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Décisions

Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-15.677

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

ACS Thiers diffusion (SARL)

Défendeur :

Gifi Mag (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Sudre

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP de Nervo, Poupet, SCP Waquet, Farge, Hazan

T. com. Bordeaux, du 23 janv. 2015

23 janvier 2015

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société ACS Thiers diffusion que sur le pourvoi incident relevé par la société Gifi Mag ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 14 septembre 2010, la société G2S, devenue la société ACS Thiers diffusion (la société ACS Thiers), spécialisée en conseil pour les affaires et la gestion, a conclu avec la société Gifi Mag (la société Gifi), en vue de l'exploitation d'un magasin appartenant à celle-ci, un contrat de gérance-mandat d'une durée d'un an avec tacite reconduction, prenant effet au 1er octobre 2010 ; que la société Gifi l'ayant informée, par lettre recommandée du 27 août 2012, que le contrat ne serait pas renouvelé au-delà du 30 septembre 2012, la société ACS Thiers l'a assignée en paiement de dommages-intérêts, notamment pour rupture brutale de la relation commerciale établie en application de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce et, subsidiairement, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, ainsi qu'en annulation de la clause de non-concurrence post-contractuelle et en réparation d'un préjudice correspondant ;

Sur le second moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société ACS Thiers fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'article 1382, devenu 1240, du Code civil alors, selon le moyen, que la rupture brutale d'une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur ; qu'à défaut d'application des dispositions particulières de l'article L. 442-6, I, 5° le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture doit être indemnisé sur le fondement du droit commun de la responsabilité délictuelle ; que la cour d'appel qui a débouté la société ACS Thiers de sa demande subsidiaire fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil en sa rédaction applicable à la cause au motif que la demande à l'encontre de la société Gifi ne pouvait être fondée ni sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce inapplicable à la cause ni sur les dispositions de l'article 1382 ancien du Code civil, a violé l'article précité ;

Mais attendu que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, étant exclusives de celles de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'en l'absence de toute faute délictuelle distincte établie, la demande fondée sur ce dernier texte devait être rejetée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Gifi fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la clause de non-concurrence prévue à l'article 15-2 du contrat de gérance-mandat et de la condamner à payer des dommages-intérêts à la société ACS Thiers alors, selon le moyen : 1°) qu'est suffisamment limitée dans l'espace et dans le temps et donc licite une clause qui interdit pendant une durée de deux ans un ancien mandataire-gérant d'exercer directement ou indirectement une activité susceptible de concurrencer celle du mandant dans un rayon de cinquante kilomètres à vol d'oiseau du fonds de commerce objet du mandat et de tous fonds de commerce qui seraient exploités par le gérant ; que la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil en sa version applicable au litige ; 2°) qu'en ne s'expliquant pas sur le fait expressément souligné par les conclusions de la société Gifi que son réseau ne couvrait absolument pas le territoire national et laissait une très large marge d'installation à son ancien mandataire-gérant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la clause de non-concurrence prévue au contrat, qui fixe à un rayon de cinquante kilomètres à vol d'oiseau autour des magasins Gifi l'interdiction pour la société ACS Thiers ou ses représentants d'exercer une activité concurrente, conduit, du fait de la densité du réseau de la société Gifi sur l'ensemble du territoire français et de la diversité de son activité, à une impossibilité, de fait, de toute réinstallation ; qu'il retient encore que la clause ne décrit ni n'établit l'intérêt légitime de la société Gifi, justifiant une telle interdiction pendant une durée de deux années ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions invoquées par la seconde branche, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 146-4 du Code de commerce et l'article L. 442-6, I, 5° du même Code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ; - Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société ACS Thiers pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt retient que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ne s'applique pas à la cessation des relations liant un gérant-mandataire et son mandant, régies par les dispositions spéciales de l'article L. 146-4 du Code de commerce, et qu'en l'espèce, un préavis contractuel a été convenu entre les parties en cas de non-renouvellement du contrat ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, si le régime institué par les articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce prévoit, en son article L. 146-4, le paiement d'une indemnité minimale au profit des gérants mandataires en cas de rupture sans faute grave de leur part, il ne règle en aucune manière la durée du préavis à respecter, que le même texte laisse à la convenance des parties, ce dont il se déduit qu'ont vocation à s'appliquer les règles de responsabilité instituées par l'article L. 442-6, I, 5°, du même Code lorsque le préavis consenti est insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie entre les parties et des autres circonstances, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le même moyen, pris en sa seconde branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5°, du même Code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que le contrat en cause n'implique pas de flux d'affaires entre les parties ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs péremptoires, sans analyser concrètement les relations ayant existé entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi incident ; et, sur le pourvoi principal : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.