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Décisions

CJUE, 9e ch., 6 novembre 2019, n° C-75/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

MF

Défendeur :

BNP Paribas Personal Finance Paris SA Sucursala Bucuresti, Secapital Sàrl

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodin (rapporteur)

Avocat général :

Mme Kokott

Juges :

Mme Jürimäe, M. Piçarra

CJUE n° C-75/19

6 novembre 2019

LA COUR (neuvième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, de l'article 7, paragraphe 2, et de l'article 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), à la lumière des douzième, vingt et unième et vingt-troisième considérants de celle-ci.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant MF à BNP Paribas Personal Finance Paris SA Sucursala Bucuresti, venant aux droits de SC-Cetelem IFN Bucuresti SA, et à Secapital Sàrl au sujet d'un contrat de prêt destiné au financement de l'acquisition de biens de consommation.

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3 Le douzième considérant de la directive 93/13 énonce :

" considérant, toutefois, qu'en l'état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable ; que, notamment, seules les clauses contractuelles n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle font l'objet de la présente directive ; qu'il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité, d'assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la présente directive ".

4 Le vingt et unième considérant de cette directive est ainsi libellé :

" considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d'éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel ; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s'il peut subsister sans les clauses abusives ".

5 Le vingt-troisième considérant de ladite directive énonce :

" considérant que les personnes ou les organisations ayant, selon la législation d'un État membre, un intérêt légitime à protéger le consommateur, doivent avoir la possibilité d'introduire un recours contre des clauses contractuelles rédigées en vue d'une utilisation généralisée dans des contrats conclus avec des consommateurs, et en particulier, contre des clauses abusives, soit devant une autorité judiciaire soit devant un organe administratif compétents pour statuer sur les plaintes ou pour engager les procédures judiciaires appropriées ; que cette faculté n'implique, toutefois, pas un contrôle préalable des conditions générales utilisées dans tel ou tel secteur économique ".

6 Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

" Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s'il peut subsister sans les clauses abusives. "

7 L'article 7 de cette directive dispose :

" 1. Les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu'ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d'une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation de telles clauses.

[...] "

8 L'article 8 de ladite directive prévoit :

" Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. "

Le droit roumain

9 La Legea nr. 93 privind institu?iile financiare nebancare (loi n° 93 relative aux institutions financières non bancaires), du 8 avril 2009, prévoit, à son article 52, que les contrats de prêt conclus par une institution financière non bancaire ainsi que les garanties réelles et personnelles affectées pour garantir le crédit constituent des titres exécutoires.

10 La Legea nr. 193 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesionisti si consumatori (loi n° 193 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs), du 6 novembre 2000 (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 560 du 10 novembre 2000), dans sa version modifiée en 2014 (ci-après la " loi n° 193/2000 "), prévoit, à ses articles 1er et 6, respectivement, l'interdiction pour les professionnels d'inclure des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et l'absence d'effets de telles clauses à l'égard des consommateurs. L'article 14 de cette loi prévoit que les consommateurs lésés par les contrats conclus en violation des dispositions de ladite loi peuvent s'adresser aux organes judiciaires, en conformité avec les dispositions du code civil et du code de procédure civile.

11 La Legea nr. 134 privind Codul de procedura civila (loi n° 134 relative au code de procédure civile), du 1er juillet 2010, dans sa version republiée (ci-après le " code de procédure civile "), confère, à son article 712, paragraphe 1, aux personnes concernées ou lésées par l'exécution, le droit de faire opposition à l'exécution forcée, aux décisions adoptées par l'huissier ainsi qu'à tout acte d'exécution. Le paragraphe 2 dudit article prévoit également la possibilité de contester l'exécution lorsqu'il est nécessaire de clarifier le sens, la portée ou l'application du titre exécutoire.

12 L'article 713 du code de procédure civile, relatif aux conditions de recevabilité d'une opposition à l'exécution, dispose, à son paragraphe 2, que, si l'exécution est fondée sur un titre exécutoire autre qu'une décision juridictionnelle, le débiteur peut invoquer, dans le cadre de l'opposition à l'exécution, des motifs de fait ou de droit concernant le bien-fondé du droit visé dans le titre exécutoire lorsque la loi ne prévoit pas de voie procédurale spécifique susceptible de conduire à l'annulation de ce titre. En vertu du paragraphe 3 de cet article, une partie ne saurait former une nouvelle opposition fondée sur des motifs qui auraient déjà existé à la date de la première opposition. Toutefois, l'opposant peut modifier sa demande initiale en ajoutant de nouveaux motifs d'opposition si, concernant ces derniers, le délai pour exercer l'opposition à l'exécution est respecté.

