CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 15 novembre 2019, n° 19-10350
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bolt Mobility Corporation (Sté), B Mobility France (SAS)
Défendeur :
Bolt Technology Oü (Sté), Bolt Services France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaber
Conseillers :
Mmes Lehmann, Barutel
Avocats :
Mes Bouchenard, Grappotte Benetreau
Vu l'ordonnance de référé contradictoire du 15 mai 2019 rendue par la délégataire du Président du tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté les 31 mai et 11 juin 2019 par les sociétés Bolt Mobility Corporation (Bolt Mobility) de droit américain et B Mobility France (B Mobility) anciennement Bolt Mobility France,
Vu la requête des 11 et 12 juin 2019 des sociétés appelantes (dites ensemble sociétés Mobility) aux fins d'être autorisées à assigner à jour fixe, et l'ordonnance de fixation du 13 juin 2019,
Vu l'assignation pour plaider à jour fixe délivrée à la société Bolt Services France (Bolt Services) et le procès-verbal d'accomplissement des formalités de transmission de cette assignation à la société de droit estonien Taxify Oü (Taxify), du 19 juin 2019,
Vu les conclusions responsives et récapitulatives n° 1 remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 9 septembre 2019, des sociétés Mobility, appelantes,
Vu les conclusions remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 30 août 2019 des sociétés Bolt Technology Oü (Bolt Technology) anciennement dénommée Taxify et Bolt Services (dites ensemble sociétés Bolt), intimées et incidemment appelantes,
Vu la note d'audience du 12 septembre 2019, et la production contradictoire subséquente des sociétés intimées du 26 septembre 2019, autorisée par la cour, de la traduction des pièces communiquées en langue étrangère,
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que :
La société de droit estonien Taxify créée en 2013, renommée en France Txfy, qui est devenue Bolt Technology le 7 mars 2019, a acquis le 4 février 2019 le nom de domaine " bolt.eu " enregistré le 14 novembre 2006.
Elle a également acquis le 8 février 2019 (enregistrement du transfert en date du 15 février 2019 et inscription du changement de dénomination en Bolt Technology du 22 juillet 2019) notamment :
- la marque verbale BOLT (EUTM) n° 011229424 déposée le 1er octobre 2012, initialement cédée par la société Bolt Logistics Oy à la société Aslo Konsultatsioonid Oü (Aslo) le 28 janvier 2019, désignant en particulier en classe 39 des services de " transport ", qui fait l'objet d'une action en déchéance pour défaut d'exploitation, déposée par la société Bolt Mobility le 26 mars 2019, actuellement pendante devant l'EUIPO,
- la demande d'enregistrement de la marque figurative BOLT n° 17944575 déposée le 17 août 2018 acquise également de la société Aslo, visant en outre en classe 39 notamment les " Services informatisés de réservation du transport des passagers ", qui fait l'objet d'une procédure d'opposition notifiée le 11 décembre 2018 et qui est ainsi représentée
La société de droit français TF Services France, devenue Bolt Services France le 25 avril 2019, filiale de la société estonienne, a été immatriculée le 3 novembre 2017 et elle loue depuis le 6 septembre 2018 des trottinettes électriques en libre-service à Paris en utilisant sur celles-ci le logo " Bolt by TXFY " et une application Txfy devenue " Bolt " le 7 mars 2019, ainsi respectivement figurés en vert et blanc :
La société américaine Bolt Mobility créée le 2 mai 2018 a, pour sa part, acquis notamment selon inscription de cession du 6 mai 2019, une demande d'enregistrement de la marque européenne Bolt, déposée le 10 décembre 2018 n° 017997878 en classe 39 pour des services de partage de scooters sous priorité d'une marque américaine du 22 juin 2018, qui fait l'objet d'une opposition du 8 mai 2019, la marque américaine faisant par ailleurs l'objet d'une demande d'annulation par la société Bolt Technology du 24 juillet 2019.
