CA Versailles, 13e ch., 19 novembre 2019, n° 19-05500
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Carglass (SAS)
Défendeur :
Selarl JSA (ès qual.), LS Group multiservices (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valay-Brière
Conseillers :
Mmes Baumann, Bonnet
La société Carglass a confié à la société LS Group multiservices des chantiers d'aménagement de certaines de ses agences. Par courrier recommandé du 16 décembre 2015 intitulé " courrier de rupture des relations commerciales dans le cadre d'un appel d'offre ", la société Carglass a informé la société LS Group multiservices de la fin de " leur contrat actuellement en cours " au 31 décembre 2016.
La société LS Group multiservices a contesté les conditions de cette rupture.
Le 21 juin 2017, la société LS Group multiservices a été placée en liquidation judiciaire et la Selarl JSA nommée en qualité de liquidateur judiciaire.
La Selarl JSA, ès qualités, a assigné devant le tribunal de commerce de Nanterre la société Carglass en responsabilité dénonçant les conditions de la rupture des relations commerciales.
La société Carglass a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Nanterre au profit du tribunal de commerce de Paris au visa des articles L. 442-6 5° et D. 442-3 du Code de commerce.
Selon jugement contradictoire du 27 juin 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- déclaré l'exception d'incompétence soulevée par la société Carglass recevable mais non fondée,
- déclaré être compétent et, à défaut d'appel dans les conditions de l'article 84 du Code de procédure civile, convoqué les parties à l'audience de mise en état du 11 septembre 2019 enjoignant la société Carglass de conclure au fond pour cette date,
- condamné la société Carglass à payer à la Selarl JSA, ès qualités, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Carglass aux dépens.
La société Carglass a interjeté appel de cette décision par déclaration motivée du 23 juillet 2019. Puis, autorisée par ordonnance du premier président du 5 août 2019, elle a assigné la Selarl JSA pour l'audience du 21 octobre 2019, par acte d'huissier du 21 août 2019.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 8 octobre 2019, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- déclarer incompétent le tribunal de commerce de Nanterre au profit du tribunal de commerce de Paris,
- condamner la société JSA, ès qualités, au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.
La société Carglass prétend qu'il ressort tant du dispositif que des motifs de l'acte introductif d'instance qui a saisi le tribunal que la société JSA ès qualités lui fait grief d'un usage abusif de son droit de mettre un terme à son partenariat commercial avec son administrée. Après avoir rappelé le caractère d'ordre public des dispositions de l'article L. 442-6 ancien du Code de commerce, droit spécial qui s'impose au droit général, la société Carglass fait valoir que la jurisprudence qui découle de cet article retient que l'absence ou l'insuffisance de préavis, voire son inexécution, grief invoqué par la Selarl JSA et repris dans les motivations du jugement, sont susceptibles de constituer une rupture brutale des relations commerciales. Elle souligne que la jurisprudence relative à la concentration du contentieux du droit de la concurrence est claire sur l'application du droit spécial, dès que l'une des parties, demanderesse ou défenderesse, l'invoque. Elle estime que le fait qu'elle considère que la demande du liquidateur de la société LS Group multiservices, et quand bien même a-t-elle été introduite sur le fondement des articles 1103 et 1104 du Code civil, est susceptible d'être requalifiée par le juge et examinée sur le fondement de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, justifie que le tribunal de commerce de Nanterre décline sa compétence au profit de celui de Paris. Elle ajoute que d'ailleurs c'est bien ce fondement précis qui est invoqué par la société LS Group multiservices dans la lettre de mise en demeure qu'elle lui a adressée le 28 mai 2017.
Elle soutient également que le régime spécial de l'article L. 442-6 s'applique, en présence ou non d'un contrat en cours d'exécution, quelle qu'en soit la nature, qui aurait été rompu et estime qu'au cas d'espèce le fondement strictement contractuel de l'action ne peut être sérieusement retenu par le juge du fond puisqu'aucun contrat n'a été spécifiquement rompu dans la mesure où elle a simplement décidé de mettre un terme à sa relation commerciale avec la société LS Group multiservices. Elle ajoute que les différents marchés confiés à cette société, concernant différents centres de la société Carglass, ne répondent nullement à la définition d'un contrat à exécution successive comme le liquidateur tente de requalifier la relation contractuelle la liant à la société LS Group multiservices en sorte qu'il est dans l'incapacité de justifier l'existence d'un contrat qui aurait été rompu et qui justifierait le fondement exclusivement contractuel de son action.