13 L'article 715 de ce code, relatif aux délais, prévoit, à son paragraphe 1, point 1, que l'opposition à l'exécution doit être formée dans un délai de quinze jours, lequel court à compter de la date à laquelle l'opposant a pris connaissance de l'acte d'exécution auquel il s'oppose. Au paragraphe 3, il est prévu que l'opposition tendant à préciser le sens, l'étendue ou l'application du titre exécutoire peut être formée à tout moment dans le délai de prescription du droit d'obtenir l'exécution forcée.

14 L'article 720 dudit code, relatif aux effets de la décision sur l'opposition, dispose, à son paragraphe 1, que, si l'opposition à l'exécution est accueillie, la juridiction saisie, compte tenu de l'objet de cette opposition, procède, selon le cas, à la modification ou à l'annulation de l'acte d'exécution contesté, à l'annulation ou à la modification de la cessation de l'exécution elle-même, ou encore à l'annulation ou à la clarification du titre exécutoire.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 Le 27 octobre 2008, MF a conclu auprès de Cetelem IFN Bucuresti, un établissement financier non bancaire, un contrat de prêt d'un montant de 3 498 lei roumains (RON) (environ 740 euros), destiné à l'achat de biens de consommation auprès d'un magasin d'appareils électroménagers. Ce contrat prévoyait un taux d'intérêt annuel de 12,70 %, des commissions mensuelles de 0,87 %, une prime d'assurance mensuelle de 7,52 RON (environ 1,5 euro) et un taux annuel effectif global (TAEG) de 29,82 %. L'annexe 1 de ce contrat comportait les conditions générales, qui définissaient les termes utilisés et fixaient le montant des commissions et des pénalités de retard.

16 MF n'ayant pas procédé au remboursement des mensualités du contrat de prêt en cause, Secapital a, en qualité de cessionnaire du contrat de crédit en cause, déposé, le 5 décembre 2013, auprès d'un huissier de justice, une demande d'exécution forcée portant sur un montant total de 4 209,19 RON (environ 890 euros), représentant 2 955,52 RON (environ 629 euros) de principal, 510,42 RON (environ 106 euros) d'intérêts, 220 RON (environ 45 euros) de pénalités et 523,25 RON (environ 110 euros) de commissions bancaires impayées.

17 La juridiction de l'exécution initialement saisie de la demande d'exécution forcée a rejeté cette demande au motif que Secapital n'avait pas rapporté la preuve de l'existence d'une créance certaine et exigible. La juridiction d'appel a cependant accueilli cette demande et autorisé l'exécution forcée. En conséquence, le 2 avril 2014, l'huissier de justice en cause a émis les premiers actes d'exécution forcée, la notification de ces actes à MF ayant eu lieu le 7 avril 2014. Le 21 mai 2014, l'huissier de justice a ordonné la saisie du salaire de MF.

18 Le 7 novembre 2014, MF a demandé, par la voie d'une opposition à l'exécution forcée formée devant la Judecatoria Târgu Mures (tribunal de première instance de Târgu Mures, Roumanie), l'annulation de tous les actes d'exécution et de l'exécution forcée elle-même ainsi que de la décision autorisant l'exécution forcée, au motif que le droit de demander l'exécution forcée était prescrit. Secapital a invoqué une exception d'irrecevabilité tirée du caractère tardif de la demande d'opposition à l'exécution forcée. Après que la juridiction saisie a, le 5 janvier 2015, ordonné la suspension provisoire de l'exécution forcée, MF a complété sa demande d'opposition, en demandant à ladite juridiction de constater la nullité absolue du titre exécutoire que constitue le contrat de prêt, s'agissant de certaines clauses insérées dans ce contrat qui auraient présenté un caractère abusif.

19 En réponse, Secapital a fait valoir que le moyen tiré du prétendu caractère abusif de clauses d'un contrat fondant un titre exécutoire ne peut être soulevé dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'exécution forcée, le code de procédure civile prévoyant que l'opposant ne peut invoquer des moyens de fait ou de droit portant sur le fond du droit du titre exécutoire que si la législation nationale ne prévoit aucune autre procédure spécifique pour l'annulation dudit titre. Or, les dispositions de la loi n° 193/2000 prévoiraient une telle procédure.