Il n'est pas discuté que les sociétés estonienne et américaine se connaissent, le fondateur estonien de la première ayant en particulier échangé à compter de juin 2018 sur divers projets avec l'actuel directeur technique estonien de la seconde, ce dernier apparaissant par ailleurs s'être interrogé le 6 septembre 2018 sur le nom retenu par la société Taxify selon procès-verbal de constat du 29 mai 2019.
La société américaine a annoncé en mars 2019 avoir signé un contrat avec M. J Z, médaillé olympique connu, présentant celui-ci comme ambassadeur mondial de la marque pour les trottinettes électriques et une filiale française Bolt Mobility, actuellement dénommée B Mobility ensuite de l'ordonnance dont appel, a été immatriculée le 26 avril 2019 pour la location de véhicules automobiles léger.
Après avoir adressé, deux mises en demeure le 8 avril puis le 3 mai 2019 formellement contestées par leurs destinataires, les sociétés Taxify et Bolt Services, estimant que les sociétés Bolt Mobility s'apprêtaient à lancer sur le marché parisien, à l'occasion du salon professionnel Vivatech des 16 au 18 mai 2019, des trottinettes électriques en libre-service utilisant le logo Bolt ainsi représenté en jaune et noir :
Ont, autorisées par ordonnance présidentielle du 13 mai 2019, fait assigner à jour fixe la société française Bolt Mobility, pour le 14 mai 2019 à 17 heures, devant le délégataire du Président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir en particulier l'interdiction d'exploiter le signe Bolt sur le territoire français. La société américaine Bolt Mobility est intervenue volontairement à l'instance.
Selon l'ordonnance de référé dont appel, le premier juge a :
- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir de l'EUIPO, sur la demande en déchéance de la marque verbale de l'UE n° 11229424, et non établie l'atteinte vraisemblable au droit de marque, déboutant la société Taxify de ses demandes à ce titre,
- déclaré recevable la société Bolt Services à agir sur le fondement des dispositions des articles 808 et 809 du Code de procédure civile, constaté l'existence d'un dommage imminent au préjudice de cette société du fait des agissements déloyaux et parasitaires des deux sociétés Mobility,
- prononcé à l'encontre des dites sociétés une mesure d'interdiction sous astreinte, pendant un délai de 6 mois, d'usage du signe Bolt pour accompagner en France, la promotion, la fourniture et l'offre de services de transports à la personne par véhicule motorisé, trottinette, scooter,
- dit n'y avoir lieu à publication, et débouté en fait (selon les motifs) la société Bolt Services (et non " Bolt Mobility Services ") de sa demande d'indemnité provisionnelle,
- condamné les deux sociétés Mobility aux dépens et à payer aux sociétés Taxify et Bolt Services 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 15 mai 2019 les sociétés Taxify et Bolt Services ont fait signifier cette décision. Le même jour, la société Taxify a fait dresser un procès-verbal de constat du lancement par la société française Bolt Mobility d'une trottinette électrique sous la marque Bolt en soirée à Paris devant une péniche, et la société américaine Bolt Mobility a déposé notamment en classe 39 une marque européenne figurative " B " n° 018065160.
Le 16 mai 2019 la société Taxify, autorisée par ordonnance présidentielle du 13 mai 2019, a fait procéder à une mesure de saisie contrefaçon sur le stand du salon Viva Technology (Vivatech) de la société française Bolt Mobility montrant notamment les mesures prises concernant le signe Bolt incriminé et la présentation d'un nouveau logo, figurant la lettre B en majuscule avec un éclair en son centre et la mention " PAR J Z " apposée en parallèle de son fût légèrement incliné, en noir sur fond jaune ou en blanc sur fond noir, représenté comme suit :
Le 20 mai 2019, une autre saisie contrefaçon a été réalisée au siège social de la société française Bolt Mobility, qui confirme l'annonce de ce nouveau logo. Le conseil des sociétés Taxify et Bolt Services a indiqué par courriel du même jour qu'il estimait que ce logo constituait une violation de l'ordonnance rendue le 15 mai 2019, dénonçant par ailleurs la présence du signe antérieur incriminé sur des publications de M. I Z sur les réseaux sociaux.
Le 21 mai 2019 la société américaine Bolt Mobility a déposé notamment en classe 39 la marque verbale européenne B Mobility n° 018070108.
