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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 4 novembre 2019, n° 17-03896

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Viacab (SARL)

Défendeur :

Transopco France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseillers :

Mme Castermans, M. Chergé

T. com. Paris, du 30 janv. 2017

30 janvier 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La société Viacab propose en région parisienne depuis le 1er février 2011 des services de voitures de transport avec chauffeur (ci-après " VTC "). La société Viacab, en sa qualité d'exploitant de VTC et de taxis, exerce principalement une activité d'entreprise de transport de personnes à titre onéreux, sous différents noms commerciaux, " Viacab ", " Black Cab ", " Super Cab ", " Pink Cab ", " New Cab ", " Taxi Dog ", " Cab'O ", " Super Navette " et " My chauffeur ".

La société Transopco, créée le 24 novembre 2014, vient aux droits de Transcovo, et se définit comme un prestataire de service, partenaire des exploitants de VTC. Elle a exercé son activité avec une plateforme de réservation à l'enseigne " Chauffeur-privé " et exerce depuis début 2019, sous l'enseigne " Kapten ". Son activité est caractérisée par le mode de réservation, à travers l'application " Kapten " pour smartphones.

La société Viacab reproche à la société Transopco de commettre des actes illicites de concurrence déloyale dans le cadre de son activité en ne respectant pas diverses lois et réglementations.

Par acte d'huissier du 17 novembre 2014, elle a assigné la société Transopco devant le tribunal de commerce de Paris. Elle a demandé la cessation du trouble, la réparation du préjudice et la publication de la décision.

Selon jugement prononcé le 30 janvier 2017, le tribunal de commerce de Paris a statué comme suit :

- Dit que la société Viacab est mal fondée en toutes ses demandes et l'en déboute ;

- Déboute la société Transopco de sa demande de dommages intérêts ;

- Condamne la société Viacab à payer à la société Transopco la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 CPC, ainsi qu'aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 81,90 euros dont 13,43 euros de TVA.

La société Viacab a interjeté appel du jugement.

Par conclusions signifiées le 2 avril 2019, la société Viacab demande à la cour de :

Infirmer le jugement prononcé le 30 janvier 2017 par le tribunal de commerce de Paris sauf en ce qu'il a débouté Transopco France de sa demande de dommages-intérêts,

En conséquence,

A titre principal :

Dire que les intimées agissent en qualité d'opérateur de transport ; que les sociétés Transcovo et Transopco France ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Viacab ;

En tout état de cause :

Ordonner aux sociétés Transcovo et Transopco France, sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard passé un délai de 10 jours après la signification de l'arrêt à intervenir, de cesser de :

- Fournir des services de transport par l'intermédiaire de chauffeurs ayant personnelle ment conclu un contrat de partenariat avec les intimées, à défaut de régularisation d'un contrat de travail avec chacun de ces chauffeurs ;

- Ne pas verser une contrepartie de la période d'astreinte, sous forme financière ou sous forme de repos, quand les chauffeurs sont astreints à être dans leurs véhicules et astreints à être connectés à l'application " Kapten " en mode " disponible " en attente d'une " course réservée " (ou d'un ordre de course) ;

- Conditionner l'acceptation d'une course par le chauffeur, alors que la destination (ou plus largement les caractéristiques complètes) de la course lui est inconnue ;

- D'informer les clients, préalablement à leur réservation, de la localisation et de la disponibilité des véhicules ;

- Présenter comme licite et/ou inciter les chauffeurs de circuler ou de stationner sur la voie publique en recherche de clients,

- Présenter comme licite et/ou inciter les chauffeurs à ne pas retourner au lieu d'établissement de l'exploitant ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, après chaque course ;

- Présenter comme licite et/ou permettre aux chauffeurs LOTI ou capacitaires de réaliser des prestations de transport avec un seul passager ;

- Ne pas fournir l'identification complète et le type de licence détenue par l'opérateur de transport avec qui le client est mis en relation via l'application " Kapten " avant toute réservation préalable ;

- Ne pas fournir aux clients le contrat de transport et/ou les CGV de l'opérateur de transport avec qui le client est mis en relation via l'application " Kapten " ;

