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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 4 novembre 2019, n° 18-18159

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

LCN Consulting (SAS)

Défendeur :

Comptoir Drouot Or (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Avocats :

Mes Halbique, Dakhlaoui

T. com. Paris, du 22 juin 2018

22 juin 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS LNC, au nom commercial de " LCN Consulting ", est une société exerçant une activité de conseil en rapprochement, cessions, acquisitions et conseil aux entreprises.

La SARL Comptoir Drouot Or est une société exerçant une activité de vente et achat de métaux précieux, gérant l'enseigne commerciale Mister Gold à Paris 8e.

Le 15 juillet 2016, la société LCN Consulting a conclu avec la société Comptoir Drouot Or un contrat d'apport d'affaires avec pour objet de mettre à disposition ses services en matière de recherche et de présentation de clientèle.

Estimant avoir été trompée sur le sérieux des vendeurs présentés par la société LCN Consulting, la société Comptoir Drouot Or a demandé à cette dernière le remboursement de frais engagés dans le cadre de contrats conclus avec les vendeurs présentés, soit un montant total de 10 316 euros, sur le fondement de l'article 2-2 du contrat d'apport d'affaires. La société LCN Consulting s'est opposée au paiement, soutenant que la charge des frais demandés impose un déséquilibre significatif, qu'elle engage la seule responsabilité de la société Comptoir Drouot Or et est en outre dénuée de preuves quant au préjudice invoqué.

Le 18 mars 2017, la société Comptoir Drouot Or a assigné en référé la société LCN Consulting devant le tribunal de commerce de Paris.

Par ordonnance de référé du 13 juin 2017, le tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à référé et a renvoyé l'affaire en audience collégiale de la juridiction.

Par jugement en date du 22 juin 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société " LNC Consulting " (sic) à payer à la société Comptoir Drouot Or la somme de 1 000 euros ;

- débouté la société Comptoir Drouot Or de sa demande de dommages et intérêts ;

- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- prononcé l'exécution provisoire et condamné la société " LNC Consulting " (sic) aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros, dont 12,85 euros de TVA ;

La société LCN Consulting a relevé appel de ce jugement par déclaration du 18 juillet 2018.

Dans ses conclusions signifiées le 17 octobre 2018, la société LCN Consulting demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce ;

Vu l'article 1162 du Code civil ;

Vu l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 ;

- accueillir la société LCN Consulting dans ses écritures et l'y déclarer bien fondée ;

- constater qu'aucune clause du contrat d'apporteur d'affaires du 15 juillet 2016 ne prévoit la prise en charge des frais d'avocat par l'apporteur ;

- infirmer partiellement le jugement du 22 juin 2018 s'agissant des dispositions relatives à la condamnation au paiement de la somme de 1 000 euros portant sur les prétendus frais d'avocats relatifs à la rédaction des contrats Agor-Metal et Samarinex.

En tout état de cause :

- condamner la société Comptoir Drouot Or à payer à la société LCN Consulting la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Comptoir Drouot Or aux entiers dépens.

Par acte d'huissier du 11 septembre 2018, la société LCN Consulting a fait signifier sa déclaration d'appel à la société Comptoir Drouot Or, dont le domicile a été considéré comme certain. Par acte d'huissier du 17 octobre 2018, la société LCN Consulting a fait signifier ses conclusions à l'intimée.

La société intimée Comptoir Drouot Or n'a pas constitué avocat.

SUR CE,

Sur le contrat d'apport d'affaires et la prise en charge des frais d'avocat par l'apporteur

La société LCN Consulting fait valoir que l'apporteur d'affaires a pour rôle de mettre en relation des personnes souhaitant conclure un contrat. Dans le cadre d'une obligation de moyen, il n'a pas à garantir la réalisation de la transaction et ne peut être tenu responsable de l'absence de conclusion d'une affaire.

LCN Consulting soutient qu'aucune disposition au contrat d'apport d'affaires ne prévoit la prise en charge des frais d'avocat. Le contrat d'apport d'affaires établit un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, avec notamment l'absence de précision sur la nature des frais ponctuels engagés par Comptoir Drouot Or et le coût du dédit du vendeur, selon ce que prévoit l'article 2-2.

Ceci étant exposé,

Il résulte de l'article 1162 du Code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties, et de l'article L. 442-6-I 2° du Code de commerce, dans sa version alors applicable, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

En l'espèce, le contrat d'apport d'affaires, signé le 15 juillet 2016 par LCN Consulting et Comptoir Drouot Or pour une durée indéterminée, s'applique à " tous les clients apportés par l'apporteur en raison de son action personnelle, s'engageant à faire ses meilleurs efforts et à déployer toutes les diligences à l'effet de présenter les vendeurs des produits recherchés " (article 1). Il prévoit une rémunération de l'apporteur sous la forme d'une commission de 3 % du montant des achats réalisés, proportionnellement au prix de l'achat du métal ou de pierres précieuses (article 2-1).

