CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 novembre 2019, n° 18-27792
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Skypost (SARL)
Défendeur :
Colis Privé (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
Mmes Soudry, Lignières
Avocats :
Mes Geronimi, Galland, Audigier
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Colis Privé est un opérateur de transport routier de marchandises dont l'activité consiste à assurer la livraison de colis, principalement destinés à des particuliers, pour le compte de sociétés de vente par correspondance et de e-commerce. Elle intervient en qualité de commissionnaire de transport et organise le transport de colis (la marchandise, dont elle n'est pas propriétaire) confiés par ses donneurs d'ordre jusqu'au domicile de leurs clients.
La société Skypost exerce une activité de transport public routier de marchandises.
La société Colis Privé et la société Skypost ont signé un contrat de sous-traitance de livraison de colis le 10 juin 2013.
Aux termes des stipulations contractuelles, la société Skypost réalisait des livraisons pour le compte de la société Colis Privé puis présentait en fin de mois sa facture pour règlement.
Les factures du sous-traitant étaient ensuite réglées par la société Colis Privé après déduction des factures émises par cette dernière en cas de litige, de retard ou de colis non-livrés aux destinataires imputables à la société Skypost, conformément aux stipulations contractuelles.
Par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 mai 2014, la société Colis Privé a mis en demeure la société Skypost de rétablir la qualité de ses prestations, en indiquant qu'à défaut d'amélioration notable, le contrat pourra être rompu sans préavis.
Par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 12 juin 2014, la société Colis Privé a mis fin à la relation contractuelle entre les parties pour manquements graves et répétés à l'obligation de qualité.
Par la suite, la société Colis Privé a confirmé par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 juin 2014 adressée à la société Skypost sa position et la rupture de la relation contractuelle.
Selon acte d'huissier du 12 mars 2015, la société Skypost a fait assigner la société Colis Privé devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, en rupture abusive du contrat et paiement de diverses sommes.
Par un jugement du 15 février 2016, le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a :
- rejeté la demande de la SAS Colis Privé tendant à voir déclarer prescrite la demande de remboursement de frais formulés par la SARL Skypost,
- débouté la SARL Skypost de sa demande tendant à voir la SAS Colis Privé condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros pour non-respect du délai de préavis,
- débouté la SARL Skypost de sa demande de remboursement de frais de repostage pour la somme de 4 169,26 euros,
- débouté la SARL Skypost de sa demande tendant à voir la SAS Colis Privé condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros pour résistance abusive,
- condamné la SARL Skypost à payer à la SAS Colis Privé une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Le 18 octobre 2018, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu un arrêt d'incompétence et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 24 juin 2019, la société Skypost demande à la cour de :
Vu les articles 1134, 1147 du Code civil,
Vu les articles 1382 du Code civil et en tant que de besoin, L. 442-6 2° du Code de commerce,
Vu les articles L. 110-4 et L. 133-6 du Code de commerce,
Vu les pièces,
- recevoir la concluante en son appel et la déclarer bien fondée,
- rejeter l'ensemble des demandes fins et conclusions de l'intimé,
- déclarer recevable l'action de la SARL Skypost, la prescription annale n'étant pas acquise ;
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence le 15 février 2016 dans toutes ses dispositions ;
- juger que la rupture du contrat conclu entre la société Colis Privé et la société Skypost, sans respect du préavis contractuel, est abusive et infondée ;
- juger que la clause de tarification imposée par la société Colis Privé est imprécise, irréaliste et irréalisable ;
- condamner la société Colis Privé à indemniser l'ensemble des préjudices subis par la société Skypost durant l'exécution du contrat et du fait de sa rupture brutale ;
En conséquence,
- la condamner à verser à la SARL Skypost la somme de 4 169,26 euros au titre des facturations de repostage abusives ;
- la condamner à verser à la SARL Skypost la somme de 3 000 euros pour non-respect du préavis applicable d'une durée de 2 mois ;
- la condamner à verser à la SARL Skypost la somme de 5 000 euros pour résistance abusive et mauvaise foi ;
- la condamner à verser à la société Skypost la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Alterjuris Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 11 juin 2019, la société Colis Privé demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence le 15 février 2016 ;
- dire et juger que la demande de la société Skypost au titre de la contestation de la facture d'un montant 4 169,26 euros est irrecevable en raison de l'écoulement de la prescription d'un an de l'article L. 133-6 du Code de commerce ;
- dire et juger que les autres demandes de la société Skypost ne sont ni fondées ni justifiées.
En tout état de cause,
- débouter la société Skypost de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Skypost à verser à la société Colis Privé la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 juillet 2019.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande en paiement de la facture et le moyen tiré de la prescription
La société Skypost soutient que le délai de prescription débute à compter du jour de la fin des relations contractuelles soit le 17 juin 2014 et l'assignation du 12 mars 2015 a interrompu la prescription qui n'était pas acquise ni au vu du délai d'un an prévu par l'article L. 133-6 du Code de commerce ni du délai de cinq ans prévu par l'article L. 110-4 du Code de commerce.