Débouter les sociétés Transcovo et Transopco France de l'ensemble de leurs demandes,

Condamner in solidum les sociétés Transcovo et Transopco France à verser à Viacab :

- 2 376 000 euros au titre du gain manqué à titre principal ou 475 200 euros à titre subsidiaire ;

- 154 426 euros au titre de la perte subie à titre principal ou 68 790 euros à titre subsidiaire ;

- 1 000 000 euros au titre du préjudice moral ;

- 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Juger que les sommes allouées à la société Viacab porteront intérêt au taux légalavec capitalisation à compter de la délivrance de l'assignation ;

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur le site internet www.kapten.com et sur l'application " Kapten " téléchargeable sur l'ensemble des stores des opérateurs pendant une durée d'un mois, ainsi que dans les journaux La Tribune, Les Echos et Le Parisien sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, aux frais des intimées, à concurrence de 5 000 euros HT par insertion, et ce, au besoin, à titre de dommages-intérêts complémentaires ;

Condamner in solidum les sociétés Transcovo et Transopco France aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés par Maître D., Avocat, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 29 août 2019, la société Transopco venant aux droits de Transcovo demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 janvier 2017 en toutes ses dispositions à l'exception du rejet de la demande de la société Transopco à titre de dommages-intérêts ;

- Dire et juger la société Viacab mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter ;

- La condamner à payer à la société Transopco la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts, outre la somme de 23 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, sauf à parfaire, ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE,

Il convient à titre préliminaire de relever que la société Transopco venant aux droits de la société Transcovo, cette dernière n'est plus partie à l'instance.

Sur la concurrence déloyale,

Au soutien de son appel, la société Viacab reproche la commission d'actes illicites dans le cadre de l'activité de la société Transopco. Elle soutient que son activité devrait être requalifiée d'opérateur de transport. Elle critique le jugement en ce qu'il s'est fondé sur une jurisprudence de la cour d'appel de Paris du 07 janvier 2016 portant sur une demande de requalification d'un contrat de location de véhicule ainsi qu'un contrat de location de matériel radio en contrat de travail, qui a débouté le demandeur en considérant : " qu'aucun des documents produits ne fait apparaître qu'il n'était pas libre d'organiser son travail journalier et de choisir ses horaires de travail et que la société serait intervenue, à un moment quelconque, dans la gestion de son emploi du temps et de ses périodes de congés en l'obligeant à se connecter et à effectuer des courses alors qu'il ne souhaitait pas les prendre en charge ", que cette jurisprudence a été remise en cause par de nombreuses décisions récentes, qui confirment les fondements juridiques qu'elle soutient, avec la requalification en contrat de travail de la " relation de travail " entre des sociétés de " mise en relation " et de leurs soi-disant partenaires.

La société Viacab reproche également à la société Transopco de commettre des infractions aux règles du droit du travail, du droit du transport et du droit de la consommation.

La société Transopco réplique en substance que les conditions de l'action en concurrence déloyale ne sont pas réunies dès lors que la loi du 1er octobre 2014, intégrée dans le Code des transports, a défini les différentes catégories de professionnels intervenant sur le marché des VTC et notamment celle des intermédiaires, que les deux sociétés ne recouvrent pas les mêmes activités.

Elle ajoute qu'évoquer la question préjudicielle portant sur le service Uber Pop, faisant appel à des chauffeurs non professionnels (illégal en France) n'est pas pertinent ; qu'elle n'a jamais proposé de service de mise en relation avec des chauffeurs non professionnels. Elle ajoute que les contrôles effectués par l'administration n'ont révélé aucune anomalie à sa décharge.

Ceci étant exposé,

Depuis la loi du 22 juillet 2009, le marché des transports après réservation préalable est ouvert à toute concurrence, sous réserve de ne pas commettre d'abus.

La mise en œuvre de l'action en concurrence déloyale est subordonnée à l'existence d'un comportement déloyal. Pour qu'une réparation soit accordée, le demandeur doit prouver l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Selon la société Viacab, l'activité de la société Transopco devrait être requalifiée d'opérateur de transport. Or, la loi du 1er octobre 2014, relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, en vigueur au moment de la saisine du tribunal, a défini les diverses catégories de professionnels intervenant sur le marché des VTC, et notamment celle des intermédiaires de VTC. Ces dispositions ont été intégrées dans le Code des transports.