20 La juridiction de première instance a rejeté l'exception d'irrecevabilité invoqué par Secapital, en considérant que l'annulation du titre exécutoire constitué par un contrat de prêt est l'action en justice qui comprend également l'opposition à l'exécution, prévue à l'article 712, paragraphe 1, du code de procédure civile. En revanche, ladite juridiction a admis l'exception tirée du caractère tardif de la demande d'opposition à l'exécution et a rejeté comme tardive la demande de la requérante, en application des dispositions du code de procédure civile qui prévoient un délai de quinze jours pour l'introduction de ladite demande d'opposition.

21 La requérante a interjeté appel devant le Tribunalul Specializat Mures (tribunal spécialisé de Mure?, Roumanie), qui, dans ce contexte, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) Les dispositions de la directive [93/13] et, plus particulièrement, ses douzième, vingt et unième et vingt-troisième considérants ainsi que son article 6, paragraphe 1, son article 7, paragraphe 2, et son article 8 s'opposent-elles à ce que le juge national donne une interprétation selon laquelle, dans le cadre d'une opposition à l'exécution, qui constitue, en vertu du droit national, une action spéciale pouvant être intentée, sous certaines modalités et conditions restrictives, après l'ouverture d'une procédure d'exécution forcée contre l'opposant, le consommateur ne saurait invoquer, au motif qu'il est irrecevable de le faire par cette voie, l'existence de clauses abusives dans un contrat de prêt conclu avec un professionnel, contrat qui représente, en vertu de la loi, un titre exécutoire et sur le fondement duquel la procédure d'exécution forcée a été engagée contre le consommateur, au regard de la législation nationale qui prévoit une action de droit commun, imprescriptible, par laquelle le consommateur peut demander à tout moment de constater l'existence de clauses abusives et leur absence d'effet, sans que toutefois la solution donnée dans le cadre de cette procédure ne produise des conséquences directes sur la procédure d'exécution forcée, avec le risque que celle-ci s'achève avant l'obtention d'une solution dans le cadre de la procédure de droit commun ?

2) Dans l'affirmative, ces mêmes dispositions de la directive s'opposent-elles à une disposition de droit national établissant un délai de quinze jours à compter de la notification des premiers actes de la procédure d'exécution forcée (dans une disposition impérative, d'ordre public, dont le non-respect entraîne le rejet de l'action comme étant intentée tardivement) pour que le consommateur opposant (débiteur visé par l'exécution forcée) invoque le caractère abusif de clauses abusives contenues dans un contrat de prêt conclu avec un professionnel, dans la mesure où le même régime s'applique à l'invocation de griefs similaires considérés comme des moyens de défense relatifs au fond de l'affaire, étant donné que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif de clauses contractuelles dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ? "

Sur les questions préjudicielles

22 En vertu de l'article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, lorsqu'une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l'avocat général entendu, de statuer par voie d'ordonnance motivée.

23 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

24 Par ses deux questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une règle du droit national en vertu de laquelle un consommateur ayant souscrit un contrat de prêt auprès d'un établissement de crédit et contre lequel ce professionnel a engagé une procédure en exécution forcée est forclos, au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la notification des premiers actes de cette procédure, à invoquer l'existence de clauses abusives pour s'opposer à ladite procédure.

25 Il convient de rappeler que la protection effective des droits découlant de la directive 93/13 ne saurait être garantie qu'à la condition que le système procédural national prévoie, dans le cadre de la procédure de délivrance d'une injonction de payer ou dans celui de la procédure d'exécution d'une telle injonction, un contrôle d'office, par un juge, du caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans le contrat concerné (voir, en ce sens, arrêts du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C-49/14, EU:C:2016:98, point 46, et du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17, EU:C:2018:745, point 45).

26 Ainsi, dans l'hypothèse où aucun contrôle d'office, par un juge, du caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans le contrat concerné n'est prévu au stade de l'exécution de l'injonction de payer, une législation nationale doit être considérée comme étant de nature à porter atteinte à l'effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 si elle ne prévoit pas un tel contrôle au stade de la délivrance de l'injonction de payer ou, lorsqu'un tel contrôle est prévu uniquement au stade de l'opposition formée contre l'injonction de payer, s'il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l'opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu'une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que la législation nationale ne prévoit pas l'obligation que lui soient communiquées toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l'étendue de ses droits (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C-618/10, EU:C:2012:349, point 54 ; du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C-49/14, EU:C:2016:98, points 52 et 54, ainsi que du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17, EU:C:2018:745, point 46).

