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CA Aix-en-Provence, 1re ch. sect. 6, 7 novembre 2019, n° 18-06641

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Campagnolo (SRL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Noel

Conseillers :

Mmes Gilly-Escoffier, Vella

TGI Nice, du 13 Mars 2018

13 mars 2018

FAITS ET PROCÉDURE

M. P. expose avoir acquis une bicyclette de marque Campagnolo en novembre 1996 en Italie. Le 30 décembre 2001, la rupture d'une pièce métallique de la selle aurait occasionné une chute et un traumatisme lombaire subséquent.

En juin 2010, M. P. a assigné en réparation de son préjudice la société Campagnolo France. Cette dernière a estimé que la société concernée était la maison-mère, en l'occurrence la société de droit italien SRL Campagnolo.

Par assignation du 8 octobre 2014, M. P. a saisi le TGI de Nice d'une action en responsabilité dirigée contre la société Campagnolo ayant son siège social en Italie, au visa des articles 1386-1 et suivants régissant la responsabilité du fait des produits défectueux.

Par jugement du 13 mars 2018, le TGI de Nice a considéré que :

- dans la mesure où la bicyclette avait été achetée en 1996, l'action en justice était soumise au régime de prescription antérieur à celui résultant des articles 1386-16 et 1386-17 du Code civil issu de la loi du 19 mai 1998,

- que le délai de prescription applicable était donc de dix ans à compter de la réalisation du fait dommageable,

- mais qu'en tout état de cause, l'action en justice engagée en 2014 pour un dommage survenu en 2001 était prescrite, puisque l'instance engagée initialement en 2010 était éteinte par suite d'un désistement ou d'une péremption.

Par déclaration du 17 avril 2019, M. P. a interjeté appel du jugement du TGI de Nice, en ce qu'il a constaté la prescription de son action en responsabilité contre la société Campagnolo, déclaré ses demandes irrecevables et l'a condamné aux dépens de l'instance.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 février 2019, M. P. approuve le jugement en ce qu'il retient un délai de prescription de dix ans courant à compter du fait dommageable. Cependant, il conteste le désistement ou la péremption de l'instance engagée en 2010. Et de souligner que si ladite instance a donné lieu à une radiation par ordonnance du juge de la mise en état du 27 février 2012, elle a été réinscrite au rôle. Et que la clôture de la mise en état a été prononcée le 20 janvier 2014 avec fixation de l'audience de plaidoirie au 3 février 2014, soit huit mois avant l'assignation visant la SRL Campagnolo donc à l'intérieur du délai biennal de péremption de cette première instance.

M. P. demande à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- juger que la procédure visant la SRL Campagnolo n'est pas frappée par la prescription,

- désigner tel expert aux fins d'évaluation du préjudice corporel subi,

- condamner la société Campagnolo à lui verser une somme de 10 000 euros à titre de provision et pour les frais d'expertise,

- condamner la société Campagnolo au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par RPVA le 17 septembre 2018, la société Campagnolo soutient :

1. que l'action de M. P. fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux doit s'apprécier au regard des nouvelles règles de prescription issues de la loi du 19 mai 1998. Précisément, toute action en responsabilité serait prescrite sur le double fondement des articles 1386-16 et 1386-17 du Code civil, plus de dix ans s'étant écoulés depuis la vente du produit et plus de trois ans s'étant écoulés depuis la connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. De sorte que l'action serait irrecevable conformément à l'article 122 du Code de procédure civile.

2. que l'action de M. P. serait également irrecevable sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'article 1641 du Code civil édictant un délai pour agir de deux ans courant à compter de la découverte du vice, en l'espèce le 10 décembre 2001.

La société Campagnolo conclut à la prescription de l'action en responsabilité de M. P. à son encontre et, par suite, à l'irrecevabilité de celle-ci. La société Campagnolo conclut en outre à la condamnation de M. P. au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Grégory D., avocat.

La clôture a été prononcée le 10 septembre 2019.