Le 22 mai 2019 les sociétés Taxify et Bolt Services ont fait assigner les sociétés Bolt Mobility en référé à fin de liquidation de l'astreinte prononcée le 15 mai 2019 et de fixation d'une astreinte définitive.
Depuis l'appel interjeté par les sociétés Mobility de l'ordonnance du 15 mai 2019, un " jugement en état de référé " a été rendu le 11 juillet 2019, les condamnant à payer à la société Bolt Services la somme provisionnelle de 10 000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, les sociétés Taxify et Bolt Services étant déboutées de leur demande de fixation d'une astreinte définitive, et cette décision a fait l'objet d'une déclaration d'appel le 23 juillet 2019.
Les sociétés Mobility ont pour leur part fait assigner au fond le 1er août 2019 les sociétés Bolt, invoquant le caractère frauduleux de l'acquisition de la marque verbale européenne Bolt n° 11229424 et de la demande de marque n° 017944575, ainsi que des actes de contrefaçon de la marque européenne Bolt n° 107997878 et des actes de concurrence déloyale ou parasitaire.
Dans le cadre de la présente procédure d'appel les sociétés Mobility demandent d'annuler l'ordonnance déférée du 15 mai 2019, à défaut de l'infirmer en ses dispositions contraires à leurs prétentions, réitérant leur demande de sursis à statuer en raison de la demande en déchéance pendante à l'encontre de la marque de l'Union européenne (UE) " BOLT " n° 011229424 et sollicitent subsidiairement, à défaut de sursis à statuer, de :
- déclarer irrecevable, comme nouvelle en cause d'appel, la demande des sociétés Bolt d'interdiction d'utiliser le signe " BOLT " sur l'ensemble du territoire de l'UE,
- constater l'absence d'actes de contrefaçon vraisemblable des marques opposées et d'atteinte aux droits des sociétés Bolt du fait de l'utilisation de la signature " B PAR J Z ", et débouter les intimées de l'intégralité de leurs demandes.
- constater que leurs demandes sur le fondement des articles 808 et 809 du Code de procédure sont irrecevables, et subsidiairement mal fondées en l'absence de trouble manifestement illicite et de dommage imminent, les en débouter,
- plus subsidiairement, constater que les mesures prononcées sont excessives et doivent ainsi être significativement minorées,
- en tout état de cause, condamner in solidum les sociétés Bolt à leur payer 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer les entiers dépens de première instance et d'appel.
Les sociétés Bolt, appelantes incidentes, critiquent la décision entreprise en ce qu'elle n'a pas estimé établie l'atteinte vraisemblable au droit de marque, et rejeté leurs demandes de publication et d'indemnité provisionnelle. Elles demandent :
- même en cas de sursis à statuer, d'étendre la mesure d'interdiction sous astreinte à tout le territoire de l'Union européenne, ou subsidiairement sur le territoire de la France, pendant un délai de douze mois,
- à titre principal à nouveau, d'enjoindre aux sociétés Mobility de publier le dispositif de l'arrêt à intervenir sur leur site internet ainsi que sur leurs sites instagram, twitter et facebook, sous le titre " Publication Judiciaire ", pendant une durée de trois mois, sous astreinte, ainsi que dans cinq publications françaises ou européennes, à leurs frais avancés, de dire la cour compétente pour connaître de la liquidation des astreintes qu'elle aura ordonnées, et de condamner solidairement les sociétés Mobility à leur payer 50 000 euros chacune (100 000 euros au total) à titre d'indemnité provisionnelle en réparation du préjudice subi,
- en tout état de cause, de condamner solidairement lesdites sociétés aux dépens et à leur payer la somme supplémentaire de 30 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur l'annulation de l'ordonnance
Les sociétés Mobility demandent d'annuler l'ordonnance dont appel prétendant, au visa des articles 12, 15 et 486 du Code de procédure civile, qu'elle aurait été rendue en violation des principes directeurs de tout procès civil.