27 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s'interroge sur le point de savoir si la directive 93/13 s'oppose à une règle du droit national, telle que celle résultant des articles 712 et suivants du chapitre VI du code de procédure civile, qui prévoit un délai de quinze jours, lequel court à compter de la notification au débiteur de la procédure d'exécution forcée, dans lequel celui-ci peut, par la voie de l'opposition à l'exécution forcée, soulever le caractère abusif d'une clause contractuelle alors qu'une action aux fins de constatation de l'existence de clauses abusives contenues dans le titre exécutoire n'est soumise à aucun délai.

28 À cet égard, il y a lieu de relever que la préservation de l'effet utile de la directive 93/13 s'oppose à ce qu'une réglementation nationale permette la délivrance d'une injonction de payer contre un consommateur sans que ce dernier ait été en mesure de bénéficier, au cours de la procédure, de la garantie qu'un contrôle de l'absence de clause abusive dans le contrat concerné soit opéré par un juge (arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17, EU:C:2018:745, point 49 et jurisprudence citée).

29 En l'occurrence, si la juridiction de renvoi a indiqué dans sa décision de renvoi qu'il existe, en droit national, une procédure distincte de la voie de l'opposition à l'exécution, non soumise à un délai de prescription, permettant d'invoquer le caractère abusif d'une clause d'un contrat, cette juridiction a précisé qu'une telle circonstance était sans effet sur la procédure en exécution forcée, dans la mesure où cette dernière peut s'imposer au consommateur avant l'issue de l'action en constatation de l'existence de telles clauses abusives.

30 Or, ainsi qu'il a été rappelé au point 26 de la présente ordonnance, l'existence d'un contrôle par un juge de l'absence de clause abusive dans le contrat concerné au seul stade de l'opposition à l'exécution forcée n'est susceptible de préserver l'effet utile de la directive 93/13 que si les consommateurs ne sont pas dissuadés de former une telle opposition (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17, EU:C:2018:745, point 51).

31 En l'occurrence, si la réglementation nationale en cause au principal prévoit un délai strict de quinze jours au cours duquel le consommateur peut former opposition à l'injonction de payer, il demeure que, au-delà de ce délai, le caractère abusif de clauses du contrat qui constitue le fondement d'une telle injonction n'est plus susceptible d'être examiné avant l'exécution de cette injonction.

32 À cet égard, dans l'hypothèse où la procédure d'exécution forcée aboutit avant le prononcé de la décision du juge du fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle à l'origine de cette exécution forcée et, par voie de conséquence, la nullité de cette procédure, cette décision ne permettrait d'assurer audit consommateur qu'une protection a posteriori indemnitaire, qui se révélerait incomplète et insuffisante et ne constituerait un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l'utilisation de cette même clause, contrairement à ce que prévoit l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C-415/11, EU:C:2013:164, point 60).

33 Par conséquent, une réglementation telle que celle en cause au principal génère un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas opposition dans le délai strict de quinze jours après la notification de la procédure d'exécution forcée et que, par suite, le contrôle par un juge de l'absence de clause abusive dans le contrat concerné ne puisse être effectué (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17, EU:C:2018:745, point 53).

34 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une règle du droit national en vertu de laquelle un consommateur ayant souscrit un contrat de prêt auprès d'un établissement de crédit et contre lequel ce professionnel a engagé une procédure en exécution forcée est forclos, au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la notification des premiers actes de cette procédure, à invoquer l'existence de clauses abusives pour s'opposer à ladite procédure, et cela même si ce consommateur dispose, en application du droit national, d'une action en justice aux fins de constatation de l'existence de clauses abusives, dont la mise en œuvre n'est soumise à aucun délai, mais dont la solution est sans effet sur celle qui résulte de la procédure en exécution forcée, laquelle peut s'imposer au consommateur avant l'issue de l'action en constatation de l'existence de clauses abusives.

Sur les dépens

35 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une règle du droit national en vertu de laquelle un consommateur ayant souscrit un contrat de prêt auprès d'un établissement de crédit et contre lequel ce professionnel a engagé une procédure en exécution forcée est forclos, au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la notification des premiers actes de cette procédure, à invoquer l'existence de clauses abusives pour s'opposer à ladite procédure, et cela même si ce consommateur dispose, en application du droit national, d'une action en justice aux fins de constatation de l'existence de clauses abusives, dont la mise en œuvre n'est soumise à aucun délai, mais dont la solution est sans effet sur celle qui résulte de la procédure en exécution forcée, laquelle peut s'imposer au consommateur avant l'issue de l'action en constatation de l'existence de clauses abusives.