La société Colis Privé réplique que les demandes de la société Skypost portant sur la facture contestée du 1er octobre 2013 est irrecevable car prescrite depuis le 1er octobre 2014, en vertu de l'article L. 133-6 du Code de commerce.
Comme le fait observer la société Colis Privé, il y a lieu de distinguer la demande de remboursement de la facture de pénalités de 4 169,26 euros en date du 1er octobre 2013 et les demandes relatives à la rupture du contrat de sous-traitance, intervenue le 12 juin 2014.
L'article L. 133-6 du Code de commerce dispose :
" Les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d'un an, sans préjudice des cas de fraude ou d'infidélité.
Toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l'expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de l'article 1269 du Code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d'un an. Dans le cas de perte totale, du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée, et, dans tous les autres cas, du jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire. "
La société Skypost et la société Colis Privé ont signé un contrat de sous-traitance de livraison de colis le 10 juin 2013 et sont donc soumises aux dispositions légales spécifiques relatives au transport de marchandises.
La facture de pénalité dont le remboursement est réclamé est datée du 1er octobre 2013, pour des livraisons intervenues en septembre 2013 ; lorsque la société Skypost a fait délivrer le 12 mars 2015, l'assignation à la société Colis Privé, l'action en remboursement de la facture émise dans le cadre de l'exécution du contrat de transport était prescrite depuis le 1er octobre 2014, sans qu'il y ait lieu de prendre en compte la poursuite de la relation contractuelle.
Le jugement sera infirmé en ce que le tribunal de commerce a jugé que la demande de la société Skypost relative à la contestation de la facture émise par la société Colis Privé n'était pas prescrite.
Sur la rupture du contrat
La société Skypost fait valoir que la société Colis Privé justifie la rupture immédiate et sans préavis du contrat en se fondant sur une violation grave et répétée à l'obligation de qualité ou de continuité alors même que ces obligations ne figurent pas clairement dans le contrat et que la société Skypost n'a pu s'engager en connaissance de cause, que les obligations de qualité visées ne constituent que des obligations de moyens et ne constituent pas des manquements graves, que le contrat est déséquilibré en ce qu'il contient des obligations qui sont favorables à l'excès à la société Colis Privé, qu'au regard du nombre de colis à livrer et du secteur imposé à la société Skypost, elle ne pouvait être en mesure de respecter les taux surévalués, que la société Colis Privé n'a pas respecté l'obligation générale de loyauté et de bonne foi dans la formation et l'exécution du contrat.
La société Colis Privé répond que la livraison du colis dans les délais impartis et l'absence de litiges ou de réclamation à ce titre avec les destinataires finaux est une obligation intrinsèque et essentielle du sous-traitant dans le cadre du contrat, que les cocontractants ont fixé au contrat et par avenant des objectifs et des taux de qualité de service dans le cadre desquels le distributeur se voyait verser des bonus en cas de dépassement des objectifs, que la société Skypost s'est engagée aux termes du contrat à disposer et prévoir des moyens humains et logistiques suffisants pour assurer sa mission, de sorte qu'elle ne peut prétendre aujourd'hui que le contrat était déséquilibré, que la société Skypost a fait l'objet de nombreuses mises en demeure et d'alertes qualité pour des taux de réclamation et de livraison peu satisfaisants.
L'article 1 du contrat de sous-traitance conclu entre les parties le 10 juin 2013 stipule :
"Durée du contrat et résiliation :
Le présent Contrat est conclu pour une durée indéterminée à compter de sa signature.
Il pourra être résilié à tout moment par Colis Privé par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception moyennant le respect d'un préavis :
- d'un mois si la durée des relations contractuelles est inférieure à six mois ;
- de deux mois si la durée des relations contractuelles est comprise entre six mois et un an ;
- de trois mois si la durée des relations contractuelles est supérieure à un an.
Par ailleurs, le présent Contrat pourra être résilié de plein droit, sans préavis et sans indemnité, par l'une des parties en cas d'inexécution par l'autre partie de l'une des obligations mises à sa charge par le présent contrat.
En cas de manquement grave ou répété à l'obligation de qualité ou de continuité de la prestation par le sous-traitant (exigence substantielle des clients de Colis Privé), sauf cas de force majeure, Colis Privé adressera au sous-traitant une mise en demeure d'y remédier dans un délai de 8 jours ouvrés à compter de la réception de la lettre. A défaut d'y remédier dans ce délai, le présent Contrat sera alors résilié de plein droit. "
Selon les dispositions de l'article L. 442-6 2° du Code de commerce, la SAS Colis Privé pourrait engager sa responsabilité pour avoir soumis ou tenté de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Le représentant de la société Skypost a écrit à deux reprises à la société Colis Privé les 11 et 13 juin 2014, postérieurement à la résiliation du contrat, pour lui indiquer qu'elle ne parvenait pas à respecter les objectifs qui lui avaient été fixés car le gérant effectuait seul la tournée sur un secteur étendu.