Ne saurait cependant être considéré comme tardif le fait d'avoir présenté une requête aux fins d'assigner à jour fixe seulement le 13 mai 2019 au motif que dès le 6 mai 2019 la société Taxify a fait dresser un constat d'huissier de justice sur le site internet du salon Viva Technology montrant que la société Bolt Mobility y apparaissait comme partenaire.
Par ailleurs si la société française Bolt Mobility n'a disposé que de 24 heures pour préparer sa défense, l'autorisation de l'assigner dans ces conditions, d'heure à heure, avait été judiciairement accordée, et la société américaine a choisi en connaissance de cause d'intervenir volontairement à l'instance.
Il sera ajouté que les sociétés Bolt Mobility savaient en fait, depuis à tout le moins la mise en demeure précitée du 3 mai 2019, que la société Taxify considérait que le nom de la filiale française Bolt Mobility constituait une contrefaçon de sa marque européenne n° 011229424 et que l'action en déchéance en cours n'affectait pas sa position.
Compte tenu de ces données, la cour estime que les sociétés Mobility ont été en mesure de connaître en temps utile les moyens de fait et les éléments de preuve invoqués à l'appui des demandes, et d'organiser en conséquence leur défense, nonobstant le court laps de temps écoulé entre l'assignation et les débats, étant observé qu'il ressort de la décision entreprise qu'elles ont pu faire valoir leurs conclusions en réponse.
Il sera enfin relevé que s'il est prétendu que le juge des référés aurait fait sien l'argumentaire des sociétés Taxify et Bolt Services, il a cependant rejeté les demandes de ces dernières en ce qu'elles étaient fondées sur la contrefaçon de marque.
Il ne saurait dès lors être considéré que le premier juge aurait méconnu les droits de la défense ni les principes du contradictoire et d'un procès équitable. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande d'annulation de l'ordonnance dont appel.
Sur l'atteinte vraisemblable au droit de marque
A défaut d'annulation de l'ordonnance déférée, les sociétés Mobility demandent d'infirmer cette décision en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur leur demande de déchéance de la marque verbale de l'UE n° 011229424 " Bolt " susvisée, sur laquelle les sociétés Bolt fondent leurs demandes.
Si une juridiction des marques de l'UE saisie d'une action en contrefaçon sursoit en principe à statuer, à la demande d'une partie, lorsque comme en l'espèce une demande en déchéance a déjà été introduite auprès de l'Office, elle peut ne pas le faire s'il existe des raisons particulières de poursuivre la procédure.
A cet égard, le premier juge a retenu l'existence de telles raisons, relevant en particulier qu'il résultait de la réponse du 23 avril 2019 (dont les sociétés appelantes produisent une traduction en pièce 27) du conseil de la société américaine à la mise en demeure du 8 avril 2019 que l'action en déchéance avait pour but de paralyser toute initiative procédurale.
Pour autant, ce seul élément ne saurait suffire à établir l'existence de raisons particulières permettant de refuser le sursis à statuer sollicité.
En effet la réponse précitée rappelle que toute personne peut se prévaloir d'une absence d'usage sérieux et qu'en l'espèce la société américaine Bolt Mobility considérait au vu du résultat de ses recherches qu'il n'y avait pas d'usage véritable de la marque " Bolt " par la société Taxify, ni par son prédécesseur légal pendant plus de cinq ans, un simple usage symbolique ne suffisant pas.
Le rappel, dans ces circonstances, que toute action éventuelle devant une juridiction européenne serait suspendue du fait du dépôt déjà réalisé d'une demande en déchéance, ne peut pas conférer à celle-ci un caractère abusif.
Les intimées maintiennent cependant que la demande en déchéance à l'encontre de leur marque verbale européenne a été formée de manière dilatoire ou abusive.
Il sera relevé que s'il est argué du caractère frauduleux de la marque américaine du 22 juin 2018, antérieure à l'exploitation invoquée par la société Taxify, et sous priorité de laquelle la société Bolt Mobility a demandé dès le 10 décembre 2018 avant l'acquisition de la marque Bolt par la société estonienne, d'enregistrer une marque européenne " Bolt ", celui-ci ne saurait être considéré comme établi dès lors qu'une procédure est en cours de ce chef.