En revanche, les frais et charges engagés personnellement par l'apporteur ne sont pas pris en charge par Comptoir Drouot Or. L'apporteur est tenu pour responsable des défaillances du vendeur présenté et doit régler les frais ponctuels engagés et le coût du dédit du vendeur, alors que la commission ne lui sera pas versée (article 2-2).

La cour relève que la prestation objet du contrat est déterminée, bénéficie d'une contrepartie financière et s'inscrit dans un secteur où prévalent les usages en matière d'achat de métal précieux, comme LCN Consulting le reconnaît. La préparation d'un contrat de vendeur par un juriste est de ce point de vue une charge. Il revient à LCN Consulting d'offrir une prestation conforme aux attentes légitimes de Comptoir Drouot Or en considération de sa nature, des usages et de la rémunération et la prise en charge de frais engagés à la suite de la défaillance d'un vendeur pressenti ne constitue pas une clause dérogeant à l'ordre public ou créant un déséquilibre significatif.

De plus, si le contrat d'apport d'affaires prévoit la possibilité d'être résilié par lettre recommandée avec accusé de réception à tout moment avec préavis de 30 jours ou en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations par l'une ou l'autre partie, LCN Consulting ne justifie pas l'avoir exercée.

C'est par de justes motifs, que la cour adopte, que les premiers juges ont débouté LCN Consulting de sa demande de constater que les frais d'avocat créent un déséquilibre significatif entre les parties. En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé de ce chef.

Sur les contrats Samarinex et Agor-Metal

LCN Consulting soutient que les frais d'avocat concernant Samarinex et Agor-Metal ne sont pas prouvés. Le contrat Agor-Metal rédigé en anglais nécessite une traduction par traducteur assermenté en application de l'ordonnance de Villers-Cotterêts.

Ceci étant exposé,

Le contrat conclu entre la SARL Comptoir Drouot Or, la société guinéenne Barry et Famille et la SARL marocaine Samarinex, relatif à l'achat de 32 kg d'or en provenance de la république de Guinée, a été préparé par une offre de coopération datée du 18 août 2016. La rédaction du contrat, celle de son " additif " du 29 septembre 2016 et celle de l'accord de confidentialité du 5 septembre 2016, outre la correcte perception de documents en langue étrangère, dans un milieu sensible, et la maîtrise des procédures applicables nécessitent une expertise en concordance avec la profession d'avocat.

De ce point de vue, les premiers juges ont fait une juste appréciation de l'existence de frais engagés au titre de la préparation du contrat Samarinex. En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé de ce chef.

En ce qui concerne le contrat Agor-Metal, la cour relève que les documents rédigés en langue anglaise (pièce 7) ne sont pas des actes de procédure visés par les dispositions de l'ordonnance de Villers-Cotterêts des 10 et 25 août 1539. En revanche, ces documents, issus d'un environnement international spécialisé dans la vente de métaux précieux, constituent un élément de preuve qui ne déroge pas aux dispositions de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le contrat Agor-Metal, ou " Agreement ", conclu entre la SARL Comptoir Drouot Or et la société ivoirienne Agor-Metal pour la vente de 5 kg d'or est daté en sa première page du 12 juillet 2016 et en sa dernière des 13 et 14 juillet 2016. Bien que rédigé en langue anglaise, il contient la mention manuscrite en langue française " bon pour accord et confirmé au 1er septembre 2016 ". Il est étayé d'un document " apporteur " signé du représentant de la " Sas LNC " le 08 juillet 2016.

Il en résulte que les frais engagés au titre de la préparation de ce contrat ne peuvent être mis à la charge de LCN Consulting, le contrat d'apport d'affaires ayant été signé ultérieurement le 15 juillet 2016. En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé de ce chef.

En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a condamné LCN Consulting à payer à la société Comptoir Drouot Or la somme de 1 000 euros. La société LCN Consulting sera condamnée à payer à la société Comptoir Drouot Or la somme de 500 euros.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société LCN Consulting à payer à la société Comptoir Drouot Or la somme de 1 000 euros ; Statuant à nouveau sur ce chef, Condamne la société LCN Consulting à payer à la société Comptoir Drouot Or la somme de 500 euros ; Rejette toute autre demande ; Confirme le jugement pour le surplus ; Condamne la société LCN Consulting aux dépens.