L'article L. 3141-1 du Code des transports dispose ainsi que :

" Le présent titre est applicable aux professionnels qui mettent en relation des conducteurs ou des entreprises de transport et des passagers pour la réalisation de déplacements répondant aux caractéristiques suivantes : Ils sont effectués au moyen de véhicules motorisés, y compris de véhicules à deux ou trois roues, comportant, outre le siège du conducteur, huit places assises au maximum ".

" Le présent titre n'est pas applicable : aux personnes qui exploitent des services de transport, lorsque la mise en relation a pour objet les services de transport qu'elles exécutent elles-mêmes ;

Aux personnes qui organisent des services privés de transport dans les conditions prévues à l'article L. 3131-1, lorsque la mise en relation a pour objet ces services privés de transport. "

L'article L. 3142-1 du Code des transports, définit la centrale de réservation comme : " tout professionnel relevant de l'article L. 3141-1 dès lors que les conducteurs qui réalisent les déplacements mentionnés au premier alinéa du même article L. 3141-1 exercent leur activité à titre professionnel. "

L'article L. 3142-3 dispose que : " La centrale de réservation est responsable de plein droit, à l'égard du client, de la bonne exécution des obligations résultant du contrat de transport, que ce contrat ait été conclu à distance ou non et que ces obligations soient à exécuter par la centrale elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice du droit de recours de la centrale contre ceux-ci ".

En l'espèce, la société Transopco, qui a pour activité de mettre en relation, via une application pour smartphone des exploitants de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et des clients potentiels, relève du statut d'intermédiaire.

Il apparaît ainsi que les sociétés Viacab et Transopco ne sont pas soumises aux mêmes règles, puisque la société Viacab exerce en qualité d'exploitant direct de VTC.

Il s'ensuit que l'allégation de caractère illicite des activités de la société Transopco est infondée. La demande de requalification de l'activité de la société Transopco en opérateur de transport sera en conséquence rejetée.

S'agissant des actes illicites allégués, ainsi que l'a rappelé le tribunal, il appartient à la société Viacab de rapporter la preuve d'actes de nature à créer un avantage compétitif pour la société Transopco.

La société Viacab fait grief à la société Transopco de ne pas fournir de contrat de partenaire pendant les premiers mois de l'exploitation de la plateforme et sollicite la requalification des contrats conclus avec les chauffeurs en contrats de travail.

Il convient de préciser que le présent litige ne re relève pas du domaine des conseils des prud'hommes, mais que la question posée est de savoir si les contrats de prestations conclus avec la société Transopco, en sa qualité d'intermédiaire, peuvent être analysés comme des actes déloyaux vis à vis de ses concurrents et notamment de la société Viacab, exploitant direct.

Le marché du transport a connu un essor rapide et parallèlement avec les technologies récentes se sont développés de nouveaux services dans le cadre des plateformes numériques. Le législateur est intervenu pour réguler les diverses activités pouvant se développer sur le secteur VTC tout en préservant le monopole des taxis, avec la loi de 2014. Cette loi reconnaît le principe d'indépendance des chauffeurs professionnels à l'égard des plateformes de réservation.

L'article L. 3122-6 du Code des transports, issu de la loi du 1er octobre 2014, impose aux intermédiaires de VTC de s'assurer annuellement que les exploitants-chauffeurs soient titulaires du certificat d'inscription sur le Registre régional des VTC, de la carte professionnelle de conducteur et d'un justificatif d'assurance RC professionnelle, en cours de validité.

L'article L. 3120-3 du Code des transports, met à la charge des intermédiaires de VTC une responsabilité de plein droit à l'égard du client, de la bonne exécution des obligations résultant du contrat de transport.

En l'espèce, avant la loi de 2014, la société Transopco n'était pas assujettie à l'obligation de produire des contrats de partenariat avec ses prestataires, le reproche adressé par Viacab n'est donc pas fondé de ce chef. Depuis 2014, la loi impose l'obligation de présenter les documents légaux précités. La société Transopco justifie par les pièces produites respecter ces prescriptions légales.