Il ne peut par ailleurs être retenu comme dilatoire ou fautif le simple fait pour une société américaine qui comprend déjà le terme Bolt dans sa dénomination sociale, ce que reconnaissent au demeurant les intimées qui rappellent qu'J Z a précisé publiquement à la presse avoir été contacté parce que cette société s'appelait Bolt, et qui souhaite implanter son activité économique sous ce nom en France de rechercher si la marque européenne Bolt récemment acquise par un concurrent, n'encourt pas une déchéance et ne peut pas ainsi être à nouveau rendue disponible.
Certes la société Taxify soutient avoir utilisé le signe Bolt dès le mois de septembre 2018, soit plus de trois mois avant la demande de déchéance, mais les appelantes observent sans réellement être contredites sur ces points que le service de trottinettes de la société Taxify était alors limité à Paris et présenté par une plateforme dénommée Txfy, que cette société n'apparaît avoir acquis qu'en février 2019 le nom de domaine " Bolt.eu " et la marque Bolt et que la demande de déchéance de cette marque a été formée moins de deux mois après.
Enfin s'il est invoqué un accord d'utilisation avec le précédent titulaire de la marque Bolt, les appelantes soulignent que la société Taxify n'a pas conclu de contrat de licence avant le 9 décembre 2019, que les trottinettes ne se nommaient pas précisément " Bolt " mais " Bolt by Txfy ", et que ce n'est que le 7 mars 2019, date d'une première demande en déchéance de la marque Bolt par un tiers à la présente instance, que la société Taxify apparaît avoir annoncé publiquement qu'elle renommait en " Bolt " l'intégralité de ses services et son application (pièces 14-11 et 14-12 des appelantes) synonyme selon elle " de mouvement rapide et sans effort " (traduction de la pièce 1-7 ter des intimées produite en pièce 13 par les appelantes), l'entité française TF Services France n'étant par ailleurs devenue Bolt Services France que le 25 avril 2019 selon décision de la société de droit estonien Taxify qui en est l'associée unique.
Si le conseil de la société estonienne indiquait cependant le 10 mai 2019 être très confiant quant à " défendre avec succès la marque de l'UE Bolt " en classe 39 pour les services de transport, il ne saurait pour autant en être vraisemblablement déduit que la société américaine a formulé sa demande en déchéance de manière abusive, comme nécessairement vouée à l'échec, étant rappelé que la procédure en déchéance est par ailleurs toujours en cours.
Il n'y a pas lieu d'anticiper sur l'issue de cette procédure, étant ajouté que si la société Taxify invoque divers éléments qui justifieraient de l'utilisation par elle faite du signe Bolt dans l'UE ainsi que par le précédent titulaire de la marque comme excédant largement le seuil minimal requis pour établir son caractère sérieux auprès de l'EUIPO, les appelantes en contestent formellement la pertinence ou la suffisance pour démontrer l'usage requis, à titre de marque, du dit signe et rappellent qu'en outre préexiste à leur demande de déchéance devant l'EUIPO celle formée le 7 mars 2019 par une société tierce.
Il ne peut, en conséquence, être considéré que les conditions permettant de ne pas surseoir à statuer sur les demandes fondées sur la contrefaçon de la marque invoquée par les sociétés Bolt sont à suffisance réunies.
L'ordonnance dont appel sera donc infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir de l'EUIPO sur la demande en déchéance de la marque verbale européenne dont s'agit.
Compte tenu du sursis ainsi prononcé à raison de l'utilisation du signe " Bolt ", la cour ne saurait pas plus se prononcer sur l'absence invoquée par les appelantes d'atteinte aux droits de marque opposés par les sociétés Bolt, à raison de l'utilisation, postérieure à l'ordonnance entreprise, de la signature " B PAR J Z ", étant observé que dans le dispositif de leurs écritures, qui seul saisit la cour, les intimées ne formulent aucune prétention particulière de ce chef.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Les appelantes soutiennent à juste titre que la société Taxify est irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire pour les mêmes faits que ceux invoqués au titre de l'atteinte vraisemblable au droit de marque.