L'affaire a été plaidée le 25 septembre 2019 et mise en délibéré au 7 novembre 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature de la décision :

L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du Code de procédure civile.

Sur l'irrecevabilité de l'action tirée de la prescription :

Aux termes de l'article 122 du Code de procédure civile, " constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ".

Les articles 1386-16 et 1386-17 du Code civil (devenus 1245-14 et 1245-15 du Code civil) ne sont applicables qu'aux produits dont la mise en circulation est postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 sur les produits défectueux (article 21 de la loi). En l'occurrence, la bicyclette de M. P. a été mise en circulation au plus tard en novembre 1996, ce point n'est pas contesté par la société Campagnolo SRL de sorte que l'action en justice engagée ne relève pas de la responsabilité des produits défectueux et des prescriptions spéciales prévues par les articles 1386-16 et 1386-17 du Code civil.

La découverte du vice affectant la chose a nécessairement été concomitante à la survenance de l'accident en décembre 2001. En vertu de la rédaction alors applicable de l'article 1648 du Code civil (dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 17 février 2005), l'acquéreur était tenu de mettre en œuvre la garantie des vices cachés non pas dans un délai de deux ans, mais " à bref délai ". L'action aurait dû en principe être engagée au cours des premiers mois de l'année 2002.

Cependant, il est admis que l'action en responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur pour manquement à son obligation de sécurité, laquelle consiste à ne livrer que des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens, n'est pas soumise au délai pour agir de l'article 1648 du Code civil.

Le délai pour agir de M. P. n'avait donc pour limite que la prescription trentenaire de l'article 2262 du Code civil alors applicable (" toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans [...] "). Cette prescription n'était pas acquise lorsqu'est entrée en vigueur la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription en matière civile et reformulant ainsi l'article 2226 du Code civil : " l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ".

L'article 26 de la loi du 17 juin 2008 articulait comme suit l'ancienne prescription trentenaire et la nouvelle prescription décennale : " les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ". L'entrée en vigueur de la loi nouvelle le 19 juin 2008 constituait donc le point de départ de la nouvelle prescription décennale, laquelle n'était acquise que le 19 juin 2018, soit après l'acte introductif d'instance du 8 octobre 2014.

Le jugement du TGI de Nice sera infirmé en ce qu'il a constaté la prescription de l'action en justice et déclaré irrecevables les demandes de M. P..

Sur le bien-fondé de l'action :

Il incombe à chaque partie de prouver les faits utiles au succès de ses prétentions (article 9 du Code de procédure civile).

Pour pouvoir mobiliser la garantie due par le vendeur, M. P. doit rapporter la preuve d'un vice caché rendant le produit impropre à sa destination au regard des engagements contractuels de la société Campagnolo SRL. Il doit en outre caractériser le fait, que le vice soit antérieur ou concomitant à la vente.

Malgré l'absence au dossier de tout document contractuel attestant des caractéristiques de la bicyclette, les parties s'accordent sur le fait que la vente est intervenue en novembre 1996. La chute de M. P. étant intervenue en décembre 2011, soit plus de cinq ans après la vente, l'antériorité du vice ne saurait se présumer et elle ne résulte pas non plus des deux courriers de la société Campagnolo France à M. P. (22 et 24 janvier 2002) qui se bornent à évoquer " votre accident suite à la rupture de la tige de selle " et " la casse de votre tige de selle, ce qui a entraîné votre chute ". La démonstration de l'antériorité du vice ne pourrait résulter que d'une mesure d'instruction que M. P. n'a jamais demandée.

En l'absence de fait générateur de responsabilité, M. P. sera débouté de ses demandes de provision et d'expertise médicale.

Sur les demandes accessoires :

Conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, M. P. sera condamné aux dépens de l'instance.

L'équité ne justifie pas particulièrement l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs Statuant contradictoirement, Infirme le jugement en ce qu'il a constaté la prescription de l'action en justice et déclaré irrecevables les demandes de M. P.. Y ajoutant, Déboute M. P. de toutes ses demandes. Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne M. P. aux dépens de l'instance.