Il est mentionné au contrat que les prix des prestations ont été calculés et déterminés par le distributeur, que le prix de la prestation tient également compte de la réalisation des livraisons en fonction d'un taux de service et de la qualité de service :
Il est prévu un bonus en fonction du taux de service et de qualité atteint.
La société Skypost a pu proposer un prix de prestation en fonction des exigences posées par son cocontractant ; l'objectif à atteindre est mentionné dans le contrat ce qui a permis à la société Skypost de déterminer les moyens à mettre en œuvre pour réaliser la prestation.
Il est prévu à la date anniversaire du contrat la possibilité pour chaque partie de renégocier le prix de la prestation.
Au vu de l'économie générale du contrat, et des clauses du contrat, il ne peut être retenu que la société Colis Privé a tenté de soumettre la société Skypost à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La société Colis Privé reproche à la société Skypost les manquements suivants :
- rendez-vous domicile non respectés ;
- rendez-vous relais non respectés ;
- repostage sur colis non avisés et retournés sous deux jours ;
- repostage sur colis non avisés et retournés sous plus de deux jours.
La société Colis Privé a adressé des mises en demeure à la société Skypost :
- le 11 septembre 2013 avec pour objet " alerte qualité " ;
- le 19 septembre 2013 avec pour objet " mise en demeure qualité " ;
- le 8 novembre 2013 avec pour objet " mise en demeure qualité " ;
- le 4 février 2014 avec pour objet " mise en demeure qualité " ;
- le 4 février 2014 avec pour objet " alerte qualité " ;
- le 30 mai 2014 avec pour objet " mise en demeure qualité " ;
Aux termes de ces mises en demeure, il était reproché à la société Skypost un défaut de qualité satisfaisant et non conforme aux engagements contractuels :
" Nous constatons que les délais de livraison ne sont pas tenus ce qui engendre un taux très important de réclamations par les destinataires .... De plus, vous ne respectez les rendez-vous et les relais de façon systématique, vous ne répondez pas aux enquêtes transmises par le service relation clients et vous ne renvoyez pas les colis demandés en retour comme les procédures l'exigent. "
Au cours de l'exécution du contrat, sur une période de quelques mois, la société Skypost a reçu plusieurs mises en demeure relatives à la qualité de ses prestations ; il n'est pas reproché à la société Skypost de ne pas atteindre l'objectif fixé mais d'en être très éloignée.
Aux termes de son courrier en date du 12 juin 2014 mettant fin à la collaboration, la société Colis Privé mentionne les résultats suivants à l'appui de la résiliation du contrat :
Taux de livraison en MET + 2 : objectif : 95 %
- au 20 février 2014 : 52, 3 %
- au 8 mars 2014 : 62, 8 % :
- au 26 avril 2014 : 69 %
- au 15 mai 2014 : 64,3 %
- au 5 juin 2014 : 64, 3 %
Taux de réclamations clients nursés en 2014 (objectif contractuel à 0,80 %)
Semaine 5 : 6,62 %
Semaine 6 : 8,94 %
Semaine 17 : 5,10 %
Semaine 22 : 7,69 %
Semaine 23 : 10,64 %
La société Colis Privé ayant régulièrement mis en garde la société Skypost sur les résultats insatisfaisants et celle-ci n'ayant pas mis en place les moyens de nature à y remédier et à améliorer les conditions de remise et de retour des colis, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que les manquements répétés de la société Skypost dans l'exécution du contrat alors qu'elle avait reçu des alertes et mises en demeure justifient la résiliation du contrat par la société Colis Privé sur le fondement de l'article 1 du contrat sans avoir à respecter de préavis.
Sur la demande de la société Skypost pour procédure abusive
Il résulte de l'article 1240 du Code civil qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus.
L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par la juridiction.
En l'espèce, la société Colis Privé, n'étant intervenu en appel qu'en qualité d'intimé et ayant obtenu satisfaction, et il y a lieu de débouter la société Skypost de sa demande de dommages et intérêts formulée à ce titre.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de condamner la société Skypost à verser à la société Colis Privé la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; l'appelante sera déboutée de sa demande ce chef ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement en ce que le tribunal a déclaré recevable la demande en restitution de la somme de 4 169,26 euros, Le Confirme pour le surplus, Statuant à nouveau du chef infirmé, Déclare irrecevable comme prescrite la demande de la société Skypost en remboursement de la facture d'un montant de 4 169,26 euros, Condamne la société Skypost payer à la société Colis Privé la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société Skypost de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Rejette toute autre demande.