Par ailleurs, si la société exploitant en France la marque invoquée est recevable à agir sur ce fondement ainsi que retenu par les premiers juges, il ne saurait en l'état du sursis à statuer prononcé en cause d'appel au titre de la contrefaçon être statué de ce chef dans le cadre de la présente instance. Ne peut pas plus être apprécié, sur le fondement du droit commun, le fait pour la société américaine Mobility d'avoir acquis une demande d'enregistrement sous priorité d'une marque américaine, antérieure au début d'exploitation invoqué par les sociétés Bolt, alors qu'une procédure en annulation de cette marque américaine pour fraude est en cours.
En revanche, la décision d'immatriculer en France une société Bolt Mobility en avril 2019 en vue de l'exercice d'une même activité d'exploitation de trottinettes dénommées Bolt en libre-service sur le même territoire qu'un concurrent qui déployait déjà ses services depuis plusieurs mois pour des trottinettes Bolt by Txfy, par une application alors déjà renommée Bolt, relève d'une imprudence fautive comme étant manifestement susceptible de générer un risque de confusion pour le public concerné avec l'activité développée par la société Bolt Services (anciennement TF Services).
Il serait vainement prétendu que la société Bolt Services ne justifierait pas d'une exploitation en France des services de trottinettes, ni d'investissements personnels par elle engagés et ne serait dès lors pas recevable à agir en concurrence déloyale et parasitaire. En effet si cette société est immatriculée pour des activités de support n'ayant pas de lien évident avec l'exploitation de trottinettes et si les factures d'achats en France de trottinettes à compter du 19 juillet 2018 importées de A ne mentionnent comme acheteur que la société Taxify, celle-ci est l'unique associée de la société TF Services devenue Bolt Services et agit à ses côtés la présentant comme exploitant depuis le 3 novembre 2017 une plateforme de commandes en France et ayant étendu à compter de début septembre 2018 ses activités aux services de location de trottinettes électriques en libre-service à Paris par la même plateforme. Il est par ailleurs produit un état financier de la société TF Services pour la période du 26 octobre 2017 au 31 décembre 2018 confirmant la réalité d'une activité en France ainsi qu'un rapport annuel consolidé faisant état de celle-ci.
La volonté pour les sociétés Mobility de lancer en France en mai 2019, à l'occasion d'un salon professionnel, des trottinettes dénommées Bolt est constitutive d'une imprudence fautive imputable tant à la société américaine qu'à la société française dès lors que la loyauté dans le libre exercice du commerce aurait dû les inciter pour ce faire à se démarquer nettement de leur concurrent déjà présent sur le marché pour un service de trottinettes Bolt. Or le simple fait d'adopter des couleurs distinctes pour un modèle de trottinettes visuellement différent, ne constituait manifestement pas des mesures suffisantes pour exclure un risque de confusion, et ce, même si les sociétés Mobility ont communiqué sur leur partenariat propre avec le médaillé olympique J Z.
Le public pertinent normalement attentif retient la dénomination des trottinettes offertes en libre-service, et connaissant déjà celles de la société Bolt Services, il est incité par les agissements des sociétés Mobility à les associer comme provenant d'entreprises économiquement liées, ce qui fausse déloyalement l'exercice normal de la concurrence. Au demeurant, s'il ressort des pièces produites au débat que certains articles de presse ont pu distinguer ces deux acteurs du marché des trottinettes ils soulignent également la difficulté " de s'y retrouver " ou le risque de confusion, et un article les confond manifestement.
Il convient dès lors de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a retenu l'existence d'un dommage imminent au préjudice de la société Bolt Services du fait d'actes de concurrence déloyale des sociétés Mobility.
En revanche si la société filiale française de la société estonienne était connue depuis quelques mois comme un opérateur du secteur il n'est pas pour autant établi que les sociétés Mobility aient entendu vraisemblablement profiter sans bourse délier de ses investissements, dès lors qu'elles ont manifestement investi pour permettre le lancement de leurs trottinettes et entendu communiquer sur un partenariat qui leur est propre avec J Z. La décision entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a retenu l'existence d'un dommage imminent du fait d'agissements parasitaires des sociétés Mobility.