S'agissant de la requalification des contrats de partenaire en contrat de travail, cette demande suppose d'apporter la preuve de l'existence d'un lien de subordination avec son donneur d'ordre. Les relations employeur - employés se caractérisent notamment par les prérogatives dévolues à l'employeur, telles que le choix de ses collaborateurs, un pouvoir d'organisation sur l'affectation de ses salariés.

A l'appui de cette demande la société Viacab invoque des décisions ayant retenu un lien de subordination entre les sociétés Uber et les chauffeurs utilisant la plateforme, cependant, ni les cadres juridiques, ni les conditions de fonctionnement ne sont identiques au cas présent.

Pour développer son activité d'intermédiaire de transport, la société Transopco justifie avoir noué des relations contractuelles avec des exploitants de VTC partenaires (chauffeurs indépendants ou regroupés en sociétés) et ne pas avoir acquis de parc de véhicules. Ces caractéristiques la différencient de la société Viacab.

Les pièces versées au dossier établissent que la société Transopco ne recrute, ni ne choisit les chauffeurs nécessaires au fonctionnement de son entreprise. Le chauffeur est libre de se connecter ou non à l'application. Il a la faculté d'accepter ou non les réservations des clients. La société n'impose ni les zones d'activité, ni les quantités d'heures. Le partenaire est libre d'organiser son itinéraire. Il peut proposer ses propres services ou travailler pour d'autres plateformes.

Le nombre de chauffeurs connectés varie d'une semaine à une autre, le nombre d'heures de non disponibilité augmente à chaque fois que la demande augmente, ce qui démontre que les chauffeurs sont présents mais ne travaillent pas plus corrélativement pour l'intermédiaire de VTC.

Il ressort des textes précités que le statut de partenaire est reconnu par la loi. L'article 5.1 des conditions générales du contrat de partenariat, précise que le chauffeur a le libre choix du véhicule qu'il utilise pour exécuter ses prestations de transport, ce qui confirme que la société Transopco ne dispose pas de parc de véhicules.

La facturation, selon les modalités fixées par la société Transopco, contractuellement prévues dans le contrat, est autorisée par la loi dans ce type de relation. La société Transopco se rémunère sur les courses effectuées, payées par les clients. Elle retient une commission de 20 %.

Ce faisceau d'éléments ne démontre pas l'existence de liens dissimulés de subordination.

Au surplus, les contrôles menés par l'administration sur les conditions d'exercice des intermédiaires et précisément de la société Transopco n'ont fait l'objet d'aucune remise en cause. La faute en ce domaine n'est pas rapportée.

Concernant les griefs relevant du Code des transports, il résulte des développements précédents que le domaine d'activité de la société Transopco en qualité d'intermédiaire VTC diffère de celle de l'exploitant direct, que les partenaires chauffeurs de VTC sont autonomes, ce qui induit une absence de rapport de concurrence entre les deux sociétés.

S'agissant des actes illicites en violation du droit de la consommation, permettant une captation illicite de clientèle. Il ressort des conditions générales fournies par la société Transopco qu'elles mentionnent clairement les informations requises. Les factures produites pour le compte du prestataire, font apparaître le nom de ce dernier et de son siège social.

De même, la cour adopte les motifs du tribunal en ce qu'il a jugé que lorsqu'apparaît que " tel " véhicule sur l'écran, est disponible dans " tel " délai, l'utilisateur ne reçoit la confirmation du temps d'attente et de l'identification du chauffeur, que postérieurement à la commande, ce qui ne constitue pas une atteinte à la concurrence et respecte les prescriptions légales.

Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a jugé qu'aucun acte illicite générateur de concurrence déloyale ne pouvait être reproché à la société Transopco.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dommages et intérêts,

Il n'est pas démontré que l'action poursuivie par la société Viacab ait dégénéré en abus. La demande de ce chef ne sera pas accueillie.

La société Viacab, partie perdante, au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, sera tenue de supporter la charge des entiers dépens.

Il paraît équitable d'allouer à la société Transopco une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 janvier 2017 en toutes ses dispositions ; Condamne la société Viacab à payer à la société Transopco, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Viacab aux entiers dépens.