution du préavis accordé
M. X et les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté soutiennent que la quasi-totalité des commandes passées à compter de novembre 2014 n'a pas été honorée et que l'engagement solidaire fabricant nécessaire pour l'obtention du visa d'importation en Algérie pour l'année 2015 n'a pas été adressé malgré de multiples relances.
La société Biotronik France soutient que les commandes passées couvraient l'équivalent d'un an d'activité non pas trois mois et que les appelantes n'ont pas répondu à son offre du 3 février 2015 tendant à y satisfaire au mieux dans un tel contexte.
La cour retient, à l'instar du tribunal, que la responsabilité de la société Biotronik France n'est pas engagée au titre du non-respect de ce préavis dès lors que les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté ont passé des commandes quatre fois supérieures à celles passées précédemment, pour une même période, tentant ainsi de détourner la durée de préavis de trois mois accordé, comme en atteste la réclamation de l'engagement solidaire pour toute l'année 2015 et que la société Biotronik France a vainement envisagé la possibilité dans le cadre d'un accord amiable global de les satisfaire dans la mesure de ses possibilités, n'obtenant aucune réponse à sa proposition du 3 février 2015 (pièce 23).
Ce d'autant que les appelantes ne discutent pas ces motifs et qu'aucune pièce n'étaye leurs allégations d'inexécution de ce préavis.
Sur les demandes indemnitaires
Les appelants fondent ces demandes sur le comportement prétendument fautif de la société Biotronik France en ce qu'elle aurait rompu brutalement leur relation commerciale sans respecter le préavis accordé.
L'absence de faute de la société Biotronik France résultant de ce qui précède, ces demandes doivent être rejetées.
Sur les demandes accessoires
Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, les appelantes, partie perdante, doivent supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure et l'équité commande de les condamner, à ce dernier titre, in solidum, à payer à la société Biotronik France une indemnité de procédure additionnelle de 20 000 euros.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; y ajoutant, Condamne, in solidum, M. X et les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté aux dépens d'appel ; Condamne in solidum M. X et les sociétés Maghreb Health Services et Medsanté à payer à la société Biotronik France une indemnité de procédure complémentaire de 20 000 euros et rejette toute autre demande.