Elle répète que c'est bien le caractère abusif de la rupture des relations commerciales que dénonce le liquidateur dans son assignation et estime que conformément à l'article 12 du Code de procédure civile ce n'est pas à la Selarl JSA ès qualités de décider de l'exacte qualification juridique du litige dont le tribunal est saisi. Elle ajoute enfin que ce sont les parties, au pluriel, conformément à l'article 4 du Code de procédure civile, qui définissent l'objet du litige et pas seulement le requérant au travers de son acte introductif d'instance. Elle estime en conclusion que les arguments développés par la Selarl JSA ne sont pas de nature à écarter les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 septembre 2019, la société JSA, ès qualités, demande à la cour de :
- dire et juger que le fondement juridique de la procédure de mise en cause de la responsabilité contractuelle de la société Carglass porte sur l'application des articles 1103 et 1104 nouveaux du Code civil,
Faisant application des articles 4 et 5 du Code de procédure civile de :
- débouter l'appelante de ses demandes,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- faire droit à son appel incident,
- condamner la société Carglass à lui payer une indemnité complémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Carglass aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître X, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Après avoir détaillé les différents marchés de travaux que lui a confiés la société Carglass à compter de février 2015, la Selarl JSA ès qualités souligne qu'il n'existait pas de contrat écrit entre les parties établissant une durée du contrat contrairement aux termes du " courrier de rupture des relations commerciales " que lui a adressé la société Carglass et qu'elle qualifie de confus. Puis elle expose les termes de la requête qu'elle a présentée au juge des requêtes du tribunal de commerce de Nanterre aux fins de désignation d'un huissier de justice ayant pour mission de se faire remettre l'ensemble des documents composant le dossier d'appel d'offres adressé par la société Carglass aux entreprises consultées et visé dans la lettre du 16 décembre 2015 et relève qu'il n'est pas fait état dans cette requête d'une rupture brutale au titre de la procédure future qu'elle entendait mener et que la réponse apportée par la société Carglass à l'huissier désigné dans l'ordonnance démontre que les conditions de la résiliation sont constitutives de l'abus du droit de résilier le lien contractuel.
Elle soutient que dans son acte introductif d'instance elle fondait ses demandes sur les conditions de la résiliation qu'elle qualifie de constitutives d'abus par la société Carglass du droit de résilier le lien contractuel, et que ses demandes tendent à la mise en cause de la responsabilité contractuelle de celle-ci sur le fondement des articles 1103 et 1104 nouveaux du Code civil, et estime que le premier juge, lié par son acte introductif et l'objet du litige, a respecté les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ajoutant qu'il appartiendra à la société Carglass d'apporter la contradiction et la preuve du bien fondé de celle-ci, le tribunal devant alors respecter l'article 12 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions des moyens et des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE,
Selon l'article 4 du Code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
L'ancien article L. 442-6 du Code de commerce dans sa version applicable au présent litige prévoit que " les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ".
Contrairement à ce que soutient la société Carglass, il ne suffit pas que les dispositions de cet article soient invoquées en défense pour justifier de la compétence des juridictions spécialisées, contrairement à ce que prévoit explicitement l'article L. 420-7 qui attribue compétence à ces mêmes juridictions pour statuer sur les litiges relatifs à l'application des règles des pratiques anticoncurrentielles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 ainsi que dans les articles 81 et 82 du TFUE et qui comporte la précision " les litiges dans lesquels ces dispositions sont invoquées ".
Aux termes de son acte introductif d'instance saisissant le tribunal de commerce de Nanterre, la Selarl JSA demandait à cette juridiction, au visa des articles 1103 et 1104 du Code civil, de :
- dire que la société Carglass a fait un usage abusif de son droit de mettre un terme au partenariat commercial qui la liait avec la société LS Group multiservices,
- dire et juger que les conditions de la résiliation sont déloyales,
- dire et juger que la responsabilité contractuelle de la société Carglass est engagée,
- la condamner à réparer le préjudice qu'elle a causé à la société LS Group multiservices,
- condamner la société Carglass à payer à la Selarl JSA ès qualités différentes sommes en réparation de ses préjudices.
Il ressort de la lecture du dispositif de cette assignation, qui reprend l'ensemble des prétentions figurant dans les motifs, que le litige soumis par la Selarl JSA ès qualités au tribunal n'est pas relatif à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce mais au régime de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Il importe peu que dans sa lettre de mise en demeure adressée par la société LS Group multiservices à la société Carglass le 28 mai 2017 celle-ci ait cité les dispositions de l'article L. 442-6 5 ° pour conclure que " la responsabilité de la société Carglass est donc engagée car cette rupture brutale (....) ", dans la mesure où les termes du litige sont déterminés par les prétentions des parties et ne sauraient résulter des pièces versées aux débats.
De même, la détermination du tribunal compétent n'est pas subordonnée à l'examen du bien-fondé de ces demandes au regard des articles invoqués à leur soutien, en sorte qu'il n'y a pas lieu de vérifier l'existence ou non d'un contrat ou d'une relation contractuelle.
Il reviendra effectivement au juge de statuer conformément aux règles de droit qui sont applicables au litige en vérifiant que les conditions d'application des articles visés par la Selarl JSA ès qualités à l'appui de ses prétentions sont remplies sans être tenu de changer le fondement juridique de la demande, étant souligné que contrairement à ce que soutient la société Carglass, l'article 12 ne lui fait nullement obligation de requalifier les demandes de la société Carglass sur le fondement d'une éventuelle rupture brutale de relations commerciales établies.
En conséquence, en l'absence de prétentions fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, c'est à bon droit que le tribunal de commerce de Nanterre a retenu sa compétence et rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Carglass.
Par ces motifs, LA COUR statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Condamne la société Carglass aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par maître X, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Carglass à payer à la Selarl JSA la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.