Sur les mesures réparatrices
La mesure d'interdiction, qui arrive à échéance, prononcée à titre conservatoire par le premier juge en France s'imposait pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite et il n'est pas démontré que sa durée, ni le montant de l'astreinte provisoire qui l'assortit, ne seraient pas proportionnés aux enjeux économiques de la cause.
Les sociétés Bolt qui initialement avaient circonscrit leur demande d'interdiction au territoire français demandent de l'étendre à l'Union européenne, faisant valoir que la juridiction des marques de l'UE qui sursoit à statuer peut ordonner des mesures provisoires et conservatoires pour la durée de la suspension et que les sociétés Mobility exploiteraient illicitement leurs services notamment en D et en Autriche. Toutefois elles se contentent de produire sur ce point des copies d'écran d'une application, insuffisante à établir la vraisemblance d'un trouble imputable aux sociétés Mobility, et si elles se prévalent de l'intention de ses dernières de déployer leur activité dans d'autres pays européens et de l'immatriculation d'une société Bolt Mobility à Londres le 25 juin 2019 pour laquelle elles ont demandé judiciairement le changement de nom, ces éléments ne sauraient suffire à justifier l'extension territoriale actuellement sollicitée.
Par ailleurs, il n'est pas discuté qu'ensuite de la décision dont appel la société française Bolt Mobility a changé sa dénomination, ayant substitué au terme Bolt la lettre B, et que celle des trottinettes litigieuses est devenue B ou B par J Z, reproduisant désormais les prénom et nom du sportif présenté comme ambassadeur de ce service. Enfin les sociétés Bolt indiquent avoir suspendu en juillet 2019 leur service de transport de personnes par trottinettes électriques à Paris, ajoutant qu'à cette date seulement 65 trottinettes " seraient opérées " par les sociétés Mobility à Paris.
Compte tenu de ces éléments la demande de prolongation pour 6 mois, de la durée de la mesure d'interdiction ne s'impose pas, et une mesure de publication ne s'avère pas proportionnée aux faits de la cause, étant ajouté qu'il résulte des pièces produites que des articles de presse ont déjà fait état de la décision rendue en première instance.
L'allocation d'une indemnité provisionnelle ne se justifie pas plus, ainsi que retenu par le premier juge étant observé qu'ensuite de la décision entreprise le lancement du service de trottinettes tel qu'alors reproché s'est limité pour l'essentiel à une soirée sur une péniche et qu'il n'est pas rapporté preuve suffisante d'une atteinte vraisemblable à l'image des sociétés Bolt à raison de propos qui auraient été tenus par des dirigeants des sociétés Mobility.
Les demandes des sociétés Bolt de ces chefs (modifications de la mesure d'interdiction, demande d'allocation de provision et mesures de publication) seront donc rejetées, et l'ordonnance dont appel confirmée sur ces points.
Par ces motifs, Dit n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance dont appel ; Confirme ladite ordonnance en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir de l'EUIPO sur la demande en déchéance de la marque verbale n° 11229424, statué sur l'atteinte vraisemblable au droit de marque, et constaté l'existence d'agissements parasitaires ; Statuant à nouveau dans cette limite, Sursoit à statuer sur l'atteinte vraisemblable au droit de marque dans l'attente de la décision à intervenir de l'EUIPO sur la demande en déchéance de la marque verbale de l'union européenne n° 11229424 dont est titulaire la société Bolt Technology anciennement Taxify ; Dit n'y avoir lieu à constat d'agissements parasitaires ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Dit que dans l'attente de la décision à l'intervenir de l'EUIPO, l'affaire sera radiée du rôle des affaires en cours et qu'elle sera rétablie à l'initiative de la partie la plus diligente, dès que la cause du sursis aura disparu ; Condamne les sociétés Bolt Mobility Corporation et B Mobility France aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et, vu l'article 700 dudit Code, les condamne in solidum à payer à ce titre aux sociétés Bolt Technology et Bolt Services France une somme complémentaire totale de 5 000 euros pour les frais irrépétibles d'appel.